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Ferdaous, une voix en enfer

Publié le par Yv

Ferdaous, une voix en enfer, Nawal El Saadawi, Des femmes-Antoinette Fouque, 2022 (traduit par Assia Djebar et Essia Trabelsi)

"Dans une prison du Caire, une femme attend d'être pendue. La veille de son exécution, elle accepte enfin dans sa cellule la psychiatre désireuse de recueillir sa parole, et comprendre son crime. La détenue parle vite : elle sait son heure venue et n'a plus rien à perdre. Elle s'appelle Ferdaous, "Paradis" en arabe, et sa vie n'a été qu'un enfer. D'inceste en violences conjugales, programmée pour devenir prostituée, elle fait payer les hommes pour le mal qu'ils lui infligent. Jusqu'au jour où l'un d'eux le payera de sa vie." (4ème de couverture)

Écrit en 1977, traduit et paru en France aux éditions Des femmes-Antoinette Fouque en 1981, c'est une idée lumineuse que de le rééditer en poche en ce moment. Nawal El Saadawi (1931-2021) fut sage-femme puis psychiatre et autrice d'une œuvre dénonçant les violences faites aux femmes. Elle fut censurée, menacée de mort, recueillit le témoignage de Ferdaous juste avant sa pendaison et publia son livre juste après ce qui lui valut pas mal d'embêtements.

C'est un texte court et d'une force incroyable. Il alterne les passages difficiles, violents que subit Ferdaous "Il m'a frappée une fois avec le talon d'une chaussure, jusqu'à me faire enfler le visage et le corps. J'ai quitté sa maison, j'ai fui chez mon oncle. Mais mon oncle m'a dit que tous les maris battent leurs épouses." (p.64) avec des envolées plus lyriques sur les couleurs, les paysages, les rencontres amoureuses de Ferdaous lorsque les regards se croisent "J'ai vu devant moi deux cercles d'un blanc vif au milieu desquels deux cercles d'un noir intense me regardaient. Et à chaque fois que je les fixais, leur blanc s'intensifiait, leur noir s'avivait comme si la lumière les inondait, jaillie d'une source magique inconnue qui ne se trouverait ni sur terre, ni dans le ciel." (p.102)

Le récit est tellement stupéfiant qu'on peine à croire qu'une femme ait pu traverser toutes ces épreuves, qu'on peine surtout à comprendre comment des hommes peuvent faire subir tout cela à une femme. Et ils sont solidaires entre eux, pas un ne défendra Ferdaous. Pas un ne dira ou ne fera le contraire d'un autre homme. C'est absolument terrible et l'on avance dans la lecture en sidération, ne voulant pour Ferdaous que la sortie de l'enfer, elle qui préfère la prostitution à toutes les vies qu'elle a menées : "La vérité était que je préférais être une prostituée plutôt qu'une femme vertueuse mais dupe. Toutes les femmes sont dupes. Les hommes t'infligent la trahison, puis ils te punissent parce que tu es trahie. Les hommes te forcent à descendre aux abîmes, puis ils te punissent parce que tu te trouves au fond des abîmes. Les hommes te contraignent au mariage, puis ils te punissent par des coups, des insultes et la corvée quotidienne." (p.111)

Cette sortie en poche est une occasion formidable de lire et/ou relire ce livre, de l'offrir, de le diffuser aux femmes, aux hommes. On dit parfois facilement qu'on ne sort pas d'une lecture indemne, j'avoue que je trouve cette formule souvent exagérée et n'en use jamais, mais une fois n'est pas coutume et c'est ici la formule idoine à ce récit

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Sangoma. Les damnés de Cape Town

Publié le par Yv

Sangoma. Les damnés de Cape Town, Caryl Férey, Corentin Rouge, Glénat, 2021

Le Cap, Afrique du Sud, le corps d'un ouvrier agricole noir est retrouvé dans une ferme d'une famille blanche et un nourrisson a été enlevé au même endroit. Le lieutenant Shane Shepperd, flic blanc, davantage intéressé par les charmes d'une jeune femme noire, maîtresse du leader d'extrême droite et fille d'un politicien noir qui tente de régler l'épineux problème de la répartition des terres entre noirs et blancs, est dépêché sur la double affaire.

Caryl Férey scénarise cet album tandis que Corentin Rouge le dessine. Il débute par une chasse à l'homme noir par des hommes blancs accompagnés de chiens excités et dangereux. L'apartheid est fini, mais les tensions demeurent : des noirs demandent qu'on leur restitue leurs terres dont ils ont été chassés et les blancs propriétaires refusent arguant que ce sont eux qui les ont fait fructifier. Le scénario va puiser dans les croyances les plus enfouies et pas toujours avouables, dans celles qui subsistent dans les coins les plus reculés, dans les townships. La violence y est également très présente, quotidienne, les armes circulent et il ne fait pas bon être flic ou blanc pour y arpenter les rues, alors, flic et blanc...

Les teintes sont souvent sombres, le dessin classique qui fait la part belle aux personnages expressifs, pour un album de très bonne qualité, très rythmé et intense.

Très bonne bande dessinée policière, tous les ingrédients sont réunis pour qu'une éventuelle suite soit tout aussi bonne, car je ne serais pas surpris que Shane Shepperd revienne dans un autre tome, je dois dire que je serai même ravi de le retrouver.

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Chaton : trilogie

Publié le par Yv

Chaton : trilogie, Jean-Hughes Oppel, Payot&Rivages, 2002

Une tuerie dans un pavillon de banlieue. Dix corps dont un sans mains ni tête. Un règlement de compte entre truands ? Tout le laisse croire aux policiers lorsqu'iceux découvrent, au sous-sol, un laboratoire et une grosse cargaison de drogue. La commissaire Valérie Valencia ne veut pas s'arrêter aux apparences et creuse pour très vite flairer la piste d'une vengeance d'un homme surentraîné qui a tout perdu quelques années auparavant. Tout cela sur fond de magouilles politiques à la veille d'élections importantes, les présidentielles.

Jean-Hughes Oppel écrit des romans noirs dont aucun ne se ressemble, sauf la qualité qui est là, indéniablement. D'abord celle de l'écriture : l'auteur ne fait pas dans le plat, le déjà-lu mais pour autant évite l'ampoulé, le pompeux. C'est juste, clair, limpide.

Ensuite les personnages qui ne sont pas mièvres ou fades. Certes, ils peuvent emprunter des traits aux stéréotypes, mais cela me paraît bien normal et JH Oppel ne tombe pas dans la facilité. Il ajoute des détails, des qualités humaines mais aussi des défauts, très réalistes.

Enfin, l'histoire, dense parfois technique, et toujours bien détaillée sans que les pages explicatives ne soient rébarbatives. Il faut dire que les affaires politico-financières sont alambiquées volontairement pour que le vulgum pecus ne puisse rien en saisir, mais il y en a eu tant depuis des années qu'on en connaît un peu les mécanismes. Je ne suis pas certain que la lecture de cet excellent roman noir ramène du monde vers les urnes.

Le tout donne un noir serré, vitaminé, dans lequel les flics auront du mal à cerner le tueur, un roman dont le titre énigmatique laisserait à penser à une suite mais que nenni, il est bien complet, construit en trois grandes parties. Excellent, ai-je besoin de le préciser ?

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Le contrat

Publié le par Yv

Le contrat, Ella Balaert, Des femmes-Antoinette Fouque, 2022

Pierre Camus, célèbre écrivain, se tue en voiture en allant porter son dernier manuscrit à son ami Christophe Lambert, éditeur. C'est ce dernier qui est le légataire universel. Avec ce titre, il décide de créer sa propre maison d'édition qui n'éditera que des textes posthumes ou des ultimes textes d'auteurs.

Jeanne, professeure, vit seule avec son fils adolescent. Elle a publié des romans quelques années auparavant, mais depuis, elle ne parvient plus à écrire.

Puis, en parenthèses, il y a Gwenaëlle, qui visite régulièrement sa grande-mère Mado, presque nonagénaire qui ne quitte plus son appartement. Et Nadège comédienne, et Achard réalisateur.

Le plus dur pour moi, ça va être de tenter de n'être point trop décevant dans ma chronique par rapport à ce superbe roman d'Ella Balaert. Qui commence fort : "C'est pourtant la meilleure des choses qui soit arrivée à Jeanne, de se faire abandonner par Thierry. Combien de temps aurait-elle mis à partir d'elle-même ? A ne plus subir les humiliations de son mari ? Il y a des douleurs auxquelles on s'attache, des souffrances dont on aime à gratter la croûte ; il y a des mortifications dont on tire un orgueil démesuré, des rabaissements qui procurent un sentiment de supériorité si intense qu'ils nous consolent d'être traités comme des chiens." (p.17)

Puis qui continue sur le même rythme avec des personnages forts et profondément décrits : la douce et effacée Jeanne, presqu'invisible. Le dandy flamboyant Christophe, cynique. Sans oublier Mado, la presque nonagénaire, sa petite fille et Nadège, et Achard respectivement actrice et réalisateur. Ils interrogent sur la création, sur l'art, la littérature, l'amour, le désir. Mais aussi sur la mort, sur ce qu'on laissera une fois trépassé. Sur les conséquences des sévices subis dans l'enfance : l'agression sexuelle, le viol, l'abandon par les parents, la violence des hommes... Un roman féministe ? Peut-être, mais ce serait réducteur, c'est un roman qui parle des femmes agressées, et qui contraintes ou volontairement relèvent la tête et se battent chaque jour. Ce roman creuse en profondeur ses personnages, de sorte qu'ils vivent avec nous toute la durée de la lecture et même après.

J'aime beaucoup sa construction qui alterne les narrateurs et ouvre des parenthèses avec d'autres. Ella Balaert construit un roman-puzzle dont il est difficile de sortir avant d'avoir posé la dernière pièce. C'est fin et délicat. Tout est dit, rien n'est superflu.

Et pour finir, je suis sous le charme de l'écriture de l'autrice, entre réalisme et poésie. De belles phrases qui vont au cœur des personnages, qui décrivent admirablement lieux et décors. Un style impeccable et élégant dans lequel, parfois, viennent se caler quelques mots rares et beaux. Et comme des clins d’œil, des liens vers les précédents ouvrages d'Ella Balaert, notamment Jeanne, la fille de la Mont-Joli l'un des personnages de Canaille blues, que je vais relire bientôt.

Les personnages, le style, la construction, tout concourt à faire de ce roman l'un des plus beaux que j'ai lu récemment, et si vous ne devez lire qu'un livre de cette rentrée littéraire de janvier, c'est celui-ci !

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Ça coince ! (56)

Publié le par Yv

Le sniper, son wok et son fusil, Chang Kuo-Li, Gallimard (traduit par Alexis Brossolet), 2021

"A Taïwan, le superintendant Wu doute du suicide d'un officier du Bureau des commandes et acquisistions de l'armée. [...]

A Rome, le tireur d'élite Ai Li, dit Alex, s'apprête à dégommer un conseiller en stratégie du président taïwanais sur ordre des services secrets." (4ème de couverture)

Voilà donc un polar, le premier d'une série, écrit par un journaliste, linguiste, historien, poète et dramaturge ainsi que critique gastronomique -ouf !- taïwanais qui, compte tenu des multiples casquettes de l'auteur promet d'être passionnant et qui me tombe des mains assez vite. Des paragraphes consacrés au choix des armes : les différences entre M24 et M19, voire M14 et M21, qui reviennent dans les passages en italique -procédé que je n'aime pas particulièrement et qui prolifère-, des irruptions de personnages dont on ne comprend pas ce qu'ils font dans le moment... Bref, rien ne me retient. C'est long à se mettre en place et j'avoue ne pas comprendre et ne pas réussir à me laisser porter. Je passe...

La fosse aux âmes, Christophe Molmy, La martinière, 2021

Fabrice, après deux années de vie commune avec Juliette, veut la quitter. Il accepte à contre coeur la soirée au cinéma avec elle, bien décidé cependant à lui dire qu'il rompt. Mais pendant le film, qui l'ennuie, des hommes armés font irruption dans la salle, tirent sur les spectateurs et en tuent beaucoup dont Juliette et Flavien son frère.

Fabrice est anéanti, et sa rencontre avec Clarisse la policière qui entend son témoignange arrive à point nommé pour qu'il ne sombre pas. Il s'accroche à elle. Mais lorsque Clarisse disparaît, il est soupçonné de meurtre, il parvient à s'enfuir.

Pas forcément mauvais, mais très long par moments sans que les apartés apportent un plus à l'histoire ou aux personnages. J'ai eu beaucoup de mal à m'intéresser et à croire à l'histoire de Fabrice, qui, en outre, ressemble pas mal à Ne le dis à personne de Harlan Coben -c'est l'un des deux romans de cet auteur que j'ai lus, les autres me sont tombés des mains, trop ressemblants, mais je me souviens bien de l'adaptation cinématographie de Guillaume Canet.

La fosse aux âmes est décevant, qui ne parvient pas à me passionner. Pas mal écrit pourtant, assez rythmé même, mais je passe à côté...

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La roue (crevée) de la fortune

Publié le par Yv

La roue (crevée) de la fortune, Eric de Haldat, Librinova, 2021

Six longues nouvelles composent ce recueil :

- Le chalut : Felipe M, détective privé est embauché parce qu'un billet censé être détruit a servi à payer un restaurateur. A Felipe de chercher la fuite et de savoir si d'autres billets sont en circulation.

- La mission : trois personnes astucieusement nommées N°1, N°2 et N°3 arpentent les salles d'une exposition avec des lunettes permettant de scanner les objets qu'elles voient. Mais qui est leur commanditaire et pourquoi ?

- Opium : l'immeuble d'Ulysse est promis à la destruction, il vient de trouver un appartement dans les hauteurs de la ville. Lawrence son fennec supporte mal les odeurs émanant d'un pavillon au pied de l'immeuble. Le maire de la ville doit gérer le mécontentement des ex-voisins d'Ulysse, car la démolition de l'immeuble crée d'énormes nuisances.

- Le fleuve : L'impassible, bateau de croisière à la vapeur vogue sur le fleuve emmenant un scientifique objet d'une surveillance serrée. A terre, des guérilleros projettent une action d'éclat pour se faire connaître, au moment où un célèbre cirque s'installe.

- L'amphore : Ugo, pêcheur en Méditerranée remonte une amphore en parfait état. Intrigué, il s'en ouvre à un amateur peu scrupuleux. Sur cette amphore apparaissent des signes qui ressemblent à de l'alphabet cyrillique, étonnant, non ?

- Eldorado : Lola part rejoindre son fiancé Victor qui vient de trouver un emploi à la mine de Châteldor. Le voyage est rude surtout parce que trois lourdauds ne la quittent quasiment pas. Arrivée sur place, c'est la douche froide : il n'y a rien à Châteldor. Excepté un mouvement de grève à la mine...

Six nouvelles enlevées, drôles et aventureuses. Aucun questionnement profond, aucune remise en cause des personnages, point de réflexions philosophiques, non rien de tout cela. Du pur divertissement. Et ça fait un bien fou de lire les aventures souvent foireuses des (anti)-héros de Eric de Haldat, sans arrière-pensée. C'est de l'aventure pour l'aventure et la gaudriole. Et c'est bien fait : l'enquête du détective colle parfaitement au genre, de même que la descente du fleuve un peu poisseuse ou la ville de Châteldor perdue. A chaque fois, l'auteur est juste et l'on se laisse porter. Pour ceux qui connaissent, j'ai retrouvé l'humour et le décalage de Gideon Defoe dans sa série Les pirates. Les animaux peuvent y parler, penser, parfois davantage et mieux que les hommes. En fait, tout peut arriver.

Si vous aimez les histoires linéaires, prévisibles, fuyez. Si vous aimez les surprises, l'humour décalé, la belle langue (parfois des mots à rechercher dans le dictionnaire), venez, vous ne le regretterez pas !

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Dans la tête de Sherlock Holmes. L'affaire du ticket scandaleux (2)

Publié le par Yv

Dans la tête de Sherlock Holmes. L'affaire du ticket scandaleux (2), Cyril Lieron, Benoît Dahan, Ankama, 2021

"Sherlock Holmes et le DR Watson sont sur la piste d'un mystérieux ticket de spectacle chinois, prétexte pour sélectionner une catégorie de spectateurs, dont les "élus" finissent enlevés plus tard dans la nuit. Tous les métiers et couches de la société victorienne semblent ciblés. Cheveux blonds ou roux, yeux clairs... L'apparence serait-elle le seul lien entre les victimes ?" (résumé du Tome 1, p.4)

Second tome pour cette histoire d'après Sir Arthur Conan Doyle, scénarisée par Cyril Lieron et Benoît Dahan et dessinée et mise en couleurs par Benoît Dahan. Si vous n'avez pas lu le tome 1, c'est sans doute dérangeant mais c'est surtout dommage de se priver d'un tel plaisir. Le dessin est toujours très fouillé, précis et empli de détails, ce qui nécessite de ne pas passer les pages trop vite : on s'amuse même à rechercher le détail, le point du dessin qui pourrait échapper au premier regard. Il y a aussi des trouvailles : des pages à recourber parce que le dessin de la page suivante répond à celui qui est sous nos yeux, des pages à regarder en transparence... Et j'aime beaucoup le trait de Benoît Dahan : ses personnages sont vivants, dynamiques notamment Sherlock Holmes, les couleurs sont sublimes et les cases qui jouent à faire des formes, qui sont parfois très bavardes, parfois muettes, qui ne sont parfois pas de cases, qu'on suit avec le fil rouge donc pas toujours dans le sens "normal" de lecture, tout concourt à faire de cette bande dessinée un objet superbe et original.

En outre, le scénario n'est pas en reste, qui nous balade, nous parle de l'époque victorienne, de l'empire britannique, nous laisse des indices, nous embrouille... Bref, excellent album en deux tomes.

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