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Voyages en absurdie

Publié le par Yv

Voyages en absurdie, Stéphane de Groodt, Plon, 2013.....

Stéphane de Groodt est un acteur, il est aussi chroniqueur sur Canal+. Ce livre est un condensé de ses chroniques, totalement barrées, absurdes, d'où le titre (emprunté à Michel Sardou, je connais mes classiques, que j'écoute lorsque je m'ennuie). Stéphane de Groodt est totalement fou. Il part sur un sujet donné, bifurque, part dans des digressions qui n'ont rien à voir, et hop, une petite pirouette plus tard, le voici, comme par magie, revenu à son point de départ ! C'est une valse à mille temps de jeux de mots, des jeux avec les sons, des jeux avec le rythme ; je vous conseille d'ailleurs d'écouter une ou deux de ses chroniques si vous ne l'avez pas encore fait ou de le voir dans un film, ou téléfilm pour avoir une idée très précise de sa voix et de sa scansion, ainsi, lorsque vous lirez un texte, vous l'entendrez à travers ces filtres. En relisant ce que je viens d'écrire, je m'aperçois que je vais sans doute passer pour un type un peu barré moi aussi, mais sachez que je lis en m'entendant dans ma tête ou alors, lorsque je connais la voix de l'auteur et qu'elle est typique (comme celle de S. de Groodt) je lis en l'entendant ! C'est grave docteur ?

Au départ, je voulais faire un billet "dans le genre" du livre, mais la barre est haute, et bien que je ne rechigne point en petit comité à des jeux de mots pourris, qui demandent un poil de réflexion, j'avoue que l'on ne joue pas dans la même catégorie, l'auteur et moi. Je jette l'éponge avant même de lutter. Je me contenterai donc d'un article qui sera forcément plat, enfin plutôt hors d'œuvre, voire même simple amuse bouche avant le roboratif, le "qui-tient-au-ventre" et néanmoins très léger, on ne ressortira pas de ce bouquin lourd et mal en point, au contraire.

A part quelques personnalités, souvent décédées -donc plus alitées- (Brel, Brassens, Ventura, ...) Stéphane de Groodt égratigne tout le monde jamais franchement méchamment, toujours avec un décalage qui lui permet de dire des choses parfois "shocking" comme cette visite à Elisabeth II : "Complètement en transe, elle poursuit en me parlant de son mari et de sa position lorsqu'il pénètre dans l'arène... médiatique. Qu'une fois dedans, il s'emmerde, et que c'est là qu'elle mesure la chance d'avoir un prince consort... Je l'invite à prendre un petit coup de verveine pour se calmer, mais elle me dit qu'au contraire, après tant d'années de retenue, elle veut se lâcher grave, et que pour une fois elle jubile. En même temps, c'est un jubilé... Et voilà qu'elle se lève pour me faire un strip-tease. Le problème, enfin, problème, c'est qu'elle avait tellement de couches qu'après vingt minutes d'effeuillage elle était toujours habillée. [...] Je tente de fuir cette famille de dingues. En partant je vois passer la reine avec un truc en caoutchouc assez équivoque. J'ai compris ce que c'était quand je l'ai entendue chanter à tue-tête un vibrant... "God'... Save the Queen"... (p.96/97)

Une autre précision sur mes caractéristiques de lecteur, si j'entends le texte dans ma tête, comme dit plus haut, je visualise aussi beaucoup, le strip-tease de la reine d'Angleterre est ainsi assez... troublant et/ou effrayant ainsi que la conclusion de la chronique. Je pourrais vous citer des pages et des pages, insistant sur le choix des mots, tous sont importants et peuvent avoir un double sens. Une rencontre avec Jean-Marie Le Pen ? "Alors même si j'étais un peu dans le gaz, enfin c'est un détail..." (p.122), avec Julian Assange ? "Sans savoir si j'allais trouver un Julian courbé par la pression, ou au contraire un Julian clair dans sa tête, je décidai donc d'aller crever l'abcès avec mes questions avant que Julian le perce !" (p.25/26), avec Carla Bruni ? "Fronçant les sourcils, enfin serrant les fesses quoi, elle m'avoue ne pas avoir le cœur à la chansonnette car elle s'inquiète pour son époux, qu'elle juge Gentil... [...] Bling-Bling !... C'est alors consonne à la porte et que je la voyelle se précipiter. Quatre consonnes et trois voyelles, mais c'est bien sûr, c'est Raphaël."(p. 50), avec Mitt Romney qui en a assez qu'on fasse des jeux de mots avec son prénom ? "C'est la goutte qui fait déborder la casserole, il en a marre Mitt ! Il se met alors dans tous ses états, cinquante, quand même, s'excite au point de faire un malaise, et paf, le Mitt s'effondre !" (p. 166)

Pour une fois, le bandeau, qui n'en est pas un d'ailleurs, puisque c'est la vraie couverture, sans ajout, n'est pas usurpé, ce type est déjanté, décalé et... Belge. Mais il est drôle quand même. Ou alors il est drôle parce qu'il est Belge -non, ça ne marche pas, y'a Johnny. Ou Belge, parce qu'il est drôle -ben, non, nous on a... tiens, Philippe Geluck, ou Walter. Ou encore, il est Belge et drôle mais sans rapport entre ces deux faits -et vice-versa...

Un super grand et gros merci à la Librairie Dialogues pour ce cadeau.

 

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Comment fait-on l'amour pendant la guerre ?

Publié le par Yv

Comment fait-on l'amour pendant la guerre ?, Cathie Barreau, Buchet-Chastel, 2014...,

Donatienne vit à Nantes. Elle est écrivain. Elle vit une relation très forte avec Jad, journaliste qui vit à Beyrouth. Ils s'écrivent, se voient à Nantes ou à Beyrouth, pas très souvent. La passion résiste-t-elle à la distance, à la guerre -celle du Liban-, aux différences de culture et de conditions de vie ?

Décidément, je suis à fond dans les livres avec des titres qui commencent par "Comment ?". Trois quasiment à la suite. Le hasard total. Mais là, je change d'éditeur et de genre. Deux grandes parties et une conclusion pour ce très beau roman. La première, vue par les yeux de Donatienne, entrecoupée par des extraits de son roman mettant en scène une histoire d'amour entre Kamila et Charbel, à Beyrouth ; une histoire compliquée entre une musulmane et un maronite qui fait écho à la vie de Donatienne et de Jad. La seconde partie est vue par Jad, parti en reportage, entrecoupée par les lettres qu'il envoie à Donatienne. 

Très belle écriture, toute en finesse, en délicatesse qui sans dire frontalement les horreurs de la guerre les laisse transparaître entre les lignes. Une écriture par petites touches qui peut gêner parfois la bonne compréhension des relations entre les personnages, qui peut faire perdre un peu le fil au lecteur, mais qui est douce et qui se lit très agréablement. De très belles descriptions de Nantes, des rues, de l'Erdre, de la lumière d'hiver (c'est André Breton qui disait qu'il y avait une lumière particulière à Nantes), de l'ambiance de calme et de sérénité qui règne dans la ville et des habitants toujours prompts à bouger dès lors que la proposition est là : "Le ciel gris est lumineux vers la Loire, l'air fait sautiller les feuilles sur l'avenue et les passants accrochent une main au col de leur veste pour se protéger de la bourrasque. Donatienne avance dans les rues, s'arrête place du Commerce et attend le bus pour l'aéroport. La foule de fin d'après-midi envahit les trottoirs, et il suffit qu'une éclaircie éblouisse juste avant la nuit pour que les visages se lèvent et s'apaisent." (p.16) Beyrouth qui porte en elle les stigmates et les destructions dues à la guerre est moins décrite, c'est alors plus une question d'atmosphère et de rencontres.

Un roman assez court (147 pages) qui se lit en prenant le temps, qui mérite une certaine attention pour ne pas se perdre au détour d'une rue de Nantes ou de Beyrouth, qui raconte bien comment la vie de l'écrivain peut nourrir son œuvre et l'œuvre influer sur la vie de l'écrivain. Qui parle d'amour difficile à vivre, plein de contraintes, dans lequel comme souvent, la femme attend pendant que l'homme se bat : "Charbel faisait semblant d'avoir choisi sa guerre et son devoir. C'est pour nos enfants, disait-il. Kamila n'en croyait pas un mot et elle ne savait plus si elle tremblait de peur des avions ou de peur de savoir que rien de bon n'adviendrait de cet amour. La guerre ne serait jamais finie. Attendrait-elle son homme ainsi toute sa vie ? [...] Kamila ne pouvait pas se garder de croire de temps à autre qu'ils seraient ensemble toujours. Ils souffraient tous deux d'une incapacité à l'irréalisme." (p.33)

Cathie Barreau est la directrice de la Maison Julien Gracq à Saint-Florent-le-Vieil, l'ancienne maison de l'écrivain léguée par lui à la région pour en faire un lieu de repos et de travail pour les écrivains.

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Comment j'ai couché avec Roger Federer ?

Publié le par Yv

Comment j'ai couché avec Roger Federer ?, Philippe Roi, Ed. Christophe Lucquin, 2012....,

Un homme en pleine déprime se demande quoi faire pour en sortir. Un jour une amie l'invite à Roland-Garros. Il y va et dès que Roger Federer entre sur le court, il n'a d'yeux que pour lui, fasciné par le jeu du tennisman, mais aussi par son physique. Dès lors, il fera tout pour l'approcher, lui suggérer notamment qu'il écrit un livre sur lui.

Un roman court (55 pages) vraiment décalé et drôle et totalement inattendu. Une rencontre improbable entre le narrateur et le joueur de tennis qui sert de traitement anti-déprime. Un texte aux phrases courtes, précises, qui vont droit au but (j'aurais dû dire au filet, mais au tennis, dans le filet, c'est pas bon), construit en petits chapitres : "Roger assène ses coups puis il s'en retourne. Ma pièce principale est désormais tapissée de photos prises pendant ses tournois. Dessus il y a son visage, ses jambes, ses jambes à nouveau et ses lèvres. Il y a son torse poilu, le jeu de ses jambes, l'attraction de ses coups. L'alignement parfait de ses épaules face à la balle. On dirait un félin prêt à bondir sur sa proie. Roger m'a eu mais pas sur le court. Il m'a eu sur le cœur." (p.18). Un texte qui sait se faire sensuel lorsque l'homme amoureux décrit l'objet de son désir. Un texte qui sait aussi rester léger et totalement dans le fantasme délirant. 

Un très bon roman qui saura plaire, surprendre et étonner sans doute Roger Federer en personne (le livre lui a été remis en mains propres lors d'une conférence de presse : ici), ses aficionados, les amateurs de tennis et tous les autres qui aiment l'originalité et la découverte. Un roman court, rapide comme un match gagné par Roger Federer lorsqu'il est en grande forme (je dis ça mais je n'y connais pas grand chose en tennis, enfin en sport en général). 

Deuxième livre-contrepartie de mon obole à la demande de l'éditeur sur kisskissbankbank et premier opus de la collection Fantasmesqui prône : "Parlez-nous de vous au travers de personnalités que vous aimez ou détestez et vous serez davantage dévoilé." (p.9, préface) Exercice troublant de lire les fantasmes ou délires des écrivains avec des personnes qui existent vraiment, comme ici Roger Federer ou récemment JoeyStarr, et finalement très réjouissant, lorsque, comme c'est le cas pour ces deux livres, ils sont bien écrits.

Un encore beau travail de la maison d'édition Christophe Lucquin.

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Mon nom est Dieu

Publié le par Yv

Mon nom est Dieu, Pia Petersen, Plon, 2014..

Morgane est une jeune journaliste française qui vit et travaille à Los Angeles. Un jour, lors d'un reportage, elle rencontre un homme, un clochard qui lui dit s'appeler Dieu et être Dieu/Yahve/Allah. Puis, il la choisit pour être sa biographe.

Très tenté par le nouveau roman de Pia Petersen, je le commence assez emballé, me demandant, avec ce thème, dans quelles directions l'auteure va bien pouvoir nous emmener. J'avais apprécié Le chien de Don Quichotte, je suis toujours très tenté par le très bon (ai-je pu lire un peu partout) Instinct primaire. Eh bien, force m'est de constater qu'elle ne va pas très loin au-delà des habituelles jérémiades du genre : mais si Dieu existe, comment peut-il laisser les hommes agir tel qu'ils le font : guerre, destruction de la planète, agressions, meurtres, exactions diverses, et je passe sur le manque de foi, les viols, les gourous de tous poils, etc, etc... ?

Déçu, franchement déçu, d'autant plus que je sais bien moi que Dieu n'existe pas ni Yahve ni Allah ni aucun autre de n'importe quel autre nom -péremptoire comme affirmation, sans doute, mais sans cette croyance, peut-être enfin, les hommes pourraient prendre leurs responsabilités. Un vœu pieu (ah, quand même !). Bon, revenons à ce livre, très bien écrit, dans un style oralisé, comme si l'on était dans la tête des personnages mais pas eux (enfin, eux sont bien dans leur tête, mais nous ne sommes pas eux, c'est plus clair comme cela ?), c'est-à-dire qu'on sait ce qu'ils veulent, comment ils veulent agir. Donc ce n'est point l'écriture qui m'a déçu, mais le manque de surprise, une certaine banalité dans les propos alors qu'un tel sujet aurait mérité plus de profondeur, ou alors un contre-pied total, humoristique, engagé, que sais-je encore... ? Et même -si je fais abstraction du fait que cet homme se prend pour Dieu- les remous qu'entraînent forcément la rencontre avec ce SDF/Dieu ne sont pas passionnants, mais attendus, prévisibles.

Il fallait bien qu'un tel livre atterrît chez moi, un athée convaincu qui ne demandait qu'à lire des propos un peu plus profonds. Tant pis. Je n'ai rien contre les croyants, j'en côtoie tous les jours en le sachant et même sans le sachoir sûrement. Chacun pense et croit à ce qu'il veut ou à ce qu'il peut. Je déplore simplement que certains de ceux qui se disent croyants (de n'importe quelle religion) ne vivent pas au quotidien ni dans leurs actes ni dans leurs pensées ce à quoi ils croient. Je n'en dirai pas plus, de peur de sombrer moi aussi dans des banalités -ou à propos des ces crétins intégristes de tous genres (et ce n'est pas qu'une théorie) qui voudraient nous imposer leurs dogmes, dans des grossièretés. 

Le roman débute ainsi, tentant : "Lorsque Dieu lui demanda d'écrire sa biographie, elle dit non, fermement non, pas question. Lorsque Dieu lui ordonna d'écrire sa biographie, elle lui demanda de quel droit il lui donnait des ordres. Elle songea que s'il avait été Dieu, ça n'aurait pas été la bonne réponse, que s'il existait et qu'il voulait quelque chose, il avait sûrement le pouvoir de l'obtenir." (p.9)

Pour finir, il m'est souvenance que, appelé sous les drapeaux, dans l'est de la France, il y avait avec moi un garçon dont le nom de famille était Dieu. Pas banal, sans doute pas très facile à porter surtout lorsqu'on voit ce que les hommes font sans qu'il réagisse : guerre, destruction de la planète, agressions, meurtres, exactions diverses, et je passe sur le manque de foi, les viols, les gourous de tous poils, etc, etc ... 

 

 

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Comment j'ai mis un coup de boule à JoeyStarr

Publié le par Yv

Comment j'ai mis un coup de boule à JoeyStarr, Max Monnehay, Ed. Christophe Lucquin, 2013....,

Fin 2012, les Mayas ont prévu la fin du monde. Paris se prépare. Alex, dans le métro, inspecte les bagages des voyageurs, n'hésitant pas à appeler le renfort de deux baraqués si nécessaire. Lorsque JoeyStarr pose son sac, tout de suite, elle sent qu'il va y avoir un problème.

Si vous suivez régulièrement mon blog, ce dont je vous sais gré, vous savez qu'en fin d'année dernière, j'avais relayé la demande de Christophe Lucquin sur la plate -forme de financement partagé Kisskissbankbank. Sans tout vous raconter dans le détail, j'y suis allé moi aussi de ma petite obole, et ce qui est bien avec cette nouvelle forme de financement, c'est que les contributeurs ont une contrepartie, pour ma part, quelques livres, dont celui-ci, au titre excellent qui en est pour beaucoup dans mon choix. Et oui, qui n'a jamais rêvé de mettre un coup de boule à JoeyStarr ? Euh, ben moi en fait, car si je passe outre le fait que le personnage ne m'est pas particulièrement sympathique, je suis un non-violent. D'abord parce que je crois que la violence ne résout rien, et ensuite, parce que vu comment je suis gaulé, je n'ai pas intérêt à recourir aux coups en général et contre JoeyStarr en particulier. 

Cette mise au point, faite, je dois dire que j'ai beaucoup aimé ce petit roman (60 pages) de la collection Fantasmes, qui nous présente une jeune femme pas très bien dans sa peau, n'aimant pas vraiment son boulot et surtout pas son chef Bernard qui aimerait la mettre dans son lit -"Bernard pose sa petite main poilue sur mon épaule. "Ma fille se coifferait comme ça, j'irais la tondre pendant qu'elle dort." Bernard est ce qu'on appelle communément un sale con." (p.15)-, qui visite sa grand-mère atteinte d'Alzheimer passionnée par les suicides collectifs au sein des sectes qui a des parents déconnectés, une mère flippée, un père qui veut bricoler mais ne sait pas faire : "A six ans, j'ai dormi trois mois dans le lit de mes parents. Mon nouveau lit était en kit. Toutes ces petites momies au bout des doigts de mon père. Toutes ces petites poupées de douleur. La douceur, déjà, prenait à mes yeux la forme mensongère de ces compresses duveteuses et derrière lesquelles suintaient les écorchures et la souffrance." (p. 18) Lorsque JoeyStar arrive avec son arrogance, c'est la goutte d'eau de trop. 

Max Monnehay alterne les chapitres dans le métro et ceux consacrés aux rapports familiaux d'Alex. L'écriture est belle, à la fois douce et violente, elliptique, comme le montre l'extrait cité plus haut, drôle et désespérée parfois :"Avec ton père, on ne s'est pas touché depuis 2008 et là il m'attend en mini-slip dans la chambre. Il a ressorti notre parure de lit fuchsia et fait brûler toute ta vieille réserve d'encens. On se croirait dans le vagin de Béatrice Dalle. Alors, laisse-moi craindre le pire."(p.29). La grand-mère vit dans le passé, les parents sont désabusés et si l'espoir arrivait avec la rencontre improbable avec JoeyStarr, dans ces moments où la violence est dans les faits mais beaucoup moins dans l'écriture... ?

N'hésitez pas à aller voir le site de cet éditeur qui ose et qui publie d'excellents bouquins, c'est ici.

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L'étrange itinéraire d'un dératé

Publié le par Yv

L'étrange itinéraire d'un dératé, Bernard Leconte, L'Editeur, 2014....

Lucien est un gamin qui naît à la fin de la seconde guerre mondiale. Fils unique, il grandit dans un ensemble qu’on n’appelait pas encore cité. Lucien est maladroit, pas très intelligent, un peu nunuche ; il est passionné de sport même s'il n'est pas très doué en la matière. Il est en quelque sorte l'idiot du village, mais à Paris, l'imbécile heureux, celui dont on se moque gentiment. Ce livre, c'est sa vie entre velléités, choix, obligations, souhaits, rêves. Une vie solitaire et malgré le manque de talent, sportive.

On ne peut pas dire que Bernard Leconte ait fait de son Lucien un Apollon, un dieu grec : "De ces parties [de football entre gamins de la cité], Lucien avait été le spectateur un peu triste ; son gros cul, ses jambes blanchâtres, sa tête de jeune veau nourri à l'étable et qui cligne des yeux dès qu'il voit la lumière, ne prédisposaient pas les joueurs à l'introduire dans leur équipe" (p.16) Alors Lucien s'invente un oncle entraîneur, qui ne viendra jamais, puis il s'inscrit dans un club dans lequel il pratique la course de fond discipline dans laquelle il ne brille pas non plus. Il fait aussi beaucoup de bicyclette arpentant les rues de Paris et sa banlieue pour y retrouver une bande de copains voire une fille qui accepterait de partager un moment avec lui. Puis Lucien grandit. Il vit toujours chez sa mère à plus de quarante ans, végète dans son travail et dans le sport, pratiquant toujours le vélo intensivement, son seul moyen de locomotion.

C'est un livre à la fois léger et drôle, un de ces bouquins qu'on lit avec plaisir, parce que la langue est belle : "L'oncle Maurice était le frère de son père. [...] Sa femme, la tante Amandine, avait beau lui montrer en exemple son frère Georges qui se décarcassait pour acquérir pétrolette et téléviseur, lui tenir des objurgations publiques, lui faire honte, montrer à tout le monde, avec un geste lyrique du bras, le logis qu'elle briquait certes dévotement, mais qui manquait du moindre superflu à cause de l'inertie de Monsieur, l'oncle Maurice s'obstinait à considérer que quarante-quatre heures chez son employeur qui fabriquait des meubles légers pour OS (ouvriers spécialisés), c'était déjà beaucoup." (p.11/12), parce que les personnages à défaut d'être beaux et totalement sympathiques sont décalés par rapport aux canons actuels : une image me vient en écrivant mon article, celle des Deschiens, troupe de comédiens qui fit beaucoup pour les belles heures de Canal+. Malgré les moqueries, l'humour au détriment de Lucien, on sent que Bernard Leconte a créé un personnage qu'il aime bien, un type avec des convictions -qui peuvent varier-, entier et plus maladroit et benêt que méchant.

Dans Qu'allons-nous faire de grand-mère, Bernard Leconte usait de la même belle langue, de belles descriptions de paysages pour parler des personnes âgées que certains dépotent véritablement dans des maisons de retraite. Dans L'étrange itinéraire d'un dératé, il parle des petites gens, ceux qui n'ont pas une vie comme tout le monde, de ces gentils godiches ou empotés qui sont toujours ceux qu'on regarde sans méchanceté la plupart du temps mais toujours avec une pointe de moquerie ou de condescendance. 

Une histoire simple  d'une belle écriture enlevée : un de ces romans qui font passer un excellent moment et dont le personnage principal pas toujours sympathique mais attachant pourrait bien rester en tête un petit moment.

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Tout Osez...

Publié le par Yv

Tout Osez..., La musardine, 2014....

A partir de tous les guides écrits et publiés chez La Musardine, Marc Dannam a réalisé cet opus, qui en 350 pages aérées et illustrées fait un point quasi exhaustif sur les pratiques sexuelles diverses et variées. Il y en a pour tous les goûts. Sauf sans doute pour les culs-bénis qui défilent dans les rues et qui, au nom de leur dogme veulent interdire -entre autres- l'accès aux livres pour tous. A iceux, je conseille fortement la lecture de la nouvelle de Stéphane Rose (Le marginal) dans le recueil Osez... 20 nouvelles érotiques de Noël qui devrait les décoincer un peu. Je m'éloigne un peu du sujet puisque pour le moment ils n'en sont qu'à vouloir interdire la lecture de certains livres aux enfants, mais jusqu'où iront-ils ? Je préfère prendre les devants... (et non pas les derrières)

Pour revenir à ce livre, je m'aperçois que si j'ai lu des recueils de nouvelles érotiques parues chez La Musardine, je n'ai jamais lu un de leurs guides ; Osez... devenir l'amant parfait, ... La bisexualité, ... devenir une femme multiorgasmique, ...les sextoys, ... et tant d'autres, en tout une cinquantaine de titres. Ce guide, synthèse de tous les titres, qui paraît à l'occasion des dix ans des guides Osez... permettra aux lecteurs et lectrices de piocher ça et là des idées, des fantasmes, que sais-je encore ? 

C'est coquin, parfois osé, parfois un peu hors limite (enfin, je parle pour moi). C'est à la fois ludique et explicatif : les textes sont légers mais sérieux, on peut sourire, mais ils sont de vrais guides pour qui est intéressé par telle ou telle pratique. Les dessins sont explicites. On commence léger avec La femme -bon, euh, enfin, je ne veux pas dire que la femme soit légère, je veux juste dire que la première partie lui est consacrée et que les chapitres commencent par le début : "découvrir le sexe de la femme" et finissent par des choses moins courantes : "être une femme fontaine". La seconde partie est construite tout pareil mais pour l'homme, de "Parcourir les zones érogènes de l'homme" à "Avez vous osé... éjaculer". Je ne vais pas vous faire toutes les parties (bon d'accord, c'est un peu facile), je me contenterai de vous dire que si ce livre n'est évidemment pas à mettre en toutes les mains, il est drôlement bien fait et pas du tout pornographique.

Pas d'images chocs, pas décrits scabreux, juste des illustrations et des textes explicites, certes, mais informatifs. Dès lors, pourquoi bouder son plaisir ?

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Ce qui n'est pas écrit

Publié le par Yv

Ce qui n'est pas écrit, Rafael Reig, Métailié, 2014 (traduit par Myriam Chirousse)...

Carmen et Carlos sont séparés. Ensemble ils ont eu un fils, Jorge, 14 ans aujourd'hui. Leur divorce fut pénible, puis la situation apaisée, Carlos revoit Jorge et l'emmène pour un week-end en montagne, entre hommes. Les rapports entre eux sont difficiles, tendus. Avant de partir de chez Carmen, Carlos lui a laissé un manuscrit d'un polar éprouvant dans lequel Carmen peut voir des pans de sa vie avec Carlos émerger. Lorsqu'elle comprend que Carlos pourrait se venger sur leur fils Jorge, l'angoisse la paralyse.

Excellente idée de départ : un père et son fils partent en excursion, la mère ou ex-femme reste angoissée en ville, un manuscrit étrange entre les mains. L'auteur a la bonne idée d'alterner les chapitres : ceux consacrés aux garçons, ceux qui parlent de la mère et ceux concernant le manuscrit. Dans ceux-ci, le héros, Riquelme est amateur de mots croisés, et chaque chapitre se finit par une définition (avec emplacement du mot dans la grille) ; le mot qui entre dans les cases est celui qui débute le chapitre suivant, celui qui concerne l'excursion en montagne. Tout commence bien pour le lecteur, moins pour Jorge qui ne sait quoi dire à son père : "Ils marchaient d'un bon pas vers la gare de banlieue de Nuevos Ministerios et, aux feux rouges, son père lui passait un bras sur les épaules, lui demandait si ça allait les cours, quelle était sa musique préférée ou s'il avait une petite copine. Jorge s'efforçait de montrer de l'enthousiasme, mais il n'arrivait pas à contenir une volubilité nerveuse et il en bégayait presque. Pour le reste, les cours ça allait très bien, il avait partout au-dessus de la mention assez bien, la musique qu'il préférait c'étaient les quatuors à cordes, et le contact le plus intime qu'il avait eu avec la fille qui lui plaisait, Teresa, ç'avait été de recevoir un crachat d'elle sur la joue. [...] Alors il raconta à son père qu'en cours ils étaient très exigeants, qu'il adorait Shakira et qu'il n'avait pas de copine, mais qu'une fille qui s'appelait Maria Luisa lui plaisait." (p.24/25). Et puis assez vite, l'histoire tourne en rond, chaque personnage se posant des questions sur le même événement sans vraiment faire avancer le roman ; on a aussi la version d'un même fait vu par les yeux de Carlos, puis par ceux de Jorge, répétition d'autant plus inutile que l'on sentait aisément dans les yeux de Carlos la réaction de Jorge.

De même Rafael Reig brosse à gros traits malhabiles l'effritement de l'amour, les rapports père-fils, les haines et rancœurs des uns et des autres, ça manque de finesse et de minutie. Un roman plus ramassé, plus court aurait gagné en densité et en intérêt. Si au départ, on pouvait penser à Sukkwan Island de David Vann avec une tension dès le départ parce que père et fils ne s'entendent pas, on est à l'arrivée avec un roman qui s'il n'est pas inintéressant ne parvient pas à l'égaler.  

Une déception (toute relative) que ce polar espagnol.

Sandrine, Clara et Jostein ont aimé

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Dans la dèche à Los Angeles

Publié le par Yv

Dans la dèche à Los Angeles, Larry Fondation, Fayard, 2014 (traduit par Alexandre Thiltges)..,

Los Angeles 1994, Soap et Fish vivent dans la rue depuis trois ans déjà, en couple. Ils sont souvent accompagnés de Bonds, un ex-restaurateur qui a dû fermer boutique lorsque l'usine à côté de son restau s'est arrêtée. Ils vivent de petits boulots, de mendicité, de rapines. Fish court après les journaux, à la recherche de nouvelles fraîches sur la situation au Rwanda. Soap vole des produits de maquillage pour se rappeler le temps où elle pouvait se les offrir. Bonds parle de son restau et de la guerre qu'il a faite après la faillite, après s'être engagé dans l'armée.

On est évidemment loin très loin du Los Angeles du rêve américain, loin d'Hollywood. Larry Fondation, depuis Sur les nerfs et Criminels ordinaires parle des gens de la rue, de ceux qu'il a côtoyés en étant médiateur de quartier. Il montre très bien en peu de mots de manière tragi-comique la difficulté de vivre dans un pays qui ne voit ni ne pense à ses pauvres : "Angie pète les plombs et se précipite dans la rue, où elle se fait percuter par une voiture. On l'emmène à l'hôpital, où les docteurs collent la grosse facture pour soigner sa jambe cassée sur le dos du gouvernement fédéral. Le Sénat, qui crie au déficit, réduit les budgets sociaux, ce qui fait que lorsque Angie sort de l'hôpital, le foyer où elle vivait a fermé par manque de fonds. Entre-temps, il est apparu que le chauffeur qui a renversé Angie avait un peu picolé -même s'il n'aurait jamais pu s'arrêter, bien sûr, parce qu'elle avait déboulé comme ça, devant lui. Le juge n'a pas vu les choses sous cet angle et l'a envoyé en taule, en lui retirant le permis. Raison pour laquelle il a perdu son boulot, parce qu'il ne pouvait plus s'y rendre, donc, plus d'argent. Sa femme l'a quitté pour le comptable chez qui elle travaillait comme responsable administrative. Raison pour laquelle le chauffeur, qui s’appelle Fred, aujourd'hui sans abri, entre au Black Rock et, sans se douter de quoi que ce soit, s'assied à côté d'Angie, qui l'aime tout de suite beaucoup, alors ils picolent ensemble, s'embrassent, etc." (p.20/21) 

Construit en tout petits chapitres dans une langue qui alterne les niveaux : parfois argotique voire ordurier, parfois plus classique, beaucoup de dialogues, c'est un livre qui demande un peu de temps pour s'habituer à son rythme, à un certain sens de l'ellipse. Et puis, une fois dedans, on se prend au jeu... jusqu'à un certain point. Parce que finalement, le contenu n'est pas à hauteur des espérances ; Larry Fondation tourne en rond. J'avais bien aimé ces deux premiers bouquins, mais celui-ci me déçoit. Trop long. Trop banal si je puis dire. Mais pourquoi a-t-il adopté un style plus classique de roman de 200 pages, alors qu'il était incisif, marquant et très original dans un format plus court ? Dans mon billet pour Sur les nerfs, j'écris : "certaines nouvelles m'ont laissé dubitatif, parce que parfois trop déstructurées, trop elliptiques, mais dans l'ensemble je suis plutôt positif et curieux de ce que pourrait faire Larry Fondation en musclant un peu ses personnages, en les développant et en les mettant dans un roman." (autocitation entièrement narcissique et assumée comme telle) ; je reste en partie sur ma position (non relue avant d'écrire le début de ce billet) notamment pour ce qui concerne la musculature des personnages et l'ellipse trop présente. Par contre, Larry Fondation, n'est finalement jamais aussi bon que lorsqu'il écrit de courts textes, comme dans Criminels ordinaires. Il n'y a que les imbéciles qui ne changent pas d'avis dit-on. Je confirme.

 

polars

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