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Le dernier amour du lieutenant Petrescu

Publié le par Yv

Le dernier amour du lieutenant Petrescu, Vladimir Lortchenkov, Ed. Agullo, 2016 (traduit par Raphaëlle Pache).....

La Moldavie, ce petit pays totalement méconnu, indépendant depuis 1991 est en plein bouleversement. Le SIS, le KGB local, dirigé par Constantin Tanase est persuadé qu'Oussama ben Laden se cache à Chisinau, la capitale. Il coupe les légumes dans le kiosque qui vend des chawarmas. Tanase apprend qu'un lieutenant de la police serait en cheville avec la section terroriste locale, le lieutenant Petrescu. Lorsque le chef du SIS apprend qu'en plus, le jeune lieutenant a pour maîtresse Natalya, la jeune femme qui vient de le laisser tomber, il monte une opération abracadabrantesque pour tenter de se défaire de l'un et de retrouver l'autre.

Si vous ne connaissez pas encore Vladimir Lortchenkov, c'est un tort, vous n'êtes pas encore tombés sous le charme totalement déjanté de Des mille et une façons de quitter la Moldavie. Déjanté de nouveau, totalement décalé, fou, barré, barjot, cinglé, ce roman est l'œuvre d'un mec qui ne peut être lui-même que totalement dévasté. Je n'aimerais pas être dans sa tête... encore que si, à l'occasion, ça doit être un grand moment de délire...

Mais revenons à ce roman qui part dans tous les sens pour le plus grand bonheur des lecteurs. Il faut dire que les services secrets moldaves sont mal partis avec une telle bande de bras cassés. Ils ne sont pas formés, ont, pour les plus anciens les réflexes du KGB. Ils sont sous-payés, alcooliques, fainéants et lorgnent avec envie sur la place de leur supérieur hiérarchique qui, s'il disparaissait inopinément, la leur laisserait. Tout n'est que complot et complot dans le complot, bidouillages, rapports bidons, implications d'autrui si elle sert son propre avancement, ... Seul Petrescu, flic, pas espion, paraît honnête et travailleur.

Le ton du bouquin est à l'humour, l'ironie, la moquerie, la raillerie. C'est très drôle, j'ai ri souvent, Vladimir Lortchenkov ne reculant devant rien pour un bon mot, une blague. Dans le même temps, il assène quelque vacherie, toujours avec légèreté :

"Mais si tu as besoin de justice, va faire ton stage au comité des Droits de l'homme.

- Il y en a un chez nous ?

- Naturellement. Les Américains en ont ouvert un, il y a deux ans.Et juste après, ils ont fermé le bureau de la CIA en Moldavie.

- Comment ça se fait ?

- Ben, pourquoi ils auraient gardé deux organisations identiques dans un même pays ?" (p.126/127)

La farce est grosse et c'est cette grosseur qui la rend irrésistible. Vladimir Lortchenkov est en train, livre après livre, de dresser un portrait peu flatteur de son pays, mais finalement assez sympathique, on a plus l'impression d'être en Syldavie que dans un pays réel. Moi, franchement, si tous les Moldaves sont comme les décrit le romancier, je veux bien aller y faire un tour.

Question, objet, le livre est de qualité de la couverture à l'intérieur, ainsi les toutes jeunes éditions Agullo m'ont déjà habitué. La traduction n'a pas dû être aisée, mais je soupçonne Raphaëlle Pache d'avoir pas mal ri dans son travail, certains livres semblent plus agréables à traduire que d'autres.

Excellent, excellent...

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Par le temps qui court

Publié le par Yv

Par le temps qui court, Michel Butor, La Différence, 2016.....

Recueil de poésies de Michel Butor, choisies par lui-même et préfacé par Jean-Michel Maulpoix, spécialiste de l'écriture lyrique et par Mireille Calle-Gruber qui a dirigé les Œuvres complètes de Michel Butor à La Différence ; tous deux sont écrivains et professeurs à la Sorbonne Nouvelle. Michel Butor, décédé le 24 août dernier est un des grands écrivains français de notre temps. Discret, il eut le Prix Renaudot pour La modification, mais écrivit beaucoup de poésie, d'essais sur la littérature qu'il enseigna aux États-Unis, en France et en Suisse. Les éditions de La Différence ont publié entre 2006 et 2010 ses œuvres complètes en 12 volumes.

Michel Butor ne se cantonna pas dans un genre qui eût pu faire son succès suite à son Prix Renaudot en 1957, il publia alors des essais, de la poésie, des récits de rêves, de voyage, un livre de collages (Mobile), des textes pour des pièces musicales, ... Éclectisme et expérimentation furent alors ses modes d'écriture. Dans ce court recueil de sa poésie, on sent bien son envie de jouer avec les codes, avec les mots, les genres, les formes. De la poésie littéraire, historique, descriptive, plus classique et/ou jouant avec les formes -certes, on est loin des Caligrammes, mais l'exercice ayant été fort bien fait par Apollinaire, on imagine que Butor ne voulait même pas le copier, tout au plus lui rendre un hommage.

Je ne suis ni très amateur de la poésie, ni très habile à dire ce que j'en pense, c'est un genre auquel parfois je suis hermétique, je me disais cela en commençant ce livre, jusqu'à ce qu juste après ma réflexion, je tombe sur ça :

"Les rayons s'allongent

les couleurs s'échauffent

tandis que le fond de l'air

commence à fraîchir

une prune trop mûre

s'écrase en tombant sur un rocher

 

A son parfum

succède celui d'une rose qui vous surprend

comme un hélicoptère

qui viendrait vous observer

mais le silence

n'est en rien troublé

 

Ponctué

par de lointains aboiements

ourlé

par les répercussions des cloches

brodé

par la dernière mouche de la journée

 

Une dame se souvient

d'une chanson de son enfance

elle s'essaie à la chanter

une autre la joint 

mais toutes les deux

déraillent au milieu d'un couplet

 

Qui s'achève

par des éclats de rire

s'estompant

comme les collines de l'autre côté

de l'autre côté des arbres tremblants" (Sérénade)

 

Que vouliez-vous que je fasse ? J'ai continué, et suis tombé sur d'autres poésies aussi belles, légères lorsqu'elles parlent par exemple de la main qui écrit et qu'elles décrivent tous les mouvements d'icelle, des textes en prose profonds lorsqu'ils parlent par exemple de la colonisation (La ligne de partage des sangs, p.57 : un poème à lire, écouter et méditer dont je vais citer une seule strophe : 

"Tu ne peux pas manger ici car tu y étais avant nous ; et tu risquerais de nous couper l'appétit en nous faisant imaginer une prochaine vague de conquérants plus feutrés, plus sournois que nous, qui nous parqueraient ou nous excluraient, nous interdisant nos maisonnettes à l'anglaise et le culte de nos stars pour nous imposer d'autres rites." 

Ce qui précède est magnifique et ce qui suit formidable, vous comprendrez donc que je vous recommande (très) fortement la lecture des poésies de Michel Butor (et le reste aussi, Improvisations sur Michel Butor, par exemple). Au fil des pages, le poète se fait observateur politique, mais un observateur qui s'engage, qui accuse. Il observe aussi la société, ses bouleversements, le monde qui change... Il pratique également aisément l'ironie et l'auto-dérision, ce qui donne à son oeuvre une aura et une portée toute particulières.

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La tête de l'Anglaise

Publié le par Yv

La tête de l'Anglaise, Pierre d'Odvidio, Jigal polar, 2016.....

Joël, fermier bourru et taiseux est accusé d'un meurtre. Mais avant cela, Joël est le fils d'un sous-officier pendant la guerre d'Algérie, violent, une brute qui ne croit qu'aux coups et aux brimades pour dresser -et non pas élever- ses enfants, et pourquoi pas sa femme également. Très tôt confronté à ce père, Joël devient taciturne, solitaire et craintif. L'âge n'aidera pas à son intégration dans son village, se renfermant sur lui et sa ferme, malgré quelques tentatives pour se faire des relations, notamment un mariage assez vite fini. Lorsque le meurtre est avéré, c'est assez facilement que les soupçons pèsent sur lui.

Élevé par un père adepte de la violence et du dressage, Joël est un enfant triste :

"Un garçon taciturne, avait diagnostiqué sa maîtresse dès la première année de sa scolarité. "On ne l'entend pas beaucoup, votre garçon, Josiane. Il est comme ça à la maison ?" "Affirmatif" aurait dit Alphonse. Josiane s'était contentée d'un "oui" étranglé, à peine audible. L'institutrice avait soupiré. Fin de l'entretien. Elle avait eu tort de rapporter l'avis de l'institutrice à son mari : le gamin s'était fait engueuler. Déjà qu'on ne l'entendait pas beaucoup, maintenant, il ne parlait que pour répondre aux questions directes. Un taiseux." (p.18/19)

La suite n'est guère mieux et Joël subira toute son enfance cette violence tant physique que psychologique. Il n'est finalement guère surprenant de le retrouver quelques années plus tard au rayon des faits divers... Mais qu'on ne s'y trompe pas, le roman de Pierre d'Ovidio est bien plus fin que cette relation de cause à effets basique. Par une construction étonnante, absolument pas linéaire qui suit plutôt les méandres de la pensée qu'un rapport de police ou qu'un article de journaliste, le romancier excelle à brouiller les pistes. Il passe d'une période à une autre très rapidement et habilement, parfois dans le même paragraphe ; curieusement, le lecteur n'est pas dérouté, chaque fois, il s'y retrouve. Et pourtant, en plus de cela, Pierre d'Ovidio procède par allusions pour évoquer un événement pas encore connu, qu'il expliquera quelques pages plus loin, ce qui pourrait perdre un peu plus le lecteur. Que nenni, jamais je ne me suis senti largué, au contraire, cette construction puzzlesque maintient le lecteur en éveil jusqu'à ce que toutes les pièces lui soient données, elle augmente le suspense et tient en haleine jusqu'au bout du livre, tout au bout...

L'écriture ajoute également à la tension, nerveuse, rapide, parfois très oralisée. C'est rural poisseux, ça colle aux basques comme la boue aux bottes de Joël. L'histoire se déroule au fin fond de la France, elle pourrait être transposée au cœur des États-Unis, dans un état rural et ça en ferait un roman noir américain excellent, sans doute remarqué, car remarquable. Du made in France à ne pas rater, de la belle ouvrage, des personnages qui marquent et restent en mémoire.

PS : de Pierre d'Ovidio, j'avais déjà apprécié Étrange sabotage.

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Sur l'île, une prison

Publié le par Yv

Sur l'île, une prison, Maurizio Torchio, Denoël, 2016 (traduit par Anaïs Bouteille-Bokobza)..,

Toro est emprisonné après avoir été le gardien pendant sept mois de la fille d'un grand patron, enlevée et séquestrée au fond d'une grotte. Comme il n'était qu'un exécutant il n'a écopé que d'une peine légère, mais dans cette prison, sur une île, il a tué un gardien, se promettant ainsi la perpétuité. Du fond de sa cellule, Tora raconte tout : le rapt qui l'a conduit sur l'île et les conditions de vie, à l'isolement, dans cette prison dure, les relations entre détenus, entre gardiens et détenus, la drogue, la violence...

La première chose qui surprend dans ce texte, c'est le style de l'auteur. Moderne, percutant, haché, violent parfois. Des phrases courtes qui s'enchaînent dans de courts chapitres. Tout pour plaire donc... et pourtant, ça ne me convainc qu'à moitié. J'ai eu du mal à comprendre pourquoi l'auteur passait du "je" au "il" alors que le narrateur est censé n'être qu'une seule personne, Toro. Le procédé m'a décontenancé et m'a perturbé au point de ne plus trop comprendre ma lecture, de me perdre dans les lignes. L'histoire est intéressante, elle aurait été plus puissante, à la manière d'Un prophète de Jacques Audiard si le véhicule pour la transmettre m'avait agréé davantage. C'est dommage. Peut-être également une forme plus condensée, plus courte, plus proche des 150 pages que des 250 du bouquin aurait donné de la force, ainsi les répétitions et les longueurs dues aux réflexions parfois vaines de Toro auraient été évitées. Par contre, les paragraphes qui concernent son gardiennage de la femme enlevée sont intéressants, capables d'une force incroyable, ils ne sombrent que très rarement dans les travers décrits plus hauts. Ce sont ceux qui m'ont touché le plus, ceux dans lesquels Toro se révèle.

Je pense être passé à côté d'un livre qui plaira à d'autres sans doute, je pense aussi que l'auteur est passé à côté d'un bouquin qui aurait pu marquer ses lecteurs beaucoup plus fortement. Malgré tout, si l'envie vous prend, voici les premières lignes :

"On te dit : Oreilles. Tu plies tes oreilles et tu te tournes, d'abord à droite, ensuite à gauche.

Narines. Tu penches la tête en arrière, pour faciliter l'inspection.

Bouche. Tu ouvres la bouche. Les portes du corps s'ouvrent sur commande. Tu ouvres la bouche mais on ne t'alimente pas. On n'ajoute pas : on contrôle que tu n'aies pas.

Soulève la langue. Tu obéis.

Tire la langue. Tu obéis.

Gencives. Tu écartes les lèvres avec tes mains. Tes doigts à la disposition des gardiens" (p.9)

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Les vaches ont une histoire

Publié le par Yv

Les vaches ont une histoire. Naissance des races bovines, Bernard Denis, Émile Baudement, Delachaux et Niestlé, 2016.....

Benard Denis, professeur honoraire à l'école vétérinaire de Nantes reprend, annote et enrichit le travail d'Émile Baudement (1816-1863), l'un des grands noms de la zootechnie, naissante à son époque, la zootechnie étant la "science qui s'occupe de l'élevage et de la reproduction des animaux domestiques" (Larousse.fr). Lors du Concours universel agricole de Paris de 1856, Émile Baudement veut faire l'inventaire de toutes les races bovines. Il demande alors à Adrien Tournachon (1825-1903), photographe -frère de Nadar- de prendre des clichés de tous les bovins présents. Ensuite des illustrateurs réputés dessineront les planches que Baudement présentera dans son ouvrage. Cet ouvrage suit la courte présentation de Bernard Denis.

Extrêmement intéressant ce beau livre qui reprend l'historique de l'élevage de bovins en France depuis le XVIIIème siècle. Il parle et nomme les différentes races, les variétés et comment certaines ont disparu, comment d'autres sont apparues, comment l'élevage français a été renforcé par une vache anglaise, car nos voisins avaient de l'avance sur nous quant à la sélection des meilleures vaches et l'amélioration de la race. Après la Révolution et le Premier Empire, "La noblesse exilée en Angleterre ayant eu tout le loisir de constater sur place l'écart entre l'agriculture anglaise et celle de notre pays, on comprend qu'elle soit revenue avec l'idée que, pour progresser en agriculture et en élevage, il était indispensable d'appliquer les méthodes anglaises et d'importer les meilleures races de ce pays. On a parlé de "l'anglomanie" de la Restauration, mais les qualités zootechniques du bétail anglais étaient bien réelles." (p.11)

Bernard Denis s'attarde aussi sur la personne d'Émile Baudement, pour lequel "Une chaire de zoologie appliquée fut créée au Conservatoire des arts et métiers." (p.16). Même s'il fut mal accepté par les autres professeur, Baudement écrivit outre des articles scientifiques, trois ouvrages : Les Races Bovines au Concours de Paris en 1856, Les principes de zootechnie, Les mérinos. A la fin du livre de Bernard Denis sont reproduits les dessins et photos du concours de 1856. Vous y verrez de belles vaches, des taureaux, les photos d'Adrien Tournachon, les dessins d'Isodore et Rosa Bonheur, Barye, Van Marcke et Mélin. Si vous détestez les vaches, passez votre chemin, mais ce serait dommage, car c'est un animal photogénique et beau modèle de peinture. Tout est en noir et blanc, sobre, l'animal est l'unique sujet. Il trône en maître dans un paysage léger en second plan.

Très beau livre, beau travail. A consulter et à montrer aux enfants qui doivent aller au salon de l'agriculture pour savoir ce qu'est une vache.

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La Déesse des marguerites et des boutons d'or

Publié le par Yv

La Déesse des marguerites et des boutons d'or, Martin Millar, Intervalles, 2016 (traduit par Marianne Groves).....

421 avant JC, Athènes est en guerre contre Sparte depuis dix ans et si certains espèrent la paix, d'autres au contraire espèrent en la continuité du mouvement pour leurs affaires. Une conférence pour la paix doit avoir lieu en même temps que le festival des Dyonisies où chaque année est nommée la meilleure pièce de théâtre comique. Aristophane est au plus mal, car cette année encore on parle plus de ses concurrents que de lui et de sa pièce La Paix. Ce qu'il ignore, c'est que des généraux de Sparte et d'Athènes ont demandé l'aide de la déesse Laet -de la bêtise et des mauvais choix- de faire perdurer la mauvaise ambiance pour faire échouer les accords de paix. Dans le même temps, Athéna envoie Brémusa, une redoutable amazone et Métris une nymphe au secours de La Paix, la pièce d'Aristophane, capable à elle seule d'influencer les futurs décisionnaires vers l'arrêt de la guerre.

Tout d'abord, je tiens à préciser que je suis une vraie quiche en matière de mythologie et d'histoire de la Grèce et que mes grosses lacunes ne m'ont absolument pas empêché de prendre un très grand plaisir à cette lecture réjouissante de bout en bout. Ensuite, j'aimerais attirer votre attention sur cette superbe couverture rose avec une représentation rockn'roll d'Aristophane -enfin, il me semble que c'est lui- et un titre absolument formidable.

Ceci étant dit, me reste à vous conseiller de vous plonger rapidement dans cette farce grecque résonnant très fort dans les moments que nous vivons actuellement. D'un côté les Athéniens fatigués de la guerre quasiment continue depuis dix ans, et de l'autre ceux qui veulent qu'elle continue pour leur prestige, leurs affaires -les marchands d'armes-, leur métier -les soldats-, ou tout simplement ceux qui haïssent les Spartiates, chacun campe sur ses positions. Cette fois-ci ce n'est pas au nom de Dieux qu'ils se battent, mais les Dieux s'en mêlent, Laet parce que c'est son job et Athéna parce qu'elle veut sauver sa ville. Athènes est à son apogée, c'est sans doute la période la plus marquante pour la ville-état, celle qui marquera le monde entier de manière indélébile. Aristophane célèbre poète comique est au centre de cette histoire, qui croit que sa pièce pourrait avoir un impact sur la conférence de paix. Et les questions de s'inscrire entre les lignes : la culture peut-elle sauver le monde ? Peut-elle amadouer les belligérants pour les amener vers le beau plutôt que vers la guerre ? Est-elle une arme pacifique ? L'humour, la moquerie et l'ironie peuvent-ils amener à plus d'humilité et de tolérance ? Voilà pour les questions les plus graves que Martin Millar amène avec humour et finesse. S'en posent d'autres sur l'accès à la culture, sur la place laissée aux débutants -Luxos est un jeune poète qui galère-, sur l'importance des histoires ou des effets spéciaux. Vaut-il mieux avoir une pièce acclamée pas le public et boudée par la critique ou l'inverse ? Et les doutes et les soucis du créateur, de l'artiste...

Tout cela est, je le disais plus haut, amené avec humour et finesse et l'on se plaît à suivre Aristophane dans ses soucis de mise en scène, Métris et Luxos qui flirtent, l'adorable et insouciante Métris qui dès qu'elle apparaît dans un lieu le met immédiatement d'humeur joyeuse. Martin Millar mélange les personnages réels et les fictifs, les dieux, les personnages de la mythologie grecque dans une histoire un peu folle, naïve, drôle, réjouissante, un pur bonheur de lecture qui amène le sourire à quasiment toutes les pages. J'avais hésité étant donné le thème, franchement aucun obstacle à profiter de ce roman.

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La bâtarde du Rhin

Publié le par Yv

La bâtarde du Rhin, Monique Séverin, Vents d'ailleurs, 2016....

Kozima est née en 1919 d'une mère allemande, Leni et d'un père français, réunionnais, en stationnement en Allemagne, Louis. Louis reparti, Leni se marie avec un Allemand qui élève Kozyma comma sa fille. Mais bientôt la fureur et la folie s'emparent des foules du pays et la bâtarde devient une cible. Menacée de stérilisation, la jeune femme fuit, puis à la fin de la seconde guerre mondiale, elle décide de retrouver son vrai père. Elle débarque à la Réunion, mais l'accueil de sa grand-mère Eugénie est épouvantable, la reniant totalement. Kozyma cherche alors à comprendre qui était son père.

Si les premières pages m'ont été un peu difficiles à suivre -le temps d'entrer dans la narration particulière de l'auteure sans doute- je dois dire que le reste -à part quelques petites longueurs et pas mal de personnages dont parfois on ne sait plus qui ils sont- m'a convaincu. C'est un roman pas banal, fort, poignant et violent. Des histoires de femmes fortes qui veulent vivre avec les hommes mais pas à leur service. C'est aussi un beau roman sur le combat des femmes noires tant en Europe qu'à la Réunion où l'on peut être jugé sur les différentes teintes que peut prendre la peau métissée. Une belle réflexion sur le droit des femmes à disposer de leur corps et non plus à subir les assauts des mâles en rut. Les femmes du livre, Leni en tête n'ont pas hésité, par amour, à transgresser l'interdit du passage à l'acte et de l'enfantement, quitte à se faire rejeter ensuite toute leur vie. Monique Séverin parle aussi de la lignée, la descendance, l'hérédité et la préférence des mères -les pères sont très absents de ce roman ou lorsqu'ils sont présents, ce n'est pas dans leur meilleur rôle- pour l'un de leurs enfants en qui elles placent leurs espoirs.

Monique Séverin place son roman entre l'Allemagne et la Réunion. Elle aborde les Lebensborn et leurs pratiques inhumaines pour faire naître de bons aryens, ces lieux où de jeunes femmes blondes étaient violées par des soldats blonds et devaient donner naissance à la future race pure selon les nazis. Elle écrit aussi sur l'histoire de son pays, la Réunion, l'histoire des familles, les blancs et les noirs, qui parfois se rencontraient souvent un homme blanc avec une femme noire -l'inverse de l'Europe. Certaines femmes enceintes étaient laissées de côté, d'autres prises en charge par la famille blanche avec plus de moyens financiers. Puis, les rancœurs, les jalousies, les peurs de se montrer avec une personne pas digne de son rang.

Dans une langue particulièrement élégante et belle voire poétique, Monique Séverin livre un roman dur et beau qui commence par ces mots :

"L'île était là, devant elle. Kozima la regardait approcher. Une montagne, placide, sommet de plus de trois mille mètres qui venait à la rencontre du paquebot, sans précipitation. Ce qu'elle allait y trouver, elle l'ignorait, cela n'avait pas d'importance. Approcher, comprendre, saisir l'aléatoire qui l'avait condamnée, forme refusée, réduite, objet de honte, dans un pays d'Europe, celui où elle était née, que ses cellules corrompues pouvaient dégrader." (p.7)

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Edmond

Publié le par Yv

Edmond, Alexis Michalik, Albin Michel, 2016.....

Paris 1895, Edmond Rostand est au plus bas après l'échec cuisant de sa pièce en vers La Princesse lointaine, pourtant jouée par la grande Sarah Bernhardt et Lucien Guitry. Raillé par ceux qui font les grands succès de cette fin de siècle, Courteline et Feydeau, il déprime. Deux ans plus tard, Sarah Bernhardt lui présente le grand acteur de l'époque Constant Coquelin à qui il promet un grand rôle dans sa prochaine pièce dont il n'a que le titre Cyrano de Bergerac, une vague idée happée dans une salle de café tenue par Monsieur Honoré. Alors tout s'emballe et Edmond sent l'inspiration lui venir.

Je n'ai pas l'habitude de lire du théâtre et encore moins du contemporain, mais le thème et le nom de l'auteur -que j'ai eu l'occasion d'entendre dans une entrevue et dont j'avais aimé les réponses et sa passion pour le théâtre- m'ont convaincu de franchir le pas. Eh bien, je me suis régalé, de bout en bout. Renseignements pris, l'écriture de la pièce de Rostand n'est pas exactement ce qu'en écrit Alexis Michalik, il fait un condensé en quelques semaines d'un processus bien plus long, mais tant mieux pour nous parce que grâce à ce stratagème, la pièce est vive, dynamique, sans aucun temps mort. Elle est très drôle, parle du théâtre dans le théâtre, des affres de la création littéraire ou théâtrale et des difficultés à monter des spectacles innovants, de bousculer les habitudes. Edmond se sert de sa vie et de tout ce qu'il entend autour de lui pour construire ses personnages et écrire sa pièce. Son ami Léo est amoureux de Jeanne, ils seront dans son esprit Christian et Roxane. Monsieur Honoré fait des tirades, elles serviront celles de Cyrano... Edmond observe, écoute et désire : "Seul compte le désir. Le désir pousse les hommes à conquérir des empires, à écrire des romans ou des symphonies. Mais lorsqu'il est assouvi, les hommes cessent leurs exploits." (p.196)

En plus d'être une pièce enjouée, elle permet de réécouter les vers d'Edmond Rostand, ceux de cette pièce difficile à monter en 1897 et qui devint la plus jouée du répertoire théâtral français, la plus connue au monde. Qui de nos jours ne connaît pas tout ou partie de la célèbre tirade du nez, ou du moins qui en l'entendant ne frémit pas d'un plaisir de la belle phrase, bien placée ? Et ce personnage de Cyrano, si grand, si imposant, l'un des plus grands rôles d'homme au théâtre me suis-je laissé dire...

Cette pièce est jouée à partir de ce soir au théâtre du Palais-Royal à Paris, dans une mise en scène de l'auteur, avec Anna Mihalcea, Christian Mulot, Christine Bonnard, Guillaume Sentou, Jean-Michel Martial, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Pierre Bénézit, Pierre Forest, Régis Vallée, Stéphanie Caillol et Valérie Vogt. Très bon moment en perspective...

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Les contes défaits

Publié le par Yv

Les contes défaits, Oscar Lalo, Belfond, 2016.....

Un enfant est envoyé pendant toutes les vacances, dès son plus jeune âge dans une colonie, le Home d'enfants. Là, pris en charge par une équipe de moniteurs et surtout par le directeur et sa femme, la véritable dirigeante du lieu, il est soumis comme tous les autres enfants à différentes brimades. Celles qui concernent les repas, le coucher, le lavage. Tout doit se faire vite, au pas de course. Et puis, il y a aussi l'indicible, ce qui par définition ne sera jamais révélé et qui hantera et/ou détruira la vie des petits garçons du groupe. Le directeur se rapproche des garçons. Très près. Trop près. Et tout le monde de fermer les yeux, même les enfants devenus moniteurs. C'est cet enfant, devenu adulte qui raconte ses années au home.

"Les contes défaits est un livre délicat. A écrire, et sans doute à lire." Ainsi, est écrite la dédicace que m'a faite Oscar Lalo. Délicat, certes, mais quelle claque ! "On croyait que notre mère savait tout et ne tarderait pas à apparaître, elle qui nous disait si souvent : "Une maman ça voit tout." Non. Et l'homme le savait. Il lui suffisait de faire bonne figure à la gare. Son innocence naturelle séduisait. Les Thénardiers ne ressemblent jamais aux Thénardiers. (...) Parfois, la main de l'homme s'appropriait l'un d'entre nous en lui caressant les cheveux, l'épaule ou la jambe. Sensation d'isolement quand cela se produisait. Nous nous demandions où était son autre main. Nous nous demandions où était celle de notre mère." (p.21/23) Tout est écrit comme cela, rien n'est dit et tout est compris aisément. Les mots peuvent être inventés, néologismes si besoin est, les jeux de mots servent le texte -comme le titre par exemple (dans le même genre, mais beaucoup plus léger, j'aime bien la chanson de Dyonisos, Tes lacets sont des fées). Les chapitres sont courts, très courts. Les phrases itou. Parfois un mot, un seul. Pas de superflu Oscar Lalo va droit au but même s'il prend des chemins détournés puisque les agressions ne sont jamais décrites, juste suggérées. C'est ce qui est fort et paradoxal : comment peut-on aller au plus profond, directement, sans fioriture, sans jamais tomber dans des descriptions ou des énoncés clairs et nets ? Comment aller au plus direct en prenant des chemins détournés ? C'est là, tout le talent de l'auteur dans son premier roman.

Un livre fort et prenant que je n'ai pas pu lâcher de la journée. On dirait presque un témoignage -et je déteste le genre, mais pas là-, puisque le roman est écrit à la première personne, mais pas un truc trash, voyeur et dégueulasse -voilà, c'est ça que je hais-, non, un roman dur et poétique, un thème particulièrement difficile et particulièrement bien abordé et traité. J'aurais pu citer moult extraits tant ils sont marquants : "En groupe, on se partageait la solitude. Quand un enfant avait les yeux dans le vide, c'est que l'homme était passé par lui. Un jour ou l'autre. Dans les couloirs du home, nous étions disponibles sans recours. A sa merci. Nous le savions." (p.85)

J'en fais l'un de mes coups de cœur, même si j'ai trouvé la quatrième et ultime partie un peu longue, moins percutante que les précédentes. Ne vous éloignez pas de ce roman à cause du thème abordé et de sa violence contenue, vous passeriez à côté d'un excellent roman.

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