Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan
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Les 7 vies de Mlle Belle Kaplan, Gilles Paris, Plon, 2023
Belle Kaplan est une actrice adulée. Ses premiers films ont fait d'elle une star incontestée. Belle a caché son passé, ses multiples identités, et parvient encore à cacher sa vie privée. Rien d'elle ne transpire dans la presse ou ailleurs.
Lorsqu'elle reçoit des lettres anonymes d'un expéditeur qui semble tout savoir de sa vie mouvementée d'avant, Belle, loin de paniquer, se remémore son enfance et ses années de jeune femme, de Montréal jusqu'à Paris. Cependant, un tournage prévu à Hollywood pourrait bien changer la donne.
Nouveau roman de Gilles Paris, qui, s'il peut paraître plus léger, plus aéré dans la tonalité et la construction que ses derniers romans (de courts chapitres, une écriture fluide qui coule doucement), dresse le portrait d'une femme pas banale.
J'aime en général les livres de Gilles Paris et j'aime celui-ci. Belle est une femme forte et fragile, qui cache cette fragilité sous une épaisse carapace -sous d'épaisses carapaces pourrais-je même écrire. L'on pourrait imaginer une star éloignée des petites gens, qui se flatte de son succès et méprise ceux qui n'ont pas réussi. Belle est plus complexe que cela. Elle s'éloigne pour se protéger, pour protéger sa vie d'avant qu'elle dévoile petit à petit dans ce monologue, entrecoupé de souvenirs,.
Gilles Paris fait preuve de beaucoup de tendresse pour ses personnages en général, nul besoin de rappeler Courgette, ou Marnie dans Le vertige des falaises -l'une de ses héroïnes que je préfère-, ou encore les personnages du Bal des cendres, et pour Belle en particulier. Et Belle se raconte en profondeur. Les blessures de l'enfance, les fêlures, la peur et l'impossibilité d'attachement, du lien. Tout cela est bien vu, et pour avoir assisté à des formations dans le cadre professionnel sur les troubles de l'attachement, sur le lien affectif, je trouve que le roman est très réaliste. Ce que j'aime dans l'écriture de l'auteur, c'est qu'il aborde des thèmes difficiles, les violences contre les enfants, la vie dans les foyers ou les orphelinats, la construction en tant qu'adulte, la quête d'identité... toujours avec beaucoup de justesse et de finesse et sans recherche de sensationnel. Il épargne à ses lecteurs des descriptions sordides. Les choses sont dites élégamment ou suggérées.
J'ai lu quasiment tous les livres de Gilles Paris, l'ai rencontré brièvement à deux ou trois occasions, j'ai pas mal discuté avec lui par mail, et de ces échanges est née la conviction de son humanité, de sa grande sensibilité, de son ouverture et de l'envie de rencontrer autrui dans ses différences et ressemblances. Et tout cela ressort dans ses livres et dans ce dernier roman, dans le personnage de Belle, qui cache sous des dehors froids, une envie de rencontre, de vivre pleinement une vie pourtant mal débutée :
"Je déteste devoir penser à tout, mais c'est la seule solution pour vivre en paix. [...] J'ai appris à me rendre invisible au fil des ans. [...] J'ai connu ce frère d'infortune [Ben] avant que ma vie ne commence. Je ne sais rien de mes parents, ni lui des siens. Une âme secourable nous a déposés à l'orphelinat Sainte -Croix des Enfants de Montréal. Nous sommes nés la même année, nous aurions pu être jumeaux. Nos mères ont préféré se débarrasser de nous pour des raisons inconnues. trop pauvres pour nous élever sans doute. La discipline, en ce lieu religieux, s'est révélée des plus strictes." (p.29/30)