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Les témoins de pierre

Publié le par Yv

Les témoins de pierre, Simon Beckett, Piranha, 2016 (traduit par Isabelle Maillet).....

Sean fuit son Angleterre natale vers la France à bord d'une Audi qu'il cache dans un bois, puis il continue à pieds, sous une chaleur terrible. Il s'arrête dans une ferme isolée pour demander de l'eau. La jeune femme qui le reçoit paraît sur la défensive. Sean désaltéré, repart, mais lorsqu'une voiture de policiers s'approche, il saute les barbelés et se retrouve dans le bois de la propriété qu'il vient de quitter. En marchant il se retrouve prisonnier d'un piège. Il est secouru par la jeune femme de la ferme et sa soeur en cachette du père, et contraint au repos dans cet endroit qui abrite bien des secrets et des peurs et aussi des sanglochons, des hybrides entre sangliers et cochons domestiques.

Un beau roman d'atmosphère et d'ambiance lourdes et angoissantes. La lenteur et la monotonie des journées de Sean et des habitants de la ferme sont le contexte de ce roman qui joue sur les relations compliquées entre les filles et leur père, entre la famille en tant que groupe mais aussi ses individualités et Sean et entre la famille et les habitants de la petite ville avoisinante qui la rejettent et vice-versa. Il y a aussi les sanglochons, qui à eux-seuls forment un paysage sonore et odorant de second plan mais qui ajoute à la noirceur et la tension de l'ensemble. Un roman rural et poisseux qui se déroule en France mais qui pourrait être transplanté dans certaines campagnes étasuniennes perdues. Rusticité et violence, bestialité et force des hommes mais aussi douceur et tranquillité, beauté des paysages, de la faune et de la flore. Trois cents pages qui n'ennuient jamais le lecteur, qui avec des retours en arrière expliquent pourquoi Sean se retrouve dans cette situation et ce qu'il fuit. Sean cherchera aussi à connaître les raisons de la haine entre la famille et ses voisins.

Archétypes mais pas caricatures, Sean, Mathilde et Gretchen -les deux filles de la ferme-, Arnaud le père, évoluent et sans cesser de se chercher et de se jauger parviennent à créer des relations parfois difficiles, parfois empreintes d'une tension sexuelle, de jalousie, de désir refoulé, mais aussi de défi, d'autorité et de domination. L'ensemble est vraiment bien vu et si la "chute" n'est pas à tomber sur le cul, eh bien, elle ne déçoit pas du tout, 

Une belle réussite que ce roman français d'un écrivain anglais qui se balade très habilement et sans rougir dans le genre polar qui privilégie l'atmosphère et les personnages plutôt que la violence et l'hémoglobine. 

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Infinity 8 (1/6)

Publié le par Yv

Infinity 8. Romance et macchabées (1/6 et 2/6), Dominique Bertail, Lewis Trondheim, Zep, Rue de Sèvres, 2016.....

Yoko Kunen est agent de police sur un vaisseau spatial en partance vers la galaxie d'Andromède. 880 000 passagers, 257 races et 1583 humains. Yoko scanne tous les mâles qu'elle rencontre pour savoir lequel sera le père de l'enfant qu'elle veut. Lorsque le vaisseau est bloqué par un amas d'artefacts, c'est elle qui doit sortir pour voir de quoi il retourne. 

Tome 1 d'un space opéra (sous-genre de la SF avec des aventures épiques situées dans un cadre géopolitique complexe. Merci Wikipedia) mené par Lewis Trondheim aidé par divers auteurs et dessinateurs de BD. La série se présente en petits fascicules de 34 pages, couverture souple, un comics.

A priori, je ne suis pas fan du genre, la SF et les mondes extra-terrestres, souvent fouillis sont plutôt très agréables à mon œil de non amateur mais je dois dire ici que je me suis régalé. Les personnages sont bien esquissés et se révéleront j'espère dans les tomes suivants, l'humour est très présent et j'aime beaucoup.

Présenté comme -vous le voyez sur la photo- "le space opéra pulp et pop avec des bagarres", il tient ses promesses. J'enfonce le clou en disant que nous sommes plusieurs à l'avoir lu à la maison -dont quelques non lecteurs- et nous attendons tous la suite avec impatience.

PS : j'ai lu également le numéro 2 qui est sorti en même temps -mais que, pour diverses raisons- j'ai mis plus de temps à trouver- peut-être moins drôle, mais l'histoire se met en place, les liens entre les personnages et les enjeux... j'attends la suite.

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La haine en ce vert paradis

Publié le par Yv

La haine en ce vert paradis, Jean-François Bouchard, Ed. Thaddée, 2016....

"La région des Grands Lacs africains dégage un parfum de paradis terrestre. Vingt-cinq millions de Hutus et de Tutsis y vivent répartis entre le Burundi, le Rwanda et la région du Kivu, en république démocratique du Congo. Entre 1959 et aujourd'hui, trois millions d'entre eux, hommes, femmes, enfants ont été massacrés au cours de plusieurs vagues de violences, de guerres et de génocides. (...) La haine, la mort, les trahisons ; les massacres, les dictatures, les prisons... Les racines de cette malédiction remontent à la venue de l'homme blanc, qui a balayé les royaumes ancestraux vivant en paix dans ce jardin d'Eden pour y semer une haine tenace." (4ème de couverture)

Le récit de Jean-François Bouchard est celui d'un homme connaissant bien l'Afrique qu'il a sillonnée pour le compte du Fonds Monétaire International et d'autres institutions. Sa grande force est de mettre à la portée du lecteur une histoire tragique et pas aisée à comprendre tant les intervenants sont divers et nombreux. Mais finalement, tous ont en commun, soit l'intérêt de leur pays soit leur propre intérêt et c'est ce qui les classe dans un camp ou un autre. L'ouvrage remonte au début du siècle précédent lorsque la Belgique prend à l'Allemagne le royaume du Ruanda-Urundi qu'elle avait colonisé à la toute fin du 19° siècle. A partir de 1931 et s'appuyant sur l'ethnologie, une science naissante, les Belges décident de classer les habitants du royaume : les Tutsis, plus grands aux trait plus fins, descendant du Nil et éleveurs, les Hutus plus trapus et peuple local et agriculteurs et les Twas descendants des Pygmées cueilleurs. "A l'image des Aryens en Europe, auto-proclamés race supérieure, car issus d'un peuple germanique du Nord qui se distinguait par sa haute stature, sans doute est-ce du fait de leur morphotype élancé que les Belges eurent la curieuse idée de favoriser les Tutsis au détriment des Hutus, créant en pratique un régime d'apartheid entre ces deux ethnies. Au demeurant, il était incontestablement aventureux de parler d'ethnies distinctes dans les années 1930, tant ces gens qu'on voulait distinguer en les nommant Tutsis et Hutus avaient toujours vécu en symbiose plus ou moins étroite, et en se mélangeant constamment." (p.23) Et voilà, l'homme blanc, fort de ses connaissances et de sa supériorité vient de semer les graines de la haine et de la violence qui ne s'arrêteront plus dans cette région jusqu'à encore maintenant, puisque si le Rwanda semble être apaisé -mais mené d'une façon très autoritaire par Paul Kagame, tutsi, mis en cause dans plusieurs morts suspectes dont celle du président rwandais Juvénal Habyarimana- le Burundi est toujours dans la tourmente notamment très récemment lorsque son président Pierre Nkurunziza a décidé de se présenter à un troisième mandat de président alors qu'ils sont limités à deux.

JF Bouchard parle de tous ceux qui ont essayé de réconcilier Tutsis et Hutus dans les deux pays, le prince louis Rwagasore, Melchior Ndadaye, ... et je vous passe tous les noms des autres, nombreux, qui ont tous finis assassinés. Son livre est passionnant, un peu long sur la fin, peut-être trop détaillé, mais je répète passionnant. Pour peu que vous soyez passés un peu à côté des terribles massacres de 1994 au Rwanda ou que les les ayez suivis mais sans vraiment comprendre pourquoi et comment ces deux ethnies si proches en étaient arrivées là, je vous en conseille très fortement la lecture, qui point par point explique la genèse de la haine et la montée de celle-ci au fond des esprits.

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Un hiver avec le diable

Publié le par Yv

Un hiver avec le diable, Michel Quint, Presses de la cité, 2016.....

Robert est un petit escroc sans envergure. Sa dernière arnaque consiste à faire croire à de jeunes mamans que leur bébé est élu bébé du mois et en échange de quelques billets, il leur "offre" des photos. Mais à la maternité, il ne résiste pas au regard et à la personnalité d'Hortense, jeune mère célibataire. Il se propose même de la raccompagner dans son petit village d'Erquignies, proche de la frontière belge où elle est institutrice. 1953, le nord de la France se remet difficilement de la guerre ; c'est aussi l'année du procès des massacreurs d'Oradour et la guerre en Indochine dans laquelle des garçons du pays sont impliqués. Les tensions un moment enfouies sont ravivées par un incendie qui ravage une ferme du village et tue une famille de quatre personnes. Robert, parce qu'il veut veiller sur Hortense et son enfant et parce qu'il veut connaître le pyromane décide de rester un peu à Erquignies. Il trouve du travail au bistrot, le centre de toutes les discussions.

Une chronique d'un village quelques années après la guerre qui pourrait être banale, sauf qu'elle est raconté par Michel Quint. Il sait comme personne inventer des situations, décrire des personnes avec des secrets bien gardés. Tous les protagonistes ont quelque chose à cacher, les premiers rôles comme Robert et Hortense, mais aussi les seconds rôles et notamment Odette la femme du bistrotier, tous les habitants du village : un passé peu glorieux pendant la guerre, des relations adultères, des trafics en tous genres, des dénonciations, des jalousies poussant à des actes inavouables, ... Bref, aucun personnage n'est tout blanc ou tout noir. Michel Quint ancre son histoire dans cette année 1953 et je dirais même dans cet hiver (janvier/février) qui correspond aux dates du procès d'Oradour. Hortense est alsacienne, comme les accusés, les malgré-nous, qui enrôlés de force dans la division Das Reich de la Wafen-SS furent coupables du massacre, elle est donc si ce n'est suspectée au moins vue par certains d'un mauvais oeil. Ce procès est le centre des conversations pendant tout l'hiver, avec la guerre d'Indochine puisque l'un des garçons du village en est revenu mutilé et un autre y est encore. Puis, ce sont les incendies volontaires qui se succèdent dans les alentours d'Erquignies qui viennent supplanter les autres sujets. A coup d'anecdotes, de noms de politiques, de titres de chansons de l'époque, de noms de journalistes, de personnalités diverses, l'auteur nous plonge définitivement dans cet hiver 1953, dans le nord de la France. Quels beaux personnages dans son roman : totalement crédibles et humains, avec leurs forces et leurs faiblesses, leurs lâchetés et leurs courages... Ils sont tous aimables et antipathiques, bons et mauvais. Tout tourne autour des relations qu'ils entretiennent, une vraie vie de village avec ses amitiés, ses inimitiés, ses ragots, ses jalousies...

Et puis, la grande force de ce roman réside comme dans tous les livres de Michel Quint dans la langue, dans l'écriture du romancier. Il sait construire des phrases très particulières, la virgule là où l'on ne l'attend pas forcément qui nous oblige à ralentir le rythme de lecture voire à revenir en arrière et relire la ou les phrase(s). Il les déstructure, change l'ordre des mots, fait suivre dans une même phrase une description et une remarque d'un personnage sans nous prévenir -à nous de faire avec et de s'y retrouver. Cette construction donne assurément un style, pas toujours simple, mais d'une grande beauté. Un style entre l'oral et le descriptif, très personnel, qui personnellement me ravit. Il m'oblige -comme je le disais plus haut- à prendre mon temps, à prendre plaisir à lire tous les mots, dans l'ordre voulu par l'auteur. Michel Quint n'écrit pas tout son livre de cette manière, il est parfois plus classique, ce qui permet de lire certains passages plus vite et de surtout ne pas prendre l'habitude de ses phrases si particulières et donc de s'y arrêter un peu plus longtemps, comme s'il voulait nous les faire remarquer.

"Madame Bonnard appelle Alain dans le vestibule, on hurle des horaires de cours en fac, de TD annulés, de rendez-vous avec des copains, de refus de se laisser conduire à Lille, de recherche de tickets pour le bus Bolle, on cavalcade dans l'escalier, Jacqueline passe le nez, entre, virevolte de queue-de-cheval et de jupe new-look, une vraie fausse ingénue de calendrier pour routiers, vient jeter quelques magazines sur la table basse. Bonjour, elle voit Roland, considère le nourrisson, lui fait un guili dans un immense sourire, elle est belle ainsi, Jacqueline, qu'est-ce qu'il est mignon..." (p.159)

Qui pourrait résister à ça ? Pas moi.

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Les vrais héros ne portent pas de slip rouge

Publié le par Yv

Les vrais héros ne portent pas de slip rouge, Axel Sénéquier, Quadrature, 2014...

Ce recueil contient une douzaine de nouvelles. Toutes ont en commun de parler de gens simples et normaux, qui, à un moment donné, pour beaucoup d'entre eux agissent d'une manière totalement étonnante. Voici mes préférées :

Avant-première : Jean-Claude, vigile, fan de films d'action étasuniens a la chance et le privilège d'assister à l'avant-première du dernier film de Steven Seagal. Mais l'irruption de gangsters dans la salle va changer la physionomie de la soirée.

La source et l'estuaire : Lindsay se prépare à sa course, celle qui va le consacrer, mais en attendant celle-ci, derrière les starting-blocks, il s'allonge et des images surviennent en lui.

Mille étoiles et un soleil : Augustin vit à Djibouti, il a sept ans et sa copine Héloïse est très malade, elle vient d'être opérée et il va lui rendre visite à l'hôpital.

Pour commencer mon billet,  je vais émettre une réserve qui vaut pour plusieurs nouvelles. Axel Sénéquier écrit des histoires dites "à chute", c'est bien, mais lorsque celle-ci est prévisible, le plaisir du lecteur est quelque peu émoussé. L'exercice est difficile et le lecteur sans pitié lorsque la chute censée être le clou de l'histoire tombe à plat, sans effet. Reste à travailler encore les chutes ou bien à écrire des nouvelles sans chute, des bouts de vie, ce qui, je l'avoue, est, dans la nouvelle, mon genre préféré. Néanmoins, ce qui sauve l'auteur -lorsqu'il est magnanime, le lecteur saura même lui pardonner-, c'est que les pages qui précèdent sont très agréables. Les personnages sont travaillés, les relations entre eux également et leurs forces et faiblesses apparaissent nettement, leur donnant un vrai caractère, ce qui n'est pas toujours évident dans la nouvelle. 

Mes trois nouvelles préférées se détachent du recueil, pour l'humour dans Avant-première, ce décalage entre la vraie vie et les films d'action quand même assez loin du quotidien. Jean-Claude est un type sympa, un peu lourdaud qui ne pense qu'à vivre comme ses héros et n'a que cela en tête. La source et l'estuaire est beaucoup plus profonde, très belle en écriture et l'on entre dans l'espace de quelques pages dans le plus intime de Lindsay, c'est remarquablement fait. La nouvelle est plus elliptique, plus onirique bien qu'ancrée dans la réalité. Mille étoiles et un soleil est basée sur la maladie d'un enfant et sur une très belle légende racontée par le jardinier de l'ambassade, Babacar. Je ne sais pas si cette légende existe ou si elle sort du cerveau d'Axel Sénéquier, mais elle est formidable et rend cette nouvelle irrésistible. Que me restera-t-il de ces histoires ? Je ne sais pas, mais la lecture du recueil est agréable et fait passer de bons moments. 

Belle découverte que ce recueil au titre évocateur qui résume bien le contenu : des gens simples qui à un moment donné, agissent d'une manière étonnante.

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Les oiseaux de Paul Géroudet

Publié le par Yv

Les oiseaux de Paul Géroudet, illustré par Jean Chevallier, Delachaux et Niestlé, 2016.....

Paul Géroudet naît en 1917 à Genève. Instituteur, il enseigne pendant plus de vingt ans, mais continue de s'adonner à sa passion de la nature et des oiseaux apparue dès ses quinze ans. Totalement autodidacte, il deviendra l'un des plus grands ornithologues francophones et donnera l'envie à beaucoup de le suivre dans cette voie. Ce beau livre est un hommage à Paul Géroudet décédé en 2006 : il comprend une biographie, un interviouve, des hommages et une publication de ses textes poétiques sur les oiseaux illustrés par Jean Chevallier.

Très beau livre pour qui s'intéresse aux oiseaux, les illustrations sont superbes et les textes de Paul Géroudet également : de vrais poèmes en prose qui parlent des oiseaux, de la manière dont il les a vus, photographiés, des environs, du temps, des paysages. Une ode à la nature et aux oiseaux. Je me suis plus particulièrement attardé sur cette grosse partie, magnifique qui parle des oiseaux que l'on peut voir dans nos jardins (rouge queue, chardonneret, sitelle torchepot, mésange, ...) et d'autres que l'on voit moins souvent (aigle royal, grand duc, ...)

On en apprend également plus sur la vie de Paul Géroudet qui la consacra à écouter, photographier, répertorier et même à "écrire" le langage des oiseaux. Son œuvre est vaste et reconnue, publiée chez Delachaux et Niestlé qui font paraître là, un ouvrage absolument superbe.

En prime, et parce que je sais que ça fera plaisir, n'hésitez pas à écouter les "chanteurs d'oiseaux" (Jean Boucaut et Johnny Rasse) que j'ai découverts dans les émissions de Jean-François Zygel et qui, à chaque fois me ravissent 

 

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La mort nomade

Publié le par Yv

La mort nomade, Ian Manook, Albin Michel, 2016.....

Yeruldelgger n'est plus flic. Viré parce que trop dérangeant et violent. Il s'est isolé dans la steppe, dans sa yourte pour tenter de retrouver les valeurs traditionnelles, canaliser sa violence et participer à un naadam en tant qu'archer. Bientôt, Tsetseg, une femme de son âge s'approche de sa yourte et lui demande de retrouver sa fille disparue. Puis c'est au tour d'Odval, une jeune femme dont l'amant français est mort et sa yourte brûlée, de venir chez Yeruldelgger pour demander de l'aide. Le lendemain, c'est Ganbold, un gamin des steppes qui se présente chez l'ex-flic pour lui montrer un charnier. Et Yeruldelgger qui voulait de la tranquillité pour méditer se retrouve à la tête d'une troupe étonnante.

Du changement dans la continuité pour Yeruldelgger. De la continuité, parce qu'il est toujours question dans cet excellent polar de la société mongole écartelée entre la tradition représentée par les nomades et la plus grande modernité sous les traits des hommes et femmes qui ont "réussi". Les nomades résistent, difficilement certes, puisque les steppes diminuent, fouillées, creusées, remblayées, défigurées par les exploitants miniers étrangers. Certains urbains reviennent même au mode de vie de leurs ancêtres, ceux que Ian Manook appelle les bonos (bourgeois nomades), Yeruldegger en tête et Tsetseg. Mais les nomades ont quasiment disparu, étouffés par l'ancien régime qui ne voulait plus des traditions ancestrales. Du changement parce que Yeruldelgger n'enquête pas, les affaires arrivent à lui et il se contente de les attirer et de faire le lien entre elles, involontairement : c'est lui qui permettra de relier entre eux tous les morts de la steppe et les disparitions de jeunes femmes. Il n'est plus flic, n'en a plus envie même s'il a gardé d'anciens automatismes, mais il lutte durement avec lui-même pour ne plus céder à la violence. 

Ce sont donc d'autres flics qui vont se charger d'enquêter un peu partout dans le monde tant les intérêts financiers sont désormais internationaux ; en Australie, aux États-Unis, au Canada et en France où l'on retrouvera avec plaisir Zarzavadjian dit Zarza, le flic-barbouze ami de Yeruldelgger. Le roman est toujours dur comme l'est la société mongole décrite par Ian Manook, la violence y est omniprésente, la corruption, toutes les magouilles possibles et imaginiables -voire même des inimaginables-, l'extrême pauvreté côtoie la plus indigne richesse ; mais cette fois-ci, ce n'est pas Yeruldelgger qui est à l'origine du déferlement de fureur. Ian Manook apporte beaucoup d'humour grâce aux enquêteurs extérieurs -parce que Yeruldelgger il faut bien l'avouer n'est pas franchement un comique. Le duo le plus drôle est le new-yorkais, Pfiffelman et Donelli qui s'affrontent à coup d'informations diverses et variées sur l'origine de la ciboulette, la vraie recette du cheesecake, ... Les autres ne sont pas mal non plus, l'humour est parfois direct, d'autres fois à lire entre les lignes, l'ironie est bien là, présente dans le name-dropping (le "lâcher de noms") de marques, importantes pour ceux qui veulent paraître. 

J'ai eu peur de ne pas aimer ce dernier opus puisque son héros récurrent -qui m'a fait grand effet depuis le début- est en second plan, or, j'ai adoré, je vais même tenter de rester sobre pour ne pas sombrer dans un dithyrambe qui ne le servirait pas, mais sachez quand même qu'une fois ouvert, ce roman est impossible à lâcher, vous l'emporterez partout avec vous. Sans rien vouloir dévoiler, je peux dire que c'est sans doute mon tome préféré des trois déjà parus (mais, je dis cela sous toute réserve, car si je relisais les deux premiers, peut-être je réviserais mon jugement). Je le trouve beaucoup plus fort, il va encore plus loin dans le constat de la société mongole qui part à vau-l'eau sans que personne ne réagisse sauf pour piller ses richesses. Je ne sais pas ce qui est de la réalité et de la fiction, mais traduit en mongol, je ne suis pas sûr que ce livre plaise aux dirigeants du pays... Je ne sais pas si Yeruldelgger reviendra pour une autre aventure -ou alors totalement changé, soit une sorte d'enquêteur-nomade, soit encore plus énervé qu'avant-, je ne parierais pas sur son retour ; j'en serais désolé, mais dans le même temps, il se dégage de ce troisième tome une telle atmosphère, un tel sentiment de boucle bouclée, une telle force, que finir dessus me paraîtrait presque naturel.

Cette troisième aventure de Yeruldelgger pourra dérouter pas mal de lecteurs, tant je la trouve différente des autres, et c'est exactement cela qui me plaît : ne pas réécrire sans cesse le même roman, changer tout en gardant l'essentiel. 

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Avenue nationale

Publié le par Yv

Avenue nationale, Jaroslav Rudis, Mirobole, 2016 (traduit par Christine Laferrière)...

Vandam est peintre en bâtiment. Il doit son appellation à sa passion pour JC Vandamme et pour la pratique du sport : deux-cents pompes par jour répète-t-il. Vandam est un ancien toxico et taulard qui a participé à la révolution de velours de 1989, celle qui a doucement extrait la Tchécoslovaquie du bloc communiste de l'est. Vingt-cinq ans plus tard, amoureux de Lucka la serveuse du bar dans lequel il passe beaucoup de temps, il parle de tout, de son fils qu'il ne voit presque plus, de la révolution, de l'Europe, de Hitler, déverse des considérations poilitico-philosophiques tirées de ses expériences. 

 

Ce qui marque avant toute chose, c'est le style de l'auteur. Résolument moderne et oral. Brutal parfois, direct et poétique. J'ai peu de références en la matière, mais je le rapprocherais d'un écrivain étasunien dont j'ai lu quelques livres, Larry Fondation (ici, ici, et). C'est âpre, rugueux et ça dérange. Heureusement que le livre est court et aéré, 500 pages du même calibre et j'aurais sans doute abandonné, mais je dois dire que le rythme, le style, et l'énergie qui se dégage m'ont largement tenu jusqu'au bout. 

Ce sont les propos et la vie d'un homme qui a sans doute eu de l'espoir en 1989 et qui n'en a plus. Il a toujours vécu dans le lotissement préfabriqué, n'en est que peu sorti et n'espère plus grand chose de la vie. Les espoirs sont derrière lui, oubliés avec la came et la taule. Lorsqu'il parle avec ses copains de boisson, on se rapproche des brèves de comptoir, qui parfois sont plus profondes qu'il n'y paraît : "Quand t'es jeune, tu détestes ton père. Et plus tu vieillis, plus tu lui ressembles. Et pour finir t'es la même brute que lui. La vie, c'est rien que des mystères cosmiques, pas vrai ?" (p.85)

Voici donc la vie d'un néoextrémiste, mal dans sa peau, violent et irritable. Un type ordinaire totalement perdu dans le monde contemporain qui va trop vite pour lui. Il sait d'où il vient, mais tout a tellement changé vite qu'il ne sait plus où il est, où il va et ce qu'il va transmettre à son fils. Alors, il transmet ce qu'il connaît bien : la peur de l'autre, la violence : frapper avant de se faire frapper. Pour lui la paix n'est qu'une période entre deux guerres. Il s'inscrit totalement dans la montée des fanatismes et des extrémisme à laquelle on assiste depuis plusieurs années un peu partout en Europe, en France itou, puisque nous avons l'un des -sinon le- partis d'extrême droite le plus fort. 

Jaroslav Rudis met tout cela en mots très brillamment. Vandam n'est pas tout noir, ce serait trop facile.  Il n'est pas vraiment fréquentable, certes, il est perdu, largué. La lecture est dure mais belle et rapide, et si certains passages sont un peu longs, eh bien on les passe vite pour se retrouver quelques pages plus loin. 

Mirobole m'a habitué à des textes forts, barrés, décalés, ce roman ne déroge pas à cette règle. Dérangeant et pas confortable. Bonne pioche pour la maison d'édition.

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Mes plus belges années

Publié le par Yv

Mes plus belges années, Mathieu Ortlieb, auto-édition, 2016.....

Mathieu Ortlieb est réalisateur, documentariste. Il a participé pendant dix ans à l'émission devenue culte -et pourtant disparue des écrans- Strip tease. L'émission débarque de Belgique en France au mitan des années 1990, et pour beaucoup c'est un choc. On n'est pas habitué à un tel ton, à de tels reportages, sans voix off, simplement portés par les images, les personnes filmées et leurs propos. Mathieu Ortlieb sent qu'à travers cette émission il pourra s'exprimer et laisser libre cours à ses envies. Il fera tout pour intégrer l'équipe.

 

Je me souviens de ma première impression à la vue de cette émission totalement originale pour l'époque. Je me souviens encore de quelques personnages totalement barrés ou décalés, de ses images qui pouvaient paraître volées ou montées de manière particulière. Comme beaucoup, je suis passé par le stade où je pensais que c'était un peu trash, une émission pour voyeurs, parce qu'on nous montrait quand même des gens particuliers, originaux... Et puis, entre les périodes où je regardais régulièrement strip tease, assidument même, et celles où je ne la regardais presque plus -de fait, je ne regardais presque plus la télévision-, celles où je la regardais de nouveau pour finir par l'oublier, au hasard des horaires de programmation, il me reste de cette émission, une image d'humanité, parce que les personnes hors normes qui y étaient présentées étaient avant tout humaines. C'est là-dessus qu'insiste Mathieu Ortlieb. Sur le temps qu'il lui faut en repérages et donc en relation avec ses "sujets", sur la confiance réciproque entre le réalisateur et les personnes filmées, jamais à leur insu. On n'acquiert pas cette confiance en claquant des doigts et plusieurs semaines de repérages étaient nécessaires et parfois, au bout de ces journées, le sujet s'avérait impossible à tourner.

Mathieu Ortlieb parle des rencontres les plus marquantes : Dr Lulu un faux-sdf et faux-médecin, ou encore ce couple de bourgeois de Neuilly (pléonasme ?) qui déménage après avoir vendu son hôtel particulier... Beaucoup d'autres encore qui vous donneront l'envie d'aller les voir (sur Youtube, on trouve très aisément). Mathieu Ortlieb parle aussi des relations avec les créateurs de l'émission, Jean Libon et Marco Lamentsch, pas toujours faciles d'abord et avec lesquels il n'est pas toujours en phase, mais qui tenaient leur émission avec des choix de reportages souvent décapants. 

Strip tease s'est arrêté en 2012, j'avoue avoir quasiment cessé de la regarder avant cette date, sauf un ou deux films de temps en temps... Cependant, après avoir revisionné des sujets sur la chaîne youtube strip tease officiel, je me sens d'humeur à en regarder encore beaucoup d'autres et même à signer pour son retour à la télé.

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