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Une activité respectable

Publié le par Yv

Une activité respectable, Julia Kerninon, Le Rouergue, 2017....

Alors petite fille de cinq ans, les parents de Julia lui offrent une machine à écrire. Depuis, elle n'a cessé d'écrire, depuis vingt-cinq ans donc, et la romancière aujourd'hui âgée de trente ans, fait une pause et parle de ses parents dévoreurs de livres, de son éducation à la culture et de sa passion dévorante pour la lecture et l'écriture.

Après une première rencontre ratée, il faut bien le dire avec cette auteure (Buvard est classé dans un de mes articles désormais célèbres : Ça coince !), je n'ai pas hésité à la relire et bien m'en a pris. Ce petit livre autobiographique est très réussi. Parfois un peu agaçant pour l'homme mûr que je suis, tous les jours confrontés aux changements d'humeur d'adolescents, lorsqu'elle raconte ses débordements et ses excès d'adolescente, souvent touchante et émouvante lorsqu'elle évoque les relations familiales. On peut se demander pourquoi cette jeune femme commence maintenant le récit de sa vie, et puis on ne se pose plus la question très vite, puisque Julia Kerninon a des choses à dire, à écrire. Sur elle, sur ses parents, sur la littérature, sur la vie tout simplement. Et c'est surtout joliment raconté. Un style affirmé souvent fait de longues phrases, lentes, parce qu'elles décrivent la contemplation de la nature, le plaisir de se retrouver seule avec un livre, de partager des moments forts avec sa mère comme lorsqu'elles visitent toutes les deux Paris et la librairie Shakespeare and Company, habillées de manteaux léopard.

Julia Kerninon aborde aussi la question de la création, de l'écriture et de son besoin de se retrouver seule, loin des siens pour écrire. Seule à Budapest, sans beaucoup sortir et se mêler à la vie locale.

Je ne suis amateur de l'autofiction que lorsqu'il y a un plus littéraire, c'est le cas avec Annie Ernaux, Charles Juliet ou Edouard Levé découvert récemment et d'autres bien sûr que j'oublie. Très franchement, Julia Kerninon apporte quelque chose, malgré sa jeunesse, elle fait preuve d'une maturité certaine et d'un recul évident sur son travail mais garde la vivacité, la fraîcheur, la vitalité et une voix personnelle très intéressante. Ce court récit de 60 pages débute ainsi :

"A cinq ans et demi, j'ai passé un contrat avec mon père. Premier compromis d'une longue et fructueuse série, j'ai accepté de ne plus sucer mon pouce en échange d'un aller-retour à la capitale. Pourtant, c'est ma mère qui m'a emmenée -dans mon souvenir en tout cas il n' a qu'elle et moi au moment où elle s'est arrêtée net devant une façade, dans le quartier de Notre-Dame, et m'a fait déchiffrer l'enseigne de Shakespeare and Company."(p.9)

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Le banquier anarchiste

Publié le par Yv

Le banquier anarchiste, Fernando Pessoa, La Différence (traduit par Joaquim Vital), 2017 (1ère édition, 1983)...,

Attablés en fin de repas, deux amis discutent. Alors que la conversation s'éteint peu à peu, le narrateur lance son ami, banquier sur son anarchisme qu'il revendique. Comment peut-on être banquier et anarchiste ? C'est à cette question que le banquier va répondre en usant d'arguments et d'une rhétorique étonnants.

Ecrit en 1922, ce petit texte est la seule fiction parue du vivant de son auteur Fernando Pessoa (1888/1935). En à peine quatre-vingt-dix pages, ce "banquier, grand commerçant et accapareur notable" tente de convaincre son ami qu'il est un anarchiste convaincu, quasiment le seul anarchiste en théorie et en pratique, alors que les autres ne le sont qu'en théorie. Mais revenons au tout début de cet ouvrage, délicieux, une formule que je trouve épatante : "La conversation qui s'était alanguie peu à peu, gisait entre nous, morte. J'essayai de la ranimer, au hasard, en faisant appel à la première idée qui me passa par la tête." (p.7) La suite est le raisonnement jusqu'auboutiste, provocant et absurde du banquier. Le résumer ici serait faire injure à Pessoa mais aussi injustice aux futurs lecteurs pour qui la surprise serait moindre.

Le banquier alors jeune homme veut s'affranchir de ce qu'il appelle les "fictions sociales", c'est-à-dire ces chemins tout tracés selon que l'on naît riche ou pauvre, comte ou roturier, homme ou femme, ... Son raisonnement intellectuel d'abord intéressant et purement théorique qui part de la définition suivante de l'anarchisme : "la révolte contre toutes les conventions, toutes les formules sociales, le désir et l'effort de les abolir entièrement..." (p.18) le mènera vers des décisions étonnantes pour un anarchiste. Le refus de toute contrainte et tyrannie sociales le poussera à des questionnements et des réponses aux antipodes de ce que l'on s'attend à avoir dans un discours anar.

Si ce raisonnement peut faire sourire par ses excès, ses outrances, il fait également réfléchir aux discours auxquels nous sommes malheureusement habitués, ceux vides ou dénués de sens de certains politiciens. Je pourrais sourire et me servir de ce texte pour argumenter dans des dîners entre amis, car dans ces moments-là je trouve qu'il est drôle de défendre une opinion qui n'est pas forcément la mienne juste pour énerver les copains et boire un coup ensuite. Mais à y regarder de plus près, le texte de Pessoa malgré ses énormités et ses contradictions est plus qu'un amusement de fin de soirée tant il fait appel à des comportements de nos jours ancrés dans les mœurs. Finalement, on frissonne de tant de cynisme, et pourtant ce n'est qu'une fiction... que la réalité, presque un siècle plus tard a rattrapé.

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La nuit du second tour

Publié le par Yv

La nuit du second tour, Eric Pessan, Albin Michel, 2017.....

Les résultats du second tour des élections présidentielles viennent de tomber. Le pire est arrivé. David erre dans les rues, entre les émeutes, les voitures brûlées, dont la sienne, et ne parvient pas à rentrer chez lui, seul depuis qu'il a quitté Mina. Mina qui justement, s'est embarquée sur un porte-conteneurs en direction des Antilles, avant ce résultat qu'elle avait anticipé. La mer parfois calme, parfois en colère remue Mina dans ce qu'elle a de plus profond.

Ce n'est pas un secret pour qui suit ce blog : j'aime Eric Pessan, enfin, entendons-nous bien, lorsque j'écris cela, comprenez : j'aime les livres d'Eric Pessan. Je l'ai découvert il y a longtemps avec Les géocroiseurs et juste après avec L'effacement du monde, son premier roman, superbe, que je conseille vivement à tous. Je parle volontairement de ce premier roman, car j'ai retrouvé dans La nuit du second tour, la profondeur, la mélancolie, l'abîme dans lequel ses personnages s'enfoncent se posant mille et une questions. David et Mina sont deux personnes un peu perdues depuis qu'elles se sont quittées, David abruti par son parcours professionnel et sa peur de dire non à son responsable pour garder son emploi, Mina évoluant comme une somnambule, sans vraiment participer à sa vie. Et puis, quelques mois après cette séparation, survient une campagne pour l'élection présidentielle aussi lamentable que celle que nous subissons actuellement (qui pourrait bien se finir comme dans la fiction) : "Des années et des années de débats, de dénonciations, d'appels à l'intelligence, de luttes pour finalement en arriver là. L'addition des crises et des promesses trahies, des dépressions et des chances ratées, des petitesses et des rancœurs, des ego et des arrivismes, plus la conviction profonde que le pire ne se produira jamais ont permis que cela advienne." (p.129) Ces deux phrases peuvent décrire l'élection bien sûr mais aussi la relation entre David et son employeur. Sur fond de violence, de peur, de frustration, David et Mina évoluent, vont au plus profond d'eux-mêmes pour tenter de rebondir et se sortir de ce brouillard qui recouvre leurs vies : "Un jour, quelque chose devait fatalement céder, parce qu'il est plus facile de se rompre que de se transformer, de se déchirer que d'adopter une nouvelle forme. David habite une vie invivable, un champ devenu stérile de n'être pas entretenu." (p.16/17).

Ce roman est assez court, dense, formidablement écrit, les phrases élégantes, parfois très visuelles : "Des nappes de brouillard lacrymogène coulent au sol et lèvent des nuages à hauteur d'homme. Les volutes masquent la confusion, s'improvisent rideau, se tissent et se déchirent net quand un manifestant en jaillit, poursuivi par des policiers en civil." (p.102). L'écriture est sobre et travaillée, va à l'essentiel à l'intérieur de David et Mina, sans pour autant oublier de décrire les arrière-plans : ville en révolte ou océan déchaîné. Quelques chapitres du début et de la fin adoptent une ponctuation et un découpage particuliers marquant à la fois l'urgence de la situation et la déroute de David, Mina et plus globalement des Français accablés par le résultat de l'élection.

J'aurais aimé être plus léger dans mon propos, mais le bouquin est tellement en phase avec ce que nous vivons actuellement et qui n'est pas risible du tout que ça m'est impossible. Fillon sombre par trop de malhonnêteté et Le Pen grimpe haut, très haut, trop haut malgré une honnêteté aussi absente que celle de son confrère. La gauche est divisée comme jamais... J'ai rarement autant craint une élection.

Un roman -pour revenir à mon sujet principal- qui se lit lentement, malgré le feu dans les rues, qui se savoure pleinement et dont les deux protagonistes principaux risquent bien de marquer le lecteur durablement, j'ajoute une qualité littéraire indéniable et évidente, et voilà, un autre coup de cœur de ce début d'année.

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Les vérités provisoires

Publié le par Yv

Les vérités provisoires, Arnaud Dudek, Alma, 2017.....

Céline Carenti, jeune femme d'une vingtaine d'années a disparu depuis deux ans. L'enquête n'a pas permis de révéler quoi que ce soit sur cette disparition. Jules, son frère, finit par s'installer dans l'appartement de la jeune femme pour tenter de comprendre pourquoi sa sœur est partie, où et comment ? Il veut mener sa propre enquête. Jules est un solitaire, vaguement étudiant, menteur acharné. Un soir, le médecin coordinateur du SAMU lui demande d'aller tenir compagnie à son voisin du dessous en insuffisance respiratoire, le temps que les secours arrivent. Jules y va et en remontant chez lui, rencontre Bérénice sa jolie voisine.

Un très joli roman, le quatrième de l'auteur que personnellement je découvre. Le ton est décalé, le roman vif, drôle tout en abordant des thèmes sérieux. Il y est question de l'absence, de la disparition, de la solitude, de l'amour, de la mort, ... "Jules n'est pas guéri car on ne guérit pas de ce dont il souffre, une douleur qui ne s'éteindra pas tant que la vérité ne se fera pas sur Céline, une douleur qui ne s'éteindra peut-être jamais. Il parvient à vivre avec, c'est différent, mais c'est mieux que survivre sans." (p.167)

Jules est attachant et agaçant tout à la fois. On a envie de le secouer pour qu'il se bouge et prenne sa vie en main, qu'il ne passe pas à côté des belles rencontres qu'il fait. Et puis, on comprend qu'il lui est difficile de se lever pour aller étudier. Il est mou, mais son côté décalé, en dehors des normes et des codes le rendent sympathiques. On imagine même que les digressions d'Arnaud Dudek, souvent drôles, simples naissent dans le cerveau de Jules :

"La voisine propose alors de poursuivre la conversation chez elle, devant une tisane aux graines de fenouil -comme deux Français sur cinq, Bérénice croit aux bienfaits de l'homéopathie, qu'il convient de ne pas confondre avec la phytothérapie. Jules n'y voit pas d'inconvénient. Bien au contraire." (p.49)

C'est charmant, tendre et délicat, je n'ai pas assez d'adjectifs de ce genre pour qualifier ce roman, mais le mieux serait de faire une liste d'iceux, c'est ce qui me vient à l'esprit lorsque je parle de mon ressenti pendant et après ma lecture. Ou alors, citer des passages et encore citer, tant je me suis plu dans l'univers du romancier. Un doux moment de quiétude, sans bruit et sans fureur, mais pour autant pas sage et oubliable. Une écriture que j'aime beaucoup qui tant qu'on la lit ravit et qui, une fois quittée laisse un joli goût de revenez-y comme on dit chez moi.

Décidément, beaucoup de belles plumes poétiques, décalées, drôles, émouvantes, tendres, étonnantes, et tout et tout chez Alma.

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Brutale

Publié le par Yv

Brutale, Jacques-Olivier Bosco, Robert Laffont, 2017.....

Le lieutenant Lise Lartéguy, flique à la BRB est fille de flic, sœur de capitaine de gendarmerie et surtout tête brûlée. Le soir où elle surprend des casseurs de bijouterie, elle les prend en chasse en plein Paris, finit par casser la voiture et blesser l'un des cambrioleurs.

Mais Lise est aussi en proie au démon qui sommeille en elle et qui, lorsqu'il se réveille, lui fait endosser un rôle de justicière, de redresseuse de torts.

Le jour où Camille, son frère, est victime d'une fusillade, Lise met tout en œuvre pour retrouver les coupables, quitte à frayer avec des gens du milieu... Attention à La Bête qui sommeille.

Lire un roman de Jacques-Olivier Bosco -JOB pour ses lecteurs- c'est vivre à une vitesse largement réprimandée par les forces publiques. L'avantage c'est que si l'on est pris pour excès de vitesse, on ne peut pas l'être pour ébriété, puisqu'il est impossible de lâcher le livre pour aller boire ; à peine est-il entamé qu'on a envie de le finir et qu'on le finit. Ça va vite, très vite, très très vite, très très très vite... C'en est même fou, tant de célérité et tant d'action dans un roman policier. Lorsqu'une est finie, hop une autre débute et il faut bien des détours violents et agités -et passionnants- pour arriver au bout de cette intrigue. Lise est jolie. Lise est forte. Mais Lise est malheureuse et pas très équilibrée. JOB s'attarde un peu sur l'enfance de la jeune femme, sur ses difficultés relationnelles avec sa mère et son frère. Il ne fait pas un portrait détaillé, mais on en sait assez pour la suivre avec intérêt et souhaiter la voir s'en sortir, même si on se demande bien par quel miracle elle y parviendrait et dans quel état physique et psychique. Le propos de JOB n'est pas de nous faire un portrait psychologique de tel ou tel personnage, non, il est de nous tenir en haleine avec un polar 100% action. Certains passages peuvent êtres durs, violents, à la limite du soutenable, mais peu nombreux, et on peut toujours les passer.

En prime, on retrouve avec bonheur l'un des personnages d'un autre roman de JOB, Gosta, dit Le Cramé, un voyou qui dans le roman qui porte son surnom endosse un rôle de flic ; tout l'inverse de Brutale dans lequel Lise endosse un rôle de truand. Lise est brutale, dangereuse, incontrôlable, sexy, complètement barge et à côté de la plaque, elle obtient toujours ce qu'elle veut. Une femme forte qu'il vaut mieux connaître en littérature. C'est assez rare de voir des filles de ce genre dans le polar, là les mecs ont intérêt de se tenir et de se surpasser pour la suivre. C'est sans doute un peu exagéré ? Oui, sûrement mais on s'en moque, ça fonctionne au-delà de l'espéré. Je me suis laissé embarquer, balader, je suis même devenu voyeur dans ses moments d'intimité et tout cela en en redemandant. Ajoutons une bande-son punchy : Pink Floyd, Amy Winehouse, Metallica, Marylin Manson, AC/DC...

Ah, quel pied un bon polar de JOB ! Je traversais une période avec des lectures un peu mièvres, certaines dont je ne parle même pas dans le blog, parce que je n'avais rien à en dire ni du bien ni du mal, certaines à peine entamées déjà abandonnées... Un livre de JOB fonctionne comme un antidépresseur, un remède anti-ennui. Je peux reprendre mes activités normales de lecteur, je suis reboosté pour un moment.

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Dans le labyrinthe

Publié le par Yv

Dans le labyrinthe, Sigge Eklund, Piranha, 2017 (traduit par Martine Sgard)...

Une belle banlieue de Stockholm, mai 2010, Magda, onze ans, fille de Martin, éditeur et de Åsa, psychologue disparaît. La police après quelques jours de recherches en vient à soupçonner les parents, notamment le père qui s’emporte aisément. Martin, puis Åsa, à tour de rôle racontent les quelques mois précédant la disparition et ceux qui suivent, puis Tom ami et collègue de Martin et enfin Katja l’amie de Tom et également infirmière scolaire dans l’école de Magda.

Je suis à la fois dubitatif, déçu et emballé par ce roman. Déçu et dubitatif, parce qu’il démarre très lentement, que tout peine à s’installer et que l’auteur se noie dans des détails inintéressants qui allongent la sauce sans lui donner de saveur plus épicée. Chacun des quatre intervenants a ses chapitres, d’abord Åsa, puis Tom, puis Martin, puis Katja, cette série dans cet ordre est répétée une seconde fois. Il faut attendre l’intervention de Martin (p.89) pour qu’enfin se dessine quelque chose. Une chose que l’on ne fait encore que ressentir, mais que l’on imagine très différente et surtout plus complexe que ce que l’on pouvait envisager au départ. C’est d’ailleurs la grande force de ce roman -d'où mon côté emballé du départ- que de nous informer par bribes et par recoupement d’informations que l’on glane avec chacun des intervenants. Ils sont tous les quatre liés, ne le savent pas forcément, ne se connaissent pas bien, et chacun a une version des jours qui précèdent la disparition de Magda qui concerne un autre ou plusieurs autres. Ce qui fait que l’on est toujours dans l’incertitude de qui a fait quoi et que l’on se pose beaucoup de questions.

Ces chapitres sont aussi des moments d’introspection profonds, les hommes et les femmes se révèlent, parlent de leur enfance qui, chacune cache une frustration, une douleur vive, difficiles à surmonter. Chacun devient, au fil des pages, de plus en plus complexe avouant ainsi une part de faiblesse, un possible passage à l’acte, plus sombre aussi, à la fois plus simple à comprendre et plus énigmatique.

Mais dans le même temps, le roman est long, si la seconde partie est plus dynamique, que l’on peut enfin s’intéresser aux relations compliquées entre les personnages, la petite Magda semble être oubliée au profit des questionnements adultes. Certes, elle n’est que le prétexte à la construction du roman, mais elle aurait peut-être mérité un intérêt un peu plus grand de la part de l’auteur en lieu et place de ses détails inutiles.

La construction du livre est telle qu’imaginée dans le titre, c’est un labyrinthe dans lequel on peut se perdre et se retrouver, s’ennuyer et quand on trouve la fin être particulièrement heureux et ne penser qu’aux bons moments passés à chercher son chemin.

Un ouvrage noir au possible, à découvrir.

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F

Publié le par Yv

F, Antonio Xerxenesky, Asphalte, 2016 (traduit par Mélanie Fusaro)...,

Ana a vingt-cinq ans, elle est brésilienne et a un passé déjà bien rempli. Recrutée en tant que tueuse à gages, elle s'est entraînée avec la guérilla cubaine, a accepté des missions difficiles qu'elle a toujours menées avec succès. Cette fois-ci, elle doit tuer Orson Welles. Nous sommes en 1985, Ana ne connaît rien de l'œuvre de Welles, elle doit avant de l'approcher, découvrir sa filmographie. Pour cela, détour par la France, où une rétrospective Welles est organisée.

Roman en trois parties qui commence formidablement bien par la vie d'Ana et les raisons qui l'ont amenée à exercer ce métier peu courant et foncièrement masculin dans la littérature et le cinéma. C'est aussi dans cette partie qu'elle découvre les films d'Orson Welles. Le livre est construit avec des retours en arrière qui permettent d'éclairer la situation présente et la personnalité d'Ana. De très belles réflexions sur l'art : "Combien d'œuvres impressionnantes du cinéma et de la littérature ont surgi des pires conflits ? [...] L'expérience artistique semble toujours surgir dans les moments d'horreur, de désespoir ou simplement de privation. Un esprit tranquille ne produit pas d'art. Pour autant, existe-t-il quelqu'un en pleine possession de ses facultés qui aimerait voir la seconde guerre mondiale se répéter ? Pour autant, existe-t-il quelqu'un qui renoncerait à s'émouvoir des images d'une Vienne ruinée dans Le Troisième Homme ?" (p.31/32). Antonio Xerxenesky pose aussi la question de ce qu'est l'art. Qui décide de ce qui est art et de ce qui ne l'est pas ? "Qui es-tu pour définir ce qui est de l'art ou ce qui n'en est pas ?" (p.90).

La deuxième partie est un peu longue, c'est celle de la rencontre avec Orson Welles et j'ai trouvé que le romancier reprenait beaucoup de ses questionnements, mais cette fois-ci en changeant le contexte, ce qui m'a quand même donné l'impression qu'il se répétait, tournait un peu en rond.

C'est un roman très musical, mais mon souci est que je ne suis pas très fan de la musique des années 80. Bon rassurez-vous, Antonio Xerxenersky nous épargne toute la daube française des ces années-là qui refait surface depuis quelques années... Non, là on est plutôt sur Depeche mode, Joy division, New order, Duran Duran, Sisters of mercy, ... Je n'ai jamais été amateur de cette musique froide et sombre, très calibrée et très similaire d'un groupe à l'autre. Il développe pas mal sur les chansons de ces artistes que je n'apprécie pas plus que cela, ça sonne un peu métallique, boîte à rythme et c'est totalement déshumanisé. Heureusement, il est question -trop brièvement à mon goût- de Bruce Springsteen, là j'aurais pu adhérer...

Du bon et du moins bon dans ce roman, avec un beau personnage de jeune femme qui se cherche, pour qui la rencontre avec Orson Welles sera déterminante -et vice-versa. Je ne suis pas totalement convaincu parce que le roman est un peu déséquilibré avec cette deuxième partie plus faible, mais la troisième et courte ultime partie en forme de bilan, permet de finir sur de bonnes notes, sur cette jeune femme qui se pose des questions, qui cherche des réponses... aura-t-elle le temps de les trouver ?

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La chambre de verre

Publié le par Yv

La chambre de verre, Axel, Ed. Dynamite, 2017

Flavia a 44 ans et plus de boulot. Sauf depuis quelques mois où elle s'exhibe chez elle, nue, sur son lit, sous sa douche, dans tous ses moments intimes, sur un site qu'elle a créé. Son appartement est bardé de webcaméras à travers lesquelles elle montre sa solitude et son corps. A l'occasion d'une fête entre amis, Flavia rencontre Marco auquel elle parle assez vite de son activité au risque de ne rien pouvoir construire avec lui.

Attention, éloignez les enfants de cette page érotique même si j'ai bien conscience que cette annonce liminaire peut avoir deux effets, un celui d'alerter les parents et deux celui contraire à ma demande de rapprocher les enfants -les grands- d'une page qui peut les émoustiller. Mais que nenni, chers amis adolescents qui venez ici, je ne mettrai pas d'autre photo que la couverture...

Cet avertissement énoncé, venons-en au contenu de cette bande dessinée, peu dialoguée aux grandes cases dessinées (3 ou 4 par page voire 5 dans le cas des dialogues). La place est donc belle pour les dessins et particulièrement ceux qui représentent Flavia chez elle seule ou avec Marco. Cette BD est érotique, certes, mais elle présente aussi le portrait d'une belle femme. Il est assez rare de montrer des quarantenaires, la littérature, le cinéma parlent souvent des trentenaires voire plus jeunes. Flavia est une femme ordinaire avec la petite particularité de son exhibition. À part cela, elle vit dans le même monde que nous avec ses difficultés et ses contraintes. Plus de boulot, plus d'argent, seule à 44 ans, pas facile de construire quelque chose. Néanmoins, elle ne s'avoue pas vaincue et ose. Ce n'est pas un essai sur la solitude en milieu urbain et sur la prolifération des sites pour adultes, juste l'histoire d'une femme qui ne se sent pas bien en groupe et qui se sent sécurisée chez elle, matée par des internautes. 

Côté dessins, on est dans du réaliste, tant pour les traits que pour les couleurs. Un chat est un chat si je puis m'exprimer ainsi... Rien n'est caché même si l'on n’est pas dans du porno pur et dur -si je puis me permettre-, il faut savoir que l'œuvre est à réserver aux adultes.

Un clin d'œil coquin en ce jour de Saint-Valentin...

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Proies faciles

Publié le par Yv

Proies faciles, Miguelanxo Prado, Rue de Sèvres, 2017 (traduit par Sophie Hofnung).....

Espagne, début 2014, un commercial d'une banque est retrouvé mort chez lui. L'inspectrice Tabares et Sottilo son adjoint sont chargés de l'affaire. Bientôt, un autre meurtre d'une personne travaillant dans une banque, puis un autre, et encore un autre... Les policiers sont débordés et ne savent pas par quel bout prendre cette enquête. Des accidents fortuits ? Impossible, puisqu'il y a empoisonnements. Alors ? Un tueur en série ? Une machination ?

Miguelanxo Prado est un auteur de BD espagnol qui s'est plutôt illustré dans l'humour et la poésie (cf. Wikipédia). Il s'attaque à un genre très particulier, le polar social. Et il y excelle. Son ouvrage est très bon sur le scénario notamment, cette intrigue qui tient jusqu'au bout les flics et nous les lecteurs. On ne sait pas trop où il nous emmène, vers quel coupable. Lorsque la fin se dessine, si l'on n'est pas surpris parce que finalement c'est celle que l'on s'attendait un peu à lire et voir, eh bien, malgré tout, on se dit qu'il a mené fort brillamment son sujet et qu'il nous a baladés au long des presque cent pages.

On est en plein cœur de la crise, les gens perdent leur argent confié aux banques qui ont investi de manière légère et qui ne remboursent pas les pertes. Beaucoup de gens se retrouvent dans des situations difficiles, tendues et notamment des personnes âgées qui ont perdu l'argent de toute une vie et qui ne peuvent plus vivre décemment ni aider leurs enfants et petits-enfants eux-mêmes en difficulté à cause du chômage, des emplois précaires...

C'est la même histoire partout sur la planète, les riches sont de plus en plus riches, les pauvres s'appauvrissent et subissent la loi des quelques qui ont argent et pouvoir (cf. Trump et son gouvernement de milliardaires et millionnaires...). Miguelanxo Prado met tout cela en scène et c'est joliment fait. Dessin noir et blanc sur fond grisé centré sur les personnages, peu de décors extérieurs, mais lorsqu'ils sont présents, ils le sont d’une manière forte : traits droits des immeubles et des rues qui tranchent avec les courbes des humains. Dit comme cela, ça pourrait paraître sombre, mais ça ne l'est pas, le duo de flic fonctionne bien, plaisante et permet de comprendre l'escroquerie des banques. Les deux sont humains et n'entendent pas faire leur boulot salement, même s'ils sont là pour obéir aux ordres.

Une BD absolument formidable qui en plus de faire passer un bon moment, permet de se poser des questions, de réfléchir à la société que l'on veut. Et en cette année d'élections, il est indispensable de se poser la question et de la confronter aux programmes des différents candidats.

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