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L'écologie en bas de chez moi

Publié le par Yv

L'écologie en bas de chez moi, Iegor Gran, P.O.L, 2011

Tout commence par un tract affiché sur le tableau des informations de l'immeuble dans lequel Iegor Gran habite ; il y est écrit : "Ne manquez pas ! Le 5 juin, projection du film Home de Yann Arthus-Bertrand, sur France 2. Nous avons tous une responsabilité à l'égard de la planète. Ensemble, nous pouvons faire la différence." (p.10) Iegor a du mal. Il a du mal qu'on lui impose sa façon de faire et de penser. C'est pour lui le début d'une colère et d'une rébellion qui se traduit par ce pamphlet anti développement durable.

Soyons clairs et francs : je suis écolo, ne m'en cache pas et n'en ai pas honte, mais n'en tire aucune gloire et ne fais pas de prosélytisme. C'est donc à la fois intrigué et amusé que je vois arriver ce livre dans ma boîte à lettres, sélection du Prix des Lecteurs de l'Express.

Ça commence très fort et très drôlement : "Les voisins, il faut les aimer. Les voisins sont toujours bienveillants, valeureux et civiques. Et je ne dis rien de leur beauté -cette force intérieure qui rayonne, ce sens du tact, cette poésie ! Mieux qu'une voyante, ils savent ce dont on a besoin. Mieux qu'un docteur, ils soignent nos égoïsmes. Ils sont vigilance. Ils sont probité." (p.9) C'est un pamphlet = "petit écrit au ton polémique, violent et agressif" (merci Larousse) que je peux compléter avec la définition de Wikipédia qui mérite bien sûr prudence : "Le caractère explosif du pamphlet tient du fait que l'auteur à l'impression de détenir à lui seul la vérité." qui parfois colle assez bien au ressenti que j'ai eu du texte de Iegor Gran. Il est donc très excessif, notamment lorsqu'il compare le travail d'Arthus-Bertrand -pour qui je n'ai pas une admiration sans borne- au travail de Leni Rienfenthal et si l'on pousse un peu son raisonnement, on pourrait comparer le développement durable imposé au nazisme ! C'est ce qui me gêne dans ce récit : l'excès de critique tue la critique, la décrédibilise. Le côté un chouïa "donneur de leçons" me met mal à l'aise. C'est d'ailleurs fort dommage, parce que Iegor Gran aborde des points très intéressants souvent passés à la trappe pour cause de politiquement correct. Les riches du nord se donnant bonne conscience en demandant aux pauvres du sud de ne pas trop consommer, de ne pas atteindre leur consommation, les reports des sommets de la terre  de Rio, à Tokyo et à Copenhague, ... Évidemment lorsqu'il parle des entreprises qui peuvent arborer un logo développement durable, adoubées qu'elles sont par le WWF parce qu'elles mettent la main à la poche et qu'elles subventionnent l'association, je ne peux qu'approuver son dégoût. Pourquoi et comment un constructeur de voitures peut-il dire faire des voitures propres ? Comment GDF ou Areva peuvent-il faire de la pub sur le développement durable ? A peine finie ma lecture, je me suis rendu compte qu'effectivement le développement durable était mis à toutes les sauces, partout, par tous et pour tous : des affiches placardées sur les panneaux, les publicités dans nos boîtes, à la télévision, ... Pour les réticents, les sceptiques, c'est l'overdose !

Suffisamment de mauvaise foi et politiquement incorrect pour que j'aime l'idée de départ. Mais la critique parfois trop facile et pas assez fine -voire vulgaire-, l'humour qui cède souvent la place à une colère et à des arguments spécieux -comme lorsque Iegor Gran dit "Éteindre la lumière quand on sort, isoler les bâtiments, réduire les achats inutiles. Tout le monde le fait, s'efforce de le faire." (p.92)- font que ce récit ne me convainc pas, malgré une partie des propos à laquelle j'adhère totalement.

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Là-haut, tout est calme

Publié le par Yv

Là-haut, tout est calme, Gerbrand Bakker, Ed. Folio, 2011 (Ed. Gallimard, 2009)

Helmer, cinquante-cinq ans, vit dans sa ferme au nord de la Hollande, seul avec son vieux père impotent. Il n'a pas choisi cette vie, Henk, son jumeau devait reprendre l'exploitation, mais Henk est mort accidentellement trente-cinq ans auparavant. Depuis, Helmer subit plus qu'il ne vit sa vie. Un jour, contre toute attente, il décide de bouger : il installe son père à l'étage, brûle les vieux meubles et repeint les pièces principales de la maison. Puis, Riet, l'ancienne petite amie de Henk reprend contact avec lui.

Ça y est me voilà sur le coup ! Bien après tout le monde, je lis ce fameux roman très encensé. Me voici comblé : je n'aime pas avoir l'impression que nous lisons tous en même temps les mêmes livres ; j'ai donc pris mon temps pour accéder à celui-ci. Et bien m'en a pris, parce que du temps, il en faut pour savourer ces presque 400 pages de lenteur, de nature, de petites choses du quotidien, de questionnements. Parce qu'il ne se passe quasiment rien dans ce roman. Bon, certes, il y a des morts, mais sur quarante ans, c'est un peu prévisible, et à part une mort accidentelle, les autres sont plus normales, si je puis dire. C'est lent, c'est excessivement lent, mais ça n'est pas long. Jamais je ne me suis ennuyé à lire les journées d'Helmer. Il y a même des descriptions de gestes banals qui durent et qui se lisent très bien, notamment la préparation du café ou des repas pour le père d'Helmer avant de les lui porter dans sa chambre.

Gerbrand Bakker écrit donc sur un vieux garçon qui a toujours subi, lui "le second choix", puisque son père lui a toujours préféré Henk, et qui enfin se pose des questions qui vont le faire avancer. Ou plutôt qui ose avoir des réponses jusque là bien enfouies. Il écrit surtout sur la gémellité, sur la souffrance qu'a ressenti Helmer lorsque son frère, pour Riet, s'est éloigné de lui :

"Nous appartenions l'un à l'autre, nous étions deux garçons et un seul corps.

Mais il y a eu Riet. Lorsqu'en janvier 1966 je suis entré dans sa chambre [celle de Henk] et ai voulu me coucher près de lui, il m'a renvoyé. "Fous le camp", a-t-il fait. Je lui ai demandé pourquoi. "Idiot", m'a-t-il répondu. En quittant sa chambre je l'entendais pousser des soupirs de mépris. J'ai regagné mon lit en frissonnant. Il gelait, la nouvelle année venait de commencer et, le matin d'après, la fenêtre était couverte de haut en bas de fleurs de givre. Nous étions désormais deux jumeaux et deux corps." (p.215)

Cette séparation le met très mal à l'aise, lui, déjà pas forcément très sûr de lui. Ensuite, à la mort de Henk très proche de ce jour néfaste, Helmer sera bien incapable de s'opposer à son père lui imposant de reprendre la ferme. Il lui faudra trente-cinq années pour réagir et se rebeller. Pour prendre sa vie en mains.

Dans le même temps, l'auteur dit la différence entre ces jumeaux : pourquoi l'un est le préféré du père ? Pourquoi Riet préfère Henk à Helmer ? Sont-ils si ressemblants ? Et quid de la question importante de leur différence sexuelle : Henk était amoureux de Riet, très belle jeune femme. Helmer est beaucoup plus troublé par les hommes qui l'entourent, notamment Jaap, le garçon de ferme. Peut-être me trompé-je, mais il me semble y voir là plus que l'amitié entre deux hommes.

Très bien écrit, ce livre tient son lecteur jusqu'au bout, sans suspens, sans rebondissement, juste en racontant la vie de cet homme ordinaire. J'ai espéré tout au long du livre en un changement pour Helmer. Chaque lecteur -dont moi- a dû, j'imagine, suivre sa "quête du bonheur" (4ème de couverture) avec l'envie forte qu'il le trouve.

On dit souvent -voyons, je pourrais prendre mes responsabilités et dire : "Je dis souvent..."-des personnages qu'ils sont attachants, et c'est souvent le cas, mais s'il doit y en avoir un qui l'est un peu plus que les autres, c'est bien Helmer -dans la seconde qui suit ce que je viens d'écrire, je peux vous en trouver au moins douze autres qui le sont tout autant que lui, comme quoi, ce que j'écris n'est pas toujours vérité !

Un texte envoûtant bien que sans artifice (des phrases simples, des mots simples), des paysages et une nature nordiques très présents, des questionnements existentiels sur le sens de la vie, de la sienne et de celles des autres font que ce roman charme, captive et fascine (c'est sans doute un peu fort comme terme, mais il y a un peu de cela quand même pour nous tenir 400 pages.) Comme quoi, quand c'est bien écrit, je peux m'intéresser à des livres lents !

Beaucoup d'autres avis chez tout plein de monde : Clara, Aifelle, Cathulu, Choco, Kathel, Isa, In cold blog, ...

 

dialogues croisés

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Commissaire Garon : La jeune chair

Publié le par Yv

La jeune chair, Saint-Luc, Ed. Beaurepaire, 2011

Un directeur de banque lyonnaise est tué de trois balles dessinant un parfait triangle au niveau du plexus. L'enquête est confiée au commissaire Garon, le directeur de la Brigade des Affaires Générales de Lyon. Cette brigade s'occupe des personnalités en vue. Garon et ses collègues, les inspecteurs Arnand et Dancour avancent à pas feutrés, mais rapides.

Ce petit roman policier de 173 pages (ah merci M. Saint-Luc de nous éviter les pavés de 400 pages emplis de banalités et de considérations de peu d'intérêt. J'aime les livres courts, qu'on se le dise !) m'a été proposé par Les agents littéraires qui sévissent sur la toile depuis quelques semaines. Gentiment dédicacé à un "critique littéraire" -c'est trop d'honneur-, par l'auteur qui me dit que son livre "n'est qu'un premier polar, certainement perfectible". Perfectible, sûrement, mais déjà bien construit et l'équipe de Garon mérite un arrêt sur ses aventures. Les personnages se mettent en place, puisque tome 2 -et peut-être plus- il y aura. D'ailleurs, pour en savoir plus il existe un site Commisaire Garon, très bien fait.

Saint-Luc nous balade à Lyon : "Lyon est cernée par deux collines, symbolisant deux mondes antagonistes : la Croix-Rousse, appelée la "colline qui travaille" sent la révolution, la sueur des petites gens, rappelle les combats des canuts, alors que Fourvière, la "colline qui prie" invite au recueillement, à l'abri dans sa verdure. Les maisons n'y sont pas luxueuses, mais sages et sans ostentation, les congrégations nombreuses." (p.79), puis nous emmène dans les pas d'Albéric Garon de Bouziq, puisque tel est son véritable patronyme, à Hong-Kong et Macao ; il nous y promène également dans les rues et ruelles. Comme je le disais précédemment, le roman est assez court, donc les personnages ne sont pas poussés, mais comme il existe une suite, j'imagine que nous en apprendrons plus sur eux au fur et à mesure de leurs enquêtes.

L'intrigue démarre assez vite et monte en puissance. Mais ici point de courses poursuites, point de fusillades ni d'hémoglobine dégoulinante. C'est un bon polar classique dans lequel l'auteur n'hésite pas à faire preuve d'humour et de critique envers le monde politique, le monde des affaires et les liens très étroits qui les unissent. Pour avoir fréquenté les cabinets ministériels, et donc le monde politique, Saint-Luc sait de quoi il retourne.

Plutôt bien écrit (même si le "s'est avérée fausse" de la page 140 me heurte un peu-beaucoup ; mais bon, parfois dans des bouquins plus grand public, on trouve bien pire !) ce polar permet de passer un très agréable moment. Pour tout dire, je le retrouverai bien volontiers, ce commissaire Garon avec ses camarades, épaissis, décrits plus en profondeur, dans une intrigue que j'espère au moins de la même bonne qualité.

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Malarrosa

Publié le par Yv

Malarrosa, Hernan Rivera Letelier, Métailié, 2011 (traduit par Bertille Hausberg)

"Elle devait s'appeler Malvarrosa. [...] Cependant, à la suite d'une erreur de l'officier de l'état civil ou parce que son écervelé de père était tellement bourré en allant l'inscrire qu'il pouvait à peine bredouiller un mot, elle finit par s'appeler Malarrosa." (p.11)

Cette petite fille vit entre son père, "Saladino, père irresponsable et joueur poursuivi par la guigne", Oliverio Trébol dit Tristesburnes, le gros bras au cœur tendre, sans oublier Isolina del Carmen Orozco Valverde, l'institutrice d'âge canonique qui ne désespère pas de ramener tout ce beau monde dans le droit." (4ème de couverture).

Hernan Rivera Letelier situe son histoire dans le Chili de la fin des années vingt et du début des années trente. Les mines de salpêtre ferment les unes après les autres. Les villages créés autour se vident, les anciens mineurs partant pour les villes chercher du travail. Yungay, le village de Malarrosa, à ses heures de gloire comptait "trois hôtels, les pensions de famille, la pharmacie, les boutiques de vêtements, les dépôts de vin, les billards, les bistrots, les tavernes, dix-sept lupanars" (p.16) Mais à la suite de l'exode de ses habitants "sur les dix-sept bordels il n'en restait plus que deux : le Poncho Désiré et le Perroquet Vert"(p.16). A travers l'histoire de Malarrosa, l'auteur raconte la naissance, la vie et la disparition de ces petits villages du désert, poussés artificiellement grâce aux mines. Yungay partiellement déserté ressemble un peu aux villages désertiques qu'on voit dans les albums de Lucky Luke, on y rencontre même le croque-mort qui se promène avec son mètre à la main, ici, don Uldorico. Les bagarres, les beuveries, les jeux de cartes, les visites au lupanar et les combats de boxe à mains nues distraient les habitants. La vie s'écoule lentement, paisiblement. Celle de Malarrosa, comme celles des autres habitants est une suite d'anecdotes plus ou moins drôles, plus ou moins tristes, parfois anodines, parfois importantes. Ma lecture a subi les mêmes hauts et bas, parfois lente et pas vraiment passionnante, sans jamais pour autant  être désagréable. Et puis, sur la fin, le récit s'agite un peu, les personnages aussi, ils sortent un peu de leur léthargie... et moi aussi.

Me voilà encore une fois partagé sur un livre : d'un côté des personnages attachants mais qui subissent et qui ne réussissent pas à captiver -bien qu'on les aime beaucoup et qu'on ait envie qu'ils s'en sortent- et qui, fort heureusement pour eux et pour nous ont un sursaut final bienvenu et de l'autre côté une écriture plaisante, propre et assez lisse (j'ai toujours du mal à parler de l'écriture d'un écrivain traduit : quelle est la part du traducteur -ici, une traductrice, Bertille Hausberg- dans  la qualité du travail ?). Un rien de détachement de l'auteur pour ses personnages, là est peut-être l'explication de ma réserve.

Pour conclure, ce n'est pas une mauvaise lecture, bien au contraire, mais elle n'a pas emporté mon enthousiasme. Cependant, je pense que cette petite Malarrosa pourrait plaire à beaucoup de lecteurs. Et puis, quelle belle couverture !

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Carte du labyrinthe

Publié le par Yv

Carte du labyrinthe, Alberto Torres-Blandina, Métailié, 2011

"Trois personnages se croisent, s'aiment se quittent et se fuient. Bon mari et bon père, Jaime mène une vie rangée dont il ne cesse de vouloir s'échapper. Il collectionne en cachette les photos de nus qu'il développe pour ses clients, en particulier celles que lui apporte Alberto.

Elisa est amoureuse d'Alberto. Tout va bien jusqu'au jour où elle se réveille dans une zone industrielle, à moitié nue. Elle ne se souvient de rien." (4ème de couverture)

Le premier roman d'Alberto Torres-Blandina, Le Japon n'existe pas, m'avait bien plu, dans un registre comico-ironico-léger. Pour son second roman, l'auteur est parti explorer un domaine totalement différent : celui de l'amour : la passion, la tendresse et bien sûr l'amour absolu, celui qui dure toujours : "nous aimer pour toujours, comme on n'aime que dans les poèmes." (p.199)

Jaime est un homme installé, marié et père de famille qui ne rêve que d'aventures, qui se pose des questions sur la durée de l'amour, sur la fidélité, sur la paternité et qui se demande ce qu'il aurait fait s'il n'avait pas suivi ce chemin. Mais il n'ose pas franchir le pas de l'adultère, malgré quelques occasions, de peur de ne plus pouvoir se regarder en face. Lorsqu'il est sur le point d'aborder une femme, il l'attend à l'extérieur d'une brasserie et voit son propre reflet  :

"Ce qui m'effraie le plus dans ce Jaime reflété sur la vitre, ce sont ses yeux. Identiques aux miens. Mes propres yeux en train de m'observer depuis la surface froide. Ils m'interrogent tout comme je les interroge. Son regard me fait peur, pénétrant, inquisiteur, comme s'il ne me reconnaissait pas.

Encore que ce serait bien pire qu'il me reconnaisse, qu'il se reconnaisse en moi. Qu'il me sache son reflet.

Je serais alors obligé de partir en courant.

Et aujourd'hui je ne dois pas partir en courant." (p.98)

Alberto est l'homme à femmes, celui qui devient totalement paranoïaque et désemparé lorsque sa compagne Elisa se fait violer. Rien ne sera plus comme avant. Lui, l'homme aux conquêtes, ne drague plus, ne fait plus l'amour et quitte Elisa. Il voue de la haine aux hommes, tous ceux qui auraient pu violer Elisa. Il est détruit. Ne réussit pas à remonter la pente : "Tout me semble absurde autour de moi. Qu'est-ce qu'ils peuvent bien savoir des larmes, ces gens-là ? Pourquoi est-ce qu'ils perdent leur temps dans des conversations hypocrites ou qu'ils se prennent la tête pour des bêtises ? La vie passe à côté de nous, mais nous sommes trop occupés à des conneries pour nous en rendre compte." (p.107)

Elisa est la femme amoureuse, qui pardonne à Alberto ses aventures. Elle est entière, indépendante. Violée, elle a énormément de mal à se remettre. Elle pense à la mort, à l'amour à mort. Elle cherche désormais l'amour absolu, celui qui ne peut baisser en intensité et celui qui la sauvera de son mal-être, qui la lavera de ce qu'elle ressent comme une salissure, son viol.

Dit comme cela, ce livre peut paraître noir, triste ; je ne vais pas vous mentir en vous disant qu'on rit à toutes les pages, mais je peux vous dire qu'il est surtout très profond. La réflexion des personnages est poussée à fond, ce qui dérange le lecteur bien obligé de se mettre en question lui-aussi. Il est construit en cinq parties de trois chapitres chacune, un par narrateur. Cette  construction permet de maintenir un intérêt tout au long de la lecture. Bien écrit, simplement, pas de tournure de style alambiquée, point de phrases incompréhensibles. Chaque personnage, bien distinct, est une facette de l'humanité :

"Elle vient de découvrir qu'elle ne peut pas me haïr. Que nous sommes la même personne. Que derrière les noms et les nuances, nous sommes tous exactement la même personne perdue sous divers déguisements." (p.200)

Si vous aimez les histoires plan-plan, ne notez pas ce titre. Si vous aimez être dérangé par vos lectures, foncez ! Je vous avouerai sincèrement qu'un récit aussi intimiste ne m'avait pas bousculé autant depuis longtemps ! Assez facile de se projeter dans un des personnages ou dans les trois en même temps. Alberto, qui est pourtant très loin de ce que je suis dans la vie me touche particulièrement : son récit me paraît être le plus fort, le plus dense.

"Une histoire qui ne vous quitte plus" (4ème de couverture). Un auteur assurément à suivre !

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Savages

Publié le par Yv

Savages, Don Winslow, Ed. du Masque, 2011

Chon, mercenaire amateur d'armes, Ben, docteur en botanique et Ophélia, dite O. forment un trio amoureux. Mais les garçons cultivent aussi un cannabis exceptionnel, le vendent et les bénéfices qu'ils en tirent sont énormes. Tous trois vivent tranquillement, en Californie, entre la drogue, le sexe, l'alcool, et le volley-ball.

Un jour, le Cartel Baja, lui-même grand pourvoyeur de drogue, décide de s'approprier la totalité du marché de la Californie. Ben et Chon refusent, mais le cartel a des moyens de persuasion très efficaces.

Lorsque Anne des éditions du masque m'a envoyé ce livre, un petit mot l'accompagnait disant : "Voici le dernier Winslow, une référence à ne pas manquer !" Je ne vais pas faire mon puritain et dire que je n'aime pas les histoires de drogue et de sexe omniprésents, mais c'est un peu cela tout de même. Disons que ça ne m'intéresse pas plus que cela, que ce n'est pas forcément ce que je recherche dans mes lectures. J'ai donc commencé ce livre avec beaucoup de réserves. Réserves que je gardais tout au long des premières pages. Le langage est souvent cru, direct, les phrases parfois pas finies, bourrées d'acronymes, de mots-valises, de néologismes. Et puis, et puis... Je me suis bien fait avoir. Ce que je peux reprocher au style de l'auteur dans la ligne juste au-dessus est finalement ce qui fait la force du roman. Construit en tous petits chapitres, très rapides, très accrocheurs, le livre est provocant et diablement prenant. Premier chapitre : "Fuck you." (p.11), bon je vous l'accorde, on fait plus léger et plus distingué. Don Winslow dresse le portrait de jeunes gens vivant dans un monde méchant et cruel : les êtres fragiles n'y ont pas place. Chon, le mercenaire

"...se sent

    mort d'ennui

    en dépression

    à la dérive dans sa vie. Sans but devant lui peut-être parce que...

    ... vous creusez un puits au Soudan, ça n'empêche pas les Janjawid (Milices du Darfour et du Soudan) de débarquer et d'abattre les gens.

    ... vous achetez des moustiquaires et les garçons que vous sauvez grandissent pour

                                                      ... violer les femmes

    ... vous installez de petites entreprises familiales au Myanmar et l'armée

                                                      ... les vole et utilise les femmes comme esclaves et Ben commence à craindre de très bientôt partager l'opinion de Chon sur l'espèce humaine

    A savoir que les gens ne sont au fond que

                                                            des merdes." (p.67)

Vous voyez, même la mise en page est étonnante, déroutante et hors normes. Je ressors donc de ce roman un peu groggy, parce que ça cogne dur, parce que les personnages, malgré le monde ultra violent dans lequel ils vivent et qu'ils contribuent à rendre ainsi, sont plus vulnérables qu'ils ne veulent bien le dire et attachants.

Heureusement, pour faire passer la pilule, Don Winslow n'hésite pas à jouer d'humour :

"La dope-sexe de Ben & Chon. [...]

Tout le monde en veut.

Vous filez ça au pape, il jouerait au frisbee avec des capotes qu'il balancerait de son balcon à une foule de fidèles en adoration. Leur dirait d'y aller. Dieu est bon, tirez votre coup. Dieu est amour, envoyez-vous en l'air." (p.134)

Attention donc, si vous mettez le nez dans ce livre, vous risquez de devenir accro. Se déguste jusqu'au bout, jusqu'à la scène finale. Je confirme donc les propos de Anne (merci merci pour le livre) : "Une référence à ne pas manquer !"

Jean-Marc Laherrère a beaucoup aimé aussi.

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La lit-thé-rature

Publié le par Yv

L'atelier d'écriture de Gwen, ce week-end consistait à placer dans un texte au moins dix noms de thés dans la liste des quinze qui suit : 

  1. La route du temps
  2. Maharadjah
  3. Fleur du désir
  4. Mikado
  5. Trois noix
  6. Élixir d’amour
  7. Exposition coloniale
  8. Montagne d’or
  9. Duvet du dragon
  10. Guerriers
  11. Moon Palace
  12. Comète
  13. Fall in love
  14. Haute mer
  15. Grands Augustins

N'étant pas disponible hier, je me suis fendu d'un petit texte ce matin que j'offre à votre curiosité. Attention, le voici :

Dans un pays lointain vivait une très belle jeune femme, qui, la nuit tombée se livrait à la sorcellerie. Pas toujours en réussite, elle avait quelques casseroles à son actif : un dragon venu lui demander service s’était vu repartir avec du poil au menton : le fameux duvet du dragon, qui prenait feu lorsque celui-ci était en colère ; mais le pire, en voulant préparer un élixir d’amour, elle prépara une espèce de tisane infâme qui après que son client l’eût bue et malgré la chanson qui passait en sourdine : Let’s fall in love, ne lui attira que railleries et humiliations de la part de Fleur du désir, la jeune fille qu’il convoitait. Malgré cela, la jolie sorcière de nuit persévérait et pensait même avoir réussi une grande chose lorsqu’une comète atterrit en douceur, miraculeusement dans son jardin. Forte de ce succès qu’elle s’attribuait, elle alla quémander audience au Maharadjah pourtant peu enclin à la sorcellerie et aux femmes, préférant de loin, de très loin, de très très loin –bon j’arrête là la très fine allusion- la compagnie des hommes et plus particulièrement de ses guerriers, virils et beaux, et grands, surtout les jumeaux, qui bizarrement portaient le même prénom, Augustin ; les fameux Grands Augustins. Le Maharadjah en était fou bien qu’il fût totalement incapable de les différencier ou grâce à cela d’ailleurs. Mais qui était assez timbré pour appeler ses jumeaux par le même prénom et en plus pour leur donner un prénom totalement inusité dans ces contrées lointaines ? Augustin ! Rendez-vous compte, pourquoi pas des Steven, des Brandon ou des John chez nous, en France ? C’est pas demain la veille que cela arrivera, même si le temps trace sa route, la célèbre route du temps, si vantée par les poètes et les écrivains. 

Bon, revenons à notre sorcière, je crains de m’en être un peu éloignée, et c’est fort dommage, parce qu’elle est ravissante. Elle demande donc audience au Maharadjah qui la reçoit, un peu dégoûté, il faut bien le dire. Elle lui expose ses projets et notamment celui de trouver sa pierre philosophale, celle qui changera les cailloux –choux, hiboux, joujoux, donc, ça prend un « x »- en or : une vraie montagne d’or en perspective pour le Maharadjah, qui était aussi cupide et vénal !

« Banco, dit-il, tu grattes et tu gagnes ! Si tu réussis, je te ferais construire un palais qui portera ton nom, le Moon Palace », et oui, vous ne le saviez pas, mais la sorcière –qui travaille la nuit- s’appelle Moon. Bien vu, non ?

Moon se mit donc au travail plusieurs mois, mais ne réussit point sa mission. Effrayée à l’idée que le Maharadjah puisse en vouloir à sa vie, elle prit trois noix, se fit avec une grosse coque de noix et prit la Haute mer en direction de Mikado, le Royaume tout proche, très fin et légèrement enrobé de chocolat. Je sais, la fin est moyenne, c’est sans doute la petite faiblesse qui me perdra, j’ai hésité entre le Royaume de Mikado et envoyer Moon à l’exposition coloniale, mais j’ai trouvé que ce n’était pas un lieu pour elle. Elle y vécut heureuse et eut beaucoup d’enfants. Ça c’est pour le happy end.

 

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Le sang des bistanclaques

Publié le par Yv

Le sang des bistanclaques, Odile Bouhier, Presses de la cité, 2011

Lyon, mai 1920, le corps en putréfaction d'une vieille femme est retrouvé dans un champ. Un meurtre. Suivra un second meurtre étrangement semblable d'une vieille femme également. Le commissaire Kolvair associé au professeur Hugo Salacan dirige le nouveau laboratoire de la police scientifique : l'affaire leur est confiée. Ils se heurtent au scepticisme des autres flics qui ne croient pas en la science dans la police.

Historiquement vrai, le premier laboratoire de la police scientifique vit le jour à Lyon en 1910 bien avant celui de Paris qui naquit en 1943 (merci Laura pour tous ces renseignements). Odile Bouhier, par ailleurs scénariste pour la télé -et notamment pour un épisode de la série Empreintes criminelles passé très récemment sur France 2, s'attelle donc à nous faire découvrir la nouvelle police à laquelle s'oppose les tenants de la police de Clémenceau, les brigades du Tigre. "Si Kolvair ne se faisait pas d'illusions -la création de ce laboratoire scientifique, le premier au service de la police française, n'empêcherait pas, jusqu'à la fin des temps, les amoureux de s'aimer, les cambrioleurs de cambrioler, ni les assassins d'assassiner-, il restait indéniable que le génie de Salacan offrait à ses contemporains la sensation de participer à une nouvelle ère de l'humanité. Grâce à lui, la science acquérait ses lettres de noblesse." (p.34)

Plutôt bien réussi, malgré des maladresses et quelques lourdeurs, ce roman policier se lit très vite. D'abord parce qu'il n'est pas très épais, 276 pages en caractères assez gros et ensuite, parce que l'intérêt du lecteur -au moins le mien- est piqué à vif et que l'envie de connaître le dénouement et l'évolution des personnages est réelle. Commençons par les personnages : Kolvair est un rescapé de la Grande Guerre, amputé d'une jambe, qui marche avec une prothèse en bois et qui a été réintégré dans la police grâce à ses excellents états de service dans les années d'avant guerre. Hugo Salacan est un professeur éminent, père de famille nombreuse qui invente sans cesse de nouvelles méthodes pour trouver des indices, aidé en cela par un jeune scientifique, Jacques Durieux. N'oublions pas l'indispensable médecin légiste, Damien Badou et la très belle psychopathologiste Bianca Serraggio qui apparaît en milieu d'enquête. Voilà l'équipe du laboratoire au complet qui va pouvoir traquer le tueur des vieilles dames.

Odile Bouhier a inventé des personnages attachants, maladroits pour certains, prévisibles sûrement, mais qu'il est très agréable de suivre dans leur cheminement.

Poursuivons par l'enquête qui est un peu plan-plan dans la première moitié du bouquin et qui prend de l'ampleur par la suite, notamment lorsque le lecteur découvre -ou devine facilement- qui est le tueur alors que les policiers ne le savent pas encore. 

Finissons par le contexte, l'arrière-plan : l'auteure nous promène littéralement dans la ville de Lyon. On a le droit à une description en règle des inévitables traboules bien sûr mais aussi des nouvelles -pour l'époque- constructions. Elle pousse parfois même le vice jusqu'à nous expliquer comment historiquement est né tel ou tel quartier. Gonflé et intéressant, même pour moi qui n'ai jamais mis les pieds dans cette ville. Grâce à ses digressions architecturales ou urbanistes, Odile Bouhier enracine son roman dans Lyon et dans le début du vingtième siècle. Bien vu, même si parfois la description a du mal à s'intégrer au récit.

Un roman policier qui change des polars traditionnels et qui, s'il ne révolutionne pas le genre fait passer un très agréable moment de lecture, et ça c'est déjà un énorme bon point. Je suivrais bien la suite des aventures de ce laboratoire moi. Siouplait, Madame Odile Bouhier, c'est prévu ?

Un dernier mot pour finir, je réponds à la question qui vous taraude tous depuis le début : "mais kezako les bistanclaques ?" Voilà l'explication : une vieille femme s'installe devant son métier à tisser : "La machine s'ébroua, le tapis de soie fit quelques vagues, puis le choc continu des pédales de bois souleva les fils de la chaîne, émettant le son bis. Aussitôt, Madeleine repoussa agilement le battant, un tan lointain et doux se faisant alors entendre.

La vieille femme sourit -celui qu'elle préférait restait à venir-, elle ferma brièvement les yeux, histoire d'écouter, sans la regarder, la navette passer puis buter sur le bord. Clac. Enfin, le battant frappa la dernière trame sur les rouleaux de tissu.

Bis-tan-clac... Elle trouvait joli et pertinent ce terme donné par les canuts au métier à tisser le siècle dernier." (p.10)

Un autre avis chez Hécate.

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Carnaval infernal

Publié le par Yv

Carnaval infernal, Stéphane Pajot, Embannadurioù Coop Breizh, 2011

"A quelques jours du carnaval nantais, un cocon tissé par une araignée géante a rameuté la foule. A l'intérieur : un corps. Léo roule vers la cité des Ducs de Bretagne. Au bout de la route : des fachos, une jolie japonaise, un mort dans les confettis. Sexe, drogue, muscadet et rock'n'roll..." (4ème de couverture)

Connaissez-vous Léo Tanguy, cyber-enquêteur qui travaille dans une Bretagne d'anticipation proche (ce livre se déroule en 2019) ? A la manière du Poulpe, Léo Tanguy est un personnage inventé par quatre écrivains, Gérard Alle, José-Louis Bocquet, Denis Flageul et Sylvie Rouch. Pour s'en emparer et écrire une histoire avec Léo, il suffit de respecter la bible le concernant. L'idée est de faire des polars régionaux de qualité en s'inspirant des recettes poulpesques. A l'heure actuelle, 16 romans avec Léo Tanguy ont été écrits, dont un par Jean-Bernard Pouy, créateur de Gabriel Lecouvreur, référence en la matière.

Là, c'est Stéphane Pajot qui s'y colle. Journaliste-écrivain nantais, grand connaisseur de tout ce qui touche à cette ville, il fait donc venir Léo Tanguy dans la cité des Ducs. Il a laissé libre cour à son imagination et a refait de Nantes la Venise de l'Ouest. En effet le nouveau maire, un écolo, a fait recreuser les canaux qui, avant les années trente (mille neuf cent trente) sillonnaient la ville avant d'être comblés. Nantes est aussi devenue, sous la plume de l'auteur, la ville ayant l'un des plus beaux carnavals de France, grâce à la reprise en mains du comité des fêtes par des gens motivés et totalement fous. Les machines pullulent -pour ceux qui ne les connaissent pas, suivez le lien précédent- et sont devenues en quelque sorte la marque de fabrique de la ville, ce qu'elles sont réellement un peu déjà, grâce au fameux éléphant.

Léo débarque donc dans cette ville tendue à l'approche du très proche carnaval, qui, en cette année 2019, a pour thème l'enfer ! C'est dire si un cocon géant accroché aux colonnes de l'opéra Graslin n'impressionne personne il est d'ailleurs pris comme une performance artistique. Sauf que lorsqu'on sort de ce cocon, un vrai cadavre, les humeurs changent et les flics et les journalistes emplissent les rues de la ville à la recherche du tueur.

L'enquête n'est sans doute pas exceptionnelle, mais elle est un très bon prétexte pour l'auteur pour nous parler de la bataille de la presse, les "coups" en douce, les "coups" foireux à faire à ses concurrents pour avoir le meilleur scoop (Stéphane Pajot donne même l'origine du mot scoop à laquelle je ne m'attendais pas du tout), la pesse écrite survivra-t-ele à l'Internet ? A Nantes, en 2019, oui ! Cette enquête est aussi l'occasion pour l'auteur de nous promener dans les rues d'une ville en totale mutation, d'une ville qui veut vivre sa folie et son délire : exactement ce que fait très bien Stéphane Pajot, dans son livre. Mi-passéiste, en revenant sur son histoire, négrière par exemple, pour l'exorciser, mi-avant-gardiste et promouvant ses créations artistiques grandioses et originales et mi-visionnaire -oui, je sais, ça fait un "mi" en trop, mais je viens d'avoir une troisième idée, ipso facto de dernière minute, et comme je trouvais la construction de ma phrase pas mal, alors, j'ai décidé de garder les trois "mi"- à la Jules Verne (LE grand homme nantais).

Léo, qui connaît un peu la ville, se prend quelques cuites au muscadet -on a l'alcool qu'on peut, c'est peut-être plus chic au bourbon ou au whisky, mais le résultat est globalement le même : un gros mal de cheveux le lendemain !- tente d'infiltrer un groupe de nazillons qui se rassemble sur une péniche et fait même un tour en "pou-du-ciel", sorte de mini-avion qui survole et surveille la ville.

Bien écrite, style rapide, jeux de mots fréquents, humour et ironie omniprésents, mots d'argot, de patois nantais -qui ne nuisent pas à la bonne compréhension- cette enquête se laisse lire très agréablement, même si Léo est un peu naïf et crédule et qu'il ne la résout pas vraiment, enfin pas seul. J'aime bien. A tel point, que me voilà maintenant très tenté de lire d'autres aventures de Léo Tanguy. Et les prochains livres de l'auteur.

Amis bretons -et les autres aussi- n'hésitez plus, nous avons -je m'inclus, en tant que Nantais, même si je sais qu'au fin fond de la Bretagne, ça peu râler un peu, mais c'est quand même nous qu'on a l'château- nous avons, disais-je notre cyber-enquêteur, journaliste des temps modernes en la personne de Léo Tanguy. Et en plus le livre, il est pas cher (8€) ! Bien vendu, non ?

Merci Stéphane, pour le livre et la dédicace.

Alain connait aussi Léo Tanguy. Et Constance.

PS : titre prémonitoire, puisque le livre sort au moment même où il y a du rififi au carnaval de Nantes. La mairie et les carnavaliers s'opposent sur fonds de déficit et de gros sous, à défaut de grosses têtes cette année ?

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