Un jour Alex part en excursion avec sa classe et sa maîtresse, pour avoir le calme, décide de confisquer toutes les consoles et portables, de les mettre dans un grand sac pour les rendre en fin de journée. Mais le sac disparaît. Ce jour-là, Alex, décide de s'improviser détective et compte bien faire la lumière sur ce rapt.
Pas de braderie pour Charlie, J. Wouters, Ravet-Anceau, 2013
Le papa de Charlie, tous les ans court les encombrants de bonne heure pour dénicher les quelques vieilleries qui feront un malheur le jour de la braderie de Lille. Il les stocke dans un cabanon dans le jardin. Cette année, Charlie l'accompagne dans sa récolte et pour la vente itou. Mais lorsque le cabanon est cambriolé, l’enthousiasme tombe car la braderie pour Charlie semble compromise. c'est sans compter sur les copains.
Cet été, vous partez, ou ne partez pas en vacances et vous emportez des bouquins pour vous. Des polars entre autres, parce qu'un polar si c'est bon toute l'année, c'est encore meilleur au soleil en vacances. Oui, mais avez-vous pensé à vos bambins ? Vous non, mais les éditions Ravet-Anceau oui. Destinés à un public de 8/12 ans, ces deux premiers opus de la série Polar en nord junior sont légers, amusants et peuvent même parfois pousser à réfléchir, sur l'usage immodéré des écrans par exemple, n'est-ce pas Yv, toi qui passes du temps à écrire sur les bouquins et aller voir ce que tes copines (copains ?) de blogs écrivent ? Oui, je sais mes enfants, je vais vous laisser un peu l'ordi, mais bon, il faut bien que je finisse ce que j'ai commencé, à savoir cet article sur ces livres. Tiens d'ailleurs, les avez-vous lus ? Et si oui, qu'en avez-vous pensé, en argumentant un chouïa plus que : "j'ai bien aimé" ou encore "c'est trop bien" ?
Allez, c'est à vous :
"- Bien, j'ai bien aimé.
- C'est un peu court jeunes hommes !
- Ils sont faciles à lire et je ne me suis pas ennuyé
- Mais encore ?
- Euh, je sais pas trop.
- Bon, j'arrête la torture, je crois que je vais remplir mon article tout seul, donc je vais reprendre l'ordi, vous jouerez après..."
Résumons-nous : deux petits polars destinés aux enfants qui leur plaisent assez courts pour qu'ils ne s'ennuient pas, à la fois tragi-comiques et qui peuvent donner à réfléchir : allez-y foncez !
Vers, Eusebio Ruvalcaba, LC Éd., 2013 (traduit par Brigitte Jensen et Christophe Lucquin)
Christophe Lucquin, l'éditeur, regroupe ici des textes courts, allant de 3 à 7 ou 8 pages d'Eusebio Ruvalcaba, écrivain mexicain. Cinquante et une nouvelles qui décrivent la vie au Mexique, celle de gens normaux. Alcool, femmes, pauvreté, violence sont leur quotidien.
Il faut entrer dans la narration et le monde d'Eusebio Ruvalcaba et dès lors que c'est fait, se laisser porter. Les nouvelles sont courtes et l'on peut donc passer celles qui semblent plus légères, moins à son goût de lecteur. Il y en a quelques unes, assez peu sur le nombre. Si j'évacue tout de suite les quelques coquilles auxquelles je ne suis pas habitué chez cet éditeur, puisque son travail est d'habitude irréprochable : "Il l'écoutait jouait du piano" (p.122), "il m'a téléphoné pour me demander de me venir chez lui..." (p.161), "Si tu grattes la croûte de ta mémoire, peut-être le remémoras-tu comme un homme enjoué..." (p.36) et une ou deux autres assez minimes encore, je dois dire que c'est une lecture plaisante. Un constat de la société mexicaine : drogue, alcool, chômage, divorces, violences, mais aussi, histoires d'amour, de sexe, d'adultères, de désirs, ...
Des tranches de vie, des nouvelles sans vraiment de chutes qui claquent fort. J'en ai retenu quatre dans le lot, dans le mitan du livre, mais c'est vraiment histoire de mettre le focus sur quelques textes, car à force de mettre une croix face aux titres de mes préférés, je me suis retrouvé avec une table des matières bourrée de croix.
- Le collectionneur d'âmes : l'histoire d'un prêtre alcoolique et pétri de désir pour une femme qui vient en confession et dont il ne voit pas le visage. Un prêtre qui ne croit plus vraiment en Dieu, qui ne vit plus que dans l'attente de la visite de cette femme. Un texte interrogeant sur le célibat forcé des prêtres. "Combien de temps encore avant qu'elle arrive ? Me voilà seul depuis une demi-heure à attendre comme un imbécile. Attendre, toujours attendre. Heureusement j'ai ma flasque avec moi" (p.79)
- Journée complète de travail : un magnifique texte sur une mère qui élève seule son enfant, obligée de travailler dur et souvent, et qui lorsqu'elle rentre chez elle, tard, ne pense qu'à le prendre dans ses bras, au risque de le réveiller, pour le sentir vivre et en profiter. Un thème récurrent chez E. Ruvalcaba, celui de la femme qui travaille et peine à subvenir à ses besoins et ceux de ses enfants, qui tente néanmoins de les éduquer correctement. "Et si elle le réveillait ? Elle aurait aimé arriver à temps, mais la seule chose que Teresa Tejada réussit à voir fut son enfant endormi." (p.91)
- C'était le grand jour : même thème, celui d'une femme débordée, obligée de s'occuper du père de son mari, impotent mais qui l'oublie un jour de grand soleil sur la terrasse, dans son fauteuil. "De loin, ça ressemblait à un élément décoratif de la façade de cette pauvre maison qui avait l'air plus abandonnée qu'autre chose. Mais si quelqu'un avait eu la curiosité de s'approcher, il aurait remarqué que cet ornement n'était rien d'autre qu'un vieux en fauteuil roulant." (p.97)
- Le trésor : une femme seule (encore) veut voir son fils heureux : elle cache un trésor au pied d'un arbre, dessine une carte au trésor et tous les deux, ils partent le chercher. "Quelqu'un, impossible de savoir qui, impossible de savoir comment, avait trouvé le trésor avant eux." (p.121)
Des gens simples dans des histoires simples, parfois tragi-comiques, parfois plus tristes ou à l'inverse plus légères, parfois rêvées, irréelles, absurdes. Dans le lot, il y en a forcément certaines qui vous toucheront, peut-être (mais pas sûr) certaines qui vous agaceront ; dans tous les cas, ces nouvelles ne demandent qu'à être découvertes.
Me voici tagué par Gwenaëlle, juste avant que je parte en vacances quelques jours. Un tag cuisine. Pas facile, mais je relève le défi :
La qualité que je préfère chez un cuisinier : chez une cuisinière, ça marche aussi ? Me surprendre avec des choses simples, des produits frais en associant un bon vin aux mêmes caractéristiques, simple et bon. Mais le classique, ça peut marcher aussi...
Le défaut que je trouve le pire chez un cuisinier : la saleté, je me souviens d'un ancien élève (du temps ou j'étais enseignant de la conduite) apprenti-cuisinier et sale mais sale comme j'ai rarement vu. Son jean devait tenir droit tout seul tellement il était noir de crasse (bleu à l'originie je subodore), ses cheveux longs étaient gras, sales et il sentait mauvais, j'ouvrais les fenêtres, même en plein hiver.... J'osais à peine l'imaginer en cuisine.
L'épice que je préfère : le curry. Depuis ce jour où, jeune homme en week-end chez un copain friqué, après un tour en bateau calamiteux pour mon estomac, il m'a débarqué sur une plage de Pornichet. Je suis rentré chez lui et pour le midi, sa maman avait cuisiné un poulet au curry divin et malgré mon estomac fragile, je l'ai dévoré. Je crois bien que c'était la première fois que je goûtais une épice "exotique", ce n'était pas dans les habitudes culinaires de mes parents. Ce n'était pas, plus généralement, dans les habitudes culinaires de la classe ouvrière de l'époque (années 70/80) issue de la campagne qui privilégiait le classique, roboratif, surtout dans les familles nombreuses (7 enfants quand même !)
Ma Madeleine de Proust : j'en ai plusieurs, sucrées et salées. Je serai grand prince, je vous en donne une de chaque, à vous de la mettre dans la bonne case (attention, il y a peut-être un piège) :
- les tomates farcies faites maison avec du riz cuit dans la sauce
- le clafoutis aux cerises, même si je ne réussis pas à retrouver le goût exact de ceux qu'on faisait avec les cerises coeur de pigeon du vieux cerisier...
Ce qui me hérisse au restaurant : l'attente longue, les clients ou les employés qui râlent, les couverts, assiettes ou verres sales...
Trois restaurants que j'aime beaucoup : je fréquente régulièrement un restaurant qui fait une cuisine traditionnelle avec des produits locaux, juste en accord avec le point 1 du tag, une auberge où l'accueil, le service et les lieux sont plaisants et la cuisine excellente : L'auberge de la Gaillotière, à Château-Thébaud.
Je n'ai pas d'autres adresses précises, je teste, à droite, à gauche, à Nantes, en vacances, souvent des restaurants aux spécialités asiatiques, grecques et turques, israéliennes (à Marseille cet hiver)...
Ma devise en cuisine : Simple et bon, entre amis, avec un bon verre de vin (rouge de préférence)
Bonusrévélations :
- je fais la cuisine quotidienne pour 6 (je travaille à domicile, c'est normal), mais qu'est-ce-que c'est chiant !
- j'aime bien préparer à manger l'hiver, quand on reçoit, des plats familiaux : pot-au-feu (au boeuf, ou au canard, c'est divin), bourguignon, boeuf-carottes, poule au pot, ...
- j'adore les bretzels apéro, j'ai du mal à m'arrêter lorsque j'ai commencé
- je fais mon pain, avec un levain que je nourris et garde dans mon réfrigérateur, mais je faiblis, je ne sais pas si je vais persister
Je ne tague personne en particulier, je prépare mes valises. Qui veut prend.
Jack-Alain Léger s'est défenestré ce mercredi, le 17 juillet. Voici, il y a un an et demi ce que je disais du premier volume de son autobiographie qu'il ne finira donc pas. Je n'y ai rien changé et j'attendais la suite :
L'auteur -ou devrais-je dire selon ses principes, l'écrivain ?- de ce livre "nous invite à le suivre dans le cirque qu'aura été sa vie" (4ème de couverture). Entre son enfance, son adolescence, ses débuts dans le métier. Il croise Sagan, d'ailleurs son livre commence par un repas chez elle, Derrida, et d'autres personnages pas toujours reluisants à ses yeux. Et puis, on lit aussi des pages sur ses parents, sur sa mère notamment atteinte de psychose maniaco-dépressive, mal qu'elle léguera comme une sorte d'héritage familial à son fils. Jack-Alain léger parle donc aussi de sa maladie qu'on appelle désormais plus communément la bipolarité.
Allons droit au but : je suis très partagé sur ce livre. D'abord, l'auteur mélange tellement d'idées, de souvenirs, de réflexions, que parfois, je ne savais plus où j'en étais. Ensuite, il règne dans son livre une sorte d'intellectualisme, d'élitisme que je n'aime pas. Non que je n'aime pas les intellectuels, mais j'ai du mal à comprendre le mépris qu'ils peuvent avoir pour ceux qui n'ont pas l'envie ou la chance d'égaler leur Grandeur. En cela Jack-Alain Léger me paraît un peu suffisant, pédant par moments. Disons que ce n'est pas la modestie qui l'étouffe ! En outre, il règle aussi des comptes avec des éditeurs, d'autres écrivains qu'il n'aime pas mais il ne les nomme pas toujours : j'ai donc eu parfois l'impression de rester un peu au bord de la route, de ne pas comprendre toutes ses colères et leurs subtilités ou plutôt, en tant que lecteur de base de ne pas pouvoir lire entre les lignes ce que les initiés peuvent eux comprendre sans décryptage particulier.
Par contre, le point fort du bouquin, c'est son écriture. Jack-Alain Léger manie, triture, chamboule les mots, les phrases, parfois excessivement longues, parfois jouant avec les assonances : "Maman, de fait, n'est nullement impressionnée par les allégations de ce ponte pontifiant." (p.108), parfois avec verbe, parfois sans. Toutes les possibilités et tous les goûts sont présents. Certaines pages, surtout celles dans lesquelles l'auteur parle de sa mère et de leur maladie communes sont absolument magnifiques (là, il fait parler sa mère) : "... mon second fils est en train de sombrer à son tour, je le vois, pas un pli, il est comme moi maniaco-dépressif, le mal est héréditaire, le mal, transmissible, vient de ma lignée, un gène, je ne sais quoi, mais selon certains freudiens de stricte observance, freudiens freudiens, non, il n'y aurait rien là de biologique mais de la répétition inconsciente d'une histoire dont le récit se transmet en secret de génération en génération..." (p.73). D'autres passages sont plus crus, plus directs, plus violents mais toujours écrits sous cette forme de longues phrases, très virgulées (je ne sais pas si ce mot existe, mais il a l'avantage d'être compréhensible par tous !) : "Oui, Maman, je suis une folle de ce genre, qui bande en reluquant des hommes, des vrais, des qui se battent comme des hommes, des qui ont des couilles au cul [*], des qui matraquent les crouilles à coups de pèlerine en caoutchouc noir roulée serrée, des qui se font des colliers d'oreilles tranchées au coutelas sur les cadavres ennemis, des qui n'ont pas peur du sang, des qui puent la sueur, des qui tuent à l'arme blanche, à la grenade, au napalm, des qui palment de nuit et plongent dans les eaux froides pour poser des mines, des qui sautent dans le vide en faisant, de l'index et du majeur, le V de la victoire." (p.69)
([*]cette expression m'a toujours fait marrer, car mon papa l'employait beaucoup malgré nos oreilles forcément chastes, mais des oreilles peuvent-elles être chastes ? Je vous laisse méditer.)
Voilà donc mon dilemme exposé sous vos yeux concernant ce livre qui porte le sous-titre de Windows du passé surgies de l'oubli et qui est le premier d'une série de 7 racontant la vie de l'auteur avec des sous-titres comme Les entractes de ma vie ont été trop longs (citation du Marquis de Sade) ou encore Le gris de la griserie, le rose du morose, Zanzaro circus étant le titre générique j'imagine. Zanzaro est le surnom que Irena, la nounou italienne du narrateur, lui donnait quand il était petit : "Zanzaro (d'après le mot zanzara qui, en italien, signifie moustique...)" (p.76)
Un roman qui ne peut laisser indifférent, il peut heurter, répugner, fasciner, plaire séparément ou tout cela ensemble mais il ne provoquera pas d'avis tiède !
Merci Marianne de chez l'Éditeur qui a la bonne idée de publier de très bons bouquins.
Crimes et curare, Pierre Machu, Ravet-Anceau, 2013
Une prostituée est assassinée à Lille. Empoisonnée au curare de Guyanne. L'enquête échoit au lieutenant de police Jean-Alain Lejambier. Une seconde femme succombe au même poison, dans la même ville, une femme aisée, styliste et belge. A priori, rien ne lie les deux victimes. Et si le tueur les choisissait au hasard ? Empêtré dans une histoire sentimentale pas facile, le lieutenant tente de faire la lumière à la fois sur son enquête et sur sa vie privée.
Voilà un petit polar bien agréable. Pas par son intrigue assez simpliste ni même pour une enquête secondaire mettant en scène une morte par accident de voiture : disons que pour cette intrigue, pas nécessaire, on est plus proche des énigmes de Picsou magazine ou de celles qu'on peut trouver dans les magazines de jeux d'été que d'un polar sérieux ! Non, ce qui est plaisant, c'est de voir Jean-Alain Lejambier se dépatouiller de sa vie sentimentale, s'enfoncer dans une relation compliquée et en entamer une autre en même temps. Son ex et peut-être future (?) -Ah le suspense est terrible- est insupportable, j'avoue qu'à la place de Jean-Alain, je n'aurais sans doute pas eu sa patience. Pour être clair je l'aurais envoyée se faire voir. Mais bon, je ne suis pas Jean-Alain, ni policier. Ce qui m'a bien plu également, c'est le découragement de ce flic à qui l'on met des bâtons dans les roues alors qu'il n'aspire qu'à faire bien son travail : la hiérarchie est frileuse et pas téméraire.
Les personnages sont sympas, leurs relations plus esquissées que vraiment approfondies, la ville de Lille bien présente ainsi que la Belgique, l'intrigue pas folichonne mais suffisante pour tenir les 170 pages. Beaucoup de maladresses par exemple lorsqu'un flic dit à un autre qu'ils ne sont pas dans une série télévisée policière, un procédé douteux plusieurs fois utilisé censé donner de la réalité à un récit. Certes, ils ne sont pas dans une série télévisée, mais dans un roman, c'est kif-kif...
Pas enthousiasmant, pas vraiment crédible, mais malgré tout cela, j'ai passé un bon moment. Un petit polar sans prétention (enfin j'espère) qui pourra vous faire passer un après-midi de farniente au soleil, sur le sable ou à l'ombre sur un transat ou vice versa, enfin dans toutes les positions que vous désirez, seul ou à plusieurs, je décline toute responsabilité.
Les premières phrases : "Jean-Alain étira son mètre quatre-vingt-cinq et bâilla à s'en décrocher la mâchoire. Décidément, l'horaire de nuit ne lui convenait pas. Il regrettait beaucoup d'avoir accepté ce remplacement pour un mois, il n'arrivait pas à se faire au rythme." (p.7)
Jeanne L’Étang, Perrine Le Querrec, Éd. Bruit Blanc, 2013
Jeanne L'Étang naît en cachette en 1856. Sa mère continuera à la cacher dans une soupente de la maison jusqu'à ses huit ans. Puis elle s'en ira pour la Salpêtrière, service des folles. Huit ans plus tard, elle prendra la direction d'une maison close pendant une dizaine d'années. De la maison-mère à la maison des folles puis à la maison close. Drôle de vie que la sienne.
Soyons direct, c'est un livre difficile. Par le thème qu'il traite bien sûr, mais surtout par l'écriture de Perrine Le Querrec. Totalement déstructurée. Alternance de phrases classiques. Puis des phrases nominales. Puis un mot entre deux points. Ça peut dégoûter. Énerver. Dérouter. Plaire. Enthousiasmer. D'un naturel tolérant, je suis à la fois ravi, enthousiasmé par le style, l'originalité et de l'écriture et de la mise pages (couleurs, tableaux, abécédaires, jeux avec les polices de caractères, les italiques, les gras, ...) et un rien fatigué sur la longueur. Pas aisé de tenir le rythme sur les 234 pages !
Un roman qui démarre fort, et les premières lignes sont à l'image de la totalité du texte. Soit ça passe soit ça casse :
"Elle entend. Jeanne. C'est Jeanne L'Étang. Elle arrive. Des feuilles humides. De la terre. La forêt. De l'air. Un cri. Celui de Jeanne L'Étang, née un jour d'octobre 1856. Pluie de feuilles, pluie de sang, pluie de cris. On la prend. On la débarrasse des feuilles. On la serre contre la bouche. "Jeanne ! Ma Jeanne !" On la mouille de sang et de salive. On la nettoie. A coups de langue, entre "Jeanne !" et "Jeanne !" Lever les petits bras, nettoyer, là aussi, plis du cou, jambes cerceaux, poings virgules, cheveux noirs. Les yeux, longuement. Jeanne s'envole au bout de deux bras, plonge sous la robe, rencontre la peau. appliquée. Transférée. Jeanne L'Étang a chaud. Elle s'endort contre Dora, Dora sa mère. Un sein au-dessus de ses cheveux noirs. On est à l'abri ici. Il fait chaud." (p.7)
Si vous passez ces lignes sans encombre, vous êtes prêts pour la suite. Moi, elles m'ont scotché et j'ai donc continué avec envie. Et je n'ai pas été déçu. Vous croiserez dans ce roman, Edgar Degas, le docteur Charcot et même compendieusement Sigmund Freud. Haussman également ou plutôt sa transformation de Paris : "Perversion, dégénérescence, homosexualité, peur du juif, criminalité, décadence, syphilis, statistiques, population migrante : Paris détruit ses taudis et se reconstruit dans un vocabulaire brutal." (p.21)
Avis aux amateurs et trices de livres qui sortent de l'ordinaire : laissez-vous tenter, faites-vous votre propre idée.
L'Exécution, Robert Badinter , Audiolib, 2009 (Éd. Grasset, 1973), lu par Charles Berling
L'affaire de Clairvaux dans les années 70 : une prise d'otages qui se finit dramatiquement par l'assassinat des otages, un gardien et une infirmière. Les deux accusés, Claude Buffet et Roger Bontems. Si le premier est coupable des égorgements, le second n'a pas de sang sur les mains. Néanmoins, défendu par Philippe Lemaire et Robert Badinter, il sera guillotiné. Cette affaire sera un tournant dans la vie de Robert Badinter qui n'aura désormais de cesse de lutter contre la peine de mort.
Un récit exceptionnel que je ne connaissais pas et que les éditions Audiolib me font découvrir avec bonheur. Ce texte est d'une force peu commune ; tout le cheminement et les questionnements d'un avocat au moment où il aborde un procès qui, il le sait, le changera à tout jamais. Robert Badinter raconte son procès, intercale les conseil de son maître dans ce métier, Henry Torrès, fait le point sur le déroulement de l'affaire pendant les deux premières parties. La troisième étant consacrée plutôt à la demande de grâce et à l'exécution.
Dans la présentation, Robert Badinter finit en disant : "Fermez les yeux et écoutez", et c'est ce que j'ai fait. La voix de Charles Berling entre dans le casque, paisible au départ, qui enfle lors du procès et devient presque un murmure dans la troisième partie. Si je suis un adepte du livre papier, je dois avouer ici que parfois l'interprétation d'un acteur peut donner de l'ampleur à un texte, quand bien même celui-ci n'en a point besoin. Car, effectivement, le texte se suffit à lui-même, mais C. Berling lui donne une force supplémentaire. Aucun passage n'est anodin, tant ceux concernant le procès que les conseils du maître Torrès, un vrai plaidoyer pour le métier d'avocat, de défenseur, que la fin, tendue, sensible et inoubliable. Je me souviens encore des débats en 1981 autour de l'abolition de la peine de mort, ceux organisés dans les cours au collège et même encore quelques années après au lycée. Ils étaient vifs, emportés et je défendais fermement ma position, celle qui avait enfin gagné. Je ne m'étais jamais demandé comment Robert Badinter en était venu à croire en l'abolition, j'ai maintenant une réponse claire.
Merci aux éditions Audiolib de mettre ce texte à leur catalogue, car il doit être lu ou écouté très largement. Cet été, en voiture ou sur la plage, dans l'autoradio ou sur vos lecteurs MP3. Puissant. Encore mieux qu'un bon polar. La praticité d'un format à trimbaler partout alliée à l'interprétation formidable de Charles Berling. Pas gai (mais pas pire qu'un thriller, et mieux en terme de qualité) certes, mais inévitable.
Conflit de voisinage, Rafaële Rivais, Éd. Max Milo, 2013
Lorsque Rachel Kubler, journaliste, revient s'installer à Paris après quelques années passées en Belgique, elle n'a d'autre solution que de louer un souplex chez un bailleur social. Seule avec deux petites filles, elle emploie une jeune fille au pair. Très vite, elle s'aperçoit que sa voisine Audrey Nichelong ne la supporte pas. Et c'est un euphémisme. Tout ce qu'entreprendra Rachel pour améliorer son habitat sera systématiquement vécu comme une provaocation par sa voisine. Et le ton monte très vite. Jusqu'où Audrey Nichelong sera capable d'aller pour nuire à Rachel Kubler ?
Il y a il paraît de nombreux conflits de voisinage en France. Ce roman est d'ailleurs basé sur des faits réels. De petites brimades en gestes plus dangereux, la tension monte et la peur s'installe. Acculée, la victime tente d'alerter bailleur social, police, mais tous sont très occupés à d'autres tâches moins gênantes pour le premier et plus valorisantes pour la seconde. Et Rachel doit alors se débrouiller seule, d'abord contre des petits tracas, avant que ça ne dégénère :
"Elle [Audrey Nichelong] se mit à guetter les allées et venues de sa voisine. Quand elle la savait prête à sortir de l'immeuble, elle préparait une bassine d'eau. S'il n'y avait personne dans la rue, elle la vidait sur sa tête au moment où elle franchissait la porte d'entrée, située au-dessus de sa cuisine. Elle l'entendait avec jubilation remonter chez elle pour se changer. Elle retira le nom de sa boîte aux lettres afin qu'elle ne reçoive plus son courrier. Hélas, l'autre l'écrivit au feutre sur le métal. Lorsqu'elle l'apercevait dans la rue Kubler en train de rentrer chez elle avec sa poussette double et les petites dedans, elle bravait le flot des voitures pour arriver avant elle au pied de l'immeuble : elle maculait d'huile la poignée de la porte d'entrée ou bien appuyait sur la totalité des boutons de l'ascenseur afin qu'il s'arrête à chaque étage et qu'il l'oblige à poireauter. Elle continua d'envoyer les chats faire leurs besoins dans ses plantes, la nuit : non seulement ils les déracinaient, mais ils les remplissaient d'excréments." (p.113)
Le livre se présente comme un roman, je l'ai ressenti plus comme un écrit journalistique. Certes, le suspense et la tension sont bien pesés et bien amenés. Certes, la construction est plutôt romanesque. Mais, l'écriture est journalistique : de petites phrases rapides, claires, nettes, précises qui font mouche mais qui ne réussissent pas à donner à ce livre le charme d'une oeuvre littéraire. Tel n'était peut-être pas le but de l'auteure? Si son but était de construire un roman façon roman noir avec des gens normaux, dans des situations courantes, rien qui malheureusement ne sorte vraiment de l'ordinaire (lorsque je dis cela, ne le voyez pas comme une critique négative, mais comme un simple constat des situations décrites) en faisant monter tension et intérêt du lecteur, le pari est réussi.
Vous ne verrez plus vos voisins comme avant si vous avez la chance de croiser la route de ce petit roman (188 pages) -ou si vous faites en sorte de l'avoir en mains- rapide et efficace. Quand je pense que j'ai invité les miens il y a quelques semaines...
Alek Salazar est un homme pas très courageux qui vit dans une ville d'un pays latin (sud-américain) soumis à une dictature. Il est un jour abordé par un homme étrange, Absalon Mendoza, qui lui dit qu'il est la réincarnation de El Vampiro del Norte, lutteur légendaire de lucha real, sorte de catch local. Dubitatif, Alek doit faire face à une invasion de champignons fluo dans son appartement ; Mendoza lui propose son aide, efficace.
On rencontre parfois des livres qu'il est bien difficile d'une part de résumer et d'autre part de chroniquer. En voilà un exemple type. Vraiment décalé et barré, j'avoue ne pas trop savoir quoi en dire en débutant mon billet.
Une chose sûre, c'est que j'ai aimé ce bouquin. le ton est résolument drôle, ironique, un humour que personnellement, j'adore : "Alek trouvait que tous les flics se ressemblaient ; celui-ci ne portait pas la casquette réglementaire, sa chemise sortait de son pantalon, mais il avait bel et bien des moustaches et des lunettes fumées." (p.96) On ne sait pas bien où ça se passe, sans doute en Amérique latine, sous une dictature qui comme toutes les dictatures surveille et impose, et communique par la radio d'État qui n'émet pas très bien. Le pays est coupé en deux, l'Est et l'Ouest sans qu'on sache vraiment la différence entre les deux parties. On y vit dans un Printemps Éternel. Dans ce monde là Alek vivote : "Alek travaillait depuis près de deux ans dans une église. Une église sans clocher. Il s'occupait de l'entretien. En fait, la majeure partie de ses tâches consistait à restaurer, réparer, recycler ou remplacer les objets dont les fidèles essayaient de s'emparer pendant les messes." (p.16) Et vivre comme cela lui va bien. Du rhum, du café, une cigarette lorsqu'il peut en trouver une, car c'est une denrée rare et interdite, un peu d'argent pour mettre dans sa vieille guimbarde qu'il tient de son oncle Octavio qui a péri dans l'incendie de sa maison. Apprendre qu'il est probablement la réincarnation d'une légende sportive du pays perturbe un peu son existence et l'emporte au-delà de ses désirs.
C'est une lecture vraiment agréable, joyeuse et décalée que les éditions Bruit blanc et Rodolphe Lasnes proposent. Un de ces romans dont on se dit en tournant la dernière page qu'il nous ont fait passer un grand moment de plaisir et dont certaines images resteront sans doute à l'esprit. Il y a de fortes similitudes avec les livres de Horacio Castellanos Moya, notamment, La servante et le catcheurouLe bal des vipères. Et comme j'aime beaucoup cet auteur, je suis tombé en plein dans un univers qui me ravit.
Quoi dire de plus ? Pas facile, tellement le roman fourmille de trouvailles, d'irruptions d'objets, d'animaux ou de faits bizarres. Et puis, je ne vais pas raconter des bêtises, juste pour faire long et combler quelques lignes. Ou alors, je peux ajouter que la mise en page est soignée (un bon point pour l'éditeur) et que la couverture est très belle, sobre (signée Bénédicte Battesti) ; elle me rappelle forcément le fameux éléphant de Nantes qui se promène avec une maison sur le dos (voir le site des Machines de l'île), l'autre livre de cette maison d'édition que je vais lire bientôt présente également une couverture blanche avec un dessin sobre du plus bel effet. Je peux également rajouter un grand merci à Harmonie.