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Ça coince ! (24)

Publié le par Yv

Comment élever votre Volkswagen, Christopher Boucher, Le nouvel Attila, 2014 (traduit par Théophile Sersiron, illustré par Matthias Lehmann).

"Un journaliste du Massachussets, traumatisé par la mort de son père, donne le jour à une Volkswagen 1971. Une Coccinelle, pour être précis : un vieux modèle en sale état, condamné à la casse et réclamant dès sa naissance réparations et pièces détachées. Voire une opération du cœur, organe malheureusement introuvable sur une Volkswagen." (4ème de couverture)

Un livre prometteur, illustré, un poster en prime reprenant en plus grand la première de couverture et la page 1. Keisha m'avait alerté sur son côté totalement barré et réjouissant. Las, ça ne marche pas. Christopher Boucher s'amuse, nul ne peut le contester, mais pas moi. L'humour peut se partager ou ne pas faire mouche, ce qui est le cas ici pour ma pomme. Je reste imperméable, imperturbable, enfin presque parce qu'un poil énervé quand je ne comprends pas ce que je lis. Là, je n'entrave que dalle et ça m'agace ! Néanmoins, je peux comprendre (comme quoi je comprends quand même des trucs) que l'on puisse adhérer au style et à l'humour de l'auteur.

Pas pour moi. Tant pis...

 

 

 

A l'orée de la nuit, Charles Frazier, Grasset, 2014 (traduit pas Brice Matthieussent)..

"Dans l'Amérique des Sixties, au fin fond des Appalaches où elle vit retranchée, loin des soubresauts de monde, Luce, jeune femme farouche et indépendante, se voit confier la charge des jumeaux de sa sœur défunte. Ayant vu leur beau-père, Bud, une brute épaisse, assassiner leur mère, les orphelins traumatisés se sont réfugiés dans un mutisme inquiétant, où sourd une violence prête à exploser à tout moment." (4ème de couverture)

Tout commence très bien, je suis accroché dès les premières phrases. L'histoire, le ton me plaisent. Luce est un personnage énigmatique, dont on apprend la vie peu à peu. Les enfants le sont tout autant. Charles Frazier procède par petites touches qui à chaque fois nous apprennent une nouveauté sur chaque personnage. Un récit lent, qui fait également la part belle à la nature, aux espaces. La relation entre Luce et les deux enfants se tisse lentement par l'intermédiaire de la nature, tout a lien avec elle. Puis, ça se gâte, de lent, le récit devient long, je passe des paragraphes, puis des pages, et lorsque je vois qu'il m'en reste encore plus de 200 à lire, je m'angoisse... Pourquoi faire de si longs bouquins (383 pages) avec de telles longueurs ? Ce qui me chagrine c'est que C. Frazier avait de quoi faire un beau, très beau roman avec Luce, les enfants et leur environnement, cette magnifique maison au bord du lac. Pourquoi a-t-il fallu qu'il rajoute Bud, qui n'apporte rien au récit, qui l'allège même. C'est fort dommage, ce livre qui partait fort aurait pu en le condensant être superbe. Il n'est finalement qu'un roman dilué, qui promet et déçoit.

 

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Le best-seller de la rentrée littéraire

Publié le par Yv

Le best-seller de la rentrée littéraire, Olivier Larizza, Ed. Andersen, 2014..,

Octave Carezza, trente-sept ans est professeur de littérature comparée à l'université. Lorsque ses premiers livres ont un succès d'estime, l'atmosphère entre profs devient assez lourde et il décide de devenir écrivain à temps plein. Mais vivre de sa plume n'est pas facile, et écrivain peu connu, ce n’est pas la vie rêvée d'une rock star, les filles ne se bousculent pas ni même les fans pour d'éventuelles dédicaces, signatures et plus si affinités. Octave décide alors de se donner les moyens de vivre de son art et de faire des rencontres intéressantes intellectuellement, bien sûr, mais bon, si le sexe est évoqué, pourquoi ne pas succomber. La cerise sur la gâteau quoi ! 

Roman ou suites de nouvelles humoristiques, sans doute puisées dans les aventures d'Olivier Larizza qui ne prend pas la peine de donner un pseudonyme qu'-on-ne-saura-pas-que-c'-est-lui pour son héros. Le livre est successivement enlevé, drôle, léger, décevant, attendu, osé, autobiographique, ironique, mordant, bourré de références littéraires, d'allusions à peine voilées à tel ou tel écrivain ou tel ou tel héros célèbre... Ça commence bien, avec des blagues légères, une situation décalée, des chutes si ce n'est imprévisibles au moins inattendues dans leur manière de tomber très abruptement. Tout cela dans le premier chapitre, Le jeu de l'amour et du bas art. Puis Olivier Larizza enchaîne sur un deuxième chapitre décevant, aux blagues déjà lues ou entendues qui ne font pas vraiment mouche, pour revenir avec d'autres chapitres qui renouent avec un humour plus personnel. 

Je dois bien avouer une relative déception quand même, je m'attendais à un livre plus féroce, plus mordant. Là où Olivier Larizza fait dans le calembour, le jeu de mots facile, j'aurais apprécié une plus grande implication et allons-y franchement, une critique plus vache du monde littéraire, même si je dois dire que le chapitre consacré à son éditeur est bien tourné, drôle et finalement assez méchant, je ne sais pas si les éditeurs ressemblent à ce Aristide Brillant. Le chapitre intitulé La dernière interview de Bernard Pinot-Noir : "Comment j'ai inventé la rentrée littéraire" est également bien troussé, le "témoignage" de Bukowski après son éjection de l'émission pour cause d'ébriété avancée vaut son pesant de rires et sourires.

Pour le plaisir, je vous cite mon passage préféré, tiré du chapitre Pour qui qu'on sonne le glas ? :

"- Je ne serai heureux que lorsque je serai un occis mort.

- Ce qui est un pléonasme, repartis-je dans un réflexe d'ancien prof de littérature

- Un occis mort est un pléonasme ?

- Ou une tautologie, comme tu voudras. En tout cas, ce n'est pas un oxymore, si tu m'autorises ce trait d'esprit.

- Comment un occis mort pourrait-il ne pas être un occis mort ?

- Tu confonds le pléonasme et l'oxymore. Un occis vivant est un oxymore." (P.165/166)

Un drôle de roman drôle qui souffle le réchauffé ou les reprises de blagues connues et l'invention ou la réécriture de certaines qui elles, forcément plus personnelles, me touchent plus. Il y a en lui un ton qui me plaît bien, c'est sans doute pour cela que je suis un peu sévère, parce qu'il n'y est pas sur la durée, il s'essouffle. Dommage. Un livre à intercaler entre deux romans plus plombants de la rentrée littéraire qui les fera passer plus facilement.

D'autres avis plus enthousiastes -le contraire serait difficile- : Keisha, Jostein, Gambadou, Daniel, Alex

 

 

rentrée 2014

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Le soleil des Scorta

Publié le par Yv

Le soleil des Scorta, Laurent Gaudé, Benjamin Bachelier, Éd. Tishina, 2014.....

Lorsque Luciano Mascalzone revient à Montepuccio, village des Pouilles un jour où le soleil est plus que brûlant, il sait qu'il y mourra dans très peu de temps. Il frappe à la porte d'une femme qu'il a aimée quinze ans plus tôt, avant de se retrouver en prison. Elle lui ouvre, ils s'aiment. De cette brève union des corps naîtra Rocco, qui sera élevé par la famille Scorta dans un autre village. Rocco sera le premier des Scorta à s'installer à Montepuccio. Sa descendance y restera parfois malgré elle. La famille Scorta vivra des hauts et des bas, Carmella, Domenico, et Giuseppe, les enfants de Rocco devront faire face à la pauvreté et tenteront de se relever, pour eux, pour leurs enfants, pour l'honneur et dans le pays et sous le soleil accablant qu'ils ne peuvent quitter. 

Lorsque les éditions Tishina m'ont demandé si je voulais bien lire et commenter leur nouveau livre, j'ai d'abord, comme toujours lorsque je suis sollicité par mail, visité leur site et regardé plus largement ce qu'elles proposaient : des livres, des textes connus illustrés, Le soleil des Scorta est le deuxième, le premier est Soie, d'Alessandro Baricco. Je me suis laissé tenter -ce que je ne fais que très rarement- d'abord parce que je n'avais jamais lu ni ce roman de Laurent Gaudé, ni aucun autre d'ailleurs et ensuite, parce qu'un roman illustré, cela me faisait renouer avec mes années adolescentes et les romans de Jules Verne ou les romans d'aventures illustrés que je lisais. Je reçois donc ce livre aimablement envoyé par Antoine Ullmann, et ma première impression est excellente, puisque le livre est beau. Gros et beau. Une couverture au "pliage complexe qui fait rager les imprimeurs" (p.366 -et oui, je lis jusqu'au bout, même les indications finales de fabrication du livre), qui donc se déplie, façon poster, recelant en son recto un arbre généalogique des Scorta. La mise en page et la police sont irréprochables, et la version italique d'icelle est très classe et facilement lisible, ce qui n'est pas toujours le cas des polices en italique.

Je continue mon exploration en commençant la lecture du roman, et dès les premières lignes, je suis totalement embarqué et ceci, jusqu'au bout, sans aucun temps mort. Je rappelle ici aux ignorants -dont je faisais partie avant, mais c'était avant- que Le soleil des Scorta est écrit en 2004 et qu'il a reçu le Prix Goncourt cette même année, ce qui n'est pas à mes yeux une preuve de qualité de l'œuvre littéraire, mais il se trouve que cette année-là, les jurés ne sont point trompés. Laurent Gaudé a une écriture à la fois directe et poétique. Il procède par phrases courtes, parfois par images, qui s'imposent pour parler d'une chaleur indescriptible : "Un homme poussiéreux et sale entrait dans la maison des Biscotti, à l'heure où les lézards rêvent d'être poissons, et les pierres n'y trouvèrent rien à redire." (p.17). Les Scorta ont cette terre si pauvre dans le sang ainsi que le soleil qui les brûle mais qu'ils ne trouveront jamais ailleurs : "Jamais un Scorta, donc, ne pourrait se soustraire à cette terre misérable. Jamais un Scorta n'échapperait au soleil des Pouilles. Jamais." (p.221). Quitte à souffrir, et ils souffriront, ils restent à Montepuccio. C'est un roman sur l'attachement tant aux siens qu'à la terre, sur l'honneur -à l'ancienne- d'une famille rurale et fière, consciente qu'elle n'existe en tant que telle que sur cette terre. Une saga avec des personnages plus forts que d'autres qui sortent du lot, qui forgeront l'ossature de la famille mais qui ne peuvent le faire que parce qu'ils sont tous ensemble. Une ode à la famille, aux liens familiaux ou non que l'on tisse dans sa vie. Un texte magnifique et fort que je ne regrette pas de n'avoir pas lu plus tôt, car j'ai pu, grâce à cet oubli, le lire dans sa version illustrée par Benjamin Bachelier. 

Les illustrations sont très variées, dans les techniques (aquarelles, dessins, acryliques -bon, là j'ai pris les renseignements dans le dossier de presse) et dans les thèmes, les tons et les couleurs. Ils collent parfaitement au texte. Les dessins sur la chaleur accablante rajoutent quelques degrés, par leurs couleurs chaudes. Ceux qui sont dans le chapitre sur la tarentelle sont absolument formidables, en noir et blanc et l'on voit la danse voire la transe des gens dessinés -c'est dommage que je ne puisse pas découper les pages, je les aurais bien encadrées et accrochées. On est assez loin de mes lectures d'enfance, car là les illustrations de B. Bachelier sont vraiment une lecture particulière du roman, on prend le temps de s'arrêter de lire pour les regarder, les contempler. C'est un roman illustré pour adultes. Un très bel ouvrage, de très grande qualité à tous les niveaux, et je remercie vivement les éditions Tishina pour leur proposition.

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Meurtre sous le signe du zen

Publié le par Yv

Meurtre sous le signe du zen, Oliver Bottini, Ed. de l'Aube, 2014 (traduit de l'allemand par Didier Debord).....

Louise Boni est commissaire à la police criminelle de Fribourg et elle va mal. Cet hiver-là, il neige, météo qu'elle n'aime plus depuis que son frère est mort en voiture à cause de la neige, que son mari l'a quittée un jour de neige et qu'elle a tué un homme violeur et assassin dans la neige. Louise est alcoolique, n'est pas encore sur la touche mais ça ne devrait pas tarder. Lorsque son chef l'appelle parce qu'un moine bouddhiste se promène moitié nu dans la montagne et que personne ne peut l'approcher, Louise y va à contre cœur. Elle approchera Taro, le moine mais ne parviendra pas à le faire revenir. Elle charge deux collègues de le surveiller, collègues, qui quelques temps plus tard se font tirer dessus : un blessé grave et un mort. Louise est mise en vacances d'office avec obligation de se soigner. Elle continue néanmoins son enquête. 

Que voici un polar étonnant... et bien fichu. Exactement comme je les aime. Une filiation évidente et assumée avec Henning Mankell (deux citations dans le livre). Louise est en quelque sorte la petite sœur livresque de Kurt Wallander : elle est divorcée, s'entend mal avec ses parents, est plutôt une flique qui travaille seule, qui bosse la moindre piste mais se fie aussi à son instinct, à ses sentiments, elle est un brin dépressive (l'alcool ne l'aide pas vraiment). Filiation il y a mais Oliver Bottini sait créer une ambiance qui lui est propre. Pour nous Français, Louise pourrait être aussi le pendant dramatique de Viviane Lancier la fameuse commissaire de Georges Flipo (qui n'aime point les vers ou qui n'a point l'esprit club) : elle a quelques kilos en trop (à peine cinq, une broutille), apprécie les jeunes gens et peut souffrir de misanthropie. 

Oliver Bottini ne lésine pas sur les seconds rôles, ils sont bien décrits, bien travaillés, tant ceux qu'on ne verra que le temps de cette enquête (qui meurent ou qui sont des protagonistes de l'histoire en cours) que les collègues de Louise, Bermann son chef impulsif, Lederle aux petits soins pour elle, Katrin Rein, la psychologue qui va tenter de la faire sortir de sa mauvaise passe et qui s'inquiète pour elle. Mais c'est Louise qui bénéficie du traitement le plus important, on n'ignore quasiment rien de ses tourments, de ses malheurs, de ses questionnements et de ses peurs. Elle vit avec des images des gens qui l'ont croisée ou qui la croisent encore, parfois on peut être surpris car un nom sort qu'on ne connaît pas (cf. Amélie, p. 88/89), ce n'est pas gênant pour la bonne compréhension, mais ça surprend ; je me dis que comme c'est une série, on apprendra des trucs dans les autres volumes, qu'on suivra Louise dans ses difficultés. Paradoxalement, on ne sait que très peu de son apparence physique, l'auteur distille de rares informations au fil des pages : brune, 4.5 kilos en trop, 42 ans, Anatol, son jeune amant lui dit "qu'elle possédait une étrange beauté, une beauté "pour ainsi dire souterraine". Elle n'était pas d'une véritable beauté au premier coup d'œil, parce qu'elle n'était "pas vraiment mince" et tout, "et tes cheveux, tu ne t'en occupes pas vraiment, non ?" En revanche, plus on la regardait, plus elle devenait belle, d'une beauté tout simplement captivante ; sa mimique, son rire, son air béat, son regard et son corps possédaient une beauté qui leur était propre, quelque chose de chaleureux, de sauvage, de triste, de singulier, d'authentique, et après, on ne pouvait plus la quitter des yeux, plus arrêter de la caresser." (p.375)

Pour être complet, ce roman policier n'est pas d'un rythme effréné, à tel point qu'arrivé à un bon quart (environ 100 pages puisqu'il en fait 402) on se demande vraiment ce qui se passe, on n'a fait que se balader en montage avec Louise et le moine, mais on remarque qu'on ne s'est pas du tout ennuyé, au contraire. Les investigations sont longues, lentes et Oliver Bottini digresse sur les relations policières franco-allemandes, sur la société actuelle, sur le trafic d'enfants (puisque c'est cette direction que semble prendre l'enquête), sur ce besoin d'enfants à tout prix qu'ont les Européens pensant sauver de la misère des enfants asiatiques ou africains en les adoptant, sur le bouddhisme et cette manière particulière d'aborder la vie et le sens qu'on lui donne. Un polar qui ne se contente donc pas d'aligner des indices et des coups de feu. Un polar ancré qui parle de la société, de ses débordements, ses aberrations, sa demande de consommation excessive et aussi des réponses possibles pour se recentrer et prendre du temps pour soi.

Un excellent début de série policière qui me rappelle les meilleures d'entre elles, et comme j'ai le deuxième tome chez moi, eh bien je suis plus que ravi. N'hésitez pas, commencez-la, en plus ce Meurtre sous le signe du zen est en collection poche.

 

 

polars 2015

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On aurait dit une femme couchée sur le dos

Publié le par Yv

On aurait dit une femme couchée sur le dos, Corine Jamar, Le Castor Astral, 2014....

Lorsque Samira arrive en Crète avec ses amis Claudie et Fred, ils ont l'intention de s'y installer. Puis elle rencontre Eleftheris, en tombe amoureuse et ouvre une petite cantine sur la plage du célèbre film Zorba le Grec. Les affaires ne débutent pas bien et elle est obligée de demander à Fred et Claudie de partir car ils ne peuvent vivre à quatre sur les chiffres du restaurant. Lorsque les affaires commencent, elle a du mal à accepter ce qu'elle juge être une trahison envers ses amis, qui ne le sont d'ailleurs plus. Puis, elle est témoin d'un meurtre commis par le frère de son mari qu'elle ne dénonce pas, la violence du meurtrier qu'elle subit à l'issue du meurtre est un moyen de pression terrible. Tout cela la mine malgré une affaire qui tourne bien. Et cet enfant qui ne veut pas venir... 

Cet enfant qui ne veut pas venir, c'est le narrateur, qui attend que Samira soit en paix avec ceux qu'elle est persuadée avoir trahis et avec elle-même. C'est lui qui raconte l'histoire de ses parents et des gens qui l'entourent, ce qui, au début est un peu déroutant, parce que l'on peut se perdre dans les personnages qui, en plus d'être nombreux sont nommés par leurs prénoms certes, mais aussi parfois par la future fonction qu'ils exerceront auprès du narrateur (père, mère, oncle, grand-père, ...) ; si l'on ajoute des flashbacks pas forcément clairement annoncés -mais on les repère en avançant dans le paragraphe-, on est dans un ouvrage qui demande un peu d'attention ; l'auteure demande un réel effort à ses lecteurs pour ne pas se perdre dans les tours et détours de son histoire. Et puis, le pli pris, on se dit que finalement, c'est pas mal une auteure qui se dit que les lecteurs sont intelligents (surtout quand on a réussi à s'y retrouver, sinon, on doit se dire qu'elle est trop compliquée) ! Je vous conseille donc de prendre un peu de temps à lire les premières pages, de ne pas les passer trop vite, pour pouvoir bien se repérer et apprécier à sa juste valeur cet ouvrage.

Corine Jamar dresse un beau portrait de Samira, cette femme particulièrement aimable avec la clientèle, toujours prête à rendre service, une femme forte aux yeux de tous qui fait tourner le restaurant. Mais Samira est avant tout une femme qui doute. D'elle, de la force de l'amour d'Eleftheris -sa jalousie n'en est que plus forte-, de l'amitié, de sa capacité à enfanter, de tout. Coupable de trahison, elle vit les épreuves qui suivent comme des sortes de réparations du mal qu'elle a commis. Malgré l'amitié qui la lie à Walter le vieux chef opérateur de Zorba le Grec, venu finir sa vie en Crète, malgré la reconnaissance par son travail apprécié de tous -la cantine ne désemplit plus-, malgré l'amour d'Eleftheris, Samira n'est pas en paix. 

Au début du bouquin, j'avais un peu peur, ça me paraissait confus comme je le disais plus haut, et puis, les charmes de l'écriture et de la Crète sont venus et ne m'ont pas quitté jusqu'au bout, jusqu'à l'ultime phrase, simple et qui sonne comme la fin d'un conte philosophique, vous savez comme la célèbre "il faut cultiver son jardin", comme une philosophie de vie : "C'est drôle comme souvent dans la vie, on obtient ce qu'on veut au moment où ça nous occupe moins l'esprit, au moment où -comme aurait dit Claudie avec ses mots de psy- on lâche enfin prise." (p.212) Entre les deux, Corine Jamar donne à aimer ou au moins à découvrir la Crète, c'en est presque une incitation à y aller illico, mais attention, pas dans ces grands hôtels détestables dans lesquels on ne voit rien du pays et qui ont détruit une partie de la beauté des sites, non, chez les autochtones, les écouter parler de leurs pays, de leurs traditions. Elle parle beaucoup de la nature, de la mer, des montagnes, de la forte relation des Crétois avec leur environnement naturel : "C'est étrange, cette différence qu'il y a entre l'homme et la nature. Même quand la nature fait du mal aux hommes, que la mer les engloutit dans une tempête, que les arbres frappés par la foudre les écrasent, que la montagne les précipite dans un ravin, même quand elle se met en colère, la nature reste belle, et pas l'homme. La laideur qui déforme les traits du visage haineux du meurtrier est peut-être la punition que lui infligent les dieux. Une marque d'infamie." (p.101) Je rebondis sur cet extrait, parce que l'autre grand thème de ce livre est l'omniprésence des dieux grecs anciens qui guident les personnages ou expliquent les faits. Alors rassurez-vous rien de totalement mythologique là-dedans, j'avoue mon inculture crasse en la matière -et oui, encore une lacune, je vais finir (si ce n'est pas déjà fait) par passer pour un véritable crétin- si Corine Jamar invoque le nom des dieux, elle explique toujours leurs rôles et comment ils viennent en aide aujourd'hui à Samira et aux autres. Zorba est aussi un apport important : malgré la difficulté l’échec, il chante et il danse le sirtaki -d'ailleurs saviez-vous que cette danse fut créée pour ce film ?-, gardant ainsi une certaine folie, une fraîcheur, un lâcher prise et l’on rejoint ici le final du roman qui en plus d’inciter à voyager en Crète –à force je vais demander aux éditeurs de me payer des séjours dans les pays que décrivent leurs auteurs- donne envie de revoir le film.

 

rentrée 2014

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Les cahiers dessinés

Publié le par Yv

Topor dessinateur de presse, Les cahiers dessinés, 2014..,

D'une pierre deux coups -ou d'un article, deux livres- pour ces deux gros ouvrages qui paraissent dans l'excellente maison Les cahiers dessinés. Je connaissais Roland Topor pour avoir lu un ou deux de ses livres, Portrait en pied de Suzanne (lu avant le blog) et Café Panique, un recueil de nouvelles. Ce gros bouquin qui est consacré à ses dessins de presse est aussi une biographie qui permet donc de mieux cerner le personnage. Ses dessins de presse sont difficiles, durs, violents parfois, connus pour certains, comme celui qui illustre la couverture ou celui qui fut entre autres une affiche pour Amnesty International et que vous pouvez voir en cliquant sur le nom de l'association. Topor a collaboré à Hara-Kiri, Charlie Hebdo assez longtemps, et ses dessins furent publiés dans un nombre impressionnant de journaux internationaux. Ses dessins représentent ce qu'à l'époque on appelle le nouvel humour : "Les ficelles du nouvel humour ne sont plus "celles du comique, mais celles, infiniment plus ténues du saugrenu, de l'insolite, de la cruauté mentale voire même du fantastique ou de la terreur, ajoutant une couleur que personne n'attendait dans la palette traditionnelle de la gaudriole : le noir." (p.31) Ouvrir ce livre c'est entrer dans un monde fou, dans lequel son Charlot ressemble au général de Gaulle qui fut l'une de ses cibles favorites. Bref, les dessins de Topor peuvent choquer, heurter, déplaire ou au contraire on peut les admirer, les trouver riches. En aucun cas ils ne laissent indifférent.

 

 

J'ai vu passer le bobsleigh de nuit, Gébé, Les cahiers dessinés, 2014....

Passons maintenant à l'autre livre, celui de Gébé, au titre tellement beau. Gébé a également collaboré à Hara-Kiri et Charlie Hebdo. Cet ouvrage recense des petites histoires drôles, impertinentes, poétiques, absurdes, innovantes comme celle que je préfère qui s'appelle Je ne vous souhaite pas le même rêve, un semi-roman-photo, semi-BD. Le détective William Splatch n'est pas mal non plus, ainsi que la critique du capitalisme à outrance dans Les crêpes. Dans les dessins de Gébé, ce qui importe avant tout, c'est l'humain avec ses désirs, ses défauts, ses contradictions les contraintes qu'il s'impose ou qu'on lui impose. Gébé n'aime pas les faux-semblants, il nous incite à aller au-delà de la première impression, de ne pas se fier à ce que l'on voit, de tourner autour d'un sujet pour bien en saisir toutes les nuances. Le monde de Gébé est fou lui aussi, mais une folie douce, celle qui amène les rêves, les mondes imaginaires, la poésie.

Très bon recueil qui m'a permis de découvrir Gébé, que je ne connaissais pas, choisi grâce à ce titre que je trouve excellent.

 

PS : La Galerie Anne Barrault (51 rue des Archives 75003 Paris) exposera des dessins de Roland Topor à partir du 18 octobre, jusqu'à fin novembre. Elle installera également des dessins de Gébé à partir de novembre.

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L'audience

Publié le par Yv

L'audience, Oriane Jeancourt Galignani, Albin Michel, 2014...,

Debbie Aunus, jeune professeure de maths dans un lycée de la petite ville de K. au Texas est jugée pour avoir eu des relations sexuelles avec quatre lycéens, majeurs, un crime passible d'une peine d'emprisonnement dans cet état, depuis 2003. Pendant les quatre journées d'audience, la vie de Debbie sera disséquée, analysée, commentée. Pourquoi Debbie ne dit-elle rien ? Pourquoi son mari, combattant en Afghanistan, ne lui reproche rien ? Qui est la mystérieuse personne qui la suit nuit et jour avant le procès, avant même que les relations qu'elle entretient avec les garçons soient connues ? 

En quatrième de couverture, l'éditeur précise que la base de ce roman est un fait divers. Oriane Jeancourt Galignani tient alors ses personnages et s'en empare pour construire son roman. Dès le premier jour d'audience on sait que Debbie s'est mis tout le monde à dos. Dans cette petite ville du Texas, on n'aime pas le scandale, on n'aime pas qu'une adulte use de son pouvoir pour séduire des garçons -majeurs, qui pourraient aller se battre en Afghanistan, ils seraient alors des héros, mais qui n'ont pas le droit d'avoir des rapports sexuels avec une femme plus âgée. Dans les États-Unis bien pensants, puritains, un scandale sexuel est mal vu. O. Jeancourt Galignani oppose Debbie et ses pulsions, ses désirs sexuels -attribués en général aux hommes, elle gêne aussi en cela qu'elle n'entre pas dans sa case de femme-de-militaire-mère-de-trois-enfants forcément dévouée à l'un et aux autres- à la procureure Liz Lettown, bon chic bon genre déjà remarquée pour son combat contre les outrages aux bonnes mœurs qui incarne le puritanisme le plus pur, qui cache souvent lui aussi ses petites perversions. Pour Liz Lettown il faut absolument faire de Debbie une mauvaise femme, une coupable, c'est grâce à ce procès, si elle le gagne, qu'elle pourra avoir un poste plus intéressant, c'est son tremplin. Laquelle est la plus perverse finalement, la plus retors ?

Oriane Jeancourt Galignani commence son roman par Debbie, puis petit à petit d'autres personnages, d'autres histoires apparaissent, celles de son mari, de sa mère, des garçons avec lesquels elle a couché, de Jimmy son avocat, de Louis Gordon le juge et de Liz Lettown qu'il désire. C'est un récit direct, franc et parfois cru, qui va au plus court tout en s'attardant sur les motivations des uns et des autres. On sent bien que les pulsions de Debbie vont causer sa perte, dans ce pays dans lequel le manichéisme est roi, dans lequel on connaît la différence entre le bien et le mal, la ligne de séparation est claire, nette.

Mises à part quelques longueurs, quelques répétitions à mon sens inutiles, quelques maladresses (comme celle qui consiste à inclure 3 années bissextiles sur une durée de 5 ans) ou des coquilles : "Cinq hommes, sept femmes quittent à l'heure bleue la veille d'une maison et rejoignent le centre-ville de K." (p.11), "Mais dès qu'il repère une tribune dans un périmètre de deux cents, il pique dessus comme l'albatros sur un morceau de verre." (p. 45/46), j'ai trouvé ce roman fort intéressant. On reste jusqu'au bout pour savoir ; on espère que Debbie n'ira pas en prison pour quelques parties de jambes en l'air, on se demande même pourquoi elle est accusée et de quoi ? Maîtrisé et bien construit, en un huis clos un peu oppressant, à la manière d'un polar. Une écriture fine, ciselée qui va au plus direct et au plus profond de Debbie qui n'en fait ni une sainte ni une dépravée mais une jeune femme perdue qui demande de l'attention et éventuellement des soins psychologiques plus que de la prison. Un très beau personnage de roman, de ceux qui restent collés un moment à la mémoire des lecteurs.

 

 

rentrée 2014

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59, passage Sainte-Anne

Publié le par Yv

59, passage Sainte-Anne, Frédérique Volot, Presses de la cité, 2014....,

Octobre 1861, Mimi Pattes-Maigres, une comédienne dans les théâtres populaires, femme de petite vie disait-on à l'époque est retrouvée suicidée. Marthe, son ex-collègue devenue Mme de Germonville par la grâce d'un heureux mariage ne croit pas à cette version. Elle s'en ouvre à son amant, Achille Bonnefond, détective privé, qui trouve un message étrange chez Mimi Pattes-Maigres. Puis c'est au tour d'un informateur d'Achille de mourir, atrocement mutilé. Il ne lui en faut pas plus pour partir à la recherche du ou des meurtriers aidé de son fidèle ami Félix, et d'un allié moins commun, Allan Kardec, le plus célèbre spirite du Second Empire. 

Achille Bonnefond, je l'avais déjà rencontré lors de sa précédente et première aventure, La Vierge-Folle. Le voici donc de retour avec ses amis, Baise-la-Mort, Félix et Tamara sa servante avec laquelle il a des liens quasi filiaux. Dans ce roman, Achille renouera avec sa famille, ses oncles, tante et cousin(e)s, qu'il n'a plus vue depuis très longtemps pour cause de fâcherie avec ses parents. Les parents d'Achille sont très à cheval sur les convenances, veulent être de la bonne société et le montrer. Achille s'en moque et aspire à une vie simple néanmoins non dénuée des avantages que lui procure l'argent qu'il gagne, car Achille est un jouisseur. Il donne beaucoup aux pauvres également, de l'argent certes, mais aussi du temps et de la considération, sans se forcer, il aime les gens, c'est dans sa nature. Il aime aussi beaucoup les femmes et n'est pas insensible (c'est une litote) aux charmes de sa cousine Garance qu'il avait quittée gamine agaçante et qu'il retrouve jeune femme libre et pleine d'ambition.

Ce roman n'est pas vraiment un polar même si enquête il y a, c'est plutôt une chronique de la vie parisienne au Second Empire. Paris est totalement transformé par Haussmann, certains s'y enrichissent et les pauvres sont obligés de s'éloigner du centre, de s'entasser dans des quartiers insalubres, tombant ainsi encore plus dans les difficultés pour trouver un emploi, pour se loger décemment. De cette période, on a souvent une mauvaise image, souvent à cause de Victor Hugo d'ailleurs qui ne s'est pas privé de dire ce qu'il pensait de Napoléon III, qui a même été obligé de s'exiler. Mais Victor Hugo n'était pas totalement objectif, à cette époque, Paris a changé, s'est modernisé, les mœurs ont évolué. Attention, je ne fais pas d'angélisme, et d'ailleurs Frédérique Volot non plus, elle dit bien que les riches se sont enrichis, les pauvres appauvris et que tout ne fut pas rose. Mais pas noir non plus.  "Splendide! s'exclama-t-il en refermant la fenêtre. L'hôtel sera prêt pour la prochaine Exposition universelle. Je suis épaté d'assister à toutes ces transformations. Paris sera d'ici peu la plus belle ville du monde ! [...] La spéculation allait bon train. Certains propriétaires profitaient de la moindre occasion pour augmenter les loyers de façon vertigineuse. Même si les deux tiers de la population étaient représentés par des petites gens et petits-bourgeois, il n'en restait pas moins vrai qu'une partie, chassée de chez elle, se retrouvait à la rue, démunie, obligée d'aller trouver refuge dans les carrières de Montmartre ou de l'autre côté des fortifications." (p. 35)

Son livre est aussi un point assez précis sur une pratique très en vogue dans ces années-là, le spiritisme (V. Hugo a aussi assisté à des parties de tables tournantes). Directement venu des Etats-Unis, inventé par les sœurs Fox (à ce propos, lisez le formidable roman de Hubert Haddad, Théorie de la vilaine petite fille qui sera un complément au livre de F. Volot), le spiritisme a très vite franchi les frontières et séduit de nombreuses personnes. Allan Kardec, de son vrai nom Hippolyte Léon Denizard Rivail, très impliqué dans la pédagogie et l'enseignement en fut l'un des théoriciens célèbres au XIX° siècle. Par la retranscription des séances auxquelles participent Allan Kardec et son épouse, deux médiums et Achille ainsi que le jeune scientifique Camille Flammarion, l'auteure donne à son texte des airs d'irréalité. Le spiritisme, pour moi incroyant, ça reste à la fois un mystère et une formidable mystification, mais aussi un contexte ou des circonstances fortes pour écrire une histoire mystérieuse, qui laisse planer un doute sur l'authenticité de telles pratiques. F. Volot joue à fond cette carte, et tant mieux, son roman se teinte d'une grosse touche de surnaturel.

Hors cela, le roman est enjoué, Garance apporte une légèreté et un supplément de modernité -pensez-vous une femme de 1861 qui revendique sa liberté- dont il n'était déjà pas exempt, Achille étant un esprit moderne. Très bien mené, même sans une véritable enquête policière sur toute sa durée, il se lit avec grand plaisir et même avidité sur la fin ou les choses s'emballent et le suspense grandit.

Evidemment, la suite est attendue, j'espère Frédérique -vous permettez que je vous appelle par votre petit nom ?-, que vous en me décevrez pas et que vous continuerez à faire vivre Achille.

Oncle Paul a aimé lui aussi.

 

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Le détroit du Loup

Publié le par Yv

Le détroit du Loup, Olivier Truc, Métailié, 2014....,

En Laponie norvégienne, c'est le printemps, la lumière domine très largement les journées, la nuit ne dure encore que quelques heures en cette fin avril, mais elle diminuera encore. C'est aussi la période de la transhumance des rennes des éleveurs nomades qui doivent passer le détroit du Loup pour aller chercher leur nourriture dans l'île de Kvaløya, à l'extrême nord, aux abords de la ville de Hammerfest, au bord de la mer de Barents, célèbre pour ses gisements de pétrole et leur exploitation. Au cours du passage du détroit, Erik Steggo, un jeune éleveur meurt de ce qui semble être un accident. Puis, le maire de Hammerfest, personnalité très connue et controversée, est retrouvé mort près d'un rocher sacré. Et ils ne seront pas les seuls à mourir étrangement. Klemet Nango et sa jeune collègue Nina, de la police des rennes se retrouvent mêlés aux recherches. 

Après le fabuleux premier polar d'Olivier Truc, Le dernier Lapon, revoici Nina et Klemet pour une deuxième aventure. J'ai lu ici ou là, chez Hélène par exemple, ou chez Sylire que l'on pouvait se perdre dans tous les intervenants. Fort de ces remarques, je ne me suis pas précipité et ai bien repéré, dès le début qui était qui et qui faisait quoi. Dès lors, que croyez-vous qu'il arriva ? Eh bien, rien d'autre que le même plaisir qu'à la lecture du premier tome, la surprise en moins, puisque je connaissais déjà les deux policiers et leur univers de grand froid, sauf que dans le roman précédent, la nuit s'amplifiait et le jour diminuait jusqu'à disparaître quasiment et que là, c'est l'inverse. Les hommes et les femmes vivent difficilement ces journées de 22/23h, les organismes réagissent, le sommeil s'allège et malgré le soleil et la relative clémence des températures (il gèle encore les nuits), la fatigue se fait sentir. En plus, il faut bien dire que les morts successives, et les heurts de plus en plus fréquents entre les éleveurs nomades et les autres habitants n'apaisent pas l'ambiance.

La force de ce roman policier c'est son contexte : la tradition, l'élevage nomade des rennes que les Sami -ou Lapons-, peuple autochtone de cette partie du Grand Nord veut pérenniser et moderniser, mais aussi l'extraction du pétrole en mer de Barents qui implique des infrastructures, des demandes immobilières croissantes -donc sur les terres qui nourrissent les rennes-, des transformations radicales des paysages et l'éveil de la nature au printemps avec ses beautés et ses dangers dus à la fonte des glaces. Olivier Truc n'oppose pas de manière manichéenne ces deux mondes, il les décrit ; néanmoins, on sent bien qu'il y a plus de requins chez les pétroliers que chez les éleveurs, beaucoup plus d'argent en jeu également. Sans prendre vraiment partie, on lit ce bouquin avec une sympathie évidente pour les Sami -ou c'est ma sensibilité écolo qui me le fait lire dans ce sens, peut-être un fervent partisan de la prospection pétrolière le lira-t-il d'une autre manière ? Il y a beaucoup de conflits, de triche, de coups bas dans le monde des pétroliers, mais les Samis ne sont pas protégés des ambitieux, des individualistes prêts à se vendre au plus offrant. 

C'est un roman très documenté sur les débuts de la prospection pétrolière en mer de Barents dans les années 1970, qui utilisait et usait les hommes pour toujours plus de profit. Extrêmement instructif sans être barbant. C'est aussi un livre qui va à l'encontre de quelques idées reçues concernant la Norvège, un des pays qui sert de modèle et de référence dans pas mal de domaines : "Vous êtes Norvégienne non, alors faites-moi plaisir, n'oubliez jamais comment votre pays s'est enrichi. En risquant délibérément la vie de plongeurs hier et en bafouant les droits de vos Sami aujourd'hui."(p. 398) Si je précise que ce discours est celui d'un Américain, on en mesure l'ironie et la portée et l'on ne peut s'empêcher de l'associer à l'histoire de son pays. On pourrait aussi rajouter qu'en mer de Barents, la Norvège est un gros pollueur et un destructeur de la zone d'extraction du pétrole. 

Impossible dans ce livre d'isoler le contexte de l'histoire policière, qui, à la manière d'un polar nordique suit son cours lentement, les indices n'arrivant qu'au compte-goutte, Klemet préférant prendre son temps : "Dans un moment pareil, Klemet n'aurait pas manqué de la [Nina] ramener sur terre. Elle l'entendait presque lui dire : quels liens, quelles preuves, comment relies-tu untel à untel, techniquement ? Elle l'entendait encore lui répéter : oublie le motif, concentre-toi sur les éléments concrets de preuve dont tu disposes et remonte le fil." (p.202) Klemet reste encore très secret sur sa vie, on en avait appris un peu dans Le dernier Lapon ; dans ce roman, c'est Nina qui se dévoile. Une belle place est faite également aux personnages secondaires, ceux qui font avancer l'histoire. 

Une deuxième enquête menée de main de maître par Olivier Truc qui prouve son talent pour à la fois nous instruire sur un pays et ses pratiques, une région très particulière et un peuple attachant -moi qui rêve de visiter les pays du nord plutôt que ceux du sud, j'avoue que mon envie a grandi à chaque page tournée- et pour nous distraire avec des personnages eux aussi attachants, crédibles et des enquêtes habiles qui ne s'éclaircissent qu'en toute fin d'ouvrage. Un dernier conseil pour finir ? Lisez ce roman, bien sûr, mais prenez la peine de de commencer par le précédent, Le dernier Lapon afin de ne rien rater de cette série qui promet.

 

 

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