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Peut-on rire de tout ?

Publié le par Yv

Peut-on rire de tout, Philippe Geluck, Lattès, 2013.....

Peut-on rire de tout ? Vaste question en ces temps où l'on est vite accusé de tous les maux dès que l'on se moque d'une catégorie de personnes, d'une communauté ou d'une religion. Philippe Geluck, à sa manière drôle et irrévérencieuse tente de répondre à cette question maintes fois posées, notamment par Pierre Desproges qui, s'il a y a répondu par un célèbre "oui, mais pas avec tout le monde" "a préféré mourir plutôt que d'approfondir le sujet." (p.9). Aïe, aïe, aïe, s'attaquer à P. Desproges, c'est pas bon mon cher Philippe, parce que je suis fan. Mais je vous pardonne mon fils, car, ça me fait beaucoup rire et ça montre dès le départ la teneur du bouquin, très loin de ce qu'on peut appeler le politiquement correct.

En cette rentrée littéraire Philippe Geluck est sur tous les fronts (dégarnis) : cet essai, ou recueil de courts textes sur le rire et La Bible selon le Chat dont je parlerai très bientôt, dès sa sortie début octobre. Je connais bien l'œuvre du papa du Chat et je pense pouvoir dire ici qu'il n'est jamais allé aussi loin dans l'irrévérence et dans la provocation. Merci aux Belges de reprendre ce créneau un peu oublié chez nous (je dis aux Belges, parce qu'outre P. Geluck, je pense à Walter, un humoriste de ce pays, méchant dans ses textes et provocateur, un lien ici). Ah que ça fait du bien de lire du mal des riches, des pauvres, des vieux, des jeunes, des drogués, des cathos, des juifs, des musulmans, ... Car l'auteur ne respecte rien ni personne. Enfin, il respecte les gens, mais pas les institutions ni les dogmes, croyances ou les choses et personnes établies. Totalement iconoclaste. Il manie également toute sorte d'humour, de la blague primaire (des cours d'école du même nom) à celle qu'on ne mettra pas entre toutes les oreilles ni dans toutes les bouches si je puis me permettre cette image et surtout l'ironie dans son vrai sens ("raillerie qui consiste à dire le contraire de ce qu'on veut faire entendre"). Ce n'est pas toujours fin, c'est parfois un peu appuyé, mais j'aurais presque pu écrire toutes les phrases de ce genre de pamphlet moderne tellement je me disais à chaque fois : "il a raison, c'est exactement ce que je pense !" (quand je dis "j'aurais pu écrire", c'est évidemment une image... parce qu'en fait c'est moi qui les ai réellement écrites, M. Geluck ayant recours depuis longtemps à un nègre ; pour la BD il a dû en prendre un autre étant donné mes piètres talents de dessinateur)*

Parfois, l'humour se fait plus grave, moins ironique, on sent qu'alors le sujet touche l'auteur comme entre autres, (ce n'est qu'un exemple, car ces passages sont assez nombreux)  la pauvreté et la répulsion des riches à débourser de l'argent pour la combattre : "Cependant, même s'ils croulent sous le pognon, les nantis répugnent à débourser plus que leur quote-part, alors, ils placent leur argent à l'étranger pour aller rigoler dans des paradis fiscaux. Et là-bas, ça les éclate pareil." (p.104)

Ce bouquin risque fort de faire parler (voire hurler) parce qu'il s'attaque à tout, les religions en particulier (et je tiens ici à dire aux cathos qui disent toujours qu'on ne se moque que d'eux :"Tendez la joue gauche, m'sieurs-dames, Geluck en remet une couche !... 

Mais rassurez-vous, il en a autant après les autres."

Messieurs Geluck et Lattès (l'éditeur), je vous remercie d'avoir osé écrire (*ben oui, en fait ce n'est pas moi, c'était une blague !) et publier ce livre salutaire (comme le fer, a déjà dit Bourvil dans son irrésistible Causerie anti alcoolique), vous avez tout mon soutien (Georges, ah non pardon Philippe et JC ; ah ben que voulez-vous, je me mets au diapason des blagues primaires, pour les autres, je n'ose pas encore ici, j'ai de la tenue moi messieurs -et puis, tout à fait entre nous 3, parfois ma maman passe lire mon blog, alors, je voudrais pas qu'elle voie que j'ai écrit des grossièretés...)

 

Merci Anne

 

rentrée 2013

 

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Tango tranquille

Publié le par Yv

Tango tranquille, Verena Hanf, Castor Astral, 2013

Violette est une femme qui file gentiment vers un âge avancé et qui décide de partir vivre dans une maison, à Bruxelles. Isolée, elle coupe les ponts avec ses connaissances, ces femmes qui lui "voulaient du bien", Lucienne et Micheline. Là, elle vit pour elle, enfin, seule. Dans un parc, elle voit une première fois Enrique un jeune bolivien sans papier qui tente de trouver des petits boulots. Seul lui aussi mais par obligation. Rien a priori ne devait les faire se rencontrer, sauf le hasard.

Le livre est construit comme une alternance des narrateurs : une fois Violette (le plus souvent, les plus longues parties) et une fois Enrique, et ainsi de suite. C'est une sorte de dialogue muet entre eux deux fait de phases courtes voire très courtes. Aucun des deux personnages ne se pose vraiment de question existentielle. Ils font tous les deux, séparément, le point sur leurs vies : quelques retours dans le passé pour comprendre leur présent et leur envie de changer d'air et de solitude pour Violette qui n'est pas tendre avec les autres ni avec elle-même :

"Plus douloureux est le regard sur le corps. Mon corps est un peu délabré, limite cabossé. Mêmes les rondeurs ne sont plus rondes. Elles perdent leur contenance, elles tirent vers le bas. Pourtant je n'ai pas eu d'enfants. Ils n'ont servi à rien, ce ventre, ces hanches, ces seins. Violette, arrête ! Arrête une fois pour toutes avec tes complexes de femme qui n'a pas eu d'enfants. Comme s'il fallait enfanter pour exister à part entière aux yeux de la société." (p.39)

Violette n'est pas une dame vieillissante qui attire immédiatement la sympathie, totalement égocentrée et rétive aux contacts avec autrui. On ne sait pas trop pourquoi Enrique va lui donner cette impulsion pour aller vers lui, elle-même ne le sait pas non plus, parfois certains gestes ou comportements ne sont pas explicables. Toujours est-il que cette rencontre imprévisible les changera durablement, chacun avançant lentement et timidement vers l'autre et en lui.

Un très beau roman, très court qui ne sombre jamais dans le sentimentalisme facile : on est dans des rapports humains tout à fait réalistes entre deux personnes qui ne se livrent pas mais qui s'attachent l'une à l'autre. Tout les sépare, l'âge, la condition sociale, la couleur de peau, la culture et ce sont ces différences qui vont les lier. 

Écrit dans un style qui colle parfaitement à ce qu'il décrit : phrases courtes, efficaces, qui vont à l'essentiel et qui ne s'embarrassent pas de fioritures, pas de salamalecs, d'adjectifs superflus, d'adverbe en trop (je devrais prendre des cours avec Verena Hanf moi qui en mets partout) : "Je mange une dernière pomme de terre, je débarrasse la table, je fais la vaisselle, je regarde la pendule, c'est l'heure du repos maintenant. Je me brosse les dents, j'enlève mes chaussures, ma jupe et mes boucles d'oreille, je tire les rideaux et je m'allonge sur mon lit." (p.33), c'est un livre qui se lit aisément, dans lequel les pauses sont facilitées par de courts paragraphes, on peut donc le poser, le reprendre, ... Aucun ennui, aucun sentiment de longueur, c'est un roman épuré, court (167 pages) qui n'oublie pas de faire la part belle à ses personnages, à leurs relations et leurs sentiments. Une réussite pour ce premier roman écrit directement en français de Verena Hanf, auteure d'origine allemande et égypto-libanaise qui vit à Bruxelles.

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Lucia Antonia, funambule

Publié le par Yv

Lucia Antonia, funambule, Daniel Morvan, Éd. Zulma, 2013....,

Lucia Antonia et Arthénice sont deux funambules. Jumelles puisque nées le même jour mais pas sœurs. Elles marchent sur des fils, font du trapèze dans le cirque fondé par le grand-père de Lucia Antonia, Alcibiade. Le jour où Arthénice chute mortellement, sa complice est contrainte de quitter le cirque. Elle réside alors dans une presqu'île dans laquelle on récolte le sel. Elle consigne sur des carnets sa vie présente et son passé.

Zulma a l'habitude de concocter de belles surprises. Ce roman ne dérogera pas à cette règle. A condition d'aimer les livres qui ne racontent pas forcément une histoire avec un début et une fin, d'aimer être surpris et prendre son temps. Car c'est une histoire qui ne se presse pas, des personnages qui prennent le temps de réfléchir sur leur vie actuelle, passée et future. Lucia Antonia rencontrera Eugénie et sa fille Astrée, deux réfugiées, un garçon voilier qui lui tend ses fils et un peintre poursuivi par le souvenir d'un ancien modèle. Tous vont lentement. Tous ont des envies, des souhaits, des désirs qu'ils expriment plus ou moins, des soucis dus à leur art, à leur passé d'artiste ou d'émigrées. Ils se rencontreront pour tenter de repartir ensemble ou chacun de leur côté.

Daniel Morvan écrit un texte plein de douceur, de calme, une sorte d'oasis de quiétude dans les moments d'intensité, de course parfois un peu vaine que l'on peut vivre au quotidien. Un livre qui prend son temps et nous fait prendre le nôtre ! L'auteur procède par ellipses. En le lisant, on ne visualise pas un film, mais plutôt des images arrêtées, à nous de faire le lien ensuite entre icelles, ce qui est automatique et sans effort. Lucia Antonia parle indifféremment de son présent, d'Eugénie, d'Astrée du peintre ou du garçon voilier, mais aussi de son passé avec Arthénice, de l'avant-accident et de son aïeul Alcibiade (son arrière-grand-père) qui écrivait lui aussi sur des carnets, le créateur du cirque et sorte de dandy de son époque. 

C'est un récit qui avance par petites touches, 170 chapitres (écrits en chiffres romains = CLXX) pour 128 pages, avec des titres explicites qui permettent de se repérer dans le temps. Un livre superbement écrit, hymne à la liberté, la nature et la vie. Poétique. Onirique. Merveilleux. Lisez, par exemple, comment Daniel Morvan parle des marais salants :

"Sitôt les vannes ouvertes, l'eau se déploie en draperies cuivrées sous lesquelles la plaie séchée des sols craquelés cicatrise. De longues silhouettes arpentent les salines. Une main balaie la surface de l'eau et récolte le premier sel." (p.46)

Ou comment Lucia Antonia parle de son amour pour Arthénice sa presque-sœur et pour son art le funambulisme :

"Le fil est pour moi le lieu de la tranquillité et de la nuit. C'est sur le fil que je suis le plus proche d'Arthénice. J'y marche comme dans une forêt sans voûte étoilée pour l'éclairer. Toute pensée s'absente alors et je ne suis plus que mes pas sur un chemin de quatorze millimètres." (p.86)

"Un enchantement de lecture" est-il écrit sur le rabat de la première de couverture. Enchantement que je partage entièrement auquel je rajouterai même un ravissement. Et comme toujours, chez Zulma, la couverture est superbe et le livre (papier, mise en page, police d'écriture, aération du texte, ...) est un très bel objet.

 

rentrée 2013

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Les heures pâles

Publié le par Yv

Les heures pâles, Gabriel Robinson, Éd. Intervalles, 2013....

Le narrateur est un jeune homme qui vient de quitter Lyon pour Paris, il est journaliste. Un jour, une nouvelle, son père, un flic réputé, exemplaire, "professionnel de la vérité" (4ème de couverture) a une autre vie à côté de sa vie officielle de sa femme et ses deux garçons. Une autre femme et une fille de 18 ans. La famille implose. Entre ceux qui ne veulent pas comprendre, qui frôlent la folie, telle la femme-mère trompée et le narrateur qui préfère s'expliquer avec son père, avoir enfin de vraies discussions, des confidences, eux qui évitent de se parler. C'est aussi pour lui, une vraie enquête sur les traces de ses parents pour tenter de comprendre.

Mis à part un petit passage à vide aux trois quarts du bouquin, léger, quelques pages qui m'ont semblé moins intéressantes avant que la fin ne reprenne le dessus, ce livre est passionnant. Je ne suis pourtant pas un grand fan des épanchements, des "romans" ou récits dans lesquels l'auteur ou son double se raconte -je ne sais d'ailleurs pas ce qui, ici relève de la fiction ou du roman- ou alors, il faut que ça soit excellent : une écriture exigeante qui laisse passer les émotions (dans le genre, j'aime beaucoup Annie Ernaux, Charles Juliet qui ont basé toute leur œuvre littéraire sur l'autofiction, mais beaucoup d'autres également l'ont fait sur des livres très personnels tels Jacques A. Bertrand dans le très beau Le pas du loup). Eh bien, sans vouloir comparer Gabriel Robinson à ces grands noms de la littérature française contemporaine, il réussit à écrire un texte bourré d'émotions, de sentiments, de tendresse, d'admiration mais aussi de frustration envers ce père avec qui il n'a jamais pu parler, ce qui semble être un thème universel il va falloir que je voie cela de près avec mon grand garçon. La colère est présente, ainsi que la compassion envers la mère, touchée, coulée même par la découverte de la double vie de son mari. Le fils devient père pour ses parents et reste grand frère pour son cadet en même temps qu'il découvre sa sœur. Ce qui semble faire mentir un guide dogon que les parents ont consulté au début de leur vie commune et que leur fils, menant son enquête sur la vie de ses parents, a retrouvé : "Les fils sont le désordre, les fils sembleront toujours désordonnés aux yeux de leurs pères. Les pères construisent et nous, nous détruisons. C'est l'idée fixe, l'image courante." (p.8)

Écriture à la fois travaillée et limpide, exigeante comme je l'écrivais plus haut, qui fait la place belle aux émotions, alternant phrases courtes, un peu de dialogues et longues phrases, questions, jeux sur les mots, assonances :

"Hélas, parallèlement à ma peur exagérée des guêpes attirées par nos melons, j'avais le bourdon. Farceur sans complice, intégralement niais, les cheveux blanchis par le soleil provençal, juché sur BMX et vêtu de bermudas fleuris, je m'ennuyais gentil, régulièrement confondu en train de parler tout seul faute de gamins de mon âge familiers de ma langue ; il n'y avait que des Allemands, des Anglais et des Hollandais. Parler avec les mains ? Recréer le babil de Babel propre aux enfants qui se captent pour un jeu de balle, ferme les yeux jusqu'à cinq, un bisou." (p.37) 

"Le cœur épuisé, prêt à exploser, irrigué par le stress jusqu'à l'insomnie, la nausée, mon père a traversé des déserts, survécu tête baissée sans parler trop, ce chameau." (p.40)

J'aurais pu citer nombre d'autres extraits, personnellement, j'ai une faiblesse pour iceux : "Le babil de Babel" me ravit particulièrement. Aimer un texte peut tenir parfois à ce qui pourrait paraître des détails mais qui selon moi est le petit plus nécessaire, le je-ne-sais-quoi qui fait la différence entre deux textes : celui qu'il l'a et qui plaît et celui qui ne l'a pas et qui ne fait pas mouche. G. Robinson a manifestement ce petit plus , ce je-ne-sais quoi, sans doute le plaisir et le talent de faire jouer les mots entre eux.

Tout pour plaire ce livre qui explore les profondeurs des tourments humains, les relations familiales, les dits et les non-dits qui peuvent faire exploser un groupe, des individus ou une seule personne. Finement observé et magistralement narré. Pas larmoyant, même s'il n'est pas toujours gai, il ne tombe jamais dans le sordide, le vulgaire ou le pathos. Un premier roman très maîtrisé qui en laisse augurer d'autres de très bonne facture. Une très belle découverte, très convaincante pour cette rentrée littéraire de 2013.

rentrée 2013

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Lutte des classes

Publié le par Yv

Lutte des classes, Ascanio Celestini, Éd. Noir sur Blanc, 2013 (traduit par Christophe Mileschi)...,

Deux jeunes garçons vivent seuls avec leur oncle qui ne bouge plus de son fauteuil. Nicola, le grand travaille dans un centre d'appels, raconte ses histoires de sexe à son petit frère Salvatore, qui lui, étudie, travaille bien pour être diplômé ou ingénieur, ou les deux. Chacun intervient à son tour dans ce livre. Il y aura aussi Marinella qui racontera sa vie, son travail au centre d'appels, elle qui handicapée par un bec de lièvre se sait rejetée. Puis Patrizia, la voisine des garçons qui refuse l'aliénation du monde du travail et tente d'en sortir par tous les moyens.

Chaque personnage est le narrateur d'une partie du livre. Salvatore débute, suivi de Marinella, Nicola et Patrizia. Chacun raconte selon son âge, son sexe, son histoire ce qui se passe autour de lui. L'histoire de Salvatore est un peu différente des trois autres : c'est le seul enfant, il ne travaille pas au centre d'appels et même s'il est préoccupé par des questions sexuelles n'a pas encore d'envie d'aller plus loin dans des relations. Voilà ce qu'il dit dès les premières pages : "Quand le docteur a ouvert ma mère, il n'a pas trouvé l'œsophage. Il avait brûlé à cause de l'acide. Mon père s'en servait pour tuer les rats dans la poulaillère. [...] Alors il jetait de l'acide dans les trous à rats et il les brûlait. Mais l'hiver n'était pas loin et mon père voulait savoir si avec le froid l'acide gèle. Il disait "si ça se trouve je leur balance de l'acide dessus et au lieu de cramer les rats font du patin à glace". Il a mis la bouteille au freezer pour faire un test et ma mère l'a sifflée. C'est arrivé par erreur. Quand le docteur l'a ouverte, il n'a pas trouvé l'œsophage." (p.9) Forcément, après cette entrée en matière, pas vraiment appétissante, je vous l'accorde, on a envie de continuer. D'ailleurs, chaque partie consacrée à un nouveau narrateur commence par une phrase courte, marquante : "Barbie montre son cul sur le calendrier." (p.61), "Le nuage avait la forme d'une bite." (p.137), "Tu parles et aucun mot ne sort de ta bouche." (p.197). Le style général du bouquin est sur le même ton, des phrases assénées, courtes assassines parfois, directes, dans un langage courant, familier, avec parfois des petits morceaux de vulgarité, mais rien d'inaudible par nos oreilles habituées à bien pire à la télévision ou à la radio ou même à la maison parfois (sauf pour ceux et celles d'entre nous qui ont des enfants irréprochables qui n'écoutent ni ne retiennent les gros mots de l'école et dont les lèvres-les-nôtres, celles des adultes- ne laissent jamais passer un mot grossier)

Ascanio Celestini s'en prend brutalement et frontalement au monde du travail, à la précarité, aux grands capitalistes qui profitent du système et du besoin des gens de travailler pour vivre. Son constat est dur, réaliste ; certains cumulent plusieurs petits boulots mal payés pour subvenir à leurs besoins pourtant primordiaux : se nourrir, se vêtir, payer le loyer. Ils survivent, tentent de donner du sens à cette vie difficile et abrutissante. C'est un roman sombre, mais qui étonnamment n'est pas pesant. L'écriture de A. Celestini est enlevée, très proche du langage parlé. Il émaille son texte de passages drôles, qui l'aèrent un peu sans alléger le propos mais en le faisant passer sur un ton plus alerte. Néanmoins, je me dois d'écrire ici que certains passages sont redondants : plusieurs narrateurs racontent le même fait parfois sans y apporter de précisions supplémentaires, des lignes dont on pourrait aisément se passer. 

Un roman très atypique, dont il m'est bien difficile de dire si je l'ai aimé ou pas. Il en va parfois ainsi de certains bouquins. Mais je crois pouvoir affirmer que l'atmosphère qui s'en dégage et les personnages me resteront en tête. Un livre qui marque ne serait-ce que parce qu'il sort du lot.

 

rentrée 2013

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La piste des sortilèges

Publié le par Yv

La piste des sortilèges, Gary Victor, Vents d'ailleurs, 2013 (édition grand format, 2002)....,

Sonson Pipirit part à la recherche de son ami Persée Persifal qui erre sur la Piste, dans un monde entre le visible et l'invisible, entre la terre et le paradis, ce que nous appellerions le purgatoire. Persée est-il mort ? Sonson Pipirit ne le croit pas et il veut le ramener coûte que coûte sur terre en convaincant ou défiant dieux, morts-vivants ou tentatrices.

Il est difficile de résumer ce roman dense. C'est une épopée formidable, une quête initiatique dans laquelle Gary Victor se fait un plaisir de mêler la religion, la philosophie, la vie, la mort, la fidélité en amitié, la politique, l'amour, l'état de son pays Haïti de ses débuts à nos jours, ... Il y a une foultitude de personnages, des vivants, des morts, des divinités vodou qui fort heureusement apparaissent les uns après les autres si bien qu'on ne s'y perd pas. Récit extrêmement maîtrisé qui se laisse suivre très aisément même lorsque comme moi, on n'est pas féru du genre fantastique. Certes, on peut se perdre facilement dans les traditions et la religion vodou, mais G. Victor a eu l'intelligence de mettre en fin de volume d'une part un glossaire et d'autre part une liste des personnages intervenants, tous les deux bienvenus. 

Ce roman est long (581 pages dans sa version poche) mais jamais ennuyeux. La meilleure preuve est que parfois, je voulais passer vite tel ou tel passage mais qu'à chaque fois j'en étais empêché, attiré par le texte, les aventures de Sonson et les histoires annexes. Car si Sonson avance sur la Piste : "La Piste, c'est le purgatoire, la longue route où les mécréants doivent se dépouiller de leur peau d'homme pêcheur. La Piste, c'est le purgatoire avec une porte de sortie, une porte qui ne s'ouvre que sur l'enfer. La Piste, c'est la gomme qui efface tout, qui réduit l'âme à sa plus simple expression. La Piste, mon fils, c'est la punition suprême." (p.543), comme la définit Bawon Samedi (esprit gardien des cimetières dans le vodou), il doit passer des épreuves, raconter des histoires et en écouter. Lui raconte des bribes de la vie de Persée, tentant de justifier qu'il est un Juste et qu'il doit donc revenir sur terre, et il doit écouter les vies de ceux qui sont bloqués sur la Piste, certains avec des peines lourdes. C'est dans ces apartés que Gary Victor raconte son pays, depuis le temps des colonies lorsque les blancs contrôlaient tout jusqu'à la période plus proche de nous avec son Président Éternel et ses tristement célèbres tontons macoutes. Il y est aussi beaucoup question de religion, comment lentement, mais sûrement la religion catholique a supplanté le culte vodou. Gary n'épargne ni les tenants de l'une ni ceux de l'autre ni même les dieux de la religion vodou, les Iwa, mécontents des conversions des Haïtiens à une religion monothéiste auxquels ils cherchent à nuire et dont ils veulent récupérer les âmes. Beaucoup de questionnements sur la vie et la mort, sur l'amour, sur ce que l'on appelle maintenant la résilience. L'amour physique est abordé aussi de manière parfois brutale (il me faut préciser ici que Sonson Pipirit est muni d'un "énorme sexe que se disputent les filles des hommes et des dieux" (4ème de couverture), mais surtout de manière assez romantique, car Sonson est certes un homme qui aime le plaisir charnel, mais il respecte avant tout la femme avec laquelle il copule.

Un roman d'aventure moderne, haïtien, truculent, empreint des rites et traditions haïtiens, qui lorgne également vers la mythologie, les contes, les récits d'aventures de tout ordre, les romans initiatiques, la critique sociale et/ou politique. Un très joyeux mélange, formidablement mené, totalement maîtrisé, qui ne m'a pas laissé une seule seconde de répit qui m'a envoûté moi aussi au point de ne pouvoir aller plus vite que le rythme imposé par l'auteur, "le tout servi par une langue drue, baroque et inouïe." (4ème de couverture).

Grand merci à Clotilde.

 

rentrée 2013

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Le tennis est un sport romantique

Publié le par Yv

Le tennis est un sport romantique, Arnaud Friedmann, JC Lattès, 2013..,

Le 10 juin 1984, Hélène regarde la finale de Roland-Garros perdue par John McEnroe contre Ivan Lendl. A son fils qui supporte Lendl, elle annonce qu'il est le fils de McEnroe. Rentrée enceinte des États-Unis 5 ans auparavant, la nouvelle est tout à fait envisageable. Hélène demande à Julien, son garçon de garder le secret. Julien se mettra au tennis, pas très doué, encouragé par Hélène, dépressive. Au Besançon Tennis Club, lieu huppé de la ville.

Un thème on ne peut plus courant : la recherche d'identité, la construction d'un garçon pour devenir un homme. Quasiment identique au roman de V. Olmi, La nuit en vérité : un enfant grandit dans une famille monoparentale, la mère étant dans de grosses difficultés financières, psychiques, sociales. Là aussi, comme Enzo, Julien évolue dans un milieu qui n'est pas le sien. La bonne idée de départ est la paternité de John McEnroe (qui, évidemment ne sait pas qu'il a un fils caché ; se souvient-il d'ailleurs de sa nuit d'amour avec une jeune fille au pair française ?). Le problème est que l'idée s'effiloche et qu'elle ne tient pas tout le roman. La première partie est un peu poussive, entrecoupée de bonnes idées (comme les titres des chapitres : "10 JUIN 1984 LENDL BAT McENROE 3-6 2-6 6-4 7-5 7-5", "4 JUIN 1985 WILANDER BAT McENROE 6-1 7-5 7-5", ...). Hélène s'enfonce dans la dépression, Julien tente de réaliser des performances tennistiques, moi je me suis un peu ennuyé, ne connaissant pas grand’ chose au sport en question (enfin, au sport en général). En fait, très franchement, comme dans le livre de V. Olmi, certains clichés, certaines facilités dans un thème archi-éculé m'ont agacé. Et puis, et puis, la seconde partie est meilleure. Julien est adolescent, Hélène semble sortir de sa mauvaise passe. Les personnages sont travaillés plus en profondeur (bon on n'est pas encore dans les records de plongée, mais déjà sous la surface quand même). L'écriture d'Arnaud Friedmann n'est pas désagréable, légère et vive, dynamique. Elle colle assez à Julien, jeune homme qui veut vivre et montrer qu'il existe à défaut de pouvoir dire qui est son illustre père. Plonger encore plus profond dans l'océan (ah, que c'est beau cette image !!!) des relations entre les personnages, dans leurs tourments, en eux-mêmes aurait sûrement donné plus d'ampleur à ce roman sans vraiment de surprise, qui tourne en rond. Un tantinet superficiel même si loin d’être désagréable.

"- Pourquoi les gens ils applaudissent le méchant ?

A cette question, Hélène ne sait pas quoi répondre. La dernière cigarette empâte encore sa bouche. Son fils parle de John pour la première fois. L'appelle le méchant. Elle se retient de détailler l'ensemble des évidences qui s'imposent à ses yeux, ne répond rien, c'est plus simple ; elle laisse McEnroe se cambrer et frapper un service décroisé, ça devrait suffire." (p.9)

 

rentrée 2013

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Franz Schubert Express

Publié le par Yv

Franz Schubert Express, Tecia Werbowski, Éd. Noir sur Blanc, 2013 (traduit par Lori Saint-Martin et Paul Gagné, suivi de Gustav Mahler Express)....

Maya Ney est une psychologue à la retraite qui se voudrait détective. Elle séjourne régulièrement en Europe, et surtout entre Prague et Vienne, deux villes qu'elle aime. C'est dans le train entre ces deux cités, le Franz Schubert Express qu'elle fait la connaissance de Clara Blau, qui s'épanche et lui raconte ses malheurs. Mais est-ce vraiment la vérité ? Que cache cette femme sous ses dehors honnêtes et sincères ? Un an plus tard, toujours en villégiature, Maya Ney, prend le train dans l'autre sens (entre Vienne et Prague, le Gustav Mahler Express) ; elle est le témoin d'une scène pas banale aux conséquences tragiques. 

J'ai déjà lu avec grand plaisir un livre de Tecia Werbowski, Chambre 26, et je pourrais reprendre quasiment mot pour mot mon billet. Non pas sur le contenu du livre, mais sur la forme. Charme désuet d'une écriture intemporelle, on pourrait même croire à un récit se passant au 19ème alors qu'il est très actuel (il y est question d'euros, de CD, de lettres datées de 1998), personnages décalés dans leur époque, et contexte également décalé : voyage en train express, robes de soirées, musique classique, salons de thés (même si Maya Ney ne se refuse pas un grog de temps en temps), femme d'un certain âge qui se verrait bien en détective. Tout cela concourt à donner un rythme et un fond très particuliers. Un peu Agatha Christie évidemment. Un soupçon de Stefan Zweig dans la forme. Le style est policé, poli, élégant, sans omettre au détour d'une ligne un "Qu'est-ce que c'est que ce bordel ?" (p.23) lancé par une femme de la bonne société.

La première partie, Franz Schubert Express, est écrite à la première personne du singulier contrairement à la seconde (Gustav Mahler express) écrite à la troisième personne. Sincèrement, je préfère Franz Schubert (pas la musique, je suis totalement ignare en ce domaine), le "je" donne un côté plus proche de Maya, on est elle qui se pose des centaines de questions sur son interlocutrice, ou alors c'est l'histoire qui est mieux, plus intéressante. Le procédé de changement de point de vue me plaît bien, on peut ainsi se rendre compte facilement de la différence d'un récit en fonction du narrateur, différence de ressenti, d'interprétation, de projection. 

Pas vraiment des polars au sens strict du terme, plutôt des petits romans à l'esprit policier qui se lisent agréablement pour les histoires qu'ils racontent et pour l'écriture de Tecia Werbowski. Deux intrigues qui forment un livre de 88 pages, l'auteure étant spécialiste des petits romans dans lesquels le superflu est ôté pour ne laisser que le nécessaire. On pourrait regretter que l'intrigue ne soit pas plus développée, que T. Werbowski ne donne pas plus de corps à ses personnages, mais en y regardant de plus près, Maya est bien plus qu'esquissée et on connaît tout de l'histoire de Clara Brau. Alors pourquoi s'encombrer de détails inutiles ? Moi, j'aime ces formats courts, efficaces, que l'on peut emporter et lire rapidement en toutes circonstances (ou presque). Ne boudons pas notre plaisir !

 

rentrée 2013

polars

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Une histoire d'hommes

Publié le par Yv

Une histoire d'hommes, Zep, Éd. Rue de Sèvres, 2013....

Quatre hommes se retrouvent après une quinzaine d'années sans s'être vus tous ensemble. Ils étaient les membres d'un groupe de rock, promis à un bel avenir avant un incident de parcours qui les a vus se séparer. L'un d'entre eux, Sandro, le chanteur est resté rockeur, mondialement connu ; il vit en Angleterre et réunit ses anciens copains. Mais les rancunes, les jalousies sont parfois tenaces. Détruiront-elles l'amitié des quatre hommes ?

Zep, vous connaissez ? C'est le papa de Titeuf, mais aussi celui d'une BD qui me fait beaucoup rire, Captain Biceps, très drôle, très régressive. Pour cette histoire d'hommes, il change de registre et s'intéresse au monde de la musique, du rock. Ces quatre hommes devenus quarantenaires ont tous eu des désillusions, des vies plus ou moins choisies ou rêvées. C'est le moment de faire le point. Entre Sandro et Yvan son frère, il existe du ressentiment, de la rancœur, il faut dire que Sandro, celui qui a réussi dans la musique est aussi parti avec Annie, l'ex-petite amie d'Yvan, et qu'ils vivent toujours ensemble. La rencontre risque d'être houleuse. Je ne vous en dirai pas plus sur le scénario, pas forcément très nouveau, mais qui tient les 64 pages de l'album sans problème. L'humour n'est pas absent du volume, grâce notamment à l'un des membres du groupe, le batteur devenu restaurateur. Des phrases bien tournées également au détour d'une page, comme celle-ci que j'aime bien :

"- Et ton père ? Toujours à bricoler sa bagnole ?

- Non. Il est mort.

- Désolé.

- Il n'a jamais beaucoup vécu. Je suis pas sûr qu'il ait vu la différence." (p.43)

Les dessins sont magnifiques et les choix de couleur judicieux : dans les tons gris pour le temps présent et les flashbacks dans des tons violine, rose, turquoise ou vert voire marron en fonction de la personne qui s'exprime. Très bien vu et très aisé à suivre. J'ai vraiment beaucoup aimé ce bel album, de qualité tant pour le contenu que le contenant (non, non pas moi, le livre).

Un exemple du dessin ? Vous demandez, Yv le fait :

histoire d hommes 08

Vous pouvez voir d'autres extraits sur le site de Gilles Paris, attaché de presse, en cliquant sur son nom, et sur Babelio des avis.

Je ne doute pas que Zep trouvera un large lectorat même s'il risque de déstabiliser ses lecteurs habituels. Ça change de Titeuf !

 

rentrée 2013

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