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chroniques

80 mots de Corée du Sud

Publié le par Yv

80 mots de Corée du Sud, Martine Prost, L'Asiathèque, 2023

Dans sa collection 80 mots du monde, l'Asiathèque a confié à Martine Prost, docteure en linguistique, qui a occupé divers postes notamment directrice de l'Institut d'études coréennes au Collège de France, mariée à un Coréen et vivant dans le pays, le soin d'écrire son dictionnaire personnel.

80 mots qui permettent de se rendre compte des différences notables entre la Corée et la France, des traditions et coutumes coréennes mais aussi de la très grande modernité du pays et de ses habitants. Du grand pas entre les générations, les plus anciens respectant les traditions et les plus jeunes se voulant plus modernes, renonçant à certaines pratiques qu'ils ne jugent plus utiles. La Corée a changé en 50 ans. Elle s'est libérée de la colonisation japonaise, réussit à vivre avec des voisins pas toujours amis, la Chine et surtout la Corée du Nord. Le pays s'est modernisé, s'est enrichi, les entreprises coréennes sont désormais internationales.

A travers le choix de ses mots, Martine Prost montre le changement dans l'habillement, la nourriture, le rapport au corps,  la relation à l'autre, les mœurs, la consommation... "Impensable hier, le divorce, est aujourd'hui monnaie courante en Corée du Sud."(p.105). Mais aussi les relations hors mariage, une certaine libération des femmes qui rejettent le rôle d'épouse modèle qui attend son mari à la maison, la communauté LGBTQ+ qui lutte pour ses droits... Elle met également l'accent sur des traditions qui perdurent, comme certaines fêtes, des scènes de la vie quotidienne, évoque des termes particuliers : "Le han est spécifiquement coréen. C'est un cri intérieur infini et profond. On peut rire du stress ; on ne rit pas du han. Le stress n'empêche pas l'espoir d'exister, le han, oui. (p.113)

Grâce à ce dictionnaire miniature, l'autrice dresse un portrait tout en contraste et en subtilité de ce pays dans lequel elle vit. A lire comme on lit un recueil de nouvelles, dans l'ordre ou pas. A chaque définition, les idéogrammes sont notés avec leurs diverses origines, et à chaque fois, on est sûr d'apprendre un truc sur la Corée et ses habitants.

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Sous l'écorce

Publié le par Yv

Sous l'écorce, Agnès Ledig, Le Robert, 2023

Dans la collection Secrets d'écriture de l'éditeur Le Robert, des écrivains sont invités à répondre à la question attribuée à Julien Gracq : "Pourquoi écrit-on ?" Chacun des auteurs déjà parus explique donc sous la forme d'une autobiographie littéraire sa façon de procéder, sa naissance à l'écriture, ses références...

Neuf titres sont parus, logiquement celui d'Agnès Ledig est le dixième.

Me croirez-vous si je vous dis que je n'avais jamais entendu parler d'Agnès Ledig ? Ni de nom, ni de ses livres ? Et pourtant, c'est vrai. J'avoue mon inculture, je plaide coupable. Il est certain que la littérature qui m'intéresse n'est pas celle-ci. "J'ai quelques auteurs et autrices incontournables dont j'achète la nouveauté sans lire ni le résumé ni les avis. Anna Gavalda, Fred Vargas [...] Bernard Minier et Olivier Norek." (p.59) J'ai moi aussi mes auteurs favoris dont j'achète les livres sans en savoir rien, mais pas les mêmes ; je n'ai même jamais lu B. Minier ou O. Norek et lire Anna Gavalda, une fois, ne m'a pas laissé grand souvenir. Bref, c'est dire si je suis assez éloigné d'Agnès Ledig, et pourtant, j'ai bien aimé son texte. Il m'a parfois un peu agacé par des formules toutes faites, des expressions maintes fois lues ou entendues, mais je l'ai trouvé sincère et intéressant.

Elle parle de son enfance, de son rapport aux livres, de la perte d'un très proche et j'aime beaucoup ce qu'elle dit sur le deuil -je déteste l’expression "faire son deuil"- : "On apprend seulement à vivre avec l'absence, à accepter le vide, à accueillir les vagues de tristesse [...] Ce deuil appartient à chacun." (p.38). Puis elle en arrive à son entrée en écriture, le refus de son premier manuscrit et l'explosion des ventes des autres.

J'aime bien plusieurs passages, sur la difficulté à se séparer de livres, sur sa manière d’écrire, de corriger, de revenir plusieurs fois sur le texte. Je suis moins sensible aux conseils donnés à de futurs écrivains, ne me sentant pas concerné, moi qui serais incapable d'écrire mon autobiographie en plus de trois phrases : "Il est né. Il a vécu. Il a mouru." avec une projection dans le temps -le plus lointain possible- et une faute de français...

De même, je n'adhère pas totalement à son opinion sur les mauvaises critiques qu'elle juge inutiles. Moi pas. Je ne descends pas un bouquin pour le plaisir de descendre un bouquin. D'ailleurs, je ne descends pas de bouquin, j'explique pourquoi il ne m'a pas plu, mais je respecte le travail de l'auteur/trice, c'est juste que le texte en question ne me plaît pas.

Bon, maintenant, je connais Agnès Ledig, je pourrai même dire que je l'ai lue, ce qui n'est pas le cas pour beaucoup de gros vendeurs de livres, et même que j'ai plutôt -oui, j'atténue- aimé son livre. Et, chère Agnès, ne prenez pas mes réserves pour vous personnellement, elles émanent d'un éternel grincheux, ne visent que mon rapport à votre texte et n’engagent que moi

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Prof

Publié le par Yv

Prof. Une journaliste en immersion, Anna Benjamin, Goutte d'or, 2023

Anna Benjamin est journaliste. Elle a notamment travaillé dans la rubrique éducation du journal L'express. Un peu frustrée de ne pouvoir faire des reportages que de quelques heures dans les établissements scolaires, elle décide de devenir professeure contractuelle. Titulaire d'une licence en histoire, elle passe un entretien de trente minutes et trois jours plus tard, embauchée, elle a son premier remplacement dans un collège. Quelques semaines dans cet établissement plutôt tranquille avant d'enchaîner avec un remplacement de cinq mois dans l'académie de Versailles, dans un collège classé REP+, Réseau d’Éducation Prioritaire +.

Prêté par ma fille, elle-même professeure remplaçante d'histoire-géographie et français, contractuelle, dans un lycée professionnel situé dans un quartier difficile.

J'ai retrouvé dans le livre pas mal des inquiétudes, des doutes et des témoignages de ma fille. Les difficultés à faire cours dans des classes où les élèves ont des niveaux faibles, très disparates, où les conditions familiales empêchent de suivre en cours ou de travailler chez soi et au minimum perturbent suffisamment les adolescents dans  les apprentissages. Les difficultés à aborder certains thèmes ou plus exactement la subtilité pour les aborder sans choquer les croyances et éducations de chacun : la religion, la liberté d'expression, la place de la femme... Des débats, des exposés, des visites de lieux, d'expositions... Il faut faire preuve d'imagination, de patience et d'autorité. C'est un emploi fatigant, qui, contrairement aux idées reçues -que je pouvais moi-même avoir-, nécessite un investissement et beaucoup de temps de travail. Il faut en plus d'intéresser et d’apprendre aux élèves, tenter de mobiliser leurs parents pour que la scolarité soit la plus profitable et bénéfique possible, ce qui n'est pas toujours évident. La barrière de la langue, parfois, celle des horaires parce que ces parents peuvent cumuler des emplois...

La satisfaction vient toujours du fait que les élèves avancent, écrivent à Anna Benjamin, à la fin de son remplacement qu'elle a été la meilleure prof qu'ils ont eue, et ce malgré, les sanctions, les découragements, les cours ratés...

Alors, certes, les profs ont les vacances scolaires, mais là encore, une partie est souvent dédiée à des préparations de cours, des sorties. Elles sont aussi faites pour se reposer, se ressourcer avant de repartir "dans la fosse aux lions" comme dit un collègue d'Anna. Et comme le dit assez ironiquement l'autrice "Avis à ceux qui sont jaloux des vacances des profs ! Rejoignez-nous !" (p.164)

Un bouquin très facile à lire qui montre les changements de la société, les pauvres moyens mis au service de l'éducation (il y a quelques décennies, un prof gagnait 2,3 fois le SMIC, aujourd'hui, c'est 1,2 fois seulement). La France est un pays qui ne mise pas sur son avenir, sur sa jeunesse, qui se borne à tenter de limiter la casse. Plutôt que de lire des rapports faits par des technocrates loin des réalités, peut-être les décideurs devraient-ils s'inspirer de ce livre et d'autres écrits sur le même sujets et de la vie réelle des profs pour bouger et prendre des mesures en faveur de l'éducation et de l'enseignement ?

Bonne rentrée à tous.

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Carnets perdus du Japon

Publié le par Yv

Carnets perdus du Japon, Patricia Almarcegui, Intervalles, 2023 (traduit par Maria de Tena)

"A partir de deux carnets écrits à dix ans d'intervalle puis égarés, Patricia Almarcegui reconstitue les impressions laissées par un territoire mouvant, ombragé, liquide. Sa connaissance de la littérature, de l'architecture, de l'histoire et une vision fine de la société contemporaine lui permettent d'explorer les géographies intérieures et extérieures du pays tout en interrogeant l'écriture comme mémoire du passé.

Patricia Almarcegui est écrivain et professeur de littérature comparée." (4ème de couverture)

Court ouvrage de Patricia Almarcegui, grande voyageuse et connaisseuse du Japon qui cite des écrivains, donne ses impressions, comme ça, sans ordre repérable par le lecteur lambda que je suis. Ce sont des impressions de voyage, donc des idées qui viennent, se suivent ou pas, se font parfois écho : à une réflexion est juxtaposée une citation d'un écrivain, d'un cinéaste. Elles suivent l'esprit de l'autrice qui parfois, comme les autres esprits, divague, saute d'une idée à une autre sans lien apparent. J'aime bien. Ce n'est pas un essai, on ne sortira pas de ce livre en ayant une idée précise de ce qu'est le Japon, mais par petites touches, par petites phrases, Patricia Almarcegui, nous raconte son Japon, et l'on y voit beaucoup de beauté, de respect pour les traditions et l'apport culturel massif -entre autres, pour le Bauhaus, Walter Gropius, après un séjour à Kyoto, écrit à Le Corbusier : "Tout ce pour quoi nous nous sommes battus a son parallèle dans l'ancienne culture japonaise." (p.44)-, mais aussi de la nostalgie d'un pays qui disparaît : "Qui a permis au Japon d'être traditionnel ? Sa contemporanéité, sa précision et sa minutie sont frappantes et constituent des stéréotypes du pays. Mais que pouvait-il faire d'autre que reconstruire, aller de l'avant et devenir résolument moderniste ?" (p.111)

L'attrait que l'autrice a pour ce pays ne l'empêche pas d'en noter les travers, par exemple la place des femmes :

"Il existe des temples bouddhistes où les femmes peuvent se rendre afin de prier pour les âmes de leurs avortements, même si officiellement le bouddhisme s'oppose au fait d'ôter la vie." (p.90)

"Il n'est toujours pas considéré comme avantageux pour les femmes d'être plus qualifiées que leurs maris. Le mariage reste le grand objectif pour la plupart d'entre elles." (p.92)

Nul besoin d'être féru voire connaisseur du Japon pour lire ce livre, c'est sans doute mieux pour saisir toutes les références, les allusions aux coutumes et lieux emblématiques du pays, mais il n'est pas rédhibitoire de n'en savoir que peu, il faut juste être curieux. Et si je n'ai pas tout compris, tant pis, j'ai pris beaucoup de plaisir à lire cet ouvrage, qui parfois, fait dans le sibyllin, très visuel : "Les paysans traversent les rizières à vélo avec des chapeaux pointus." p.101). Une manière de découvrir un pays tout en nuances et en complexités, et, par le hasard de ma playlist, le lire en écoutant Bon voyage Organisation, le morceau suivant, précisément, Prière pour le voyageur :

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Le long des fissures

Publié le par Yv

Le long des fissures, Patricia Cartereau, Eric Pessan, L'atelier contemporain, 2023

Été 2018, en résidence à Marseille, Patricia Cartereau, peintre et Eric Pessan, écrivain marchent. Ils randonnent dans la ville et à l'extérieur sur les 365 kilomètres du GR 2013. Lui écrit, elle dessine, mais c'est parfois l'inverse. Leurs arts se mêlent, ce qui fait écho à l'une de mes récentes lectures : "En japonais, le verbe peindre est le même que le verbe écrire : Kaku." (Patricia Almarcegui, Carnets perdus du Japon)

La marche c'est leur contrainte, ce qui va faire naître leurs créations. "Je ne marcherai pas du petit matin à la tombée de la nuit pour l'exploit d'avoir avalé d'un trait plusieurs plis de la carte. Je n'ai pas de compte à régler avec mon corps, je n'ai pas envie de valoriser mon courage. Je ne pratique aucun sport, je n'ai aucun entraînement, je marche -en définitive- pour la joie de la fatigue, pour ces moments où j'arrête de marcher afin que le panorama me saute aux yeux, pour les pensées que la marche m'offre, et -je l'ai déjà noté- parce que parfois lorsque je marche, je ne pense plus du tout." (p.41/42)

Lorsque l'on marche, l'esprit se libère, vagabonde. Il revient aussi parfois au plus prosaïque -la fatigue, les blessures aux pieds-, à la vie de tous les jours. Il peut aussi permettre des réflexions plus générales, plus axées sur le sens de la vie, celui que l'on veut bien lui donner : pourquoi écrire, dessiner ? Pourquoi persister à le faire et ne pas "chercher un vrai travail" (p.88) ? Marcher sur le GR 2013, c'est aussi alterner les paysages. Urbains parfois avec le centre de Marseille, mais aussi les quartiers nord. Puis, la garrigue, et les risques liés à la sécheresse et la canicule. Et forcément, les questions sur le rôle de l'homme dans tout cela : "Le découpage de l'histoire de notre planète en grandes époques a toujours fait débat et le fait encore. Depuis la fin du siècle dernier, des chercheurs utilisent le terme d'anthropocène pour caractériser l'époque qui a commencé lorsque l'activité des hommes a eu un impact significatif sur l'écosystème terrestre. [...] Nous vivons dans l'ère du libéralocène, tout ce qui peut être vendu le sera, et la richesse s'accroîtra jusqu'à la mort du dernier consommateur." (p.96/97)

J'ai beaucoup aimé ce livre aux textes profonds qui poussent à la réflexion et sonnent justes, aussi bien lorsqu'ils abordent les bobos que les grandes questions de la vie ou la relation des deux auteurs, l'admiration d'Eric Pessan pour le travail de Patricia Cartereau, notamment ces pierres qu'elle ramasse et dont elle dessine trois faces (cf. couverture). Les dessins justement sont très beaux, il faut prendre le temps de les regarder, voir les détails, les couleurs, les formes. Un très beau livre que je ne peux que vivement conseiller.

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Mémoires d'un gros mytho

Publié le par Yv

Mémoires d'un gros mytho, François Rollin, Hugo Desinge, 2022 (illustré par Stéphane Trapier)

François Rollin, le génial acteur, le maître de l'humour absurde, le dieu du décalage et du non-sens -on ne sait, jamais s'il me lit, il faut que je sois à la hauteur et digne d'au moins un smiley ou un pouce levé, si tant est que Sa Grandeur daigne intervenir sur un blog somme toute modeste-, François Rollin disais-je, écrit un livre de mémoires, de ses rencontres avec les plus grandes personnalités françaises, puisque, humble et pas du genre à se faire mousser, il ne fait que citer ses amis-stars internationales qui ont intercédé auprès de lui pour qu'il trouve un moment dans son agenda surchargé pour discuter avec Sophie Marceau, Gad Elmaleh, Catherine Deneuve, Dany Boon, Isabelle Adjani, Laurent Ruquier, Fanny Ardant, Jean Gabin, Vanessa Paradis, Jean Dujardin, Florence Foresti, Christian Clavier, Carole Bouquet, Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Arnaud Tsamère, Sophie Davant, Alain Delon, Emmanuelle Béart, Daniel Auteuil, Isabelle Huppert, Omar Sy, Marion Cotillard, Philippe Etchebest, Juliette Binoche, Fabrice Luchini et Sarah Bernhardt.

Écrire que ce livre est drôle est un euphémisme, il est hilarant, d'une hilaration -je néologise-, qui ne fait point s'esclaffer bruyamment -quoique parfois, je n'en fusse pas loin-, mais bien se tordre les boyaux, se dilater la rate, se froisser la luette -je néologise également dans les expressions. Absurde, mythomane et mégalomane, François Rollin est tout cela et l'assume. Je ne dévoilerai rien des turpitudes, étranges hobbies ou manies, des passions et des bassesses qu'il prête à ses collègues et admirateurs de sa personne, encore que je pourrais dire des trucs sur la mégalomanie de Dany Boon qui bien que maltraité, écrit la préface. Un petit truc : si vous lisez lentement, vous pourrez entendre la voix de l'auteur vous raconter ses histoires, son ton sarcastique et décalé.

Pour conclure, citons l'illustre illustrateur, Stéphane Trapier, auteur également de l'excellent Mes plus grands succès, qui illustre donc -c'est son job- magnifiquement ce délire délirant de gros mytho.

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Rien dans mon enfance

Publié le par Yv

Rien dans mon enfance ne laissait présager bon sang que tout serait toujours si compliqué, Eric Pessan, L'œil ébloui, 2022

Anaphore : une figure de style par laquelle on répète un mot ou un groupe de mots en début d'une phrase, rendue populaire en 2012 par le candidat François Hollande : "Moi Président...". Eric Pessan choisit lui-aussi l'anaphore pour son livre de réflexions, celles-ci débutent par : "Rien dans mon enfance".

Grâce à ce procédé, l'auteur, sans être nostalgique ou passéiste du genre "c'était mieux avant", évoque son enfance dans une HLM de Bordeaux et les changements voire les bouleversements que le monde à subis ou opérés depuis cinquante ans. Et effectivement, force est de constater que rien dans notre enfance dans les années 60/70 ne nous a préparé à de telles secousses. L'Internet, les guerres incessantes partout dans le monde, le dérèglement climatique, l'extrême-droite aux deuxièmes tours des élections présidentielles, les communautarismes, les toujours-plus-riches et les toujours-plus-pauvres... Enfin, ce qui fait parfois que l'on marche sur la tête, mais aussi ce qui a progressé, avancé mais qui pose question : "Rien dans mon enfance n'annonçait que le progrès qui allongeait nos espérances de vie rallongeait également nos inquiétudes." (p.10)

C'est aussi le moment pour l'auteur de se questionner sur l'âge qui avance, la création littéraire, la littérature, les grandes idées humanistes, la culture, le travail, la productivité...

"Rien dans mon enfance ne m'a préparé à l'étonnement d'avoir un jour plus de cinquante ans."

"Rien dans mon enfance ne m'a carapacé pour que j'accepte sans être affecté d'écouter chaque matin dans le poste le décompte des noyades en Méditerranée ou dans la Manche."

"Rien dans mon enfance où l'on louait la force, la combativité et l'esprit de compétition ne m'a laissé entrevoir que j'irais puiser du côté de mes faiblesses pour devenir écrivain."

"Rien dans mon enfance -Chut, Il nous entend, tu comprends, quoi que tu fasses, Il le sait, Il voit tout, Il sait tout de toi- ne m'a fait croire à l'existence d'un dieu espion de nos actes et nos pensées."

"Rien dans mon enfance ne dessinait qu'il serait dans la norme de protester confortablement assis dans son salon ou sa chambre en tapant des # sur un clavier."

Voilà pour quelques citations. Rares sont celles qui ne m'ont pas parlé ou touché, je les ai annotées, cochées, relues. Décidément, ce qu'écrit Eric Pessan me va parfaitement, en plus d'être original dans la forme. Quant au fond, je l'ai dit, c'est divers, profond, beaucoup de doutes, de questionnements, de ceux qui nous obligent à nous-mêmes nous interroger si tant est que ce ne soit pas commencé. Très bien écrit, comme d'habitude, Eric Pessan est un écrivain qui construit une œuvre littéraire variée et riche et qui raconte ses histoires, dit ses réflexions et parfois hurle ses colères, ses emportements sur ce monde qui ne va pas bien.

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Dico de la cuite

Publié le par Yv

Dico de la cuite. Abécédaire illustré, Stéphane Pajot, Editions Goater, 2021

Stéphane Pajot est journaliste à Presse Océan et collectionneur de cartes postales anciennes. Il aime aussi les bistrots, ces lieux de convivialité dans lesquels, nul n'est besoin de se torcher pour prendre du bon temps, mais bon, ça peut arriver.

Dans ce livre, il a glané des brèves parues dans la presse, récolté des mots, des expressions en rapport avec la boisson et illustré le tout avec certaines cartes postales très parlantes, parfois humoristiques, parfois publicitaires, à l'époque ou la réclame sur les alcools n'était point proscrite.

Et le lecteur de s'apercevoir que le nombre de synonymes de bourré, saoul, pompette, déchiré... est inépuisable et fait appel à des images et à une langue argotique très fleurie : aviné, blindé, bombardé, cuivré, décalaminé, démâté, décalqué, éméché, empétoulé,.... et je me suis arrêté au "e".

Un dictionnaire décalé richement illustré qui fera moins mal à la tête qu'une cuite.

En ce lendemain de second tour des présidentielles, certains auront peut-être abusé hier soir pour fêter une victoire ou plus sûrement pour oublier. Dans ce cas, attention, la cuite risque de durer cinq années, il faut donc s'armer d'un bon dictionnaire pour enrichir son vocabulaire.

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Bonne nuit, Monsieur Lénine

Publié le par Yv

Bonne nuit, Monsieur Lénine. Voyage à travers la fin de l'empire soviétique, Tiziano Terzani, Intervalles, 2022 (traduit par Marta de Tena)

"En août 1991, Tiziano Terzani navigue sur le fleuve Amour lorsqu'il apprend qu'un coup d’État vient de renverser Gorbatchev. Il se lance aussitôt dans un long périple qui le mène pendant plus de deux mois à travers la Sibérie, l'Aise centrale et le Caucase jusqu'à Moscou, capitale de ce qui est en train de devenir la nouvelle Russie. Chemin faisant, Terzani compose l'oraison funèbre du communisme soviétique et un récit de voyage inoubliable." (4ème de couverture)

Tiziano Terzani (1938-2004) était un journaliste italien qui a travaillé pour Der Spiegel. J'ai lu trois de ces livres, quatre en comptant celui-ci : Lettres contre la guerre et Un devin m'a dit, plus Un autre tour de manège non recensé. A chaque fois, ce fut un coup de cœur. Tiziano Terzani a le don et le talent de nous instruire sans nous lasser, c'est un pédagogue et un raconteur hors pair.

Cette fois-ci c'est son voyage sur le fleuve Amour, frontière entre la Russie et la Chine et donc source d'une tension terrible depuis longtemps, l'URSS ayant annexé des territoires -une habitude sans doute- qui appartenaient à la Chine. Des deux cotés du fleuve, des postes d'observation et des consignes pour ne pas le franchir. Le contexte du voyage est particulier en plein Putsch de Moscou mené par des durs du parti communiste russe refusant l'ouverture de Gorbatchev. Ce qui a fait le pays depuis 1917 vacille, mais loin de Moscou la tension n'est pas si palpable que cela. Il faut que l'information parvienne aux habitants de ces coins reculés et qu'elle les concerne directement dans leur quotidien, ce qui n'est pas flagrant.

Cela fait bizarre de lire ce livre paru en 1993 en Italie en ce moment de tension internationale extrême, de guerre, entre l'Ukraine et la Russie. Ce conflit qui nous voit complètement impuissants face à l'autocrate Poutine et ses délires d'expansion. Sans doute ce livre de Terzani permet de mieux comprendre la situation actuelle : voilà trente ans que la pays est passé du communisme au capitalisme et de l'URSS à la Russie, mais il a toujours cette volonté de puissance et d'unité -c'est un pays qui a toujours eu besoin d'un homme fort, d'un dur, très incarné depuis quelques années. C'est un pays rude, notamment dans les régions que l'auteur visite, la Sibérie peut être hostile. "La Sibérie a été le pays du Goulag. Chaque ville a sa propre collection d'histoires à frissonner d'horreur. Les chemins de fer, les ports, les routes de la région ont été construits par le travail forcé de centaines de milliers de prisonniers. Et bien que les noms officiels des lieux soient, comme partout, "Lénine", "Karl Marx", "Communisme", les gens disent "Rue des Os" ou "Allée des crânes", à cause du nombre de forçats morts pendant leur construction. C'est en Sibérie que Staline a tenté de réaliser son rêve de développement socialiste. C'est ici, afin de réveiller cette "Terre endormie", afin d'extraire les immenses richesses de cette région recouverte la moitié de l'année par une couche de glace, que Staline a envoyé des centaines de milliers de ses victimes." (p.71/72)

C'est un pays à l'histoire dense que Tiziano Terzani raconte au fur et à mesure de son avancée sur le fleuve et de ses rencontres des différents peuples assimilés de force. Pourvu qu'ils n'en soit pas de même avec les Ukrainiens. Les Russes des lointaines contrées sont souvent moins bien informés ce qui, de nos jours est peut-être moins vrai, encore faudrait-il que le pouvoir en place n'enferme pas les opposants, ne règne pas sur les médias voire ferme ceux qu'ils ne peut contrôler. Instructif et éclairant.

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