Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Friday et Friday

Publié le par Yv

Friday et Friday, Antonythasan Jesuthasan, Zulma, 2018 (traduit par Faustine Imbert-Vier, Élisabeth Sethupathy et Farhaan Wahab) ....

Recueil de six nouvelles écrites en tamoul, langue d'origine de l'auteur sur lequel je m'en vais vous donner quelques précisions. Antonythasan Jesuthasan est écrivain et acteur, c'est lui qui a tenu le premier rôle dans Dheepan de Jacques Audiard, film qui a obtenu la palme d'or au Festival de Cannes en 2015 et que je n'ai pas encore vu. Antonythasan Jesuthasan fut membre du Mouvement des Tigres Tamouls qui luttait à Sri Lanka pour l'indépendance de l'Eelam tamoul. Il arrive en France en 1993, obtient l'asile politique et vit depuis en région parisienne où il écrit romans, nouvelles, essais, pièces et scénarios. Ce recueil est la première traduction en français de son oeuvre, et comme de bien entendu, c'est Zulma qui édite. 

Pour lire A. Jesuthasan, il vaut mieux se renseigner auparavant de ce qu'est la lutte tamoule pour l'indépendance. Ce n'est pas indispensable sans doute, mais ça permet de mieux comprendre ses histoires qui, au moins pour les premières en sont très fortement imprégnées voire baignent dedans. Mais même si vous n'avez ni l'envie ni le temps de vous plonger un peu dans cette histoire de Sri Lanka et des mouvements tamouls, vous pourrez apprécier l'écriture du nouvelliste, cette espèce de légèreté qui flotte dans ces textes malgré le contexte de guerre, de pauvreté voire de dénuement et de solitude. Il ne dramatise rien, constate en se moquant un peu soit par l'intermédiaire de situations loufoques, burlesques, ou de personnages décalés, parfois ridicules dans leurs comportements et leurs pensées extrêmes. La nouvelle intitulée Le chevalier de Kandi est dans ce genre, très drôle.

Tout en finesse, il égratigne ses personnages de fiction mais aussi quelques personnalités, une notamment : "Lors de sa campagne, il y a quatre ans, l’actuel président français, Nicolas Sarkozy, a mentionné la cité des 1 000, en banlieue parisienne, promettant que s'il était élu, il nettoierait tout ça. C'est là que je vis depuis dix ans.

En fait, cette banlieue, avec ses quelques carrés de forêt pleins de grands arbres, ses vastes friches herbeuses et le canal qui passe au milieu, offre un paysage magnifique. Arabes, Africains, Roms, Indiens et Asiatiques y résident. D'après les journaux, le président Sarkozy est très sensible aux questions environnementales. Il voulait sûrement protéger les arbres, les friches et le canal de notre interférence. Comme prévu, Sarkozy a remporté les élections. Mais il n'a pas réussi à nettoyer le quartier comme il l'avait annoncé." (p.73)

Voilà, c'est dit, joliment et sans s'énerver. C'est exactement tout cela que j'ai ressenti dans ce recueil. Antonythasan Jesuthasan dit tout, n'épargne ni les uns ni les autres, ne juge pas. Il constate avec élégance et une certaine désinvolture dans son sens de l'aisance et de la liberté de ton. Ses nouvelles sont des tranches de vie, parfois sans chute, parfois avec, mais peu importe, ce qui plaît c'est le ton, l'humour, la facilité avec laquelle l'auteur parle de choses terribles tout en douceur. Très très belle découverte.  

Voir les commentaires

L'empreinte volée

Publié le par Yv

L'empreinte volée, Françoise Cohen, librairie éditions Tituli, 2018....,

Neuf nouvelles dont une double dans ce recueil de cent trente pages. 

- L'inconnue de la Pagode : une femme a un rendez-vous avec un inconnu qui possède une photo où elle apparaît.

- Violaine et les songes : Violaine rêve beaucoup et note tout dans un carnet, puis elle file à son "atelier des songes", ce lieu de rencontre où l'on tente d'expliquer les rêves entre copines.

- Le messager des vieilles nouvelles : alors étudiant-travailleur à la poste, un jeune homme a caché trois lettres qu'il retrouve dix ans plus tard. Il tente de les rendre à leurs destinataires. 

- Un enterrement corse : Claude Valentini est une jeune femme. Bientôt, elle apprend qu'elle a un homonyme homme qui souhaite la rencontrer. Elle accepte.

- Rêves postiches : en chimio, Eva perd ses cheveux et s'achète une perruque naturelle, venue directement de Russie. Parce que de son éducation, elle sait que rien ne vaut le naturel.

- L'île de Pâques ou Les petites phrases : laissant son compagnon faire son jogging, une jeune femme se remémore ces petites phrases entendues qui façonnent nos vies.

- Consuelo et les clefs du royaume : Consuelo, femme à tout faire dans une famille aisée a très envie de la quitter et de retourner dans son Espagne natale.

- Tout sur Roberto (la double nouvelle) : D'abord, Roberto erre sur un banc, amnésique. Une femme tente de l'aider. Ensuite, un an plus tard, Angela, la femme de Roberto appelle la femme qui l'a aidé.

- L'empreinte volée : Lors d'une exposition photo, Marina se voit sur l'un des clichés présentés. Elle se demande comment et pourquoi puisqu'elle ne connaît pas le photographe.

Bon, les nouvelles, ce n'est pas le genre que je préfère chroniquer, je ne sais jamais trop comment me tirer de ces recueils parfois hétéroclites. Même lorsque, comme dans celui-ci, quasiment toutes les histoires me plaisent. De fait, seule l'ultime, celle qui pourtant donne son nom au recueil m'a moins plu, j'avoue ne l'avoir pas trop comprise. Toutes les autres m'ont touché. Bien écrites, classiquement, elles se lisent aisément et ne souffrent pas de ce que d'aucuns reprochent aux nouvelles : un format trop court qui empêche de s'intéresser aux personnages et à leurs aventures. Il suffit de se dire que nous passons un moment avec eux, qu'avant nous ils ont vécu et qu'après nous, ils vivront encore -sauf décès brutal ou inopiné dans la nouvelle. Françoise Cohen part d'une situation simple et très vite elle peut se retrouver dans une histoire qui flirte avec le surnaturel, le fantastique. J'aime bien l'ambiance générale du bouquin et particulière de chaque histoire, avec une petite préférence pour L'île de Pâques ou les petites phrases, là où la joggeuse au repos repense à toutes ces phrases que nous entendons tout au long de la vie, parfois anodines, parfois de simples blagues mais qui s'ancrent au plus profond de nous et auxquelles nous ne pouvons nous empêcher de croire un peu, même si tout cela peut paraître ridicule. 

En prime de ce beau recueil, je découvre les éditions Tituli qui offrent un bel objet, un texte en très léger relief imprimé sur du papier lisse que je n'ai pu, tout au long de ma lecture, m’empêcher de toucher pour ressentir le contraste entre les deux. Quand une très bonne lecture se combine au toucher...

Voir les commentaires

Tant bien que mal

Publié le par Yv

Tant bien que mal, Arnaud Dudek, Alma, 2018.....

Lorsque le narrateur, alors âgé de sept ans, suit un homme qui lui demande de l'aider à chercher son chat, il ne se doute pas que celui-ci va l'emmener dans la forêt et ne cherchera jamais de chat. Le jeune garçon ne dit rien à personne de cette agression. Vingt trois années plus tard, alors qu'il se promène dans son quartier, il reconnaît la voix de son agresseur, à l'accent caractéristique. 

Roman court. A peine 90 pages. Mais il n'en faut pas plus à l'auteur pour raconter son histoire et nous toucher. Rien de superflu dans son texte, il va au plus direct, mais tout en délicatesse. Phrases courtes, chapitres qui alternent l'enfance d'après l'agression et la difficile construction de l'homme et l'âge adulte sans doute atteint trop tôt et pourtant pas si simple à réellement appréhender. Les relations aux autres ne sont ne sont pas simples, l'engagement amoureux non plus.

Arnaud Dudek est poète malgré le thème lourd, mais j'en suis sans doute resté aux poésies de mon enfance, pour croire qu'elles ne parlent que de choses légères : "Je lui dois le petit peuple de mes cauchemars. Je lui dois une myriade de troubles obsessionnels. Je lui dois mon inaptitude chronique à la décision. Je lui dois des litres de sueur. Je lui dois des idées noires et quelques crises de nerf." (p.22)  Il n'écrit pas une complainte, mais un livre émouvant sur l'enfance volée, la difficulté de se construire avec ses déchirures, ses blessures lorsqu'elles sont aussi profondes que celles dont il parle. Son texte est tellement beau que je pourrais le citer entièrement, mais ce serait fort dommage, vous ne pourriez pas profiter tranquillement de lui et le relire. 

En écrivant mon article, j’écoutais l’excellent Christophe Miossec avec notamment le titre suivant On y va dont Arnaud Dudek parle dans son chapitre Lignes de suite (chapitre final donnant soit des explications à la naissance du roman, soit des informations sur tout autre aspect dudit roman), spécialité de la non moins excellente maison Alma.

Voir les commentaires

Nos parents nous blessent avant de mourir

Publié le par Yv

Nos parents nous blessent avant de mourir, My Seddik Rabbaj, Le serpent à plumes, 2018.....

Une jeune femme, à Marrakech, à peine trentenaire, divorcée, après des recherches, apprend que beaucoup des femmes de sa famille ont eu des vies maritales difficiles : divorcées, seules ou veuves. C'est la vie de Habiba, sa grand-mère, née dans les années 50, qu'elle va raconter à son frère et à sa sœur. 

Habiba, à l'aube de sa vie d'adulte tombe amoureuse de Taoufik, mais la tradition et la volonté du père de la jeune fille vont la détourner du jeune homme et la marier de force à un tanneur. Habiba ne se fait pas à cette union et se rebelle.

My Seddik Rabbaj est romancier et vit à Marrakech ; j'ai déjà eu le bonheur de le lire dans son superbe roman précédent Le lutteur. Dans ce dernier, il faisait le portrait d'un jeune homme doué pour la lutte, don qui allait le sortir de sa misère. Dans Nos parents nous blessent avant de mourir, le romancier parle des femmes de son pays. Les hommes n'ont pas le beau rôle, usant et abusant de leur droit de décider de la vie de leurs épouses, filles ou sœurs. Dès les premières pages, on sent la différence entre les droits et les devoirs des hommes et des femmes au Maroc en 1950, mais aussi de nos jours. La femme est soumise à son mari et même à la famille d'icelui lorsqu'elle s'installe chez lui. C'est ce qu'apprendra Habiba dès la semaine qui suit son mariage, elle avait été protégée jusque là par une grande sœur et un grand frère aimants. "Son rôle était d'égayer les jours de son homme, d'être la nuit un objet de soulagement et le jour un accessoire de fantaisie qu'on exhibait avec ostentation pour montrer qu'on était important, qu'on était capable d'avoir à ses côtés une jeune et belle femme." (p.84)

Malgré cette oppression, les femmes marocaines sont omniprésentes. Ce sont elles qui transmettent. Grâce à elles, les hommes peuvent vivre. En écrivant cela, j'ai la sensation d'enfoncer des portes ouvertes, et puis finalement pas tant  que cela, lorsque j'entends encore autour de moi des femmes se plaindre du manque de participation de leurs conjoints aux tâches ménagères, à l'éducation des enfants... 

My Seddik Rabbaj écrit un roman profondément féministe qui parle de femmes rebelles qui pourtant ont grandi comme les autres dans des familles modestes avec l'éducation courante. Des femmes qui osent relever le défi de l'égalité sans pour autant nier leur féminité et leur amour des hommes. Son livre est fort, sans temps mort, il parle aussi de l'histoire du Maroc, de Marrakech et d'Essaouira. Je ne connais pas le Maroc, je le découvrirai volontiers et notamment ces deux villes, mais à ma façon, pas à celle des tour-opérateurs. Je veux aller chez les gens, les rencontrer. Bon, revenons à ce très beau roman, vif, dynamique, emmené par des femmes volontaires. My Seddik Rabbaj est un raconteur d'histoires, l'un de ceux dont on ne peut pas lâcher les livres. Ce roman tombe en plus pile dans une période où l'on parle beaucoup d'égalité des sexes, de respect de la femme. Je vous le conseille ardemment. Et quel titre !

Voir les commentaires

Prenez soin d'elle

Publié le par Yv

Prenez soin d'elle, Ella Balaert, Des femmes-Antoinette Fouque, 2018.....

Lorsque Jo, femme de quarante ans fait une tentative de suicide aux médicaments, elle est transportée, dans le coma, à l'hôpital. C'est Monique Loiselier, la concierge de son immeuble qui a prévenu les secours. Dans l’appartement, pas une explication sur le geste de Jo. Juste une photo de son chat, une femelle de 16 ans, au dos de laquelle sont notés ces quelques mots : "Prenez soin d'elle"

C'est Monique Loiselier qui contacte l'amie de Jo, Rachel ; son amant, Franck ; son frère, Alban ; son père, Georges, pour se relayer autour de la chatte, elle-même étant allergique aux poils des félins. 

Construit en trois parties, une par semaine qui suit la tentative de suicide, ce court roman m'a paru un peu long sur la toute dernière semaine, heureusement la plus restreinte. Néanmoins, je vais avoir du mal à cacher le bonheur que j'ai eu à lire de nouveau Ella Balaert (après Canaille blues -l'un des tous premiers articles du blog- et Placement libre).  J'ai adoré les deux premiers chapitres, subtilement construits et écrits ; ils m'ont surpris moi qui ne savais rien du thème de ce livre. La suite est tout aussi excellente. Le ton est direct, Ella Balaert va au  plus rapide dans des phrases épurées, élégantes, travaillées, parfois l'ordre des mots est chamboulé, oh, pas grand chose, juste de quoi mettre l'accent de la phrase sur un autre mot que celui attendu. J'aime beaucoup. L'écriture est fine et sensible, délicate et franche, elle touche profondément et va au plus près des émotions. Elle parle du quotidien lorsqu'on est confronté à la mort envisagée d'un proche, la difficulté de l'appréhender dans les mots même : "Le père qui se vante de toujours regarder la réalité en face, sans illusion, sans attendrissement inutile, le pharmacien qui est capable de réciter sans sourciller un manuel  de médecine devant le lit de sa fille, ne prononce jamais le mot mort. La mère d'Alban, un jour, est partie. Ses grands-parents les ont quittés. Ce sont des mots qu'on peut encore prononcer. Il y en a d'autres qui ne franchiront jamais ses lèvres comme si le silence pouvait faire barrage à la mort." (p.95) Et la page suivante, cette courte phrase, comme un adage : "Sans tuer parfois les mots empêchent de vivre." (p.96/97)

Les carcans de l'éducation sont aussi abordés, comment s'en défaire lorsque ce sont des principes dont les parents ont été abreuvés et qui les ont eux-même assénés à leurs enfants ? Georges, le père est engoncé dans ses vieux schémas : "Le père ne raconte pas qu'il n'a pas pris la main de Jo dans la sienne, et l'infirmière qui insistait, allez-y, monsieur, prenez-lui la main, caressez-la, quelle obscénité, prendre dans la sienne la main de sa fille quand il ne l'a jamais tenue, ou bien rarement et c'était il y a si longtemps, quand la femme était encore une enfant, jadis, hier, tout est allé si vite, les corps les vies les histoires se sont séparés et on ne refera pas le chemin, toutes les routes sont à sens unique." (p.90)

Puis arrivent les questionnements de chacun des proches de Jo, sur leur relation avec la gisante. Et l'on apprendra beaucoup sur leurs vies et sur celle de Jo. Les non-dits, les petites trahisons, les reproches individuels et parfois accusateurs de ceux qui n'ont pas vu que Jo allait mal. Chacun de jeter la pierre à l'autre avant de s'interroger lui-même ou de rester dans ses assurances de bien agir. 

Un roman, pas gai certes, mais comme je les aime, qui va au plus profond de nos questionnements les plus intimes, sans prendre de détour, sans circonvolutions inutiles et oiseuses. Ella Balaert nous pousse à la réflexion et à l'introspection. De temps en temps, ça ne peut pas faire de mal. En l’occurrence, ça fait avec Prenez soin d'elle, beaucoup de bien.

Voir les commentaires

La bobine d'Alfred

Publié le par Yv

La bobine d'Alfred, Malika Ferdjoukh, Nicolas Pitz, Rue de Sèvres, 2018.....

1964, Harry vit avec Gustave, son père, cuisinier dans un restaurant parisien. Le jour où Gustave se fâche avec son patron qui a giflé Harry, une heureuse rencontre le propulse cuisinier personnel de Lina Lamont star hollywoodienne du cinéma muet. Direction les Etats-Unis et le monde du cinéma. A coups d'autres heureuses rencontres, Harry se retrouve sur le plateau du maître du suspense, Alfred Hitchcock, qui tourne dans le plus grand secret un film très différent des ses productions précédentes. 

Tiré du roman de Malika Ferdjoukh paru à L'école des loisirs, cette bande dessinée est bien agréable et ne s'adresse pas uniquement à la jeunesse, même si, ayant à peine dépassé l'adolescence, je suis pile dans la cible privilégiée (ben quoi, en 1964, je n'étais pas encore né, c'est vous dire su je suis encore jeune). Le scénario est bien écrit, qui fait se côtoyer des stars hollywoodiennes réelles -si tant est qu'Hollywood soit "vrai- et des personnages de fiction. On verra donc, dessinés par Nicola Pitz, Alfred Hitchcock, Steve Mc Queen, Fred Astaire, ... C'est coloré, assez classique dans le trait et néanmoins très personnalisé. Les jeunes filles sont insolentes et drôles, piquantes, Harry est plus emprunté, timide et impressionné par ce monde qu'il découvre. 

Evidemment, intrigue il y a et bien menée est-elle. Un peu de suspense -avec Hitchcock en participation amicale, le contraire eut été dommage- qui se laisse suivre avec plaisir. Une belle adaptation qui plaira à tous les publics. 

Voir les commentaires

Des fleurs dans le vent

Publié le par Yv

Des fleurs dans le vent, Sonia Ristić, Intervalles, 2018.....

2007, Summer, jeune femme presque trentenaire rejoint Jean-Charles dit JC à la gare du nord. Ensemble, ils se rendent à Fresnes, à la prison, de laquelle sort le troisième larron du trio d'amis d'enfance, Alain-Amadou dit Douma. Ces trois-là se connaissent depuis la toute fin des années 70, juste avant l'élection de François Mitterrand. Ils vivaient dans le même immeuble à l'angle de la rue Myrha et du boulevard Barbès, se sont trouvés et ne se quittent jamais sans la promesse toujours tenue de se revoir. 

Sonia Ristić a, quel honneur -pour moi évidemment-, déjà été chroniquée sur ce blog pour son roman La belle affaire. Un avis mitigé que j'avais rédigé alors. Cette fois-ci, je tergiverserai moins parce que j'ai beaucoup aimé Des fleurs dans le vent. Au fil des pages, on retraverse -"re" pour les moins jeunes d'entre nous- les années 80, 90 et 2000. J'ai aimé cette image de "la créature mêlée emmêlée" qui naît ce soir du 10 mai 1981 : "trois corps d'enfants accrochés les uns aux autres par les dents et les ongles" qui revient si ce n'est dans cette position exacte au moins dans le lien qui unit ces trois-là. Ils sont besoin de se sentir, de se toucher, de vivre.

Roman initiatique, celui du passage de l'enfance à l'âge adulte. Roman d'une génération, d'une amitié hors du commun. Chacun aura son histoire individuelle, mènera sa vie comme il l'entend mais toujours sous le regard des deux autres. Pas de jugement, juste de l'écoute, de l'ouverture d'esprit et de la compréhension. 

Sonia Ristić ajoute à son histoire d'amitié les origines, les familles, les éducations diverses. C'est dans la différence que l'on s'enrichit, cela reste un adage fort, à maintenir à tous prix, l'auteure l'illustre ici à merveille. 

Son roman est fin, pose des questions sur l'amitié, la solitude, l'amour, la manière de "réussir" sa vie -que je mets volontairement entre guillemets car pour moi, c'est quasiment un oxymoron. On peut réussir un plat, une rénovation de maison, un tricot, ... mais sa vie, on la vit. Point. Qui peut juger d'une vie réussie ou pas ? 

Sonia Ristić invente de beaux personnages, qui ne vont pas toujours très bien certes, mais qui essaient de relever la tête, qui se bougent pour rebondir, pour vivre tout simplement. Son roman est ponctué des grands événements des trente dernières années, une toile de fond qui peut aussi expliquer certaines bifurcations prises par certains d'entre nous qui n'ont pas suivi un chemin tout tracé et rectiligne et des attitudes et comportements de maintenant, entre repli sur soi, peur de l'autre, extrémismes, ... . Roman fin et émouvant, tendre et pour autant pas mièvre ni complaisant. Il y souffle -malgré ce que j'ai écrit plus haut- un petit vent d'optimisme et de joie de vivre qui me sied parfaitement. Longtemps -tant mieux- me hantera l'esprit cette "créature mêlée emmêlée".

Voir les commentaires

Les arbres et leurs hôtes. La vie insoupçonnée dans les arbres et arbustes

Publié le par Yv

Les arbres et leur hôtes. La vie insoupçonnée dans les arbres et arbustes, Margot et Roland Spohn, Delachaux et Niestlé, 2018.....

Margot et Roland Spohn sont biologistes, elle spécialisée en botanique et biologie pharmaceutique. Ils organisent des sorties naturalistes et écrivent des livres de transmission de leurs connaissances. Lui photographie et illustre. Dans ce livre, ils parlent des hôtes des arbres, arbustes, feuilles, écorces, végétaux, racines, graines... Les insectes, oiseaux, mammifères, coléoptères, lépidoptères, et autres hyménoptères y pullulent et j'en oublie parce que je tente de résumer, notamment des végétaux et des micro-organismes. 

Tout possesseur de jardin sait que moult bestioles diverses et variées hantent les lieux. Et plus les variétés d'arbres et arbustes sont larges, plus les petites bêtes sont nombreuses. Après un rapide survol (qui apparaîtra comme tel au spécialiste mais qui est déjà très instructif pour un béotien comme moi), les deux auteurs procèdent par type d'arbre, et c'est là que je comprends que chaque arbre a ses habitants privilégiés. Des amateurs de chêne, ou de hêtre ou de noisetier. Certains se retrouvent dans plusieurs arbres, mais certaines espèces non. 

Je ne suis ni féru ni même enclin à observer les punaises et autres bêtes peu ragoûtantes, mais en photos, ça me va et en outre, on en apprend beaucoup plus sur leur mode de vie et leur rôle. Je n'en suis pas encore à les inviter à entrer dans la maison et d’ailleurs lorsqu'elles y entrent inopinément, je tente de les en faire sortir énergiquement -ou moins si je ne les aime pas du tout, mais j'évite -presque- toujours la solution catégorique de l'écrasement. 

Livre complet et fort documenté, très illustré et pédagogique, il s'adresse à un public très large qui apprendra plein de trucs, sur le mode de vie de certaines espèces, sur les différences ou ressemblances entre d'autres, sur des termes spécifiques qui feront briller en société. Tiens savez-vous ce qu'est un imago ? Moi, je ne le savais pas, c'est l'insecte adulte sexué, le stade final de la métamorphose après l’œuf et la larve. Nous ne voyons donc pas que des coccinelles par exemple, mais des imagos de coccinelles. Ce n'est pas formidable comme nouvelle ?

Un livre à emporter en promenade en forêt, dans le jardin ou dans tout lieu avec des arbres, histoire de voir en vrai tous les hôtes décrits. Comme toujours chez les éditions Delachaux et Niestlé, ce guide est très bien fait, pratique et pas élitiste, il met à la portée des ignares -dont je suis, en ce domaine, et dans d'autres (mais bon, je ne vais pas tout révéler), je le répète- des moyens de mieux connaître le monde qui nous entoure.

Voir les commentaires

Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate

Publié le par Yv

Où l'on apprend le rôle joué par une épingle à cravate, Juan José Millás, Plon, 2018 (traduit par Hélène Harry)....

Damián Lobo, quarantenaire madrilène vient de perdre son emploi. Il vit isolé et parle seulement à Sergio O'Kane un présentateur télé, totalement imaginaire, son seul confident. En balade dans une galerie marchande, il chaparde une épingle à cravate siglée SO qu'il veut offrir à Sergio puisqu'elle a ses initiales. Damián y voit un signe. Pour échapper aux vigiles, il se réfugie chez un antiquaire dans une vieille armoire. Mais l'armoire est achetée et très vite livrée chez Lucia et Federico un couple gangrené par les habitudes et les soucis financiers. Damián bricole l'armoire et s'y installe, totalement invisible aux membres de la famille, le couple et sa fille adolescente. Bientôt, Damián sort lorsqu'il est seul, se met à ranger la maison, faire les tâches ménagères, préparer à manger. seule Lucia se pose des questions.

Étrange et un peu flippant lorsqu'on imagine qu'un homme vit calfeutré dans un placard d'une maison, qu'il y entend tout, se balade dans la journée et participe activement aux tâches ménagères. Ce ne serait que cela, ce serait bien, et je pense que beaucoup signeraient le contrat, heureux d'être débarrassés des corvées. Mais on se demande jusqu'où ira Damián. A priori, pas de mauvaises intentions, mais un homme qui parle à un ou plusieurs amis imaginaires tout en se cachant, ce n'est pas très rassurant.

Juan José Millás écrit une fable, une histoire barrée à la fois drôle et plus profonde qu'il n'y paraît. Elle questionne sur la vie moderne, la solitude, l'inactivité après la perte d'un emploi, le monde virtuel, Internet et les réseaux sociaux qui, pour certains les empêchent de vivre normalement dehors. J'entends normalement, sans portable, connexion, tablette, etc etc. Il y est aussi question de ce qu'on peut voir à la télé : Sergio O'Kane est, dans la tête de Damián présentateur d'une émission racoleuse, faite de confidence les plus inavouables pour faire monter les audiences. Mine de rien donc, le romancier espagnol critique assez férocement notre société actuelle dans laquelle malgré nos multiples connexions, nous n'avons jamais été aussi seuls. 

Son histoire est inquiétante, drôle parce qu'évidemment on rit de la situation et des remarques de Damián qui ne sait plus trop s'il est dans la réalité ou pas -nous non plus parfois, il faut faire l'effort de se replacer dans la tête du héros tant ses réflexions et sa vie cachée nous entraînent. Avec talent et humour, Juan José Millás rend ses situations crédibles, et le lecteur que je suis de s'imaginer -pas nécessairement de le souhaiter- un homme -ou une femme, je ne suis pas sexiste- dans un placard qui sortirait et se baladerait chez moi, ramassant ici une chaussette qui traîne, retapant là le canapé avachi... Rudement convaincant et bien fait ce roman qui jusqu'à la fin tient plus que ses promesses, moi qui le pensait être un joyeux divertissement uniquement. 

Voir les commentaires

1 2 > >>