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A sang et à mort

Publié le par Yv

A sang et à mort, Sandrine Durochat, Jigal polar, 2022

Un fourgon blindé qui contient neuf millions d'euros est attaqué et l'un des assaillants tue un convoyeur.

Franck Hirsch, commandant à la PJ de Grenoble est sur le coup. Ce flic brutal et pourri jusqu'à la moelle compte profiter de ce casse raté et de la rivalité entre les deux bandes l'ayant organisé pour rafler une belle somme.

Gabriel Farge est lui aussi flic, ravagé par la mort d'un jeune manifestant, en pleine dépression et toujours entre deux cuites. Son flair de policier pas totalement éteint le fait se méfier de Hirsch.

Puis, au milieu de tous ces hommes violents, il y a Nina et Samia, compagnes de malfrats, Audrey l'avocate en difficulté et Karen la mère éplorée.

Je me dois ici de confesser quelques réflexes sexistes : lorsque j'ai commencé ma lecture, j'ai été saisi par la brutalité, la violence des faits, celle des mots qui claquent. C'est un récit extrêmement tendu, explosif, brûlant, j'allais dire viril, "sévèrement burné" comme disait une célèbre marionnette. Mais c'est une autrice, Sandrine Durochat, par ailleurs avocate qui est à l'écriture. A ma décharge, je n'avais lu ce genre de littérature policière nerveuse, à l'os qu'écrite par des hommes. Un grand merci à Sandrine Durochat de faire remonter en moi ces scories sexistes, moi qui me croyais au-delà de ça !

C'est un roman aux histoires qui se recoupent, qui vont vite, très vite. Les personnages sont tous à la dérive, les gangsters pourtant pas des tendrons de l'année, sont presque des gentils face à la triplette de flics emmenée par Hirsch. Seuls quelques-uns semblent pouvoir être sauvés, les autres sont déjà trop englués du mauvais côté de la vie, gangrenés par le mal. Et ceux dont on espère la rémission voire la guérison partent de loin, de très loin ; le trajet sera long, douloureux et laissera des traces indélébiles.

Malgré des scènes dures, de l'action permanente, Sandrine Durochat ne néglige pas ses personnages, ils ont des caractères forts, même ceux qui paraissent plus effacés. Elle les relie tous entre eux ainsi que les histoires qui les concernent avec talent sans que l'on se perde : la guerre des gangs, le grand banditisme, les narcotrafiquants, les flics corrompus. Ah, la vache, ça fait du bien de lire des trucs comme ça de temps en temps, ça décrasse les neurones !

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Un grand serviteur

Publié le par Yv

Un grand serviteur, Dimitris Sotakis, Intervalles, 2022 (traduit par Françoise Bienfait)

Un homme d'affaires prospère assiste aux derniers instants d'un riche oncle. Il parle un moment avec l'homme à tout faire de cet oncle qui va perdre son emploi et l'embauche pour lui-même, car il est débordé par son travail et ne parvient plus à s'occuper de sa maison. Marios entre donc à son service. Ils ont tous les deux le même âge et se ressemblent. Peu à peu, une étrange relation se noue entre les deux hommes, et l'homme d'affaires laisse de plus en plus Marios gérer son quotidien.

C'est déjà le troisième roman de Dimitris Sotakis que je lis, tous parus dans cette excellente maison qu'est Intervalles : Comment devenir propriétaire d'un supermarché sur une île déserte et Une famille presque parfaite. Et comme les deux précédents, ce dernier roman n'est pas banal. L'auteur a le chic pour imaginer des situations originales et décalées. Et l'art de mettre son lecteur dans une position inconfortable. Je m'explique -enfin, j'essaye- : le narrateur -l'homme d'affaires- est plutôt sympathique au départ, puis la relation qu'il noue avec Marios est particulière, faite de rapports amicaux mais aussi de rapports de dominant/dominé qui mettent mal à l'aise. On ne sait pas trop comment va évoluer la situation, ni comment chacun des deux va réagir. Si la personnalité du narrateur interroge longuement, ses sautes d'humeur, ses accès de colère, celle de Marios questionne tout autant, son apathie face aux colères, son obéissance quasi aveugle alors qu'il pourrait partir...  En quatrième de couverture, il est dit "chassé-croisé identitaire", que l'on attend puis que l'on découvre et qui ne rend pas la position du lecteur plus confortable, qui se demande jusqu'où Dimitris Sotakis va pousser son histoire et ses personnages. Et il pousse jusqu'à l'absurde, jusqu'à l'incroyable qui, finalement ne l'est peut-être pas tant que cela. C'est finement et subtilement amené, tout en douceur, à la faveur d'une relation féminine, mais chut, j'en ai déjà trop dit.

C'est assez difficile de parler de ce roman sans en dévoiler trop et surtout sans gâcher le plaisir de la découverte, car croyez-moi, lire Dimitris Sotakis, c'est à chaque fois, être surpris et dérangé -et c'est un compliment- et aller de suprise en surprise. Et que pourrait-on demander de plus à la littérature ?

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Zemmour contre l'histoire

Publié le par Yv

Zemmour contre l'histoire, Collectif, Gallimard, 2022

"Éric Zemmour aime à se faire passer pour un intellectuel et l'histoire occupe une place à part dans la construction de sa figure publique. Conscient de la force de frappe idéologique de l'histoire et de son attrait auprès du public, il se targue d'un savoir sur le passé qui lui donnerait une compréhension intime et profonde des dynamiques à l’œuvre aujourd'hui. Mais Éric Zemmour ne fait que déformer l'histoire pour la mettre au service de ses visions idéologiques. [...] De la première croisade à l'assassinat de Maurice Audin, de Clovis aux mutinés de 1917, de saint Louis au maréchal Pétain, cette histoire déborde d'erreurs, d'interprétations tendancieuses, voire de mensonges grossiers. Ignorant les sources et méprisant la recherche savante, le polémiste asservit l'histoire au profit d'un discours agressif, raciste et complotiste. Face à cette offensive, un collectif d'historiennes et d'historiens a décidé de répondre en corrigeant, point par point, les plus flagrantes et les plus dangereuses erreurs historiques d'Éric Zemmour. Textes écrits par un collectif d'historiennes et d'historiens rassemblant : Alya Aglan - Florian Besson - Jean-Luc Chappey - Vincent Denis - Jérémie Foa - Claude Gauvard - Laurent Joly - Guillaume Lancereau - Mathilde Larrère - André Loez - Gérard Noiriel - Nicolas Offenstadt - Philippe Oriol - Catherine Rideau-Kikuchi - Virginie Sansico - Sylvie Thénault." (4ème de couverture)

J'ai du mal à saisir la ligne éditoriale des éditions Gallimard qui publient ces tracts hautement instructifs et intelligents et qui, il y a quelques années voulaient publier les pamphlets antisémites de Céline. Mais bon, restons-en à ce recueil, Tracts Gallimard n°34 qui s'attaque aux erreurs, aux déformations et aux mensonges du candidat Zemmour. Lorsque je le vois ou que je l'entends - le plus rarement possible- je ne peux m'empêcher de répéter ce mantra qui n'engage que moi -mais je crois ne pas être le seul- : "Mais quel con, mais quel con, mais quel con !" Oui, je trisse d'une part parce qu'il le mérite et d'autre part parce que ça couvre un instant ses propos. Mais j'avoue ne pas avoir forcément les connaissances suffisamment assises pour le contredire -manifestement lui non plus ne les a pas, mais sa malhonnêteté intellectuelle ne l'empêche pas de dormir et de persister voire de réitérer.

Ce petit livre très bien fait, très utile démonte phrase par phrase, bout par bout les dires du candidat d'extrême droite. Et les historiens cités plus haut ne mâchent pas leurs mots. C'est édifiant sans être pédant. Les auteurs démontent ses arrangements avec l'histoire, sa volonté de la tordre pour qu'elle vienne coller à ses haines et ses peurs, ses convictions comme les prétendues racines chrétiennes de la France, la suprématie blanche, et l'infériorité évidente des femmes qui ne peuvent apprendre que si elles côtoient des hommes, son complotisme et son amour pour l'Algérie française sans oublier sa tentative de nous faire croire que Pétain à sauver des juifs.

Je suis persuadé qu'il faut contredire les gens qui parlent fort croyant que cette force suffira à être crédible par des apports sourcés et un travail de fond tel que le présentent les historiens. Mais il faut répondre pied à pied, ne pas laisser le doute s'insinuer. C'est pour cela que ce livre est précieux à lire, à faire lire, à diffuser (3,90€ pour apprendre et ne pas se faire avoir, ce n'est pas cher). Si je peux comprendre que l'on puisse suivre une personne avec des convictions ("Moins on a de connaissances, plus on a de convictions" Boris Cyrulnik) même si elles ne collent pas à mes valeurs -bon, pas trop éloignées quand même, je ne comprends pas comment on peut suivre un menteur éhonté, raciste, xénophobe, misogyne etc etc.

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Avant le gel

Publié le par Yv

Avant le gel, Henning Mankell, Seuil points, 2005 (traduit par Anna Gibson)


Kurt Wallander, de la police de la ville d'Ystad est sur une nouvelle enquête : des animaux immolés par le feu, une tête et des mains de femme retrouvées au fond d'une cabane près d'une bible griffonnée. En même temps, sa fille, Linda prépare son entrée dans la police d'Ystad et s'inquiète de la disparition d'une de ses amies : elle se lance dans une enquête au grand dam de son père.
A l'occasion de ma relecture de cet opus, je reprends mon article de l'époque (juillet 2009, soit un an après l'ouverture du blog) que je modifie un peu, d'où, ne soyez pas surpris, des commentaires déjà postés. Je recycle, c'est à la mode.

Cette enquête en duo est l'une des dernières pour Kurt Wallander. Elle ne déroge pas à la règle des autres : meurtres horribles, police qui part dans tous les sens ne négligeant aucune piste, et le commissaire Wallander qui resserre les boulons en cours et en fin d'enquête pour arriver au dénouement, cherchant longtemps ce détail qui lui a échappé et qui le mènera sur la bonne piste. Seulement, apparaissent de nouveaux personnages. A tout seigneur tout honneur, d'abord Linda Wallander qui fait ici sa première apparition en tant que future policière et Stefan Lindman qui arrive dans la police d'Ystad après avoir été l'enquêteur principal d'un autre livre de Mankell (cf. Le retour du professeur de danse).
Avant que Linda ne soit dans la police, les rapports entre père et fille n'étaient pas toujours faciles : ils le sont encore moins. Il faut dire que Wallander est un personnage haut en couleurs : pas loin de la retraite, il perd ses cheveux, grossit, et est colérique, entre autres qualités. Et Linda n'a pas l'air mal non plus.
Autant dire que j'ai aimé, comme les autres enquêtes menées par la police d'Ystad, même si Kurt est très en retrait, il est là pour râler contre Linda, pour la recadrer, en quelque sorte, pour lui apprendre son métier de policière.

Néanmoins, de tous les romans mettant en scène mon flic favori, ce n'est pas celui-ci qui m'a le plus marqué. Il faut dire qu'Henning Mankell ne ménage pas son héros, il le fait vieillir, grossir, révèle des traits de son caractère qu'on ne faisait que soupçonner et pourtant déjà, dans les opus précédents, il n'était pas érigé en héros sans peur et sans reproche, ce qui le rend profondément humain et réaliste.

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Le Christ s'est arrêté à Éboli

Publié le par Yv

Le Christ s'est arrêté à Éboli, Carlo Levi, Gallimard, 1948 (traduit par Jeanne Modigliani)

"Le Christ s'est arrêté à Éboli" disent les paysans de Gagliano, petit village de Lucanie, tellement ils se sentent abandonnés, misérables. L'auteur, antifasciste, a vécu là, en résidence surveillée, de 1935 à 1936. L'histoire de son séjour forcé parmi ces gens frustes et douloureux a été un des grands événements de la littérature italienne." (4ème de couverture)

Écrit à Florence dans le premier semestre 1944 et publié en Italie en 1945, c'est un classique de la littérature italienne dont Francesco Rosi a tiré un film sorti en 1979 avec Gian Maria Volontè.

Dans sa version poche (Folio) de 300 pages, c'est un récit dense, à la police de caractère petite et peu d'espaces, les pages sont pleines. A peine entré dans le livre on s'aperçoit qu'on ne pourra pas passer des lignes ou des mots et qu'il faudra prendre le temps de savourer. Lent, très lent c'est le récit d'un confinato qui, petit à petit, apprend à connaître les gens qui l'entourent. Il décrit admirablement ce qu'il voit, contemplatif, dans de superbes tournures de phrases : "A la balustrade des balcons se balançaient paresseusement au vent des chapelets de figues, noires de mouches accourues pour en aspirer les derniers sucs, avant que la brûlure du soleil ne les eût taris. Devant la porte, dans la rue, sous les étendards noirs, des nappes liquides et sanguines de conserves de tomates séchaient sur des planches au soleil. Innombrables comme le peuple de Moïse, des essaims de mouches passaient à gué les parties déjà solidifiées de cette Mer Rouge ; tandis que d'autres se précipitaient et s'engluaient dans les zones humides et s'y noyaient comme les armées du pharaon, avides de vivre." (p.72)

Assez rapidement, puisqu'il est médecin de formation, il est sollicité par les paysans ; profondément humain et préférant la compagnie des paysans à celle des notables même si son statut d'intellectuel (médecin, journaliste, peintre et écrivain) l'oblige à les fréquenter, il en est vite accepté. Entre deux consultations et son activité de peintre, il prend le temps d'observer, analyser ce qu'il voit. Il décrit finement les habitants du village : les notables imbus, fiers et profiteurs et les paysans pauvres, harassés de travail. La coupure entre les élites de Rome et les gens isolés du sud de l'Italie est nette, forte. Ces derniers ne s'occupent que peu des affaires italiennes, de la guerre qu'elle soit en Europe ou contre l’Éthiopie, ils n'en ont pas le temps.

Ce récit dense est, je l'écrivais plus haut, admirablement écrit, oppose les deux mondes, celui des paysans de Gagliano et Rome, deux mondes qui ne se rencontrent jamais. Carlo Levi retrace également l'histoire du sud de l'Italie, de la Lucanie, autant l'histoire avec un grand H que les légendes et croyances, tout ce qui forge l'identité des gens qui y habitent.

Un grand roman, qui, à certains égards, parle également de nos sociétés actuelles dans lesquelles les dirigeants, malgré leurs discours, n'ont jamais été aussi loin des préoccupations des peuples. Actuellement, chez nous, on nous rebat les oreilles avec l'immigration, les migrants, la sécurité -parce que quelques personnalités surfent sur nos bas instincts croyant que ça suffira à se faire un nom et voulant imposer dans la société une vision étriquée, raciste et xénophobe d'une France de (bons ?) Français qui n'accepterait pas la différence- alors que la plupart d'entre nous n'en a rien à faire et serait au contraire prête à aider des gens dans la misère qui fuient leur pays...

Pou, pouf, je m'emballe, mais ce qui se dit en ce moment m'agace au plus haut point, je dois évacuer... En attendant, lisez ce très bon et beau livre de Carlo Levi.

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Elise et les nouveaux partisans

Publié le par Yv

Elise et les nouveaux partisans, Dominique Grange, Tardi, Delcourt, 2021

Elise a à peine vingt ans lorsqu'elle monte de Lyon à Paris, en 1958, pour poursuivre ses études. En pleine guerre d'Algérie, elle va vivre la manifestation du 17 octobre 1961 contre ce conflit et pour l'indépendance de l'Algérie réprimée par la violence de la police de Maurice Papon, puis 4 mois après une autre manifestation à la répression sanglante au métro Charonne. Son engagement auprès des plus faibles, des humiliés, des travailleurs ne faiblira jamais. Maoïste, elle se battra jusqu'au bout pour ses idées et contre toute forme d'injustice.

Dominique Grange scénarise ce qui ressemble à ses engagements, à sa vie, de sa jeunesse à sa rencontre avec Jacques Tardi, qui dessine comme toujours magnifiquement cet album. C'est le parcous d'une femme et de beaucoup d'autres et d'hommes qui ne veulent pas du capitalisme, qui vont aller de répressions en violences policières, de coups reçus en emprisonnements si ce n'est abusifs au moins discutables. La France des années 60 n'est pas une démocratie dans laquelle tout peut être dit. Parler de la guerre d'Algérie, c'est difficile, de révolution pour virer les patrons-profiteurs et protéger davantage les ouvriers ça passe encore mal. Le pouvoir contrôle les médias, dispose d'une police politique...

J'ai beaucoup de respect pour Elise et ses compagnons de lutte et comme j'aime beaucoup le dessin de Tardi qui sait, quelque soit le sujet qu'il illustre, le saisir et le rendre de manière admirable, je ne peux que conseiller cet ouvrage assez conséquent, qui bien qu'il parle des années 60/70 est toujours d'actualité : les plus riches sont toujours plus riches, les plus pauvres plus pauvres, les violences policières sont toujours présentes, l'extrême droite n'a jamais eu autant d'écho et de place pour s'exprimer. C'est sans doute le bon moment pour sortir ce livre...

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La vie suspendue

Publié le par Yv

La vie suspendue, Baptiste Ledan, Intervalles, 2022

"Tomas Fischer, docteur en psychologie et chauffeur-routier, part se réfugier dans une ville isolée et lointaine après la mort de sa femme et de ses deux enfants. Il s'installe à Lasciate où la vie semble à l'arrêt : on s'y ennuie beaucoup, les voitures roulent au ralenti et l'alcool y est en apparence interdit.

Tomas entame une nouvelle vie, clandestine, dans les marges de Lasciate, où son statut interlope lui permet de rendre bien des services. Mais Lasciate n'est pas une ville comme les autres, même si les politiques menées ressemblent à celles que l'on observe partout. Car un secret inouï distingue ses citoyens du commun des mortels." (4ème de couverture)

Je vais devoir me surveiller pendant toute l'écriture de cette recension pour ne point divulguer le fameux secret de Lasciate et ne rien dire qui pourrait faire que quelques lecteurs du blog -si tant est que leur nombre soit supérieur à 2- perspicaces ne le découvrent ou ne le subodorent. Ce premier roman de Baptiste Ledan est avant tout une histoire incroyable, celle de Tomas Fischer qui préfère vivre à Lasciate ville triste et morne pour anesthésier les douleurs de la perte de sa femme et ses enfants. D'où la question quasi permanente du livre : vaut-il mieux vivre une vie courte et virevoltante faite d'expériences, de sensations, de créations ou une vie plus longue et plus calme voire plus terne ? Chacun aura sa propre réponse et ses arguments et loin de moi l'idée de donner une réponse définitive et catégorique. Nous ne sommes pas tous des Mozart qui "était tellement précoce qu'à 35 ans, il était déjà mort." (Pierre Desproges). Il est donc beaucoup question de la mort, sans que le livre soit triste ou plombant. Pour être général, c'est une question sur le sens que l'on veut donner à sa vie.

"C'est un autre monde, c'était une autre vie. Plus intense. Plus douloureuse aussi, forcément. Je suis venu ici comme on prend un somnifère. Je ne vais pas me plaindre d'être endormi mais je ne sais pas si c'est mieux." (p.158)

L'écriture de Baptiste Ledan m'a emballé, dès le premier chapitre qui est un régal -pourtant pas joyeux puisqu'il narre l'accident de la femme de Tomas- qui enchaîne les personnages très habilement, comme une caméra passerait d'untel à untel en s'y arrêtant quelques secondes, et qui débute par ces phrases : "Jusqu'à l'âge de quarante ans, Tomas Fischer eut le goût des cimetières. Il s'y promenait comme l'on se rend à la campagne, pour trouver le calme et la sérénité. "Il y fait bon vivre : les gens sont polis, les allées bien entretenues et personne n'y parle trop fort, disait-il. L'endroit résume ce que nous sommes, pas grand-chose, et ce que nous serons, rien." (p.7) La suite ne m'a pas déçu, quasiment tous les noms propres dérivent de noms d'écrivains célèbres, le ton est volontiers mordant, critique sur nos sociétés qui ne prônent plus l'accueil et se renferment sur elles-mêmes, sur la sécurité à tout prix quitte à se priver de plaisirs, sur la volonté de descendance, sur celle du pouvoir.

Ce passage sur la cuisine est savoureux et tellement vrai : "La cuisine n'a qu'un seul secret : l'harmonie des mélanges. L'aliment le plus fin est condamné à décevoir sans vis-à-vis pour exalter ses saveurs. Toute recette qui n'évolue pas est vouée à fatiguer le palais. Si notre cuisine est triste, c'est parce que nous avons peur des échanges. Nous nous tenons loin du vaste monde et nous nous protégeons avec un excès de précautions contre les influences étrangères, trop jaloux de notre secret." (p.12)

Un fabuleux roman qui sort tout juste et dont je ne peux que vous conseiller vivement l'achat et la lecture et de n'en point trop lire dessus -sauf ma recension- qui pourrait vous en dévoiler le secret. Une fois éventé, le roman resterait excellent, mais ce serait se passer d'une délicieuse surprise.

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L'affaire de la banque Glyn

Publié le par Yv

L'affaire de la banque Glyn, Olivier Cabiro, Vendémiaire, 2022

"Fin des années 1830, entre Florence, Londres et Paris. Une étrange équipe se constitue. Elle regroupe un dandy ruiné au jeu, un aristocrate écossais, faussaire de génie et alcoolique, le fils prodigue d'un pair de France passionnément épris d'une fille du peuple pleine de ressources, un duelliste en procès pour détournement de mineure, une Anglaise soupçonnée du meurtre de son mari, un révolutionnaire polonais en exil... Ensemble, les membres de cette singulière "ligue des faussaires européens" échafaudent un plan d'une folle ambition : une escroquerie bancaire à l'échelle internationale, prenant d'assaut simultanément les banques de Belgique, d'Allemagne et d'Italie. Le profit attendu, vertigineux, équivaut à 800 millions de nos euros actuels -de quoi ruiner le système financier de l'époque." (4ème de couverture)

Ceci n'est pas un roman mais le récit détaillé d'une escroquerie de grande envergure qui a beaucoup fait parler à l'époque. La première internationalisation de l'arnaque bancaire : "Jusqu'alors, les grands faussaires étaient des artisans ; ils produisaient un faux. Plus gros était le montant, plus forte la réussite. Avec Bourbel et Graham, on change d'époque, on change d'échelle : on entre dans la production en série." (p.24) Olivier Cabiro, très documenté, présente d'abord les personnes impliquées, d'horizons très variés, leurs liens, les raisons qui les poussent à entrer dans cette association de malfaiteurs. Puis, il explique pas à pas l'arnaque. C'est assez simple à comprendre et l'on suit comme si on lisait un roman policier. C'est passionnant bien que parfois un peu dense et répétitif, sûrement dans le but de ne pas nous perdre.

Je me suis attaché à certains individus, comme cela peut être le cas dans des romans -les femmes notamment qui n'ont que ce moyen de sortir de leur condition pas très enviable- et aux concepteurs qui font preuve d'une ingéniosité incroyable. Et il y a toute l'intendance qui nécessitera un an de préparation...

Olivier Cabiro, pour argumenter son propos, cite des extraits de lettres que certains s'envoyaient et qu'ils ont gardées et des retranscriptions d'interrogatoires et des procès. Il raconte l'époque, les principes des grandes familles qui ne voulaient pas de mariages honteux -comprenez avec une personne de basse extraction- et ce couple mémorable, machiavélique et touchant du fils d'un pair de France avec une fille du peuple très ambitieuse. Au détour d'un paragraphe, on y apprend comment est née la Légion étrangère : "Le roi des Français [Louis-Philippe] avait d'ailleurs eu l'idée, pour se débarrasser des ces gens [les révolutionnaires italiens, allemands, espagnols, portugais et polonais réfugiés en France], de les enrôler dans une troupe et de les expédier en Algérie." (p.106)

Un bouquin instructif, qui fourmille d'informations, de détails, qui décrit parfaitement son époque et les gens qui l'habitent, qu'il faut lire avec attention parce que dense, mais parfaitement digeste et intéressant.

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En chair et en fer

Publié le par Yv

En chair et en fer, Killofer, Casterman, 2022

"Dans un monde d'hommes et de robots, Killofer vit en harmonie avec son coloc métallique. Mais malheur à qui s'attache, car les machines meurent aussi..." (4ème de couverture)

Deux choses surprennent au premier abord dans cet ouvrage, d'abord son format (28 x 18 cm, à lire à l'horizontale) et surtout la couverture gris métallique qui brille et reflète la lumière et aussi la tête du lecteur : du plus bel effet -la couverture, parce que pour la tête du lecteur, ça dépend de lui, l'effet n'est pas toujours formidable.

Et puis, on ouvre l'album et le noir et blanc saute aux yeux ainsi que les détails des dessins qu'on peut d'autant mieux observer que la BD est muette. J'avoue humblement n'avoir pas tout compris au premier passage, j'en ai donc fait au moins un autre pour tenter de saisir et d'autres, juste pour le plaisir. Quelques cases échappent à ma compréhension, mais est-ce bien grave ?

En quelques pages, Killofer explore le monde de demain, celui où nous aurons des robots à la maison pour nous aider dans nos tâches quotidiennes, qui renvoie vers toujours plus de solitude, de renfermement sur soi par choix ou contrainte. Et cet homme, Killofer, puisqu'il se dessine, qui tombe quasiment amoureux de son robot. Une histoire d'amour moderne, futuriste que je me fais un plaisir de chroniquer en ce jour du 14 février.

Que de louanges pour un court album... qui les mérite très largement. Et pour bien sentir tout ce qui m'a plu, je mets le lien vers le site de l'éditeur sur lequel quelques pages sont exposées : En chair et en fer.

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