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L'anatomiste

Publié le par Yv

L'anatomiste, Marilyne Fortin, Terra Nova, 2016...,

1524, Blaise, jeune garçon doué pour le dessin est exploité par son père qui vend ses productions sur le marché, ce qui rapporte parfois assez pour manger une journée. Son père, Elzar est violent, il utilise ses enfants pour mendier et aller boire ou jouer l'argent récolté. Un jour, Blaise est repéré sur le marché par un peintre renommé, Maître Battisto. Celui-ci l'achète à son père pour en faire son apprenti. Blaise respire enfin et peut se vouer à ce qui lui plaît le plus, dessiner, peindre. 1539, Battisto meurt et Blaise n'a d'autre choix que de se mettre au service du méprisant Gaspar De Vallon, chirurgien qui veut écrire le meilleur traité d'anatomie et s'adjoint donc un dessinateur talentueux. La même année, Marie-Ursule, jeune prostituée qui vit aux Halles avec sa mère charme Blaise et De Vallon.

Belle surprise que ce roman qui se déroule dans la France de la Renaissance. De cette période, on garde souvent en tête, François 1er, Léonard de Vinci évidemment, mais il est bon de se remémorer que les temps sont durs pour le peuple, que beaucoup de Parisiens vivent dans des taudis, mendient pour vivre, se prostituent et qu'ils ne réussissent qu'à survivre dans ces conditions terribles. La médecine n'est pas encore au top, mais elle s'intéresse de près à l'intérieur du corps, d'où ces anatomies parfois publiques auxquelles le public vient nombreux : "Blaise n'avait jamais imaginé qu'une anatomie publique puisse attirer une foule aussi dense. On avait fermé les portes depuis quelques minutes seulement et déjà l'atmosphère s'alourdissait. La chaleur des corps, des torches et des nombreuses bougies eut tôt fait d'emplir la pièce et Blaise remarqua avec satisfaction qu'il avait cessé de frissonner." (p.109)

Marilyne Fortin agrémente sa plongée dans le Paris populaire de ces années-là d'une histoire d'amour qui naît dans des conditions très particulières et vouée à l'échec sauf si... mais je ne vous en dis pas plus pour ménager le suspense. Ce roman est bien agréable si l'on fait fi des coquilles qui l'émaillent. Néanmoins, j'aurais aimé plus de concision -pas d'incision, il y en a assez- non pas que les séances de découpes des corps soient insoutenables, mais plutôt répétitives. A moins, on comprend très bien... Basé sur un fait historique, un traité anatomique, De humani corporis fabrica paru en 1543 et illustré de gravures anonymes, le roman de Marilyne Fortin est un très bon roman d'aventures avec des personnages attachants et fort bien décrits tant dans leur aspect physique que dans leurs pensées, réflexions et tourments. .

Publié en 2014 au Québec, sous le titre La fabrica, les éditions Terra Nova ont la très bonne idée de publier ce texte en France, vraiment, je le redis, une belle surprise.

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Le Carré des Allemands

Publié le par Yv

Le Carré des Allemands. Journal d'un autre, Jacques Richard, La Différence, 2016...

"C'est un portrait double que dresse en cinq carnets brefs celui qui dit "je" dans cet étrange et envoûtant roman. Le fils parle de son père : "Qu'a-t-il fait à la guerre, Papa ? -Il s'est engagé à dix-sept ans. Il ne faut pas parler de ça." Et à travers le père, le fils parle aussi de lui : "Tous ces moi que je suis, enchâssés l'un dans l'autre depuis le tout premier." (4ème de couverture)

Déprimés, passez votre chemin, ce roman est fait pour qui va bien et ne redoute pas d'explorer les tréfonds des âmes des coupables d'atrocités. Lecture exigeante donc. D'abord par le thème : le père s'est engagé à dix-sept ans dans les Waffen SS pour échapper à une vie de misère et de violence, plus que par attachement aux idées nazies. Cet engagement était pour lui l'occasion de se sortir de son état ; sans doute y aurait-il eu une autre opportunité dans d'autres armées puissantes l'aurait-il choisie ? C'est l'aventure et le corps militaire en temps de pré-guerre qui l'attiraient : la violence, la mort, l'adrénaline, ... Mais ce fut la Waffen SS, puis ensuite d'autres choix tout aussi discutables, toujours les conflits, toujours la violence pour échapper à sa vie : "Il fuyait. Je crois qu'il n'arrivait pas à faire autrement. Je vous ai dit, il y en a qui ne savent pas comment faire autrement. Ils ne trouvent pas leur place. Et nous, encore une fois, nous ne sommes pas à la leur. Pour eux, revenir n'a pas de sens. Pour quoi faire et pour qui ? Et quel visage montrer à ceux qui sont restés et qui ont attendu ? La honte est leur histoire. Ils s'en vont de partout. Il n'y a pas d'endroit dont ils ne doivent partir." (p.59)

Le fils a du mal à se construire avec une telle image du père, il le cherche dans des photos, dans les souvenirs de parents éloignés ; il s'isole, ne parvient pas à s'intégrer à des groupes, à lier des relations durables trop occuper à tenter de répondre aux questions que lui pose le passé de son père : "Nous sommes dans un jeu de miroirs, de fragments où personne ne se voit tout entier. Mais à tenir les autres à distance, c'est moi-même que j'enferme. Les autres sont mes barreaux." (p.15) Comment doit-il l'intégrer dans sa vie ? Comment en parler ou ne pas en parler ? Comment vivre tout simplement en sachant qu'on est le fils d'un salaud, d'un type qui a tué et violé, certes en temps de guerre, mais tout de même ces crimes sont terribles ?

Et le père d'intervenir comme s'il relatait dans un courrier les atrocités commises par son unité, son dégoût, voire ses actions pour empêcher des exactions, preuve qu'il n'était pas un vrai salaud ou qu'il n'était pas que cela.

C'est un récit lourd, plombant, dur et profond. Jacques Richard parvient à une profondeur rarement atteinte en littérature contemporaine. Son style sec fait de phrases courtes, directes n'y est sûrement pas pour rien. De l'écriture "à l'os" disais je ne sais plus qui, c'est un qualificatif que l'on peut reprendre pour ce roman : il va au plus profond des âmes, des esprits, des questionnements sans se soucier du dérangement et du malaise des personnages voire des lecteurs.

Un roman fort et puissant, intense, pour lequel il faut se ménager du temps et de la distraction entre deux carnets. On peut parfois s'y perdre si on le lit d'une traite, même si c'est tentant puisqu'il ne fait que 142 pages. Enfin, 142 pages qui vous remueront plus que n'importe quel best-seller -on me pardonnera j'espère cet anglicisme- de telle ou telle rentrée littéraire.

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Popa Singer

Publié le par Yv

Popa Singer, René Depestre, Zulma, 2016.....

Richard Denizan revient en Haïti en 1958 avec sa femme Dito, après douze années passées en France à étudier. Depuis un an François Duvalier est à la tête du pays, plus connu sous le nom de Papa Doc. François et Richard se connaissent depuis l'enfance, aussi Papa Doc demande à Richard de prendre un rôle important dans son gouvernement, ce qu'il refuse. C'est alors le début de gros problèmes pour lui et sa famille, mais aussi pour le pays entier qui subit viols, massacres et tortures de la part de la garde rapprochée du dictateur, les tontons macoutes.

Popa Singer, c'est un diminutif de Popa Singer von Hofmannstahl, née sous le nom de Dianira Fontoriol, haïtienne de Jacmel, mère de Richard Denizan, le narrateur, double de René Depestre. Pourquoi ce surnom ? C'est un peu long à expliquer et René Depestre le fait tellement mieux que moi, disons que le Singer est lié à la machine à coudre et non au vocable anglais et qu'il faut donc le dire à la française, "Popa Singère". C'est dans la maison de Popa Singer que se regroupent les frères et sœurs et beaux-frères de Richard. Elle est couturière mais est aussi habitée par un loa (esprit mythique vaudou) qui la fait entrer en transe et deviner des événements du futur. Une femme forte, veuve de bonne heure qui est le ciment de cette famille.

1958 est une année particulièrement violente en Haïti, Papa Doc doit asseoir son pouvoir et ne rechigne pas à faire tuer tous ceux qui se mettent sur son passage ; cette année-là : tentative de coup d'état, état de siège, élimination des gens soupçonnés de trahison envers lui, enfin, tout passe et notamment la création officielle des tontons macoutes tristement célèbres.

Je ne connaissais René Depestre que de nom, aussi suis-je allé me renseigner sur sa vie son œuvre et je m'aperçois que ce livre est en fait sa vie, Richard Denizan, c'est lui. Aujourd'hui âgé de 90 ans, René Depestre vit en France. Son récit serait amusant s'il n'était tragique. Ubuesque, c'est le mot qui convient. Papa Doc est une espèce de père Ubu comique, ridicule, totalement centré sur lui-même. Ses sbires ne valent pas mieux. La langue dont use rené Depestre est un bonbon à déguster, à laisser fondre, argotique, grossière, recherchée, poétique, empreinte des croyances et des us du pays, néologique :

"Tu voudrais dire, fis-je, que nous vivons nos iniquités sociales et les fléaux naturels comme des phénomènes également magiques ; le tonton-macoutisme d'État, la papadocratie vitam aeternam, la satrapie, créole ou bossale, le carnaval politique auraient la même origine surnaturelle que les pluies et les vents qui dévastent les plantations de bananes ?

- Oui, dit Dianira Fontoriol, la négritude totalitaire à la Papa Doc est la chiennerie cosmique des sorciers de la barbarie." (p.89)

Un pan de la vie de l'auteur et de son pays magnifiquement raconté, avec en prime des réflexions sur le totalitarisme, le racisme, la révolution, la résistance, l'indignation, la résignation et le refuge dans le vaudou et les croyances traditionnelles. Un texte important qui m'a permis de remettre à jour ce que je connaissais de l'histoire de Haïti, de lire une langue fraîche qui m'a laissé sans voix. Admirable !

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La guerre des prouts

Publié le par Yv

La guerre des prouts, Wiaz, La Différence, 2016.....

M. Rabotin, le notaire du village de Boutignac n'en peut plus, il se sent harcelé par les trois petits fantômes farceurs et péteurs : Prouti, Prouta et Rototo. Et comme il reçoit très bientôt la visite d'Edmée de Tartemolle, une femme bien comme il faut qu'il espère bien séduire, il demande à Monsieur Potiron comment se débarrasser des importuns. Ledit Potiron, Saturnin de son prénom lui donne une technique qui peut se révéler à double tranchant. Les garnements ectoplasmiques n'aiment pas les pets des autres.

Très drôle cet album illustré, le cinquième de la série Les aventures du fantôme qui pète. Évidemment, ça ne vole pas haut, mais ça fait rire grands et petits, et puis ils sont si marrants et attachants tous ces gens, tant Prouti, Prouta et Rototo que M. Rabotin, bien embêté car Edmée (je ne peux pas évoquer ce prénom sans penser au pétage de plomb de Louis de Funès dans Hibernatus) est une femme bien sous tout rapport et qui n'acceptera aucun débordement surtout gazeux. Saturnin et Emma Potiron connaissent bien les fantômes du village, ils les ont sûrement rencontrés dans les ouvrages précédents.

Léger, très joyeux, dessins colorés et drôles (la couverture en est une belle illustration). Une histoire à raconter aux petits, que Wiaz dédicace à son petit-fils, parce que les histoires de pets ça fait rire, les histoires de fantômes aussi (lorsqu'elles sont pour les enfants, bien entendu) donc, les deux genres cumulés, ça fera rire également. En tous les cas, sur moi, ça fonctionne !

Dans un autre genre, j'ai déjà chroniqué un livre de Wiaz sur le blog, Môaaa Sarkozy

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Les âmes et les enfants d'abord

Publié le par Yv

Les âmes et les enfants d'abord, Isabelle Desesquelles, Belfond, 2016....,

Déambulant à Venise, voulant entrer dans la basilique, une femme découvre là, sur le sol, un paquet de chiffons ressemblant à une forme humaine. C'est une mendiante, en plein froid, seule, une main paume ouverte sort de ce tas de guenilles. La visiteuse qui elle tient la main de son jeune fils ne pourra se défaire de cette image de la misère et trois ans plus tard c'est elle qu'elle invoque, cette mendiante lorsqu'elle écrit ce texte. Elle est revenue dans sa ville, a repris ses habitudes notamment celle d'emmener son fils à l'école, et comme dans chaque grande ville, quotidiennement, elle se heurte aux SDF, aux mendiants. C'est à cette mendiante de Venise qu'elle s'adresse directement, l'appelant Madame.

Ce texte ne ressemble pas à un roman, on imagine très bien Isabelle Desesquelles avoir rencontré elle-même la mendiante de Venise et tous les autres ensuite, dans sa vie quotidienne. Mais de fait, nous sommes tous confrontés à la rencontre de la misère dans nos rues. Comment réagissons-nous ? Comment cette misère étalée devant nos yeux, devant ceux de nos enfants nous touche ? Quelles sont nos stratégies, nos excuses pour ne pas donner d'argent ou pour ne pas voir ces gens qui mendient ?

Ce qui est bien dans ce texte, c'est que la narratrice ne se barde pas d'excuses, elle n'a pas d'indulgence pour elle-même : "Sur la pauvreté, je n'en sais ni plus ni moins que les autres. Je l'ai croisée, je ne l'avais pas remarquée ou alors c'était sans rien y trouver de remarquable, je ne m'y arrêtais pas. Avec moi, l'angélisme n'est pas de mise ; quand un mendiant me réclame une somme précise, je la convertis en francs et l'envie de lui donner me passe aussitôt, si tant est que je l'ai eue." (p.17) C'est aussi ce qui ne met pas à l'aise, car avouons-le, tous nous avons été -et le sommes encore sûrement- gênés devant la mendicité : donner ? ne pas donner ? pourquoi à cette personne et pas à l'autre ? Pour finalement ne donner à personne. Isabelle Desesquelles ne donne pas de réponse, évidemment, elle ne juge pas, elle se pose exactement les mêmes questions. Son texte est un cri de peur, de désespoir, d'impuissance, de désarroi, de mal-être. Elle doit tous les jours répondre aux questions de son enfant et penser à son avenir qu'elle imagine plus sombre que nos jours actuels. Alors, elle en appelle à la littérature parce que c'est son moyen de se ressourcer, de réfléchir, de tenter de comprendre le monde : Andersen et La petite fille aux allumettes, Emily Brontë et son poème, Ce n'est pas une lâche que mon âme et surtout Victor Hugo et Les Misérables dont certains passages reproduits dans ce livre sont cruellement actuels, bien qu'écrits il y a plus de 150 ans.

Et la narratrice de poursuivre sa réflexion qui part dans beaucoup de directions, comme nous le ferions nous-mêmes : la richesse mal partagée et ces robes qui valent le prix d'une maison, ces voitures de luxe qui tardent à être livrées tant il y a de demande, alors que devant les devantures des revendeurs des SDF font la manche, ces gens bourrés de pognon qui ne pensent qu'à s'acheter la dernière paire de chaussure à la mode parce que "Il faut bien s'habiller, non ? La loi l'impose. Nue, on va en prison" (p.49, réponse d'une riche héritière non citée à un journaliste), ... Dans un court chapitre qui débute par un "Elle est où l'humanité ?", beaucoup de phrases choc, des évidences à dire et redire, à asséner pour ne pas devenir insensible et "habitué" à la misère : "Quand il s'agit de vous porter secours, on n'a rien dans le ventre. Elle est où, l'humanité, dans la blonde qui rallie les suffrages avec des éructations en guise de programme : "Combien de Mohamed Merah dans les bateaux et les avions qui arrivent chaque jour en France ?" Au même moment, un Afghan, un Syrien, un Somalien, un Kurde, un du monde entier coule à pic au large des côtes européennes." (p.50/51)

Je vais m'arrêter là mais je pourrais continuer de longues lignes encore, tellement ce texte est bouleversant et dérangeant, il vient nous titiller sur nos points faibles, sur notre part d'humanité sans jamais nous juger, juste nous questionner. Un livre court (110 pages) et fort intelligent que je vous recommande très chaudement.

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Hérétiques

Publié le par Yv

Hérétiques, Leonardo Padura, Métailié, 2015 (traduit par Elena Zayas)...,

2007, Mario Conde est engagé pour retrouver un tableau de Rembrandt, mis en vente à Londres et volé à des juifs en exil avant la seconde guerre mondiale. En 1939, ce tableau aurait dû permettre à la famille de Daniel Kaminsky de descendre du paquebot S. S. Saint Louis, parti de Hambourg avec à son bord presque mille juifs quittant l'Allemagne ; malheureusement, ils ne seront jamais autorisés à quitter le bord et le paquebot repartira vers l'Europe. Retour en 2007 où Elias Kaminsky, fils de Daniel, veut faire le point sur le trajet de ce tableau, censé n'avoir jamais quitté le paquebot et pourtant qui est resté longtemps à Cuba avant d'être mis en vente. Leonardo Padura décrit également l'Amsterdam des années 1640, celle de Rembrandt et de son atelier foisonnant.

Quel roman, les amis, quel roman ! Leonardo Padura nous promène dans les rues de La Havane, puis dans celles d'Amsterdam du 17° avec autant de verve. Extrêmement documenté, c'est un pavé qui se lit avec avidité. Construit en quatre parties : Le livre de Daniel, Le livre d’Élias, le livre de Judith et Genèsee, références bibliques obligent. Je dois vous dire que malgré mon plaisir de retrouver Mario Conde, j'ai senti beaucoup de lourdeurs et de longueurs dans ce roman. Les deux seules parties qui m'ont vraiment intéressé sont celles ou Conde enquête (Le livre de Daniel et Le livre de Judith). Celle qui concerne Rembrandt (Le livre d’Élias) m'a paru très longue, et j'y ai passé beaucoup de paragraphes sans que cela ne nuise à ma bonne compréhension de l'intrigue du roman. Je reste persuadé que l'on peut aimer et même conseiller un livre alors qu'on ne l'a pas lu en entier, surtout celui-ci qui aurait pu faire trois livres différents, édités individuellement.

Mario Conde est né au mitan des années cinquante, juste avant la révolution, il n'a donc connu quasiment que le règne de Castro dans lequel la religion était interdite. C'est pourquoi, il se pose énormément de questions sur la croyance religieuse. Ses recherches le feront rencontrer des juifs pratiquants, des non-croyants, d'autres qui reviennent à la religion après l'avoir quittée, puis dans la troisième partie, des jeunes gens en recherche d'identité, émo, rockeurs, ... qui amalgament toutes leurs lectures et leur éducation et ressortent le tout en un galimatias à peine compréhensible de croyance en la mort de Dieu (ce qui tendrait à penser qu'il a existé), au bouddhisme, à la métempsycose, ... : en bon athée (comme Conde), ce ne sont pas des questions qui me taraudent, loin de là, et là encore, j'ai sauté des passages longs et répétitifs. Néanmoins certaines phrases m'ont bien plu : "Parce que , ces jours-ci, certaines choses m'ont fait penser que c'est plus facile de croire en Dieu que de ne pas y croire... Tu te rends compte, si Dieu n'existe pas, aucun Dieu, alors que les hommes se sont toujours détestés et entretués pour leurs dieux et pour la promesse d'un au-delà meilleur... si, en vérité, il n'y a ni Dieu, ni au-delà, ni rien.." (p.501) A écouter aussi, la chanson de Souchon, Et si en plus y'a personne.

J'ai été par contre beaucoup plus intéressé par les questionnements de Conde sur son pays qui change en s'ouvrant mais pas forcément pour un mieux-être des Cubains, la jeunesse est en perdition, ne rêve que d'argent facile et de rejeter tout ce que leurs aînés ont avalé pendant cinquante ans. De même les doutes de Conde quant à son engagement auprès de Tamara la femme qu'il aime depuis vingt ans sont intéressants et attendrissants de la part de ce cinquantenaire habitué aux situations difficiles et très emprunté devant la femme qu'il aime.

Ce roman absolument fou et flamboyant recèle des trésors, même s'il contient également des obstacles. Leonardo Padura a mis trois ans pour l'écrire, mais étant donné l'érudition, la qualité du style et des informations apportées, nul ne saurait s'en étonner. Très bonne lecture, même si pour moi, elle reste très en-deçà d'un de ses romans précédents, excellentissime, L'homme qui aimait les chiens.

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Les mauvaises gens

Publié le par Yv

Les mauvaises gens. Une histoire de militants, Étienne Davodeau, Delcourt, 2011.....

Étienne Davodeau raconte la vie de militants de ses parents, Maurice et Marie-Jo. Habitants des Mauges, cette région sud-ouest du Maine-et- Loire, ils y sont nés, y ont travaillé et y ont élevé leurs enfants. Région très fortement catholique encore sous la coupe de l'église et des notables au mitan du siècle dernier, certains habitants se dresseront contre cet état de fait et rejoindront la JOC (Jeunesse Ouvrière Chrétienne) puis l'ACO (Action Catholique Ouvrière) et la CFDT et parfois le PS et le PC. Étienne Davodeau raconte et dessine ces combats de tous les jours pour la cause ouvrière.

Roman graphique sans doute plus que bande dessinée, disons qu'Étienne Davodeau écrit et dessine là un reportage sur quarante années de vie de ses parents entre le début des années 40, leur naissance jusqu'à 1981, le 10 mai pour être plus précis jour de l'élection de François Mitterrand à la présidence de la république. Né un an après Étienne Davodeau, j'ai vécu un peu les mêmes choses que lui : éducation religieuse à l'ancienne, culpabilisante et totalement archaïque mais qui marquait de manière forte les enfants impressionnables, communion, et tout le toutim... Et comme lui, je m'en suis sorti, ouf, moi, maintenant, je serais plutôt du genre athée-bouffeur-de-curé, mais avec le respect de ceux qui croient pourvu qu'on ne m'emmerde pas avec ce qui est de l'ordre du privé. Je connais bien la JOC pour en avoir fait partie, c'était plutôt le côté copains qui m'intéressait, je séchais beaucoup les réunions où l'on réfléchissait sur l'importance de la religion. J'ai grandi comme Étienne Davodeau dans un milieu ouvrier, avec la grande différence d'habiter une grande ville donc moins soumise aux diktats de l'Église. Mais mes parents qui étaient instituteurs dans des écoles privées dans la campagne de Loire Atlantique jusque dans les années 60 m'ont raconté bien souvent des choses similaires à celles qu'ont vécues Maurice et Marie-Jo. C'était très mal vu à l'époque de militer, surtout à gauche. Les patrons étaient bien bons d'offrir du travail aux gens de la région et encore meilleur de les payer alors il ne fallait pas trop la ramener. La couverture de l'ouvrage est très symptomatique : les mauvaises gens entre l'église et l'usine, les deux grandes forces de l'époque, l'une prétendait diriger les vies professionnelles et l'autres les vies privées et spirituelles. Alors quiconque se levait contre l'une se mettait l'autre à dos avant que n'arrive dans ces communes des prêtres-militants, ceux qui ont permis aux jeunes de militer à la JOC et de se libérer de leurs carcans. Car il faut bien le reconnaître et "Dieu me crapahute" comme disait Pierre Desproges, c'est quand même grâce à ces jeunes prêtres qui se sont rapproché des ouvriers et qui pour certains en sont devenus que la jeunesse ouvrière s'est ouverte à la modernité.

Un roman graphique important pour ne pas oublier ce que firent nos parents pour s'émanciper de la double religion église-usine. Les luttes syndicales ont permis tellement d'avancées sociales qu'on a sans doute oublié qu'elles étaient d'abord menées par des hommes et des femmes comme les autres avec peut-être un peu plus de convictions ou d'envies de les partager et d'en faire profiter les autres.

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Qu'importe la hauteur du saut

Publié le par Yv

Qu'importe la hauteur du saut (pourvu que le parachute s'ouvre), Martin Rouz, auto-édition, 2015...,

Yohann Brakash est informaticien, taiseux, solitaire. Il travaille pour un très grand groupe, KeOps dont le patron, Alain Jaret a des accointances politiques en très haut lieu. Jaret mène des affaires louches -pour user d'un euphémisme- en tirant toutes les ficelles de ses relations, n'hésitant donc pas à les impliquer. Marion Bellegarde, l'ex de Yohann est une journaliste pugnace et ambitieuse auréolée d'une réussite récente et d'une excellente réputation auprès de ses pairs et du public.

Lorsqu'une prise d'otages à l'ambassade de France de Tripoli tourne au carnage et que le GIGN est en ligne de mire, l'un de ces gendarmes d'élite, alerte Marion de cette bavure dont réellement la DGSE est coupable. Marion, Yohann et quelques autres n'auront de cesse de faire tomber les têtes des vrais coupables.

Mon résumé est un peu long, mais pour ma défense, ce roman est difficilement résumable à quelques lignes tant il est touffu en termes d'intrigue et de personnages. On peut d'ailleurs s'interroger parfois sur la vraisemblance des faits -bien que l'on ait eu vent de tellement d'affaires politico-financières sans doute beaucoup plus rocambolesques que ce que l'on imagine, et certains ont encore tellement de casseroles aux fesses que les faits semblent tout à fait possibles si ce n'est réels- enfin, c'est surtout la manière dont Yohann récolte toutes les informations qu'il détient qui pose question, même si tout s'éclaire à la fin. Voilà ma seule petite -car elle n'entame pas le vrai plaisir de lecture- réserve sur ce roman.

L'intrigue un rien alambiquée et le grand nombre de personnages ne m'ont pas dérangé parce que tout est amené tranquillement, petit à petit et on a le temps de situer un protagoniste avant de passer à un autre. On est autant dans le roman policier que d'espionnage, fort bien mené jusqu'au bout. Toutes les portes qu'ouvre Martin Rouz, et elles sont nombreuses, se referment une à une, personne n'est laissé en rade. Bien écrit, style direct rapide notamment grâce aux dialogues, les descriptions ne sont jamais très longues ; pas mal mis en page -bon quelques erreurs de découpage mais rien d'affolant- la qualité est au rendez-vous. Essentiellement centré sur l'intrigue et la recherche de la vérité, Martin Rouz ne s'attarde pas beaucoup sur ses personnages et l'on aimerait en savoir un peu plus sur eux, mais peut-être reviendront-ils pour d'autres aventures ? On a quelques bribes de la vie de couple de Yohann et Marion, mais pas grand chose sur leurs passés. Mais à sa décharge, je dois dire que l'intrigue est suffisamment complexe pour tenir les 320 pages sans qu'on soit distrait par autre chose. Néanmoins, pas de panique, si elle est compliquée, elle est très largement compréhensible par tout lecteur.

Je ne lis que peu de roman auto-édités -jamais en livre électronique, pas équipé, et un peu vieux jeu, mais j'assume- et pour que je cède aux nombreuses demandes, il faut un petit kekchose en plus. Martin Rouz l'avait dans son courriel, court, sobre et précis -un peu de Yohann Brakash en lui ?- et à la fois dans le titre -avec son sous-titre- de son livre et dans sa présentation : "Roman ( à tendance policière)", sans oublier la couverture, simple et sobre en apparence et qui est une photo de Philippe Leroyer décrite comme cela : "Le 4 novembre 2011, trois cents Indignés pacifistes dépliaient leurs tentes sur l'esplanade de La Défense pur dénoncer les abus du néolibéralisme financier. Ils furent violemment délogés par les CRS. Seuls ces deux cartons résistèrent à l'assaut." Comme quoi, cette photo qui peut sembler banale voire anodine colle parfaitement à ce roman, pas si banal ou anodin que cela sous ses attraits amusants.

Martin Rouz a un site (cliquez sur son nom) que je vous conseille d'aller visiter, histoire d'avoir encore plus de renseignements sur son ouvrage que je vous conseille itou...

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Halabeoji

Publié le par Yv

Halabeoji, Martine Prost, L'Asiathèque, 2016.....

Halabeoji, c'est le grand-père, spécialiste de la médecine chinoise traditionnelle, érudit. C'est lui qui donne son accord aux grands moments de la vie, notamment le mariage : les signes du zodiaque chinois sont-ils compatibles ? Lorsque Seung-geun, son petit-fils de 26 ans veut se marier avec une Française, Martine Prost elle -même, c'est Halabeoji qu'il faut aller voir. Martine Prost cumule les inconvénients : étrangère, 6 ans de plus que Seung-geun, ne maîtrisant pas parfaitement la langue ni les us et coutumes coréens.

"Subtile introduction à la Corée" écrit l'éditeur. Je confirme. Je confesse mon peu de connaissance sur la Corée et l'auteure me raconte tendrement et subtilement les traditions concernant les grands moments de la vie. Avant de s'intéresser au mariage, Halabeoji choisit les prénoms des enfants. Ainsi, Seung-geun qui signifie Racine montante et son frère aîné prénommé Dae-geun, Grande Racine. Un texte simple et beau, embelli encore par certains termes -voire des bouts de phrases- écrits en français, dans leur traduction coréenne et en sinogrammes, iceux étant expliqués : 人 pour l'homme, "in", 天 pour le ciel, "cheon", par exemple, mais il est fort dommage que je ne puisse en reproduire d'autres ici. Notamment la terre, "ji", que je n'ai pas réussi à trouver, car ce sont les premiers sinogrammes que les enfants apprennent "commençant par le fameux groupe cheonjiin, cheon, le ciel, ji, la terre, et in, l'homme qui a vocation d'être le lien entre les deux)" (p.13). Mon clavier ne me permet évidemment pas de les écrire et même en les cherchant sur Internet, il faut être très observateur pour être sûr d'avoir le bon, certains diffèrent d'un petit détail invisible à mon œil de Français. Je préfère m'abstenir plutôt que d'écrire une grossièreté...

Ce texte, sous ses dehors humoristiques, et cette parure de livre de souvenirs et malgré sa brièveté (56 pages) permet d'en savoir un peu plus sur les traditions de la Corée, sur le rôle de la femme, l'ancrage fort des us, la difficulté que ceux-ci peuvent représenter pour une étranger, l'accueil chaleureux des Coréens... "Quand le grand-père leva de nouveau la tête, ce fut pour demander : Eoneu nara eseo, "De quel pays ?". Une question sans sujet et sans verbe, sans aucune marque de politesse (la langue coréenne l'autorise de la part d'un aîné). Le sujet non exprimé de cette courte phrase, c'était moi. Le contexte empêchait toute ambiguïté. Le petit-fils répondit : Peurangseueseo wass-seubnida, "(Elle) est venue de France". Lui, la politesse lui imposait de mettre un verbe. Moi, j'étais toujours absente grammaticalement et comme inexistante physiquement. Je ne devais surtout pas fixer le grand-père dans les yeux. J'avais retenu la leçon. Je ne devais pas non plus répondre aux questions. Racine montante s'en chargerait. On ne me demandait que d'être figurante." (p.29/30). Cette histoire se déroule au milieu des années 80, sans doute le pays a-t-il beaucoup évolué puisqu'il est désormais le pays le plus connecté au monde. Une très belle "initiation à la Corée la plus ancestrale et la plus contemporaine" (note éditeur) que je ne peux que vous inciter à lire.

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