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La griffe

Publié le par Yv

La griffe, Verena Hanf, Ed. Lamiroy, 2021

Alma, jeune femme abandonnée bébé a été recueillie par Emma qui vient de mourir. Seule, différente, ronde et avec de grosses difficultés de langage, elle n'est jamais parvenue à se faire des amis dans le village. Une nouvelle voisine emménage, sera-t-elle celle qui permettra à Alma de sortir de sa solitude ?

Très beau court texte de Verena Hanf, qui, en quelques pages dresse un portrait de la jeune femme et de sa vie. Tout est dit de ce qu'elle est réellement et de ce qu'elle renvoie et de ce que pensent d'elle les habitants du village. La différence est toujours difficile à tolérer. Ce que j'aime bien dans ce récit c'est que l'auteure s'est mise dans la peau d'Alma et raconte sa vie, ses désirs, ses peurs, son amour de la nature et des animaux, en particulier des chats, ce qui nous contraint nous lecteurs, à ne pas la regarder comme une personne différente. Alma pourrait être celle que l'on nommait jadis, l'idiote du village, sans jamais prêter à ce type de personnages des sentiments, des réflexions, des désirs -ou alors des malsains, de ceux qui font d'eux des agresseurs ou des coupables désignés.

C'est très joliment écrit, du point de vue d'une jeune femme qui aime ce qui l'entoure et qui aime la discrétion : "J'aime le brouillard, il est doux et tendre, m'enveloppe dans une douceur humide, s'adapte à mon corps et cache mes pas. Je marche sans faire de bruit, me faufile habilement entre les jardins et les champs, et grâce à cet épais nuage qui couvre tout le village, on ne me voit pas." (p. 5) C'est court et dense, d'aucuns pourraient dire trop court, mais non, en finissant le texte, on se dit qu'on a fait une belle rencontre, mais qu'il ne faut point trop effrayer Alma.

Les éditions Lamiroy, belges, proposent des nouvelles dans cette collection Opuscule et proposent même, quelle bonne idée, de s'abonner pour des périodes variables et recevoir, chaque fin de semaine dans sa boîte à lettres une nouvelle éditée sur papier ou en version numérique. Je me suis laissé tenter.

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Walter Appleduck cow-boy stagiaire

Publié le par Yv

Walter Appleduck cow-boy stagiaire, Fabrice Erre, Fabcaro, Dupuis, 2019

Walter Appleduck est étudiant en master cow-boy et fait un stage dans le bureau du shérif de Dirty Old Town. C'est Billy, le shérif-adjoint qui est chargé de sa formation. Entre l'étudiant lettré et cultivé et le shérif un peu limité et même le reste de la population, les quiproquos sont nombreux. Mais chacun apprendra des autres.

Fabcaro scénarise et Fabrice Erre dessine cet album crétin et savoureux, multi-référencé à la BD, au western, à la BD-western et à l'actualité. De nombreux clins d’œil -dit-on clins d’œil ou clin d'yeux ? Euh..., clins d’œil car l'on n'en cligne qu'un seul à la fois ?- a des personnalités de divers horizons. L'humour est basé sur des situations bêtes, des anachronismes entre Billy qui vit au temps du Far-West et Walter qui a des références très en avance sur son temps, qui lorgnent vers le XXIème siècle. Les deux auteurs parviennent à aborder des thèmes très actuels : les réseaux sociaux, le racisme et la xénophobie, la justice, le sexisme, la "presse voyeuriste et dégradante qui n'a pour but que d'avilir autrui en étalant son intimité" (p.46) que d'aucuns nomment plus couramment et en bon français la presse-people.

C'est franchement très drôle et le dessin virevoltant et très coloré (par Sandrine Greff) participe à la bonne humeur. Très crétin disais-je ci-dessus, très décalé, un humour potache en même temps que sérieux par les thèmes abordés, l'humour faisant souvent passer des messages bien plus efficacement que de longs discours. Il paraîtrait qu'un tome 2 serait sorti...

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L'égaré de Saint-Mathieu

Publié le par Yv

L'égaré de Saint-Mathieu, Anne-Solen Kerbrat, Palémon, 2021

Le commissaire Jean-Louis Perrot est appelé sur une prise d'otage, le ravisseur ne voulant parler qu'à lui seul. Grièvement blessé, il est contraint de se réfugier à Penmarc'h pour échapper à celui qui lui en veut personnellement.

Ses collègues trouvent dans une rue de Quimper un vieil homme, sans doute atteint de la maladie d'Alzheimer, mutique qui intrigue la capitaine Katell Le Scornec.

De son côté, Jeanne Sixte, la compagne de Perrot travaille sur un réseau pédophile qui sévit dans la région.

Roman policier qui part sur plusieurs enquêtes voire semble s'éparpiller et qui, en fait, est finement et astucieusement bâti. La bonne idée de départ est de mettre momentanément les héros des tomes précédents -Jean-Louis Perrot et son adjoint Lefebvre- en sommeil pour valoriser les habituels seconds rôles. A ce jeu, c'est le commandant Julien Heurtel et la capitaine Katell Le Scornec qui tirent les bons numéros. Avec cette idée, on sent la force de l'équipe de flics et leur entraide, et Anne-Solen Kerbrat peut varier les plaisirs en alternant ses enquêteurs et, comme ici, leur créer des vies personnelles intéressantes et diverses.

C'est un roman tendu, entre la tentative d'assassinat de Perrot et un réseau pédophile à démanteler, le ton n'est point à la galéjade. Néanmoins, comme les autres polars de cette série, il n'est pas plombant ni trop lourd, l'autrice ne s'appesantit pas sur des détails scabreux et/ou croustillants. Les enquêtes sont rondement menées mais pas bâclées, chaque flic abattant un travail conséquent. Un roman qui s'inscrit dans la série Perrot et Lefebvre et qui peut se lire, bien sûr, indépendamment des treize titres précédents. D'ailleurs, je n'en ai lu que deux autres-pour le moment-, très bien eux aussi : Le tableau de Maï et L'archipel des secrets.

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Enrage contre la mort de la lumière

Publié le par Yv

Enrage contre la mort de la lumière, Futhi Ntshingila, Belleville, 2021 (traduit par Estelle Flory)

Mvelo adolescente de 14 ans vit avec sa mère Zola dans un bidonville d'Afrique du sud. Ce ne fut pas toujours le cas, Zola était championne de course à pied avant d'être enceinte et reniée par son père.

A à peine plus de trente ans, Zola meurt du SIDA, laissant Mvelo seule dans leur cahute. Seule pour se confronter au monde violent du dehors dans lesquels les jeunes filles risquent le viol à chaque coin de rue. Seule pour vivre dans un pays ravagé par l'apartheid et la misère.

Futhi Ntshingila est journaliste, ce roman dont le titre est emprunté à un poème de Dylan Thomas est son deuxième. La couverture est l’œuvre de Agrippa M Hlophe, artiste sud-africaine.

Très beau roman qui met en scène des femmes. Des femmes fortes aux destins divers, qui toutes devront se battre et faire preuve d'une force de caractère peu commune pour résister à tout ce qui les entoure : les agressions, les viols, la misère, le racisme, le sexisme... Elles sont attachantes, émouvantes, on a très envie qu'elles se sortent du cercle vicieux dans lequel elles entrent dès l'enfance. Les femmes de Futhi Ntshingila sont puissantes, elles ne se laissent pas faire même lorsqu'elles subissent. Elles luttent pour leurs droits de femmes noires.

C'est un roman prenant, écrit dans une langue simple qui fait ressentir les émotions des héroïnes, qui amène inévitablement des images. A travers les luttes de Mvelo, Zola et les autres, l'autrice écrit un livre plus général sur les femmes. Le particulier et le fictif pour décrire l'universel et le réel. Il débute ainsi :

"Après l'enterrement de Sipho les choses empirèrent peu à peu pour Mvelo et sa mère Zola. Mvelo était jeune, mais elle se sentait vieille comme une chaussure usée. Elle avait quatorze ans et son esprit quarante. Elle arrêta de chanter. Pour sa mère, elle essayait de toutes ses forces de rester optimiste, mais l'espoir glissait entre ses mains comme un poisson. Elles se trouvaient déjà dans une situation difficile, lorsque quelqu'un du bureau de versement des pensions avait décidé de suspendre leurs aides sociales. Elles recevaient une aide parce qu'elle était mineure, élevée par une mère célibataire de trente et un ans ; l'autre était pour Zola, à cause de son statut." (p.11)

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L'homme qui souriait

Publié le par Yv

L'homme qui souriait, Henning Mankell, Seuil, 2005 (traduit par Anna Gibson)

Alors que Kurt Wallander est en arrêt maladie depuis un an et qu'il ne sait pas encore s'il retrouve sa place de flic ou s'il abandonne le métier, l'un de ses amis vient le voir sur son lieu de repos. Sten Torstensson est avocat et a gardé contact avec Kurt après s'être occupé de son divorce. S'il vient le voir c'est qu'il ne croit pas à la mort accidentelle de son père, avocat d'affaires. Wallander lui demande d'aller voir la police, lui n'étant pas vraiment dans l'idée de reprendre le travail. Lorsqu'il apprend que Sten Torstensson s'est fait assassiner, sa décision est prise, il reprend son poste de commissaire à Ystad et l'enquête sur la mort de son ami et de son père.

Nous avions laissé Kurt en fâcheuse posture après son enquête en lien avec l'Afrique du Sud (La lionne blanche). Il a sombré dans une dépression profonde et peine, un an après à reprendre pied jusqu'à se demander s'il reste flic. Comme souvent avec lui, c'est un événement qui lui fera prendre une décision en quelques secondes. Et il va mener cette quatrième enquête avec fougue. J'avoue que j'avais un peu oublié ce tome, seules les circonstances de la mort du vieil avocat me restaient en mémoire. Sans doute, parce que Henning Mankell, contrairement à ses autres romans policiers, ne parle pas beaucoup de ses thèmes favoris, le racisme, le changement de la société suédoise et mondiale... Il nous plonge davantage dans les tourments de Kurt et dans le monde de la finance et des puissants de ce monde prêts à tout pour l'être encore un peu plus. "Je te parle du monde mystérieux des politiciens. Où derrière les interminables parlottes on ne fait que passer au tamis les moustiques en avalant des chameaux. Où chacun va se coucher le soir en priant pour que le lendemain il soit possible de transformer l'eau en vin." (p. 244/245)

C'est aussi dans ce roman qu'apparaît une nouvelle collègue de Kurt, la première femme flic, Ann-Britt Höglund qui va se révéler très douée et précieuse pour dénouer les fils de cette enquête particulièrement tortueuse. Quatre cents pages -écrites en 1994 pour une action qui se déroule l'année précédente et traduites par l'excellente Anna Gibson plus de dix ans après- qui montrent le travail méthodique, fastidieux et long des policiers qui cherchent un fil et le déroulent jusqu'au bout quand bien même il ne mène nulle part. Wallander ne tape jamais au hasard, lorsqu'il se forge une conviction, c'est qu'il a éliminé toutes les autres possibilités par ce travail. C'est un flic inépuisable, opiniâtre, qui ne lâche jamais et qu'on ne lâche pas nous non plus.

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Dossiers froids

Publié le par Yv

Dossiers froids, Patrick Fouillard, Ouest France, 2020

C'est l'heure de la retraite pour Isidore Lune, gendarme dans une petite ville de Bretagne, Ploutécrat. Célibataire et sans enfant, il compte bien passer son temps libre à exhumer des affaires classées et non élucidées, comme la disparition de trois fillettes au même âge à sept ans d'écart. Aucune n'a été retrouvée et Isidore est persuadé que c'est un habitant de la ville qui les a enlevées.

L'ex-gendarme se heurte très vite à l'hostilité des habitants, à leur scepticisme quant à ses capacités à résoudre une affaire que ni la police ni la gendarmerie n'a pu élucider. Il lui faudra arpenter les rues, écouter et tenter de se faire prendre au sérieux.

Naissance -si je puis dire puisqu'il part à la retraite- d'un nouvel enquêteur en la personne du sympathique Isidore Lune. Je ne sais pas s'il reviendra mais il m'a bien plu. C'est un mélange de Hercule Poirot et Maigret pour cette espèce de nonchalance, de tranquillité, l'humilité -qui n'est pas la qualité principale du premier nommé- en sus. C'est un homme calme et réservé qui laisse traîner ses oreilles et fait tourner ses méninges très vite. Son principal souci est que parmi tous les gens qu'il a côtoyés pendant presque toute sa vie figure le présumé coupable et qu'il pourrait lui donner des informations sans le vouloir. Imaginez, pour ceux qui ont la chance d'habiter une petite ville, qu'après avoir exercé une fonction vous amenant à côtoyer quasiment tous ses habitants vous soyez maintenant contraint de les suspecter tous de probables crimes sur enfants ! Position peu enviable.

C'est vraiment un polar très plaisant, lent mais pas long ni ennuyeux. Lune est homme à chats puisque Bastet et Isis, deux adorables petites félines l'attendent tous les soirs. Il est fidèle en amitié, solide. Un homme ordinaire qui n'aura pas besoin d'artifices ni de courses poursuites -il roule en 2CV Charleston jaune et noire- ni de menaces violentes. Pas de sang, une histoire qui se déroule dans la Bretagne du nord, ni belle ni vilaine, la Bretagne ordinaire, peuplée de gens qu'on peut croiser quotidiennement et qui tentent de maintenir leur petite ville à flot malgré l'exode les plus jeunes vers des cités plus grandes. Tout est sur ce tempo, réaliste, tranquille et tout fonctionne à merveille, une sorte de bulle pour souffler dans un monde qui va toujours plus vite.

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Les cinq de Cambridge

Publié le par Yv

Les cinq de Cambridge, Valérie Lemaire, Olivier Neuray, Casterman, 2021

Angleterre, dans les années 1930, la crise de 29 a laissé les classes populaires exsangues et en Europe, le fascisme monte en puissance. Un groupe d'étudiants de Cambridge soucieux de changer fondamentalement les choses ne croyant plus aux élites européennes se tourne vers l'URSS. Recrutés par la NKVD -ex KGB-, ils se font embaucher dans les administrations et entreprises stratégiques. Un incroyable réseau d'espions qui agira pendant lus de trente ans : Kim Philby, Guy Burgess, Donald MacLean, Anthony Blunt et John Cairncross.

Cette imposante bande dessinée est l'intégrale des trois tomes parus à partir de 2015 : Trinity, 54 Broadway et Les étangs du patriarche, tous scénarisés par Valérie Lemaire et dessinés par Olivier Neuray. Incroyablement documentée, cette histoire vraie est parfois difficile à suivre, ce qui est souvent le cas des histoires d'espionnage, entre les agents doubles et les autres, mais elle reste passionnante. L'espionnage est bien sûr son coeur, mais elle aborde également les raisons qui poussent à agir comme tel : une certaine envie de justice et de société plus juste : dans les années 30, Staline apparaît comme le seul à pouvoir repousser le fascisme, l'Angleterre et la France se rapprochant de Hitler ; Staline est le seul à soutenir officiellement les Espagnols en lutte contre Franco. Elle parle aussi de la bonne société anglaise qui méprise les homosexuels (deux des cinq espions le sont) et prête à tout pour garder ses privilèges. Soyons clairs, on se retrouve davantage dans John Le Carré que dans OSS 117, je précise pour éviter les amateurs d'humour anglais. Not here.

L'histoire est ainsi construite que c'est Anthony Blunt qui la raconte à deux témoins en 1979 après que la première ministre de l'époque, Mme Thatcher, l'a donné en pâture aux journalistes, en contre-feu, pour pouvoir agir à sa guise économiquement et brutaliser les ouvriers.

Le dessin d'Olivier Neuray est rigoureux, précis et minutieux, il colle parfaitement aux faits et aux lieux de l'époque. Bande dessinée historico-politique, d'espionnage de très grande qualité.

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Les mensonges du Sewol

Publié le par Yv

Les mensonges du Sewol, Kim Takhwan, L'Asiathèque, 2020 (traduit par François Blocquaux et Lee Ki-jung)

"Le 16 avril 2014, le Sewol, ferry sud-coréen assurant la liaison entre Incheon et l'île de Jeju a fait naufrage au large de l'île de Jindo. Il transportait 476 personnes, dont 325 lycéens de l'école secondaire Danwon, dans la ville d'Ansan, et quinze de leurs professeurs. Trois cent quatre passagers et membres d'équipage ont péri dans la catastrophe. Parmi les disparus, 250 lycéens. A ce jour, alors que le navire a été renfloué en 2017, cinq corps n'ont pas été retrouvés." (p.7)

Kim Takhwan part de cette tragédie réelle et s'intéresse au rôle des plongeurs professionnels qu'on a appelé quatre jours après le drame, non pas pour retrouver des survivants mais pour remonter les corps des disparus. La gestion des secours fut un véritable fiasco : les autorités promettant des sauveteurs et n'en envoyant pas, ou trop tard et dans des conditions exécrables. En juillet 2014, le responsable des plongeurs qui n'a pu qu'appliquer des consignes inadaptées et accusé d'homicide involontaire à la suite du décès d'un plongeur.

Ce roman est une longue lettre d'un plongeur adressée au juge. Cet homme, Na Kyong-su est un personnage fictif, librement inspiré d'un vrai plongeur avec lequel l'écrivain a noué une relation amicale après le drame. En forme de lettre envoyée au juge pour décrire les conditions de travail, les conséquences terribles de ces plongeons répétés sur la santé des sauveteurs.

C'est un roman fort qui, malgré quelques longueurs et répétitions, cible le manque de réactivité des autorités sud-coréennes devant l'ampleur du drame et la volonté d'icelles d'allumer un nouveau feu en accusant un homme pour mieux tenter de se disculper. Contrairement à la littérature asiatique parfois très imagée, ce livre est direct, clair. On est presque dans un récit journalistique, un rapport des activités et des conséquences de celles-ci sur les hommes. Prenant de bout en bout.

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Parias

Publié le par Yv

Parias, Beyrouk, Sabine Wespieser, 2021

Deux voix s'expriment à tour de rôle dans ce roman. D'abord le père qui écrit une longue lettre à sa femme disparue, son seul amour. Il lui écrit de la prison dans laquelle il est enfermé.

Puis le fils, qui raconte sa vie depuis que son père est enfermé et sa mère disparue, au quartier PK7, recueilli par un ami de son père.

A travers ces deux récits, on apprend l'histoire de cette famille.

Qu'il est beau cet texte. Le père, dans une langue belle écrit son amour inconsidéré pour la jeune femme qu'il rencontre. Prêt à tout pour la conquérir et la garder, quitte à se mettre les deux familles à dos. Il y parle poésie, lui le nomade qui a renoncé à la vie de ses ancêtres pour s'installer en ville. Mais vite, il aborde la difficile mixité sociale, l'amour qui s'effiloche, l'obligation d'éloignement pour le travail qui sépare les corps et les cœurs.

"Moi, je n'ai jamais su atteindre les côtes dont je rêvais pourtant. Je voulais aller là où vous étiez, toi et les enfants, me baigner chaque jour de la calme sérénité des moments tranquilles, connaître le langage de tous les jours, les habitudes de chaque instant, les rires, les fâcheries, les petites joies et les petites peines, je ne demandais rien que cela, le bonheur des gens modestes, et je ne l'ai même pas eu." (p.154/155)

Le passé simple donne à la lettre du père une classe et un charmes désuet, comme s'il pouvait enfin écrire à sa bien-aimée tout ce qu'il n'a pas pu lui dire. C'est beau, tout simplement.

A l'inverse, le récit du fils est beaucoup plus oral, c'est un pré-ado qui s'exprime. Le calme, la force et le désespoir du père en sont renforcés. Élevé par un ami, il traîne dans les rues du PK7, se bagarre, chaparde, ce qui lui évite de trop penser aux disparus, sa mère et son père qui refuse qu'il vienne le voir à la prison ainsi que sa petite sœur, Malika, recueillie par un oncle qui refuse de le voir. C'est un récit plus direct, plus naïf qui en écho à celui du père permet de comprendre la globalité de leur histoire familiale.

J'ai déjà lu Beyrouk et son formidable Le griot de l'émir. De nouveau, je suis séduit par son livre, son écriture, la finesse, l'élégance et la beauté d'icelle.

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