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Déjeuner sous l'herbe

Publié le par Yv

Déjeuner sous l'herbe, Frédérique Molay, Ed. Fayard noir, 2012

Lors de fouilles archéologiques très médiatiques au parc de la Villette, un squelette est mis à jour. Sous l’œil de très nombreuses caméras de télévision chargées de couvrir l'événement culturel, Nico Sirsky commence ses investigations. Bientôt, un jeune homme est retrouvé mort dans ce même parc jetant le trouble auprès des enquêteurs. Le temps presse pour éviter d'autres assassinats du même genre qui semblent se profiler et pour Nico qui doit aussi faire face à la maladie de sa mère.

Voilà donc la troisième enquête de Nico Sirsky qui sort ces jours-ci. Si vous avez suivi mes publications précédentes, vous savez que j'ai bien aimé les deux précédentes. Si vous n'êtes pas assidus à mes billets, vous m'en voyez marri, et compte tenu de votre exceptionnelle bienveillance, vous ne pouvez que vous replonger dans celles-ci et devenir un accro de mon blog. Merci d'avance.

Revenons à notre polar. Bien, très bien. Dans la lignée des précédents, toujours très précis dans les procédures, la vie quotidienne des enquêteurs, les détails qui donnent un ton vécu, réel au livre. Un polar qui fourmille de précisions médicales, géographiques et pour ce coup-ci culturelles, mais j'y reviendrai un tout petit peu plus tard. (Ah suspense quand tu nous tiens !)

Aux griefs que j'avais contre les enquêtes de Nico, disant qu'elles étaient un peu toujours dans le même monde bourgeois, classe supérieure avec des gens beaux et bons (prière de vous reporter à mes deux articles précédents) F. Molay répond par cette phrase en exergue de son dernier roman -en fait, elle ne me répond pas personnellement, mais bon, je peux le prendre comme cela si je veux !- : "Au meilleur des mondes, peuplé de gentils et de faux criminels ; le monde dont je rêve pour mes enfants." Tout est dit, et je ne peux qu'approuver son point de vue : il en faut pour tous les goûts !

L'intrigue dans ce roman policier est plutôt classique, d'ailleurs, l'un des flics le fait remarquer en fin de volume : "[...]... C'est si banal, en fin de compte, remarqua le capitaine Plassard." (p.311). Bien menée, elle tient le lecteur jusqu'au bout sans peine, toujours dans la même idée qu'une piste découverte doit être explorée jusqu'au bout même si elle est infructueuse.

Là où l'auteure fait très fort c'est dans le contexte : imaginez un plasticien, Samuel Cassian, spécialisé dans les tableaux-pièges sur lesquels il colle les fins de repas (assiettes, verres, restes, ...) tels que les invités les ont laissées sur sa table. Il se dit qu'un jour il pourrait organiser un buffet en plein air avec des invités triés sur le volet qui tous apporteraient des objets personnels. Puis, ce buffet serait enterré et sujet de fouilles vingt ans plus tard. Impensable ? Eh bien, non, F. Molay l'a écrit. En fait, et là encore je trouve cela très bien, elle se sert d'un fait réel pour ancrer son histoire. Car ce banquet à bel et bien existé. Organisé par Daniel Spoerri (dont Samuel Cassian est le sosie ou le clone). Enterré, il a été mis à jour 27 ans plus tard, en 2010 (voir l'article de l'Express ou la vidéo sur le site de l'Inrap), mais évidemment sans squelette humain ! Bon, je fais mon fiérot, celui qui sait et tout et tout. En fait, j'ai eu connaissance de ce Déjeuner sous l'herbe dans le livre de JP Demoule, On a retrouvé l'histoire de France ; il y fait allusion brièvement, et ça m'avait intrigué (il est aussi l'archéologue chargé des fouilles de ce banquet enterré). J'ai trouvé l'idée excellente et je trouve tout aussi bonne l'idée qui consiste à prendre cet événement culturel pour en faire le contexte d'un roman policier. En plus, F. Molay nous donne plein de renseignements sur cette période, sur l'oeuvre ; comme d'habitude, elle instruit en distrayant.

Troisième très bonne enquête de Nico Sirsky qui fait toujours -et tant mieux- une belle place aux femmes (et pour la première fois dans cette série, F. Molay crée un policier d'origine maghrébine Ayoub Noumen : c'est du grand art puisqu'elle devance mes remarques sur Dent pour dent, comme si elle avait deviné que j'allais être perfide. Trop forte la Frédérique ! -et pardon pour cette familiarité, mais bon, elle me coupe tous mes effets sur les réserves que j'ai émises sur ses livres ; c'est pas drôle, je ne peux même plus râler.)

Allez-y sans risque, c'est du polar qui tient la route et en plus Nico, il aime AC/DC et Bruce Springsteen, alors...

Merci Lilas.

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Dent pour dent

Publié le par Yv

Dent pour dent, Frédérique Molay, Ed. Fayard noir, 2011

A la faculté de médecine, les praticiens s'exercent sur des corps donnés à la science. Lors d'un cours pour chirurgiens-dentistes, dans une dent, le préparateur des corps trouve un message écrit sur transparent : "On m'a tué". Les organisateurs de ce cours hésitent entre mauvaise blague ou véritable message post-mortem. La brigade criminelle est appelée à la rescousse qui découvre que le corps appartient à un suicidé, Bruno Guedj, pharmacien de son état. Nico Sirsky, chef de cette brigade criminelle soupçonne une histoire moins facile qu'elle ne paraît de prime abord.

Deuxième enquête de Nico Sirsky ; la précédente l'avait mené sur la piste d'un dangereux tueur en série (La 7ème femme). Cette fois-ci, changement de décor : point de tueur en série, mais un mystère qui s'épaissit au fur et à mesure que les investigations avancent. Partie d'un rien, un indice ténu : un message dans une dent, l'auteure bâtit une histoire solide qui tient en haleine. C'est d'ailleurs ce qui est très bien : Frédérique Molay aurait pu surfer sur le fil du tueur en série qui lui avait réussi sur le premier tome. Eh bien, non, elle change tout à fait d'option, pour recentrer Nico et ses équipes sur une enquête plus traditionnelle, évoquant même Maigret et sa brasserie fétiche à Paris. Par contre, elle reprend certains principes -qui ont plus ou moins mes faveurs- du premier opus :

- d'abord une certaine image donnée à son roman policier : des personnages beaux, propres sur eux, évoluant dans un monde privilégié, bourgeoisie, ou classes aisées, dans les quartiers du Marais de Paris. L'équipe de Nico est systématiquement composée du meilleur graphologue, du médecin légiste la plus performante et de l'informaticien le meilleur (je cite sciemment ce mot deux fois, puisqu'il revient assez souvent). En 4ème de couverture, allusion est faite à Mary Higgins Clark, ceci expliquant cela, puisque dans les quelques livres que j'ai lus de cette auteure -il y a longtemps, j'étais jeune et encore innocent, mais je peux bien l'avouer maintenant, il y a prescription- c'était exactement ce que je lui reprochais. Voilà donc pour mes réserves concernant cette vision d'un monde idyllique, mais c'est le droit de l'auteure de placer ses écrits dans une certain milieu social, certains autres le faisant dans des mondes totalement opposés. Cette option tranche d'ailleurs avec le sordide des enquêtes, même si celle-ci l'est beaucoup moins que la précédente.

- une enquête menée sans temps mort. Chaque flic intervient, cherche une info et va jusqu'au bout de celle-ci dût-elle le mener à une impasse. F. Molay élargit le spectre des investigations, élimine les fausses pistes, les mauvais suspects pour resserrer ses fils sur celui ou celle ou ceux qui ne peuvent qu'être le(s) coupable(s).

- une véritable plongée au 36 quai des orfèvres, comme si on y était. Beaucoup de détails qui crédibilisent son enquête qui humanisent ses personnages, les rendent presque réels.

Pour ces deux derniers points, j'ai vu récemment (le 17 mai) sur France 2, Envoyé Spécial qui diffusait un reportage sur les flics du 36 quai des orfèvres. Une équipe de journalistes les a suivis pendant 6 mois. Formidable reportage dans lequel on voit les policiers travailler et dans lequel, certains d'entre eux se confient sur leur rapport à leur métier, à la mort qu'ils côtoient quotidiennement, aux cadavres. Je croyais être dans un des livres de Frédérique Molay. Vraiment. Elle décrit les journées de ces hommes et de ces femmes formidablement bien, ce qui donne cette impression de véracité, de vérité dont je parlais plus haut et dans mon billet sur La 7ème femme, largement confirmée par ce reportage.

F. Molay manifeste une volonté de faire changer les comportements ou de militer en plaçant des femmes à des postes clefs, égales des hommes -voire leurs supérieures- tant dans les capacités à réfléchir qu'à agir ou prendre des décisions. Bien vu ! Un peu plus de femmes dans les polars, c'est bien ; la réalité n'est absolument pas à la hauteur ! Mais bon, frémissement il y a : un gouvernement paritaire vient d'être formé : un bel exemple, n'est-il pas ? (C'est mon côté féminin qui parle là, vous avez vu ? Aucune blague sexiste !) J'ai quand même une petite perfidie pour Frédérique Molay (c'est plus fort que moi, dès qu'il faut dire un truc désagréable, je ne peux m'empêcher) : à quand des femmes et des hommes issus des minorités comme on se doit de politiquement-correct-dire ? C'est vrai qu'ils n'habitent pas les beaux quartiers parisiens, mais ça manque un peu de diversité dans votre brigade criminelle. 

Et si nous revenions à l'intrigue ? Eh, bien, moins palpitante que la précédente (comme quoi on est accro aux cadavres, là, il y en a beaucoup moins), mais nettement plus fine et originale. Et encore une fois, je salue ici, la volonté de l'auteure de ne pas rester dans le même genre d'histoire.

Une très belle réussite que cette deuxième aventure de Nico Sirsky, malgré mes remarques fâcheuses de lecteur acariâtre ! Bon, je vous laisse, parce que j'ai sa troisième enquête sur le feu ! Bonne lecture n'attend pas.

Claude Le Nocher a aimé.

PS : 4 ans de Lyvres aujourd'hui même. 670 articles, un peu plus de 4 000 commentaires (vous devriez venir plus souvent, ce n'est pas énorme, 6 par articles  !). Un petit blog qui fait sa petite vie tranquille, comme son maître ! Merci à tous de passer me voir de temps et temps. Revenez, ça m'fait plaisir. A bientôt. Yv

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La 7ème femme

Publié le par Yv

La 7ème femme, Frédérique Molay, Fayard, 2006

Lundi l'enquête débute par le corps d'une femme retrouvé atrocement mutilé dans un appartement parisien. Nico Sirsky, chef de la brigade criminelle prend l'affaire en charge. Affaire qui prend une tournure autre lorsque le mardi, un deuxième corps de femme pareillement mutilé est retrouvé. Un tueur en série vient d'apparaître, qui bientôt lancera des messages personnels en forme de défi au commissaire divisionnaire Sirsky.

Tout commence par ces premiers meurtres horribles et par la mise en place de l'équipe de la police en charge de l'enquête. Chacun a sa tâche, chacun à fouiller le moindre petit début de piste, attendant des résultats d'analyse, des rapports d'autopsie. Parallèlement, Frédérique Molay installe ses personnages. C'est la première enquête de Nico Sisrky (à l'heure où j'écris ce billet deux autres ont été écrites dont je parlerai très bientôt). Évacuons tout de suite un petit bémol de ma part : tous les personnages sont jeunes et beaux : Nico Sisky a 38 ans, il est pourvu d'un charme indéniable, d'une sensibilité féminine qui les fait toutes craquer, mais il est divorcé, cœur solitaire et difficile à satisfaire. Il rencontre Caroline Dalry, 36 ans "professeur agrégé à l'hôpital, ce qui est tout à fait exceptionnel pour son âge. Elle doit être la seule dans ce cas-là." (p.189) dont il tombe immédiatement amoureux. Quasiment tous les personnages, même les secondaires sont du même acabit, jeunes, beaux, dynamiques. De vraies gravures de mode ; on se croirait dans un épisode d'une série américaine. Voilà, pour ma réserve, uniquement basée sur la jalousie, vous l'aurez bien compris, moi qui ne suis plus si jeune que cela.

Le reste ? Très bien ! F. Molay prend le temps de s'intéresser à tous les gens qui interviennent dans l'enquête (peut-être un peu trop nombreux, au risque parfois de se perdre, mais les principaux sont clairement identifiés). En tout bien tout honneur, Nico a sa faveur et bénéficie d'un traitement particulier. Puis, d'autres protagonistes sont détaillés : ses collègues, sa sœur, sa famille, Caroline. Ce qui donne un côté humain à toute cette équipe. Très prometteur pour la suite des aventures de Nico.

L'intrigue ? Très bien ! L'auteure tisse sa toile dès le départ. Cent premières pages plutôt lentes malgré l'atrocité des meurtres, F. Molay accélère le mouvement gentiment et progressivement, puis à la faveur d'un rebondissement inattendu vers la page 200, elle met la gomme pour tenir son lecteur en haleine jusqu'au bout avec un petit coup de turbo sur la fin. Le récit est construit d'abord avec l'enquête policière dans laquelle petit à petit s'immisce le coupable pour raconter ses meurtres. Ces parenthèses prennent du volume au fur et à mesure que l'on approche de la fin. De chausse-trappes et rebondissements en fausses pistes, F. Molay balade à la fois Nico et son équipe et les lecteurs (j'ai eu un flash vers la page 300 concernant le coupable, mais j'en étais déjà à mon troisième suspect, et j'ai eu encore pas mal de doutes quant aux méthodes et aux mobiles de mon favori jusqu'à la fin !).

Frédérique Molay semble connaître le monde judiciaire assez bien émaillant son texte de références juridiques, légales ou professionnelles qui le rendent réel. Toute proportion gardée et sans vouloir faire de comparaison, j'ai retrouvé dans cette enquête du Wallander : une équipe entière pour une enquête, avec des personnages auxquels l'auteur s'intéresse en dehors de leurs vies professionnelles, des pistes, les plus ténues soient-elles qui sont suivies jusqu'au bout, même si elles ne donnent rien et pour finir, une sorte de "sixième sens" de Nico, un peu comme Wallander qui a parfois des fulgurances bienvenues. Ce rapprochement a pour moi valeur de compliment, et vous comprendrez donc sans peine que je me lance dès  présent dans le tome 2 des aventures de Nico Sirsky !

Livre qui a reçu en 2007, le Prix du Quai des Orfèvres dont le jury est présidé par le Directeur de la Police judiciaire. D'autres avis (assez peu, à ma grande surprise vue la qualité du bouquin)  sur Babelio.

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Les affligés

Publié le par Yv

Les affligés, Chris Womersley, Albin Michel, 2012

Flint, petite ville d'Australie, en 1919, est, comme beaucoup de villes du pays, ravagée par l'épidémie de fièvre espagnole. Quinn Walker revient chez lui, après s'en être enfui une dizaine d'années plus tôt. Il avait été accusé du viol et du meurtre de sa petite sœur Sarah, dont il est innocent. Après avoir fait la guerre en France, il remet les pieds dans son pays, gueule cassée, bien décidé à faire payer le ou les vrais coupables du meurtre de Sarah. Il se cache dans les forêts et les collines, car tout les habitants le croient coupable et reçoit bientôt une aide inattendue, celle de Sadie, jeune fille mystérieuse, au courant de toutes les rumeurs, débrouillarde et qui attend le retour de son frère parti lui aussi à la guerre.

Je disais dans un billet précédent que j'avais un souci avec la littérature australienne. Eh bien, en un seul livre, me voici réconcilié avec elle ! Quel roman, mes amis ! Encensé par la presse australienne, à juste titre. Le contexte est fort, très fort : retour de la guerre qui s'est déroulée sur un continent quasiment inconnu des Australiens au début du siècle dernier, les conséquences de cette guerre sur les hommes qui y ont participé et sur les femmes restées seules et pour beaucoup veuves, la grippe espagnole, un meurtre horrible et une vengeance prévisible. Voilà pour les ingrédients. Mélanger le tout et vous obtenez ce roman qui une fois commencé ne se lâche plus jusqu'au bout.

L'écriture est très accessible, qui dit les choses directement, ne tourne pas autour du pot pour raconter les horreurs de la guerre : "Le sol qui s'ouvre, un soldat sodomisant un cadavre au crépuscule, un char embourbé, le silence après les tirs de barrage, tandis que les nations comptent leurs morts. De cela, il était impossible de parler. Impossible, car on l'aurait traité de menteur : nul ne souhaitait vraiment savoir de quoi est capable l'être humain." (p.63). Elle dit aussi le difficile retour à la vie quotidienne, à la terre et à l'amour des siens restés loin du conflit. La guerre, ses stigmates, visibles ou non hantent les survivants : "Quinn se rappela avoir vu ça à l'hôpital. Des "gueules cassées", ces malheureux enveloppés de bandelettes qu'on véhiculait sur des brancards, à travers les couloirs. Les amputés et les muets. Les salles d'hôpital étaient tenues dans une semi-pénombre, mais il sentait leurs regards suppliants quand il passait. On disait que des médecins peaufinaient des masques métalliques sur lesquels étaient moulés et peints ce qui avait été soufflé par les explosions -yeux, nez, menton, joues, oreilles- et c'était ahurissant d'imaginer ces hommes devenant des simulacres de ces mêmes machines qui les avaient mutilés." (p.229/230)

Il est toujours difficile de dire dans une traduction ce qui tient de l'oeuvre originale ou du traducteur (en l’occurrence, une traductrice, Valérie Malfoy) en ce qui concerne le style : disons que c'est un travail -et ici très beau travail- en commun. 

C'est évidemment un roman sombre qui parle de tout ce que j'ai déjà dit plus haut : de la vengeance, de la misère et de la difficulté de vivre dans ce pays. En plus, Quinn ne peut véritablement renouer avec ses parents qui le croient coupable du crime : il réussit néanmoins à voir sa mère alitée, victime de l'épidémie, mais de manière frustrante, puisqu'elle est en fin de vie. Mais ce bouquin a aussi de grandes parts lumineuses, parlant d'espoir, d'amour, de rédemption. Sadie représente la part d'espoir de Quinn une sorte de sœur de "rattrapage", celle qui comme Sarah aurait pu le faire, le sortira peut-être de sa colère, de sa torpeur et de ses souvenirs terribles.

Il y a beaucoup de littérature sur cette guerre et ces effets dévastateurs. Ce roman en parle, sans éviter ce qu'on pourrait appeler les passages obligés, les stéréotypes, mais en y apportant une touche d'exotisme propre au pays, liée aussi à l'esprit de vengeance et de rétablissement de la vérité qui anime Quinn. Et il ajoute une énorme touche d'humanité et d'espoir qui ne rend pas sa lecture pesante, au contraire.

Précipitez-vous sur ce roman, invité par le Festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo qui fête cette année la littérature australienne (du 26 au 28 mai).

Merci Aliénor pour ce subtil conseil. Mélopée est aussi enthousiaste que moi -voire plus encore, si si c'est possible ! Et Clara, tout pareil.

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Ça coince ! (5)

Publié le par Yv

Si tu existes ailleurs, Thierry Cohen, Ed. Flammarion, 2012

"Une seule femme a compté pour lui. Un seul drame l'a anéanti. Une simple phrase bouleverse sa vie : une prédiction étrange, faite par une enfant, qui lui révèle comment et avec qui il va mourir. Noam s'engage alors dans une quête effrénée pour trouver les réponses aux questions qui le hantent." (4ème de couverture)

Lu par Madame Yv, Monsieur ayant décliné l'offre faite par Gilles Paris. Long, très long à démarrer, la mise en place des personnages, la préparation des situations, 100/120 pages pour qu'enfin commence la vraie histoire. Ensuite, les rebondissements s'enchaînent, pas toujours crédibles. L'auteur navigue entre mysticisme et amour, un peu mécaniquement, systématiquement et facilement. L'ensemble est distrayant, certes, mais au contraire de ce qui est écrit en 4ème de couverture, c'est une histoire que j'oublierai vite. Lecture aisée, même en diagonale, on ne rate rien.

 

Chaque geste que tu fais, David Malouf, Ed. Albin Michel, 2012

Recueil de nouvelles se passant en Australie. "Tous les personnages de David Malouf, hommes ou femmes, sont ensemble mais curieusement seuls, comme s'ils étaient à la recherche de quelque chose dont ils auraient manqué où qu'ils auraient raté dans leur vie" (note éditeur)

Ça m'embête un peu d'accoler ce livre avec le précédent parce qu'il est sans nul doute d'une qualité incomparable, mais le fait est que je n'ai pas réussi à aller au bout. Un petit refrain lancinant au long des pages qui me disait d'arrêter, que je n'arrivais pas à comprendre les histoires ni où l'auteur voulait en venir ou m'emmener. J'ai résisté tant que j'ai pu et plouf, je suis tombé dans une nouvelle encore plus lente et là, je n'ai pu que lâchement mais sûrement fermer ce livre. Dommage ! Rendez-vous raté. Mais peut-être que la littérature australienne ne me convient pas (je suis un des rares -sur la blogosphère- à ne pas aimer Kenneth Cook et son koala tueur)

 

Cœurs brisés.com, Emma Garcia, MA éditions, 2012

"Vivienne Summers est une Londonienne d'une trentaine d'années à qui la vie sourit. Elle a un bon travail, des amis qui l'aiment et surtout un fiancé à la beauté évidente et à la carrière prometteuse qui va bientôt l'épouser (même si les noces ont déjà été annulées deux fois). Lorsqu'il rentre un soir chez eux, il lui avoue qu'il ne peut pas se marier. Pour sauver son honneur, elle fait ses valises. Elle s'installe donc dans un petit appartement et attend. Des nouvelles, un coup de fil, un geste." (note de l'éditeur)

Les hasards d'un envoi en service de presse mal orienté ont fait atterrir ce livre chez moi. Passé le premier moment de doute, j'en ai eu un second, puis un troisième, pour finir par me décider -à grand tort sûrement-de ne pas lire ce qui s'annonce comme étant un chef d'oeuvre de la littérature, profond et à la fois léger, sérieux et en même temps drôle, d'un humour dévastateur, irrévérencieux, provocateur, mettant ses personnages dans des situations inattendues, particulièrement originales avec des répliques jamais entendues et qui font mouche. Madame Yv s'est lancé à l'assaut de cette montagne aux sommets ambitieux ; peut-être, si elle parvient à franchir l'obstacle nous donnera-t-elle ses impressions dans un commentaire bien senti qui me rabattra mon caquet, moi qui fais du "délit de sale gueule" ou plus exactement du "délit de littérature inintéressante" ? Non, mais c'est vrai ça, pour qui tu te prends Yv ?

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Paris mutuels

Publié le par Yv

Paris mutuels, Jean-Marie Laclavetine, Ed. La Branche, 2012

Vincent est flambeur. Il tient un club de boxe qui sert également de tripot clandestin. Il joue aux courses. Un jour à l'hippodrome, à l'arrivée d'une course qui l'a rendu encore un peu plus chanceux, il rencontre Léa. La suite, il la raconte. Totalement aveuglé par l'amour qu'il porte à cette femme, il tombera de très haut, fera même de la prison par amour ou par lâcheté. Pourra-t-il tomber encore plus bas ? Eh bien, oui !

Nouveau numéro de l'excellente collection Vendredi 13. Il trouve naturellement sa place parmi les autres très bons titres. Vincent raconte ses malheurs, mais c'est tellement gros, impensable que c'en est drôle. JM Laclavetine se moque gentiment de son héros, le faisant passer pour un gentil, un peu naïf qui gobe tout, même le plus incroyable, par amour et pour les quelques et de plus en plus rares moments d'intimité avec Léa. Léa dont il est totalement sous la coupe. Léa qui fait ce qu'elle veut de cet homme qui se laisse facilement mener, par fainéantise ou par confort. Léa qui le ruine. Léa qui vit lorsque lui ne fait que l'attendre. (Z'avez vu ? J'use de l'anaphore, genre très couru depuis le débat d'entre les deux tours de la présidentielle, et qui a priori fonctionne bien ; je tente, on ne sait jamais, ça peut me rapporter des voix à moi aussi)

La première partie du livre est drôle, j'avoue avoir beaucoup souri aux mésaventures de Vincent. En même temps, je me disais que c'était un peu de sa faute s'il se faisait avoir comme cela malgré les conseils de son ami Angelo. Jusqu'au mariage, journée très particulière comme il se doit : "La cérémonie à la mairie fut expédiée sans tralala, suivie d'une verre au café de l'Europe et d'une promenade dans le square Marcel-Pagnol jonché de crottes de chiens, on a déjà fait plus romantique. La mariée était pressée, et nos deux témoins, Fred et Angelo, n'avaient pas grand-chose à se dire. Le temps de signer le registre sous l’œil du greffier, de boire un coup, et nous nous sommes retrouvés seuls. [...] Mon épouse m'accordé une fantaisie : faire un détour par les rues de Vienne et de Madrid pour contempler d'en haut les voies ferrées avant de rentrer à la maison : ce fut notre voyage de noces." (p.46/47) 

Malgré cette superbe journée, inoubliable, comme il se doit pour un mariage, Vincent ne voit rien, et continue de ne vivre que pour Léa. Mais il n'a pas encore atteint "son" pire : le moment culminant de cette idylle particulièrement romantique, la naissance de Violette, qui ressemble étrangement à Fred, le frère de Léa. Car Vincent n'aime pas les enfants, ce qui nous vaut une tirade de l'auteur particulièrement vacharde :

"On devrait naître à dix-huit ans. Treize quatorze, à la rigueur. Tout ce qui se passe avant est nul et non-avenu, stupide, superficiel, inintéressant. [...] On fait semblant de trouver merveilleuse cette époque où l'on ne savait parler que par borborygmes et où l'on ne maîtrisait pas ses sphincters, où l'on se cassait la figure toutes les cinq minutes faute de savoir poser un pied devant l'autre et où l'on se fourrait la cuiller de purée dans le nez. [...] Période qui se prolonge avec l'adolescence, où l'on commence à s'intéresser à l'autre sexe et où tout se termine dans des foirades poisseuses et grotesques, des chocs d'appareils dentaires et des rougeurs de peaux acnéiques. Franchement. Ne me dites pas que vous avez vraiment aimé ça." (p.69)

La seconde partie est moins humoristique, Vincent survit plus qu'il ne vit sans Léa, abruti par un travail original qu'il ne fait pas avec plaisir. L'heure est grave, et l'auteur fait une pause dramatique, noire dans son roman. Puis, la fin redevient plus enlevée, plus joyeuse et JM Laclavetine conclut son livre dans une belle pirouette réjouissante à souhait. 

Belle écriture de JM Laclavetine, qui met ce bouquin pour moi au niveau de celui de Michel Quint que j'avais adoré surtout pour ses qualités littéraires. Beaucoup d'humour, d'ironie, d'auto-dérision, de situations "abracadabrantesques". Vincent est "un cave" comme on disait dans les films noirs des années 50/60. A propos de cinéma, il serait très bien ce livre, adapté à ce format.

Merci Pauline, de chez Gilles Paris

Même plaisir que chez moi, chez Action-Suspense.

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Mon père, c'était toi ?

Publié le par Yv

Mon père, c'était toi ?, Vincent Pichon-Varin, Le Cherche midi, 2012

Gilles, vendeur de chaussures le jour et transformiste dans un cabaret de Montmartre le soir reçoit un jour une lettre d'un notaire normand assez mystérieuse. En fait, Gilles hérite d'une propriété en Normandie, somptueuse maison avec terres, de son père jusqu'ici inconnu de lui. Il est né d'une brève liaison entre sa mère et son complice d'alors au cabaret (et oui, le cabaret est dans leurs gènes), Fred Ginger. Accompagné de son épouse, des colocataires de sa mère, tous les six entre 65 et 89 ans, il décide d'aller voir cette maison et d'en apprendre plus sur son père.

Un livre-comédie dans l'air du temps : les personnages secondaires mais très fortement présents sont une bande de personnes âgées, toutes colocataires à Paris, dotées d'une énergie et d'une volonté de bouger et faire bouger les autres assez peu communes. Ils dynamisent le récit nettement. C'est un livre léger, amusant, souriant, primesautier. La première partie est vraiment agréable et très légère, puis l'histoire se tend un peu -juste un peu, le sourire et la sensation de bien-être perdurent- lorsque Gilles émet des doutes quant à la paternité de l'homme dont il hérite. Un petit suspense se fait alors jour, qui aura son explication en toutes dernières pages.

On est dans une période idyllique, "tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil" (Jean Yanne) : Paris est un rêve, la campagne un havre de bonheur, un rien kitsch, "comme au bon vieux temps". C'est coquet, joyeux, désuet. Vincent Pichon-Varin plonge la tête la première dans tous les clichés sur les Provinciaux (il met un accent au paysan normand "à y accrocher son pardessus" comme disait Coluche)

"- Vous allez me goûter çô, il faut goûter, c'est moi qui l'ai fait et ce pommeau il est impeccab'. Un an de fût de chêne, c'est pô pour de rien, c'est sûr çô y fait au goût. Allez, à la bonne vot' et bienvenue dans not' campagne. Elle est-y pas belle not' verdure . Gadez-moi çô ! Jolie, hein ?" (p.145)

Le cafetier n'est pas mal non plus dans son genre qui s'exprime à la troisième personne "Qu'est-ce qu'il boit ?" (p.33) (ce que personnellement, je jugeais être l'apanage des garçons de cafés parisiens, comme quoi, chacun ses stéréotypes). La confrontation entre les Parisiens, artistes et les habitants du petit village donne lieu à des quiproquos, des blagues un peu éculées, au mieux prévisibles, mais qui étonnamment passent plutôt bien.

L'auteur est parfois dans la caricature, comme ce portrait d'un journaliste local :

"Le rédacteur en chef de L'Eveil est un vrai Normand, jovial et bon vivant. Ses grosses moustaches en bataille peinent à masquer de bonnes joues rougeaudes, gonflées aux escalopes à la crème, au cidre et au camembert au lait cru. Il promène sur sa silhouette épaisse toute la définition du mot "bonhomie"." (p.211)

Si l'histoire s'était déroulée en Corse, il eut été "élevé au fromage de chèvre et à la cochonnaille, un visage en lame de couteau, dur avec des yeux qui, néanmoins inspirent la confiance et l'honnêteté", et en Bretagne : "Un vrai Breton, le teint rougeaud par l'abondance de sa consommation de cidre et en même temps buriné par les embruns, comme si les galettes de blé noir ingurgitées en nombre se reflétaient sur son visage à la fois expressif et fermé". Je vous passe le Berrichon, le Vendéen et le Ch'ti !

Voilà donc pour ce livre qui regorge de clichés, d'évidences et de facilités, mais qui dans le même temps vous fait passer un moment de lecture agréable, sans aucune arrière pensée : un livre qui ne prend pas le chou (normal, il ne se passe pas en Auvergne !) L'auteur sait faire passer les faiblesses de son bouquin au second plan : on les oublie (ou on les range dans un coin) au profit de l'histoire, et de la joyeuse aventure.

C'est bon comme une journée ensoleillée à la campagne entre amis, un pique-nique légèrement arrosé d'un rosé frais, une nappe à carreaux, des gens beaux qui jouent et rient et ne se prennent pas au sérieux. Bon comme un pub pour un fromage ou tout autre produit qui veut vanter ses mérites paysans, "de terroir".

Lu -et finalement approuvé- un après-midi d'un temps on ne peut plus pourri  : idéal pour rester quand même de bonne humeur !

Merci Pauline de chez Gilles Paris.

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Un ange meilleur

Publié le par Yv

Un ange meilleur, Chris Adrian, Albin Michel, 2012

Recueil de nouvelles qui ont toutes en commun de traiter de sujets difficiles comme la mort, la maladie, le 11 septembre ou la folie. Toutes ont également la particularité de mettre principalement en scène des enfants et d'ajouter une dose de surnaturel.

J'ai été cueilli à froid dès la première nouvelle, L'arme blanche dans laquelle une petite fille s'amuse, les nuits, à tuer avec une dague de petits animaux (écureuils, chats,...) et à les laisser bien en évidence pour créer un climat de tension dans sa petite ville. Elle entraîne avec elle un jeune garçon, le narrateur.

Bon, je me dis que cette nouvelle ouvrant l'ouvrage se doit d'être marquante et que l'auteur nous emmène vers des histoires plus douces, plus calmes. Que nenni ! Si la suivante La somme de nos parties, est plus médicale, on pourrait presque se croire dans un épisode d'Urgences (enfin, je dis ça, mais je n'ai jamais vu d'épisode de cette série, ni d'une autre se passant dans l'univers médical : Madame Yv travaillant dans le milieu, elle ne veut pas "rapporter du travail à la maison" ; de même pour moi avec Famille d'accueil : on est synchro, c'est pas mal après quelques années de mariage, n'est-il pas ?), la troisième nouvelle, Excès de vitesse repart sur les chapeaux de roues avec un gamin bizarre et son institutrice qui ne va pas vraiment mieux que lui.  Là, c'est lui qui parle : "A la récréation, je grimpe au sommet d'une cage à écureuil que tout le monde évite quand je m'y trouve. Je regarde en bas les enfants qui jouent et je me dis Toi ! Maria Josiah ! Mort à toi ! Un coup de rasoir dans ton oeil, Maria ! Buddy Washington, un grand coup de pelle dans ta gueule, si fort que tu pisseras de la gelée de framboise par le nez !

Et Molly LaRouche, ta tête dans un étau ! Sammy Fie, tartiné de miel et en pâture aux abeilles ! Rosetta Pablo, en charpie sous les crocs d'un chien ! Je passe toute la classe en revue. Ma manière à moi d'occuper ma récréation." (p.78/79)

J'ai moins goûté aux deux suivantes (La vision de Peter Damien et Un ange meilleur), en fait je suis passé à côté et n'y ai rien compris. Puis, un lot de trois nouvelles intéressantes, moins marquantes que les trois premières (Le changelin, Le héros de Chickamauga et La maladie et la mort expliquées aux enfants).

Et cerise sur le gâteau, un final en apothéose avec Antéchrist, pourquoi ? : deux adolescents, un garçon et une fille se rapprochent notamment parce qu'ils sont orphelins de pères. Une touche d'ésotérisme, une folie totale.

Chris Adrian aborde frontalement des thèmes plombants, lourds. Ses histoires ne sont pas drôles ou légères et ses personnages sont ou totalement barrés, fous ou en passe de le devenir. Dans ses récits, les Etats-Unis font face à ce qu'ils ont engendré : violence (voire violence extrême), haine, peur des autres mais aussi à ce qui est inévitable : maladie, mort (et particulièrement celles des enfants), folie, l'auteur y ajoutant une dose loin d'être homéopathique de surnaturel, d'irrationnel, de religieux (il y est beaucoup question d'Enfer, de Diable) : des thèmes finalement assez classiques mais traités d'une manière originale. Ce sont des textes forts, qui ne laissent pas insensibles. Clara dit qu'elle est "sortie sonnée" de cette lecture et comme je la comprends ! J'avoue -bien que je sois un grand garçon, viril, musclé, costaud, et tout et tout (comment ça j'en rajoute ?)- que parfois la lecture est difficile parce qu'elle nous met face à des réalités qu'on préfère occulter autant qu'il nous est possible.

Pour résumer : une lecture pas facile (mais on n'est pas là que pour rigoler, non ?) mais salutaire et très originale, qui peut heurter mais qui fait forcément réagir. Allez-y, c'est du bon !

D'autres billets : Jérome, Babelio.

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Eros (4 histoires brèves et intenses)

Publié le par Yv

Éros (4 histoires brèves et intenses), Collectif, Ed. de l'Atelier in8, 2012

"Vous qui pensiez avoir tout lu, tout vécu... Effeuillez donc habilement cette beauté, écartez voiles et couvertures, et parcourez le grain velouté de ce papier qui vous embarque dans quatre histoires audacieuses et surprenantes. Vous goûterez une littérature libertine et racée, suivrez de fougueux personnages, succomberez aux ensorcellements de la langue et à l'attrait puissant de désirs profondément enfouis... Des enchantements au parfum de soufre, de poudre, de gouffres. Plongez !" (4ème de couverture)

Comme le titre de cet ouvrage collectif et le descriptif ci-dessus le suggèrent, il s'agit d'un coffret de quatre nouvelles érotiques. Procédons par ordre :

- Le comparse, de Jacques Abeille : ou comment la création littéraire est directement liée au sexe, et plus particulièrement ici à des "jeux sexuels débridés". Très belle nouvelle, sans doute la plus osée (ou directe) des quatre. Écrite dans un langage châtié, très recherché parfois : j'aime bien le contraste entre ce langage un rien aristocratique qui donne une certaine distance vis-à-vis des choses basiques de la vie et celui plus direct et cru des échanges sexuels des trois partenaires. Lorsque J. Abeille parle de "dard", je fais mon miel (désolé, je n'ai pas pu m'empêcher). Ainsi commence cette histoire : "L’œil d'un vert marin éteint, le visage chevalin encadré de mèches pâles qui déjà se givraient, une longue silhouette oscillante, Henri de Hère deux fois la semaine traversait avec une mélancolie hautaine la salle de rédaction pour déposer dans la corbeille de notre chef sa chronique culturelle." (p.7)

- La féticheuse, d'Emmanuel Pierrat : un collectionneur d'art africain, avocat d'affaires, tombe sous le charme, la coupe et la croupe d'une superbe vendeuse d'objets vaudou. "Victor avait quitté l'Afrique trop jeune pour s'y attacher. Son ingénieur de père avait travaillé à l'aménagement du port de Lomé à la fin des années 60." (p.7) Un texte qui parle beaucoup plus du désir que de l'acte lui-même. Il monte, il monte jusqu'à l'apothéose. Envoûtante, sensuelle, directe et terriblement bandante, si je puis m'exprimer ainsi, pour une fois, la femme domine. 

- Monde profond, de Eric Pessan : un jeune garçon connait son premier orgasme à neuf ans, "engoncé dans un tuyau étroit, à près de vingt-cinq mètres sous terre" (p.7), dans une grotte. Il n'aura de cesse de retrouver cette sensation de plénitude en entrant dans d'autres grottes mais ne le retrouvera pas. Mais lorsque 30 ans plus tard, avec son épouse, il visite une grotte dans les Pyrénées, il sent qu'il va se passer quelque chose, dès l'entrée. La nouvelle la plus étonnante, la plus symbolique, la plus irrationnelle, comment dire, la moins "quotidienne" même si sans doute aucun de ces termes n'est vraiment adéquat, dans laquelle tous les mots sont choisis, pesés, peuvent être pris pour leurs sens multiples. Sensuelle, moite, humide, elle débute comme cela : "Le plus bouleversant, c'est l'odeur : ce mélange de glèbe et d'humidité, une odeur profonde et ancienne. Géologique. L'odeur brune et intime de la terre, une odeur d'entrailles froides qui saute au visage, se dépose en sédiments lourds dans les narines, sur la langue, saisit le corps entier." (p.7)

- Les filles d'Eve, de Frédérique Martin : dans un futur qui paraît proche, les femmes, espèce en voie de disparition, sont vendues comme des animaux lors d'un salon. Mais la révolte gronde, filmée par un cameraman loin d'être insensible aux charmes de l'une d'entre elles. ""Parfaite." Claque et mot sont assénés en même temps. Satisfait, l'homme laisse sa paume sur la croupe blanche. Caméra sur l'épaule, le reporter zoome sur les doigts, avant de remonter le long du bras jusqu'au visage glabre en plan serré." (p.9) Une histoire de révolte des femmes qui veulent prendre le pouvoir sexuel, entre autres, mais qui veulent surtout échapper au pouvoir masculin. Revendicatrice, la seule nouvelle des quatre écrite par une femme.

Loin de la pornographie, nous voici donc dans des textes érotiques, qui s'ils n'évitent pas les scènes osées, chaudes (et tant mieux, y'a pas de mal à se faire du bien, et puis, je suis venu pour ça, non ?) inspectent plutôt la montée du désir, de la puissance, du pouvoir de l'un(e) sur l'autre (et vice-versa). Très bien écrits, dans des styles différents pour les quatre, mais toujours opposant un vrai style littéraire digne des meilleurs romans classiques à des passages crus et directs. Autant j'avais été déçu par "le nouveau roman pornographique" autant là, je suis encore sous le coup de l'émotion d'avoir lu toutes ces histoires émoustillantes et sous celui de la (relative) déception d'avoir déjà fini le coffret. Si ma délicatesse naturelle et mon éducation ne me retenaient pas, je dirais bien : "tiens je remettrais bien le couvert !"

Mesdames, qui passez par ici de temps en temps et qui certains mardis osez lire des livres érotiques dans une rubrique que je suis régulièrement ("Le premier mardi, c'est permis"), et pour tou(te)s les autres aussi, bien entendu, voilà donc pour vous un coffret qui saura allier le plaisir d'une lecture osée et celui de la Littérature ! 

PS : chaque nouvelle est indépendante, éditée dans un petit livre, ce qui en fait donc quatre dans ce coffret très bien présenté. Vous pouvez donc acheter soit l'une ou l'autre nouvelle, ou deux, ou trois, ou alors le coffret avec les quatre ; un bel objet à lire ou à offrir. Sur le site de l'éditeur, vous pouvez tout savoir : atelier in8.

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