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Je t'aide, moi non plus

Publié le par Yv

Je t'aide, moi non plus. Solidarités et alliances dans le monde animal, Gilles Macagno, Delachaux et Niestlé, 2020

Le professeur Noyau, assisté de Charles Darwin et de Piotr Kropotkine -assistants haut de gamme- tente et parvient à démontrer que dans le monde animal et végétal, seules l'entraide et la mutualisation permettent de survivre.

Charles Darwin (1809-1882), le père de la théorie de l'évolution fut beaucoup moins affirmatif dans ses écrits que ce que nous apprîmes. Il s'est beaucoup questionné, émit des hypothèses, que ses zélateurs eurent tôt fait de reprendre comme des affirmations, ce qui les arrangeait dans le monde capitaliste naissant : les plus forts étant bien sûr ceux qui réussissaient et qui donc assuraient la pérennité de l'espèce tandis que les plus faibles, les plus pauvres n'étaient que quantités négligeables.

Piotr Kropotkine (1842-1921) fut géographe, étudia les mœurs de peuples de Sibérie, l'importance de l'entraide au sein de leurs communautés. Il publia L'entraide, un facteur de l'évolution, et fut l'un des principaux penseurs de l'anarchie.

C'est donc grâce à ces deux penseurs que Gilles Macagno construit sa bande dessinée qui est à la fois et tour à tour instructive, fort bien documentée et drôle. Pour ceux qui connaissent l'excellent journal La Hulotte, ça y ressemble un peu dans le ton : humour au service de la pédagogie. Et les gens de ma génération, de revoir leur leçon sur la théorie de l'évolution, non point ode aux plus forts, mais à l'entraide entre tous pour lutter contre les prédateurs, mais aussi pour chasser. Chaque animal y a recours et peu nombreux sont les solitaires purs et durs.

J'aime beaucoup ce genre de livres qui allie humour et savoir et qui sait se mettre à la portée de tous, car si les adultes y trouveront pas mal de notions connues, ils seront sans doute bousculés par d'autres tandis que les plus jeunes riront en apprenant. Je pousserais bien mon observation jusqu'à la nécessaire et impérative entraide entre nous tous les Hommes et la Nature dans son ensemble, faune et flore, qui que nous sommes, quelles que soient nos origines, nos couleurs, ... mais je crains d'être lourd, j'en parle souvent. Quoique, à la réflexion, être lourd lorsqu'on parle d'entraide et de solidarité, ça me va... Et puis, tout cela est entre les lignes -et même dedans- de cette excellente bande dessinée.

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Adieu, ma jolie

Publié le par Yv

Adieu, ma jolie, Raymond Chandler, Gallimard, 1948 (traduit par Geneviève de Genevraye)

Moose Malloy, un colosse habillé comme un clown est libéré de prison après huit années. Il retourne à son bar d'avant et y cherche son amie Velma, la petite Velma qu'il voulait épouser. Icelle a disparu et le bar est désormais un bar pour les noirs uniquement. Malloy force l'entrée et y entraîne Philip Marlowe, par hasard présent. Il met le bar à sac et tue son propriétaire puis s'enfuit. Marlowe délaisse cette affaire lorsqu'on l'engage pour une autre.

Retour du détective emblématique Philip Marlowe pour une aventure un peu plus longue que la précédente, Le grand sommeil. Si j'y ai retrouvé tout ce qui m'a plu dans l'autre, celle-ci est parfois un peu délayée, mais bon, ça reste quand même un grand classique du roman noir signé Chandler, donc excellent. Marlowe y promène sa dégaine tout au long des pages, s'attirant les faveurs des dames qu'il rencontre et que souvent, il repousse pour faire avancer voire conclure son affaire. Les femmes sont entreprenantes chez Chandler...

Beaucoup de descriptions des lieux et des personnages. Beaucoup de dialogues savoureux dans lesquels les réparties drôles ou vachardes fusent, l'ironie et le sarcasme du détective font mouche à chaque fois. Et ce sens de la formule, de la chute propre à l'auteur : "Assis sur le bord de mon lit, en pyjama, je me tâtai à l'idée de me lever, sans grande conviction. Je me mis debout avec effort et me frottai l'estomac. Il était encore endolori par mes nausées de la veille. Par contre, mon pied gauche était parfaitement dispos... pas la moindre courbature ; alors naturellement, je n'eus rien de plus pressé que de le cogner dans le pied du lit."

Je dois avouer être très sensible à l'usage du passé simple qui donne à la fois un côté désuet et classe, il est vrai qu'il n'est plus guère usité de nos jours, sauf en littérature. Usage qui implique parfois celui du subjonctif imparfait, ce qui augmente les deux aspects précédemment cités.

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San-Antonio, si ma tante en avait

Publié le par Yv

San-Antonio, si ma tante en avait, Michaël Sanlaville, Casterman, 2020

San-Antonio est muté disciplinairement en Bretagne, à Ploumanac'h Vermoh, avec Béru. Entre des bagarres de sorties de bar et quelques peccadilles, il s'ennuie jusqu'à la mort d'un patron-pêcheur belliqueux. Mort qui va entraîner le commissaire dans une histoire entre les Américains et les Russes, que le sous-préfet (l'ex-Patron de San-A, muté lui aussi) veut stopper discrètement sans même en avertir San-Antonio.

Scénarisée et dessinée par Michaël Sanlaville, d'après l’œuvre de Frédéric Dard, cette bande dessinée fait passer un bon moment. Bon, il faut aimer San-Antonio, sinon, ça risque de ne pas fonctionner ou alors avoir envie de le découvrir. C'est un peu bordélique, dans l'histoire, dans le dessin, mais c'est aussi ce qui fait le charme du commissaire. Ça part un peu dans tous les sens, ça tangue -la mer est démontée en Bretagne-, ça castagne, ça flirte et plus car intimité et ça résout l'enquête car c'est San-A !

Ce n'est pas l'énigme du siècle, mais elle se suit agréablement. C'est finalement assez drôle de découvrir dessinés des personnages comme San-Antonio et Bérurier que j'ai suivis épisodiquement.

L'été est là, et les lectures estivales, légères arrivent à point nommé. En voici une idéale.

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Le dernier juif de France

Publié le par Yv

Le dernier juif de France, Hugues Serraf, Intervalles, 2020

La cinquantaine, chauve, journaliste-critique-cinéma à l'hebdomadaire Vision, vaguement glandeur, c'est d'un œil circonspect que le narrateur regarde l'arrivée d'un nouveau patron censé dynamiser le journal en perte de vitesse. Pressenti pour devenir responsable du département culture, son mauvais esprit revendiqué, son goût de se moquer de tout et  de tous le desservent. Et puis, il apprend qu'il est juif. En fait, il le savait bien sûr, mais très éloigné de la religion, ce n'est pas une identité ni même un questionnement pour lui, sauf lorsque l'antisémitisme le rattrape.

Ce personnage, ça pourrait être moi : la cinquantaine, -presque chauve-, athée, je hais tous les communautarismes quels qu'ils soient, et aime rire de tout. Mais, je ne suis ni journaliste, ni cycliste, ni juif. Personne n'est parfait. J'aime beaucoup le détachement, l'humour décontracté et cinglant de Hugues Serraf et de son double littéraire. Il rit de tout et de tous, en commençant par lui, la base avant de se moquer des autres. Son roman léger de prime abord, pose pas mal de questions et dresse un constat sévère de la société actuelle. Non pas qu'il dise que c’était mieux avant, mais il faut avouer que dans certains domaines, la volonté de rajeunir, de dynamiser ne se fait pas pour du mieux. En tant que journaliste, il parle de la dérive des médias vers les scoops à tout prix, sans vérification des sources et des infos, vers le sensationnalisme -qui fait vendre- jeté brut, sans explication, sans analyse. Désormais n'importe qui s'érige en expert et vient asséner ses vues sans les étayer ; les spécialistes auto-proclamés ou cooptés étant experts en tout. La description du petit monde de Vision est succulente, encombrée de jargon professionnel incompréhensible empli de mots creux juxtaposés.

L'autre grand sujet est le communautarisme, le racisme et l'antisémitisme. Tout ce qu'on entend un peu partout est dans les propos de l'un ou l'autre des intervenants : la différence entre l'antisémitisme et l'anti-sionisme, ce dernier permettant de minimiser le premier. Le rappel systématique du conflit israélo-palestinien pour justifier l’antisémitisme ordinaire. L'amalgame de tous les juifs forcément islamophobes et défenseurs d'un Israël envahisseur. Tout va dans le sens d'un manichéisme empêchant toute contradiction, toute discussion.

Bref, tout cela est fort bien fait, car écrit avec humour et détachement. Le narrateur est drôle, son côté revenu de tout et taquin est un délice. Il se plaît à provoquer la contradiction, juste pour voir les réactions (un autre point commun). Il est parfois gentil et d'autres fois vachard. Parfois sur des personnalités fictives -aux traits qui en rappellent des vivantes- et d'autres fois sur des réelles. Je me suis souvent dit, pendant ma lecture, que j'offrirais ce livre à untel qui a des idées -courtes- arrêtées sur le conflit israélo-palestinien sans en englober l'histoire entière, à un(e)tel(le) qui scrute chaque phrase pour savoir si dedans il n'y aurait pas quand même un peu de sexisme, à un(e)tel(le) qui jure que les juifs quand même ils sont partout où il y a de l'argent et du pouvoir, que les arabes sont tous des voleurs et les noirs des fainéants... Mais je ne suis pas certain qu'ils goûteraient le sarcasme et l'ironie de Hugues Serraf.

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La moisson rouge

Publié le par Yv

La moisson rouge, Dashiell Hammett, Gallimard, 1932 (traduit par P.-J. Herr)

Le narrateur, détective à la Continental Detective Agency, succursale de San Fransisco, a rendez-vous avec un patron de presse de Personville, Donald Willsson. Alors qu'il l'attend chez lui, ce dernier est assassiné. Elihu Willsson, le père du jeune défunt est "le tzar de Poisonville" ainsi que la ville est surnommée, tant les gros voyous y pullulent. Le détective arrache au vieil homme dix mille dollars pour nettoyer la ville. C'est le début d'une histoire sanglante.

Écrit et paru avant Le faucon de Malte, ce roman est une sorte de western de la fin des années 20. Un détective sème la pagaille dans les rangs des voyous d'une ville gangrénée par le crime, les incite à s'entretuer tentant lui-même de passer entre les balles, ce qui n'est pas si simple.

Dur et violent, sans bon sentiment, ici rien ne se fait pour autre chose qu'un profit tangible. Dinah Brand, la seule femme du lot n'est pas la dernière à vouloir tirer son épingle du jeu, c'est sa seule façon de s'en tirer face à ces hommes sans foi ni loi. Seul le détective le fait pour autre chose : ses raisons restent floues, sans doute une certaine conscience professionnelle qui, cependant, se limite à la grande idée générale et ne s’encombre pas de scrupules quant aux moyens utilisés.

Dashiell Hammet écrit du noir désespéré, direct. Il a le sens de la formule : "Je me laissai ensuite conduire à une chambre mal tenue, où je transvasai un peu de scotch de ma gourde dans mon estomac et me couchai en prenant mon pistolet et le chèque du vieil Elihu avec moi." C'est moderne pour l'époque et il casse les codes, précurseur d'un genre nouveau : le hard-boiled, ce roman noir dans lequel les limites entre le bien et le mal sont floues et qui est basé sur la violence et l'action. Et là, tout y est.

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Mon chant aux étoiles

Publié le par Yv

Mon chant aux étoiles, Henri Bonetti, Cohen&Cohen, 2020

Milan, années cinquante, les Italiens se remettent de la guerre et du fascisme doucement, et pour certains c’est l’amour de l’opéra qui les y aide. Enzo et Michele sont amis, se sont un peu perdus puis retrouvé à la faveur de leur passion pour la discipline et pour Renata Tebaldi, la soprano à la voix d’ange qu’ils vont à chaque fois qu’ils peuvent voir sur la scène de la Scala reconstruite dès la fin de la guerre. Un jour la Tebaldi ne peut pas chanter et arrive, une nouvelle chanteuse, une Grecque peu connue, Maria Callas. C’est l’histoire de la rivalité entre les deux artistes et l’amitié des deux hommes mise à mal car l’un ne jure que par la Tebaldi et l’autre tombe sous le charme de la Callas qu raconte Henri Bonetti.

Pas du tout connaisseur de l’art lyrique, je connais quelques titres d’œuvres, quelques grands airs et de rares noms d’interprètes et pourtant mon ignorance dans ce qui fait le contexte du roman de Henri Bonetti ne m'a absolument pas gêné. Ce qui m'a un peu dérouté au départ, c'est l'usage de mots en italien et en italique qui auraient leurs correspondants en français. Le plis pris, je me suis dit qu'ils renforçaient ce contexte de l'Italie post-fasciste et post-guerre et surtout l'Italie qui se passionne pour les grandes scènes lyriques et les grandes chanteuses.

Construit en courts chapitres ce roman est passionnant et se lit d'une traite. Enzo et Michele se retrouvent, se fâchent, se re-retrouvent et se disputent sur les qualités des deux divas. On peut trouver ce motif de fâcherie bénin voire puéril, mais ils sont pris par leur passion et beaucoup de Milanais avec eux : c'est aussi fort que les supporters du PSG et ceux de l'OM. Enzo est le tenant d'une longue tradition de chanteuses à la voix d'ange qui savent passer d'une note à l'autre avec grâce, douceur et pureté. Michele lui, aime la Callas qui a parfois une voix qui coince, mais elle y fait passer beaucoup plus d'émotions, d'elle-même et elle joue véritablement sur scène, une vraie tragédienne.

Entre deux chapitres consacrés aux deux hommes, Henri Bonetti en place  qui parlent des deux divas, de leurs vies, de leur art qui rajoutent de la réalité et une érudition calculée et bienvenue. Le tout s'enchaîne parfaitement. Écriture fluide, très accessible malgré les mots en italien et le thème de fond que je ne maîtrise pas du tout (c'est formidable, j'apprends plein de trucs), phrases souvent courtes, pour décrire la vie milanaise des années cinquante, la vie d'Enzo et Michele et leurs amis et la genèse d'une certaine vedettisation du monde artistique avec la Callas.

J'aime beaucoup les livres de Henri Bonetti, j'en ai déjà lu 3, des polars : Monet, money, L'homme qui avait recueilli les dernières paroles de Gunnar Andersson, L'odeur du ciel, tous très bons. Pour son premier roman hors polar, il ne fait pas dans la facilité en parlant d'opéra souvent vu comme élitiste et peu accessible, en interpellant parfois son lecteur (très réussi), en usant d'une belle langue qui me ravit mais pourra décourager les tenants de l'oralité et de la modernité à tout crin. Il gagne aisément son pari de créer "une fluidité dans le récit qui en rende la lecture aussi douce à suivre qu'une aria chantée pas la Callas (ou par la Tebaldi)". (4ème de couverture)

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