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La puissance des ordinaires

Publié le par Yv

La puissance des ordinaires, Laurence Labbé, 2014 (auto-édition)...,

Aéroport de Paris, des gens se croisent, attendent des vols. Parmi eux, le vol pour Corfou attire Elizabeth qui vient de se faire larguer par son mari, Adélaïde jeune gothique, Charly comédien-toxicomane, Françoise écrivaine, Julien jeune homme suicidaire riche héritier spolié, un groupe de handicapés, Fanny belle femme à qui rien ni personne ne résiste... Au dernier moment, pressés par les événements embarquent René, homme de la sécurité de l'aéroport qui suit Amadou, un technicien de surface du lieu qui vient de lui dérober une précieuse enveloppe. Après un vol très mouvementé, tout ce petit monde se retrouve sur l'île grecque.

J'ai rencontré Laurence Labbé lors du dernier salon du livre de Paris par l'intermédiaire de mon ami et co-blogueur aux Huit plumes, Éric (une de ses chroniques est consacré à ce livre : ici) ; elle m'a gentiment dédicacé son premier roman et plusieurs semaines après notre rencontre, je l'ai enfin ouvert. Je dois dire que je suis un peu frileux sur les livres auto-édités, à tort sûrement, mais je redoute les sollicitations que l'on peut avoir en tant que blogueur pour lire tel ou tel chef d'œuvre proposé par l'auteur lui-même. En général (ce général souffre quelques exceptions) je refuse, mais là, je ne pouvais pas, Laurence était en face de moi. Et puis, en plus, je savais qu'Éric avait apprécié, je ne prenais dès lors pas de risque.

Si l'on fait fi de quelques coquilles répétées (les majuscules oubliées pour "Français" lorsqu'il s'agit d'un homme et que le mot est employé en tant que nom, plusieurs omissions de l'accent circonflexe sur le u de "du" lorsqu'il s'agit d'une dette) -mais bon, malgré mes relectures, j'en laisse moi aussi sur le blog- et de quelques longueurs dans les descriptions des lieux et paysages qui n'apportent pas beaucoup au texte si ce n'est des lignes en plus, on a alors dans les mains un livre qui se tient plutôt bien. Un roman choral à suspense, genre pas aisé à maîtriser car il faut de l'équilibre entre les personnages et leurs histoires ainsi que des liens entre eux si possible pas trop grossiers. Laurence Labbé s'en tire bien, elle distille ses indices au compte-gouttes et on découvre petit à petit ce qui amène tel ou tel protagoniste à Corfou. On sait qu'il y a une affaire, mais on ne sait pas trop qui y est mêlé et pour quelles raisons. Combien interviendront dans l'affaire en cours ? Un ? Deux ?... Tous ?

Elle mêle également la vie de ses personnages à l'actualité, notamment le Mali et l'intervention française. Le tout est bien vu et ce court roman (140 pages) pourra aisément trouver une place dans les valises pour cet été. A lire sur la plage, ou ailleurs.

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Deux brûle-parfums

Publié le par Yv

Deux brûle-parfums, Eileen Chang, Zulma, 2015, (traduit par Emmanuelle Péchenart)...,

Deux petits romans se succèdent dans ce livre. Tous deux ont en point commun de se dérouler à Hong Kong au temps de la colonie britannique. Premier brûle parfum : Wei-Lung, jeune femme de famille modeste sollicite sa tante Madame Liang pour l'aider à continuer ses études dans cette ville, ses parents étant obligés de rentrer à Shangaï. La réputation de Madame Liang est plutôt sulfureuse, femme qui multiplie les amants pour maintenir son niveau de vie et qui ayant dépassé la cinquantaine espère avec l'arrivé de Wei-Lung attirer de jeunes hommes.

Second brûle-parfum : Roger Empton, professeur estimé et réputé, quarante ans, épouse la jeune Susie Mitchell, un peu plus de vingt ans. L'éducation de la jeune femme est très stricte et elle ne connaît rien aux choses de l'amour. Sa nuit de noce sera une désagréable surprise, au point de mettre à mal la réputation de son mari.

Eileen Chang est une écrivaine née en 1920 qui a commencé à écrire dès ses vingt ans et a fini sa vie en 1995 à Los Angeles. Deux brûle-parfums est écrit en 1943. Je ne suis point féru ni même amateur de littérature asiatique, j'ai toujours un peu de mal à entrer dedans. Ce livre fait un peu exception, parce que j'y ai trouvé beaucoup de charme et d'élégance dans l'écriture, dans les histoires joliment racontées qui sont quand même assez terribles, désenchantées et font la part belle à des personnages qui ont franchi les limites de la bonne société (notamment dans le premier brûle-parfum). Quelques passages descriptifs m'ont semblé longs, répétitifs, mais l'ensemble est plaisant, feutré, rien n'est expressément dit, tout est suggéré ; là où l'on aurait pu faire un roman trash, l'auteure fait dans la délicatesse. Elle crée des personnages en proie aux soucis de l'époque dans la belle société argentée ou en grand désir de l'être. Les passions, les ruses, les mises en scène, la rumeur, rien n'est éludé. Ni même le racisme ordinaire en cours à Hong Kong à l'époque : "Mais oui, [...] je suis une sang-mêlé, moi aussi j'en souffre. Regardez, les seuls partis que nous pourrons trouver, ce sont des garçons comme nous. Certainement pas des Chinois, parce qu'avec notre éducation étrangère nous ne pouvons pas nous entendre avec les Chinois de souche. Pas des étrangers non plus ! Lequel parmi les Blancs qui vivent ici n'a pas de préjugés raciaux ? Et même si l'un d'entre eux voulait un tel mariage, la société s'y opposerait. Celui qui épouse une Orientale, il peut faire une croix sur sa carrière. Personne, de nos jours, ne serait encore assez stupidement romantique pour s'y risquer." (p.69/70) Comme quoi, rien en change...

Pour résumer : une bien agréable surprise que cette traduction -tardive- d'Eileen Chang qui n'a rien à envier aux meilleurs écrivains occidentaux de l'époque tant par son écriture que par l'ambiance qu'elle crée, charmante, très bonne société anglaise du début du siècle dernier avec des personnages ciselés, totalement coincés par les carcans de la société dans laquelle ils vivent.

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Kidnapping

Publié le par Yv

Kidnapping, Maryline Gautier, La Différence, 2015.....

Henri Lethuillier est un paisible et jeune retraité de la Compagnie du Gaz. Depuis qu'il a cessé son activité professionnelle, il se consacre à l'écriture de guides qui sont des grands succès de librairies. Habitant de la petite ville de Plessy-sur-Blières, il s'y promène quotidiennement, aussi n'est-il pas difficile de connaître les habitudes de cet homme méthodique. Un après midi de juin, il se fait enlever par deux personnes. Que veulent-elles ? Une rançon ? Qui sont-elles ? Des jaloux de son succès ? L'un des maris qu'il a cocufiés allègrement ? Il est emmené dans une grange retapée par des citadins en mal de verdure, et là, il voit très vite qui sont ses ravisseurs.

Maryline Gautier écrit là son premier roman fort prenant et fort bien mené. Le genre de livre qu'une fois ouvert on ne peut plus refermer avant la fin. Elle se met en partie dans la tête d'Henri, homme qui semble paisible et qui est en fait ce que l'on a coutume d'appeler un pervers narcissique. Un homme dur et froid auquel on ne doit ni ne peut résister, surtout sa femme Adèle et ses deux enfants-jumeaux Jacques et Annabelle âgés d'à peine vingt ans. M. Gautier se met aussi à la place d'observatrice, notant les faits et gestes de chacun, la vie de la famille Lethuillier et ses relations avec les voisins, les habitants du village. Son roman commence avec Henri qui paraît être un homme sage et paisible et qui s'avère être un tyran familial, comme les pages suivantes, très vite nous le décriront. Lorsqu'il se retrouve seul dans cette grange, Henri doit faire une sorte d'auto-analyse, exercice pas aisé pour lui qui ne plie jamais et onques ne se remet en cause.

Le roman est admirablement construit, un début quasi anecdotique - la balade d'Henri à travers champs et le changement de physionomie de nos campagnes-, puis très vite la tension s'installe et ne redescend point. Ce type est ignoble, mais on ne comprend pas vraiment qui lui veut du mal et pourquoi. En fait, on devine, ou plutôt on croit deviner mais des doutes subsistent, et lorsqu'on le sait on attend les raisons du kidnapping, les vraies, les profondes. Car chacun à tour de rôle s'interroge sur l'isolement d'Henri, lui bien sûr, mais aussi ses enfants et Adèle son épouse qui se reproche beaucoup de choses, qui se remet en cause, elle elle peut le faire contrairement à lui. Et au lieu d'une introspection du kidnappé, on assiste à celles de tous les membres de la famille.

C'est aussi un roman rural, dans nos compagnes changeantes et profondes qui gardent néanmoins de vieux réflexes : tout se sait par le commérage, les peurs des uns devant la différence des autres (Adèle est la fille d'une sorcière qui soignait tous les habitants qui eux niaient avoir recours à ses services ; Adèle a préféré taire la transmission de ce don), les jalousies...

Écriture rapide et prenante qui permet d'aller au plus profond des êtres. Peu de fioriture, simplicité et efficacité avant tout, pas toujours le plus facile à obtenir surtout sur un premier roman ; Maryline Gautier entre en littérature en frappant un coup qui devrait laisser quelques traces, du moins, je le lui souhaite.

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L'homme du paradis

Publié le par Yv

L'homme du paradis, Philippe Bouin, Presses de la cité, 2015....

Un corbeau sévit dans un web-journal intitulé Villages en folies. Il s'intéresse tout particulièrement au village de Saint-Vincent-des-Vignes, dans le beaujolais. Les habitants sont en émoi, chacun, à tour de rôle, a droit à sa photo et un commentaire disgracieux. Archibald Sirauton, ex-juge d'instruction, devenu viticulteur en reprenant l'exploitation de ses parents, maire du village depuis peu veut mener sa propre enquête en famille pour ne point alerter la presse qui ferait de ce torchon ses choux gras. Dans le même temps, Xa, sa compagne, comédienne, répète une pièce de Molière qui se monte à Lyon. Mais le metteur en scène, très célèbre meurt assassiné, puis son remplaçant. Archibald ne peut que s'en mêler pour sauver Xa en fâcheuse posture.

Revoilà Archi déjà rencontré dans Le vignoble du diable et Les chais des ambitieux. Toujours aussi bon vivant et impliqué dans le bien-être de ses administrés et de Xa. Le village est au complet avec ses différents habitants : des sympas, des drôles, des tête-de-cochon, des bigotes, des anticléricaux et même un curé africain, le père Goma qui me plaît bien, car loin d'être un dévot, il adapte les principes de l'Église aux situations et à l'évolution des mœurs ; il a connu et vécu des horreurs dans son pays d'origine et depuis, il relativise beaucoup, ce qui est une de ses grandes qualités. On est loin de Don Camillo et de Pepone, car là, le maire et le curé s'entendent pour tout et se comprennent à demi-mots. Par contre, les villageois ressemblent un peu à ceux du village du curé italien, c'est donc avec beaucoup d'humour que Philippe Bouin raconte son histoire.

D'abord, je salue sa belle idée de commencer son roman par le numéro 1 de Villages en folies, qui lui permet de refaire le point sur tous les personnages principaux de sa série et donc de nous les remettre vite en mémoire ; on entre donc tout de suite dans le vif du sujet. sa langue est patoisante (?) et joue avec des effets de niveau, un mot parfois désuet -notamment certains dont j'use moi-même : "icelui, icelle"- ou d'un langage châtié émaille les phrases collant ainsi à Archi, qui est très ancré dans son village, mais très original, il s'habille avec des vêtements exotiques (Inde, Tibet) a un catogan et n'a jamais oublié son passé de juge puisqu'il s'en sert encore pour mener ses enquêtes. Atypique, il n'habite pas un superbe loft, mais un manoir assez moche, mal meublé et mal décoré auquel il ne peut rien changer tant que ses parent vivent encore. Bougonne la femme-à-tout-faire est fidèle à son surnom, mais surtout aux petits soins et Tirbouchon, le labrador d'Archi, eh bien il ne lui manque que la parole puisqu'il comprend tout et s'agace même qu'on puisse en douter.

Et l'intrigue dans tout cela ? Elle tient jusqu'au bout, je devrais même dire, elles tiennent jusqu'au bout puisqu'il y en a deux. P. Bouin modernise le thème du corbeau en en faisant un animal connecté, parle de ce phénomène détestable qui a cours sur la toile qui autorise les propos infamants et diffamants et parfois franchement dégueulasses en toute impunité puisque les pseudos permettent l'anonymat.

Un roman très bon, léger, drôle, bien ficelé, avec des personnages qu'on aime à retrouver, avec de la bonne bouffe, du bon vin -je suis plutôt amateur de ceux du sud-ouest, mais si un viticulteur du beaujolais me lit et qu'il veut me faire changer d'avis, il y a un onglet "contact" en haut de la page (à force de demander, on ne sait jamais...)- ; bref une série vraiment agréable, si vous le pouvez, commencez-la dès le début et dégustez sans modération

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La Tribu

Publié le par Yv

La Tribu. La Maison des horreurs, Stéphanie Lepage, La Bourdonnaye, 2015...,

La maison des Monferreau est cachée dans une campagne profonde. Ceux qui se perdent dans les environs, de préférence la nuit, croient y trouver refuge. Mais lorsqu'ils voient la bâtisse, ils déchantent. Ils croient encore que c'est le malheureux hasard qui les a menés là, alors que tout est prévu. Chez les Monferreau, on vit en famille, à sept pour trois générations. Victor, le patriarche nonagénaire, ses trois filles et ses trois petits-enfants. Lorsqu'Anne et Ludo, en cavale, se retrouvent aux alentours de la maison à la poursuite de leur chien Jasper, ils comprennent que cette nuit changera totalement leurs vies.

La série Pulp chez La Bourdonnaye, ce sont des petits récits qui se présentent comme les feuilletons des temps anciens ou comme les séries télévisées des temps modernes. Des saisons et six épisodes par saison. On peut les acheter en papier ou numérique au choix. Puis, à la fin de la saison paraît l'intégrale, celle que j'ai en ma possession concerne la première de cette série d'horreur. Pourtant pas mon genre de lire -ni de dire- des horreurs, mais je dois avouer que j'ai bien aimé. Notamment parce que Stéphanie Lepage écrit son livre comme si elle nous racontait son histoire au creux de l'oreille ou alors à une assemblé tout ouïe. Elle met en place son suspense, puis prend le temps de revenir sur ses personnages pour nous en dire un peu plus -mais point trop, surprises à ménager-, sème des indices çà et là, revient dessus en en rajoutant d'autres et en les liant. C'est très bien fait. On sort de cette première saison avec pas mal d'interrogations sur le passé et l'avenir de la famille Monferreau et de ceux qui tournent autour. Exactement comme dans une série télévisée qui veut accrocher et retenir les téléspectateur.

Ce qui est bien également dans ce livre, c'est qu'on ne peut faire confiance à aucun des personnages ; ceux qu'on croit méchants ne le sont peut-être pas autant qu'on le pense ou alors ils sont encore pires que ce que l'on imagine ; ceux que l'on croit gentils ont aussi leurs parts d'ombre voire de totale noirceur. Tous nos codes véhiculés notamment par les séries états-uniennes très manichéennes avec des bons et des méchants volent en éclat, et tant mieux ! Stéphanie Lepage n'hésite pas à pousser les limites de la perversité avec Victor, le grand-père. Son récit n'est pas drôle du tout, un peu d'humour aurait sans doute allégé le texte, mais on serait alors tombé dans une parodie de La famille Adams, en plus gore. Mais n'ayez crainte, l'hémoglobine ne coule pas à toutes les pages, rien de pire que dans un thriller qui sont parfois bien plus sanguinolents que La Tribu.

Une belle collection pour des lectures rapides, enlevées et de très bonne qualité qui existe en version papier et en numérique sur le site de l'éditeur. Faites-vous plaisir et peur -ou plaisir en vous faisant peur- cet été sur la plage ou ailleurs.

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La madrivore

Publié le par Yv

La madrivore, Roque Larraquy, Christophe Lucquin, 2015 (traduit par Mélanie Gros-Balthazard)....,

1907, banlieue de Buenos Aires, clinique de Temperley, une équipe médicale sous la direction de Mr Allomby tente une expérience folle : décapiter des patients atteints du cancer et en fin de vie pour recueillir leurs dernières paroles une fois la tête séparée du reste du corps, puisqu'une croyance dit que la tête seule vit encore neuf secondes. C'est le professeur Quintana qui raconte cette incroyable entreprise.

2009, Buenos Aires, un artiste provocateur lit la thèse d'une certaine Linda Carter à propos de son travail. C'est alors toute la question de l'œuvre, de l'art contemporain et de la façon d'arriver au statut d'artiste reconnu qui est la base de la réflexion de l'artiste.

Deux récits dans ce roman de Roque Larraquy qui finiront par se parler. A priori pas vraiment de points communs entre eux, quoique l'artiste du second n'hésite pas à user de son corps pour ses œuvres. Imaginons qu'en 1907, les scientifiques recueillent des propos intéressants et qu'en les combinant ils en fassent des textes forts, poétiques, ... certains avant de crier au scandale crieraient au génie et à l'œuvre d'art... Mais revenons à la clinique de Temperley au début du siècle dernier. Les docteurs sont tous plus barrés les uns que les autres, on se croirait dans une aile psychiatrique, mais côtés patients. Ce qu'écrit Roque Larraquy est terrible, horrible, puisqu'ils choisissent des patients très malades pour abréger leur souffrance mais surtout pour parvenir à leurs fins d'expérimentateurs. Malgré cela, on sourit beaucoup, voire même on rit, parce que le texte est bourré d'humour. Noir évidemment, morbide. Notamment dans les tentatives des médecins de conquérir Menendez, l'infirmière-chef. Malgré la lourdeur du contexte, l'ambiance reste potache, bon enfant, légère, ou alors c'est moi qui ai décidé de le prendre comme tel pour éviter de sombrer, mais je ne crois pas m'être trompé, jugez plutôt avec cet extrait issu de la procédure officielle pour recruter et tester les patients :

"Le jour de l'entretien, le professionnel se présentera le front dégagé, sans excès de gomina. Il fera entrer le patient et lui proposera du thé ou du café. Le caractère inattendu d'une telle proposition, si éloignée des conventions habituelles d'une consultation médicale, le préparera à recevoir la terrible nouvelle : le sérum de Beard n'a pas fonctionné et le décès est imminent. Une fois la nouvelle mise sur le tapis, vous observerez un silence respectueux durant lequel le patient fera ce qu'il veut avec sa douleur. Le silence ne devra pas dépasser les deux minutes, moment où le médecin se lèvera de sa chaise, franchira la barrière du bureau pour venir taper sur l'épaule du patient avec une ou deux mains. Si le patient se montre réticent au contact physique, le médecin lui fera comprendre que ce geste de compassion n'est pas en option." (p.62/63)

Le second texte sur la création artistique est moins drôle, sans doute parce que le sujet est lui-même plus léger. Il pose des questions sur l'art en général. Qu'est-ce qu'une œuvre d'art ? Jusqu'où peut aller l'artiste ? La mutilation ou la transformation du corps mises en scène sont-elles de l'art ? Le premier à avoir une idée parfois bête, comme Duchamp avec son urinoir, peut se prévaloir du titre de découvreur, mais les suivants ne sont-ils que des imitateurs, des profiteurs d'un système qui glorifie les performances ? Voilà pour certaines questions qui me sont venues en lisant ce court texte sur cet artiste provocateur qui ne cherche qu'à faire parler de lui en bien ou en mal, surtout en mal d'ailleurs, histoire d'exister aux yeux de tous.

Un récit très différent du premier qui le rejoint néanmoins d'une manière fine. Il y est question de corps également, de l'intégrité d'icelui, de ce que l'on peut faire avec... enfin plein de réflexions qui méritent qu'on s'y arrête un instant. De manière générale, les livres parus chez Christophe Lucquin méritent d'être lus. Ils sont souvent décalés, barrés, fous, toujours bien écrits et vraiment originaux. Celui-ci, comme les autres, n'échappe pas aux yeux acérés de l'éditeur.

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Ça coince ! (28)

Publié le par Yv

Le cercle des plumes assassines, J.J. Murphy, Éd. Baker Street, (traduit par Hélène Collon)..,

Dorothy Parker, critique, scénariste, poétesse fut un des membres actifs de la Table Ronde de l'Algonquin, un hôtel du New York des années vingt. Lorsqu'un critique est découvert mort sous cette table, elle se mêle de l'enquête au risque de se mettre en danger, elle et son nouvel ami, un jeune homme du sud venu dans cette grande vile pour tenter de se faire un nom dans l'écriture, William Faulkner.

Pas inintéressant ce roman, mais il y a un je-ne-sais-quoi qui ne m'y retient pas. Et pourtant, au départ, j'étais motivé : l'époque, la prohibition, l'ironie et le décalage de ces intellectuels new yorkais, ce détachement dont fait preuve Dorothy Parker, qui n'a pas le sou mais vit comme si elle en avait, à crédit et grâce à son bagou. C'est léger, drôle... et un peu vide. Je m'y suis ennuyé assez vite et malgré les beaux personnages le plaisir n'y est pas totalement. Peut-être aurait-il fallu en faire plus sur eux, sur l'époque, planter un contexte plus fort, plus présent, parce que l'intrigue en elle-même est fine ?

Néanmoins, ce roman peut plaire par son ton léger et optimiste, son écriture pour tous même si l'on ne connaît rien de ces années folles.

Sous les ponts, Michel Bouvier, Ravet-Anceau, 2015..,

Jean Clément vient d'être assassiné. Son ex-femme, Catherine est arrêtée par le capitaine Maugrart de la police de Lille qui ne sait pas trop quoi penser d'elle, sauf qu'il ne la croit pas coupable mais qu'il est certain qu'elle lui cache des choses importantes pour son enquête. Sophie, la fille de Catherine est choquée par cette arrestation, elle ne peut se l'expliquer.

J'ai lu et bien aimé les deux romans précédents de Michel Bouvier qui sait allier sens du rythme, personnages bien croqués et surtout une belle plume. Du polar littéraire (cf. le très beau Lambersart-sur-Deuil et Le silencieux). Pour ce troisième polar, tout partait très bien. J'y retrouvais cette belle langue qui me plaît et les deux narrateurs aux formes de discours très différentes, ça me plaisait aussi. Quelques descriptions rapides et excellentes "... Mme Chausson, une espèce de grande dinde toujours parée pour Noël, a fait les yeux ronds de celle qui débarque d'un voyage en Chine et n'a répondu que des sottises de mère poule offusquée." (p.21). Le rythme, lent, collait parfaitement aux méthodes du capitaine Maugrart. Et puis au bout d'un moment j'ai décroché, même les belles longues phrases ne m'ont pas retenu. 

Je suis désolé M. Bouvier, j'aurais tant aimé retrouvé en ce roman ce que j'avais trouvé dans les autres. Je note de manière positive votre changement de style, dans la continuité, avec un langage plus oral et plus familier pour Sophie, des anglicismes francisés -j'aime beaucoup, ça fait très Queneau- "ticheurte", "djinne", mais cela n'a pas suffit. Néanmoins, malgré cet échec de lecture, je vous relirai avec grand plaisir, du polar littéraire ce n'est pas tous les jours qu'on en a sous la main.

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Les vrais durs meurent aussi

Publié le par Yv

Les vrais durs meurent aussi, Maurice Gouiran, Jigal polar, 2015...., (grand format, 2008)

Les légionnaires à la retraite tombent comme des mouches en cet été caniculaire. Non point à cause de la chaleur, car ils sont simplement occis, égorgés, façon sourire kabyle, leurs attributs virils enfoncés dans la gorge. Quatre déjà viennent de mourir à Marseille. Clovis Narigou, journaliste qui n'aime rien autant que sa maison dans les montagnes loin des tumultes de la grande ville, en descend néanmoins pour aider son vieil ami Biscottin qui se sent menacé parce qu'il a recueilli les affaires du Polack, un ex-légionnaire qui se cache pour échapper à l'épidémie de meurtres.

Clovis Narigou, le héros récurrent de Maurice Gouiran est à l'oeuvre dans ce roman sorti en grand format en 2008 et édité en poche cette année, toujours par Jigal. Le principe de Maurice Gouiran est de plonger Clovis dans des histoires liées à la grande Histoire, celle du vingtième siècle. Ici, on parle beaucoup des guerres d'indépendance perdues par la France, Indochine et Algérie, dans lesquelles les légionnaires ont été particulièrement actifs. Pour les légionnaires, le corps auquel ils appartiennent passe avant tout ; ils viennent de divers horizons, ont des histoires dures et tout est oublié en entrant dans la Légion. Dès lors, on y retrouve des gens au passé trouble, surtout lorsqu'ils l'intègrent vers 1945. L'Indochine et particulièrement Dien Bien Phu furent mal vécus par les Français qui ont très rapidement été appelés en Algérie pour une guerre qui ne disait pas son nom et qui allait se révéler un même traumatisme pour eux et pour les Algériens. Maurice Gouiran parle de la torture que l'armée française a utilisée pour faire parler des indépendantistes algériens, du viol des femmes algériennes, tout cela pour garder un territoire qui devait rapporter, au moins aux colons ; ainsi parle Zouba, un ancien de l'Armée de Libération Nationale : "Mes grands-parents étaient autrefois agriculteurs dans la plaine. Ils vivaient modestement mais correctement de leur labeur, et puis les domaines de Européens se sont étalés peu à peu aux dépens des nôtres. Les colons nous ont chassés et sont devenus propriétaires de toute la plaine fertile. Alors nous avons dû quitter nos terres pour la montagne où nous avons créé des villages. Là-bas, c'était une autre vie, beaucoup plus difficile au milieu des terres arides." (p.59/60)

L'enquête de Clovis le mènera à Sainte-Livrade, dans le camp aménagé à la hâte pour accueillir en 1956 les Français d'Indochine. Plus de cinquante ans après, certains y vivent encore, totalement oubliés, qui ne rêvent selon Clovis que d'être traités comme les Harkis, ce qui en dit long sur leur misère puisqu'on sait que les Harkis ne sont pas particulièrement bien considérés par la France.

Ce que j'aime dans les romans de Maurice Gouiran, c'est qu'à chaque fois, j'apprends quelque chose, un pan oublié de l'histoire de notre pays ou d'autres nations (ce fut l'Espagne par exemple pour L'hiver des enfants volés). Et il fait cela très bien, en alliant enquête, Histoire, personnages marseillais typiques -avec leur parler qu'un mec du nord comme moi ne capte pas toujours, mais qui ne nuit pas à la bonne compréhension générale des dialogues- , un peu d'humour, de légèreté avec Alexandra, l'ex de Clovis qui revient le voir pour une quinzaine torride -je rassure les lecteurs chastes, tout est suggéré, rien n'est décrit, du tourisme à Marseille -d'ailleurs la pâtisserie tunisienne dans laquelle Clovis rencontre Zouba ressemble fort à l'une que nous avons fréquentée assidûment lorsque nous étions dans cette ville en vacances il y a deux ou trois ans- et dans les environs, ... Avec tout cela on dans les mains un très bon polar, instructif et humaniste car, comme le dit Alexandra à Clovis -et je finirai là-dessus, car je partage son avis- : "Ce qui t'intéresse, bien plus que les faits, ce sont les hommes. Ça transpirait dans tous tes reportages et aujourd'hui tu prends à bras-le-corps des enquêtes et tu t'y investis jour et nuit alors qu'on ne te le demande pas forcément. Si encore c'était pour gagner quatre sous, mais même pas..." (p.236)

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Wulf

Publié le par Yv

Wulf, Hamish Clayton, La Différence, 2015 (traduit par Marc Sigala)...,

Début XIX°, le navire marchand anglais l'Elizabeth fait route vers la Nouvelle-Zélande. A son bord, les marins sont fascinés à la fois par les paysages très différents de ceux qu'ils connaissent et par un jeune membre d'équipage nommé Cowell qui leur raconte les histoires de Te Rop'raha, le grand chef violent et sanguinaire qui règne sur ces îles, surnommé le Loup. Il connaît l'histoire du pays et parle la langue des hommes qui l'habitent. Le capitaine de l'Elizabeth veut commercer avec Te Rop'raha.

Hamish Clayton est néo-zélandais, il écrit là son premier roman. Un roman tout en images, en sensations. La langue est magnifique, entre prose, poésie ; roman d'aventures, d'initiation et surtout de découverte des autres, de leur culture et de leurs us et coutume. C'est la rencontre entre les Européens et les habitants de l'île avant sa colonisation. Le texte n'est pas exempt de quelques longueurs, de passages moins intéressants, mais qu'est-ce qu'il est beau. Il est toujours difficile de dire ce qui est la part de l'auteur et celle du traducteur pour la question du style littéraire, mais sans bon texte original point de bon texte traduit. Saluons alors la très belle traduction de Marc Sigala et la magnifique écriture de Hamish Clayton. Un exemple ? Et bien, il n'y a qu'à demander :

"La rivière est une tapisserie, une nappe miroitante peinte de vert, mouvante. Des feuilles sont tombées à sa surface et deviennent des radeaux, elles glissent sur le corps frais et lent de l'eau. Marchant aux côtés d'une telle rivière, il [Cowell] a l'impression d'être tiré par un chien en laisse. Un peu plus loin, la rivière se rétrécit et force l'eau à accélérer. Le chien d'eau bondit en avant de lui et éclabousse la laisse. Des deux côtés, les rives rocailleuses deviennent abruptes, maintenant faites de roches et d'arbres denses. Il ne reste plus de place pour poursuivre la marche, alors riant il entre dans la rivière, s'habille d'eau, barbote dans le courant. Il devient la rivière et le chien qui nage en elle." (p.24/25)

J'aurais pu le citer dans toute sa longueur ou même prendre à peu près n'importe quelle page et y trouver un extrait aussi beau tant ils pullulent. Je dois avouer avoir moi-même été nettement plus intéressé par l'histoire de Te Rop'raha que par celles des marins, même si elles deviennent indissociables, ce sont elles qui donnent le rythme au roman.

Hamish Clayton sait faire naître des images dans les esprits des lecteurs, il décrit les superbes paysages, la mer, les côtes, les terres très vertes, tout cela avec poésie et élégance, en douceur malgré la cruauté du Loup. Un roman très beau, très poétique à découvrir.

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