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Le charme des après-midi sans fin

Publié le par Yv

Le charme des après-midi sans fin, Dany Laferrière, Zulma, 2016.....

Publié en 1997 à Montréal, ce sont les souvenirs d'enfance de Dany Laferrière qui replonge dans le Haïti des années 60. Après L'odeur du café, Le charme des après-midi sans fin est plutôt le temps de l'adolescence de Vieux Os - le jeune homme narrateur, double de l'auteur- et de ses copains Frantz et Rico. Les filles sont présentes, Vava celle dont Vieux Os est amoureux depuis longtemps et dont la timidité l'empêche de l'approcher, pire il se sauve quand il la voit ou tombe dans les pommes..., mais aussi sa cousine Didi, Fifi, Edna, ... Mais Haïti dans ces années-là c'est aussi un gouvernement qui n'hésite pas à recourir à la force et la tranquillité de Petit-Goâve, la ville dans laquelle Vieux Os grandit avec sa grand mère Da en sera perturbée.

Je retrouve avec plaisir Dany Laferrière et ses souvenirs d'enfance à Petit-Goâve. L'odeur du café m'avait emballé, pareil pour Le charme des après-midi sans fin, qui en plus d'être un titre très beau est à mon avis idéalement trouvé. Imaginez un après-midi au soleil, l'envie de ne rien faire, juste de profiter, du jardin, d'un bon livre, du calme, ... chacun mettant ici ce qu'il désire ; et puis que cet instant ne s'arrête pas, qu'il dure, qu'il dure... Eh bien c'est cela ce livre, le charme des ces petits moments que l'on savoure, un peu égoïstement. Dany Laferrière est plus partageur puisque c'est grâce à ses souvenirs que l'on se trouve très bien. Des anecdotes qui parfois rencontrent l'histoire de son pays. Vieux Os est assez insouciant sauf en ce qui concerne Vava qu'il ne peut ni ne sait aborder, se trouvant inintéressant. Tout garçon un peu timide sait combien c'est difficile d'aborder une belle jeune fille qui lui plaît, craignant de se prendre un râteau ou une honte terrible, une de celles dont on ne se remet que difficilement et qui rend encore plus ardue l'histoire suivante... C'est en grandissant qu'il s'apercevra que finalement, la fille ne le trouvait pas si nul et qu'elle aurait bien aimé un rapprochement...

Mais ce roman est aussi une grande déclaration d'amour à Da la grand-mère qui a élevé Vieux Os et qui est le personnage le plus important à ses yeux et pour quasiment tous les habitants de Petit-Goâve. Beaucoup passent boire un café chez elle -le meilleur à des kilomètres à la ronde-, sur la galerie du 88 de la rue Lamarre. Elle sait ainsi presque tout ce qui se passe dans la ville sans bouger de chez elle, et comme en plus elle est fine et intelligente, le reste, elle le devine.

Encore une fois, je suis sous le charme de l'ambiance, de l'atmosphère décrites par le romancier. Il a le sens de la formule, de la tournure de la phrase qui fait sourire :"Les mères croient que Tony est un bon garçon parce qu'il a un visage d'ange et des "manières exquises", comme dit madame Jérémie, la mère de Charline, celle qui a les plus gros seins de l'école des Sœurs. Alors que ce type est un véritable tueur. Tony ne fait jamais de cadeau. La première fois qu'il rencontre une fille, il l'emmène à coup sûr à la cabane. Mais c'est Frantz, la terreur des mères. Alors que le problème de Frantz, c'est qu'elles veulent toutes l'emmener à la cabane. Ah, les mères !" (p.39/40) Ou bien encore cette phrase, proverbe ou aphorisme, en tous cas très imagée et compréhensible : "Il pleut à boire debout" (p.74)

Quelle belle idée de Zulma de rééditer ces deux romans en poche, à lire à la suite, c'est mieux sans doute : L'odeur du café et Le charme des après-midi sans fin.

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Revues de luxe pour tous

Publié le par Yv

IntranQu'îllités N°4, Boîte noire des imaginaires, Revue littéraire et artistique, Ed. Passagers des vents. Sous la direction de James Noël et Pascale Monnin

Signatures prestigieuses : Dany Laferrière, Michel Onfray, Arthur H, Hubert Haddad, René Depestre, Jorge Luis Borges, Makenzy Orcel, ... et énormément d'autres -vraiment désolé pour tous ceux que je n'ai pas cités, mais vous êtes de nombreux participants, j'ai aimé vos textes aussi, même ceux qui sont assez loin de moi, je les ai trouvés beaux, poétiques- pour de courts textes rangés en chapitres au titres évocateurs :

- Manifeste pour un nouveau monde

- Le monde des lettres

- Pile ou face

- De la poésie avant toute chose

- Tous les vents du monde

- Déclic.

Deux cent quatre-vingts pages de réflexion, de rêves, de beauté des mots et des phrases : "Et l'exil du temps est plus impitoyable que celui de l'espace. Mon enfance me manque plus cruellement que mon pays." Dany Laferrière. Mais aussi beaucoup de photos d'œuvres, des toiles, des installations, des photos. Tout est beau, d'une très grande qualité de la première à la dernière page -une petite préférence pour Chronique du cochon créole de Yaël Talleyrand, une acrylique sur toile que je ne peux malheureusement pas vous montrer ici, mais que je verrais bien dans mon intérieur que je suis en train de refaire...

Une revue hébergée par Zulma pour ceux qui hésiteraient encore....

Apulée, Revue de littérature et de réflexion, rédacteur en chef Hubert Haddad, Éd. Zulma

Pareil que pour la précédente, les signatures sont prestigieuses, Hubert Haddad, bien sûr, mais aussi Jean-Marie Blas de Roblès, Adonis, Alain Mabanckou, Jean Rouaud, Abdourahman A. Waberi, ... -désolé pour ceux que je n'ai pas nommés, j'ai aimé aussi vos textes, mais c'est exactement le même problème que pour IntranQu'îlltés, vous êtes très nombreux.

Textes plus longs et très beaux accompagnés de photos magnifiques. Cette revue s'intéresse à la littérature du monde, plutôt ciblée pour ce numéro, Afrique et rives de la Méditerrannée. Elle doit son nom au poète Apulée, auteur de L'âne d'or ou les Métamorphoses et met en exergue cette citation tirée de ce livre : "Moi-même, je sais le plus grand gré à l'âne que je fus de m'avoir fait passer par des tribulations variées et rendu, sinon pleinement sage, du moins plus riche de savoir."

D'une très grande qualité et d'une aussi grande exigence, c'est une revue qui ne manquera pas de plaire aux amateurs de découverte littéraire, aux amateurs de belles lettres et de belles photos.

Quatre cents pages de beauté éditées chez Zulma.

Ces deux revues sont forcément idéales pour cet été, pour lire différemment.

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Troubles

Publié le par Yv

Troubles, Jesper Stein, Piranha, 2016 (traduit par Jean Renaud).....

2007, Copenhague est en émoi, la police a délogé le squat nommé la "Maison des jeunes". Suivent des heurts, des manifestations violentes dans lesquels la police est toujours mise en cause par les journalistes et les manifestants. En plein milieu de la zone de conflit, un cadavre est découvert, dans un cimetière, adossé à un mur, étranglé. Tout laisse à croire que c'est un policier qui a fait le coup. Axel Steen, flic de la criminelle, solitaire et pas conventionnel, qui habite dans le quartier en révolte est chargé de l'enquête.

Il y a un moment que je n'avais pas lu un aussi bon polar venu du nord. Il y eut une très belle période avec les Mankell, Indridason et autres Scandinaves talentueux, puis la mode nous a aussi envoyé des romans moins aboutis, qui surfaient sur l'engouement. Puis une nouvelle salve de bons est arrivée avec Adler Olsen notamment et même des Français s'y sont mis (Olivier Truc, par exemple). Si j'écris ce petit préambule, c'est que ce Troubles est de manière évidente dans cette lignée de bons romans noirs qui s'intègrent dans un pays, une société. Le contexte est ultra présent, il est à la fois un moyen de connaître le pays, les préoccupations des Danois, leurs difficultés à accepter le changement de société qui a cours depuis plusieurs années avec la mondialisation, la circulation rapide des informations, des biens et des personnes. Ce contexte social, politique cache au départ les vraies raisons du meurtre, puis au fur et à mesure qu'on se dirige vers un trafic de drogue, le milieu activiste, celui qui manifeste dans les rues reste soupçonné. L'intrigue est dense, aux multiples ramifications qui nous empêchent de trouver le ou les coupable(s) avant Axel Steen, et pourtant, on a des indices supplémentaires...

Axel Steen est un flic peu ordinaire, mais on a déjà pu en rencontrer d'autres du même type : vie privée chaotique, vie professionnelle qui ne suit pas la pente naturelle vers le haut pour cause de travail personnel, de méthodes toujours à la limite des procédures voire carrément en dehors, d'un manque de respect pour la hiérarchie... mais tout cela est fait pour la recherche de la vérité, pour l'élucidation des meurtres, par égards pour les victimes et leurs familles. Il est comme ça Axel, entier et totalement dévoué à son travail. Il fait équipe avec un procédurier qui se révélera très loyal, même si sa description et son nom prêtent à sourire : "C'était l'inspecteur qui portait le pantalon le plus moulant de la police danoise. Il lui remontait si haut dans l'entrejambe qu'on se serait attendu que sa bouche émette un chant de castrat chaque fois qu'il l'ouvrait. Cette étroite enfourchure était l'objet de bien des commérages entre haut et bas -notamment chez les collègues féminines- car on distinguait le renflement de sa bite, enroulée comme un serpent assoupi du côté gauche. Et l'intérêt était d'autant plus grand que John Darling avait l'allure d'un vrai mannequin." (p.26)

Je pourrais aussi vous parler de la rivalité entre la police criminelle et le Renseignement, de toutes les pages consacrées au financement du terrorisme international, de celles qui concerne le trafic de drogue, de la défiance des Danois envers les immigrés (là-dessus, nous n'avons pas de leçon à donner), de Christinia, ce quartier autoproclamé "ville libre" depuis les années 1970 et qui fonctionne toujours, des visites de la ville en compagnie d'Axel Steen dans des rues aux noms impossibles à lire -alors à prononcer...

Je pourrais aussi vous signaler que ce roman est le premier d'une série, que d'autres sont déjà écrits et pas encore traduits et que j'espère très fortement que Piranha aura la bonne idée de refaire appel à Jean Renaud pour traduire la suite que je lirai avec très très grand plaisir, tant ce premier tome est annonceur d'une excellent série. Vivement le retour d'Axel Steen !

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Notre-Dame de Paris

Publié le par Yv

Notre-Dame de Paris, Victor Hugo, Éd. des Saints Pères, 2016.....

Non ce n'est pas la résurrection de Victor Hugo ni la réécriture de l'un de ses nombreux chefs d'œuvres. Les éditions des Saints Pères, spécialisées dans les manuscrits, publient donc celui de ce roman culte. Manuscrit intégral, écriture du grand homme, annotations et même dessins -d'autres illustrations également dans ces pages, des gravures de l'édition illustrée de 1882. Deux volumes de 464 pages chacun, grand format ne sont pas de trop pour éditer cette histoire folle avec des personnages qui sont entrés dans notre imaginaire collectif. En France et partout dans le monde. Qui ne connaît pas Esmeralda ? Quasimodo ? Phébus ? Frolo ? Certes, depuis 1831, date de la première publication, cette histoire fut reprise de nombreuses fois. D'abord, ce fut un tel succès que les rééditions se succédèrent. Elle fut aussi traduite. Hugo en fit un livret d'opéra que Louise Bertin mit en musique en 1836 -et que j'écoute en écrivant mon article, c'est ici. Puis, ce furent des ballets et dès 1911, un film qui fut suivi de nombreux autres, des pièces de théâtre, des comédies musicales, dont une en 1998 qui fut un réel succès et dont les interprètes chantent encore maintenant -dommage !

Il ne s'agit pas de lire le roman dans sa version manuscrite, Victor Hugo serait fatigant à suivre, il écrit presque aussi mal que moi -j'entends la formation des lettres, pas le style bien sûr-, encore que sur ce point je lui suis bien supérieur, moi, je suis carrément très difficile à lire sur une ou deux pages, alors sur presque 1000 pages, c'est carrément impossible à moins de m'aimer beaucoup au départ et de finir en me haïssant tel que personne ne l'a encore jamais fait -encore que là, je m'avance un peu, je ne connais point le degré d'inimitié que je peux provoquer, et en fait, je m'en moque. Mais revenons à notre manuscrit qui est donc surtout une source d'informations sur l'art de Victor Hugo. Il souligne beaucoup, rature, écrit dans les marges, parfois juste un mot en gros caractères, parfois plusieurs phrases ; des ajouts, des informations, des notes, ... Et paradoxalement, l'ensemble est propre, clair. Les quelques dessins de l'auteur reproduits sont très bons, parce qu'en plus il savait dessiner, mais que ne savait-il pas faire ? Les autres illustrations sont superbes. L'ensemble est somptueux, d'une très grande qualité, et en plus les livres sentent bon l'encre et le papier imprimé.

Les éditions des Saints Pères ont fait un boulot formidable, et si les manuscrits intégraux qu'ils éditent peuvent paraître chers -je vous invite à aller voir sur leur site-, ils feront des cadeaux excellents et appréciés -on peut même se cotiser. Franchement, un amateur de Victor Hugo tel que je le suis sera comme un fou devant ces deux volumes. Il ne pourra s'empêcher de les prendre, de tourner les pages, de les humer et de les montrer en surveillant du coin de l'œil celui ou celle qui les a en mains de peur qu'il ou elle ne les fasse tomber ou corne la couverture.

D'autres ouvrages sont édités : Madame Bovary, A la recherche du temps perdu, Les fleurs du mal, Candide, Voyage au bout de la nuit, ... Faites-vous plaisir, faites plaisir...

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Les délices de 36

Publié le par Yv

Les délices de 36, Nicolas Rey, Éd. Prisma, 2016.

Été 1936, les premiers congés payés, Jean, Bernadette et leur fils de quinze ans, Marius, partent à Deauville. En train, puisque comme tous les salariés, ils bénéficient de prix attractifs en troisième classe. Les premières vacances en famille, loin du travail, du quotidien. Marius en profite, se promène et rencontre Emma, jeune fille de la bourgeoisie normande de laquelle il tombe éperdument amoureux. Emma la rebelle qui n'hésite pas à se lier à un jeune ouvrier, signe évident de décadence pour ses parents.

La collection Incipit lancée par les éditions prisma est inégale. Pour un très bon livre (Spiridon superstar de Philippe Jaenada, deux un peu en-dessous : L'ancien régime de François Bégaudeau et Deux-pièces d'Éliette Abécassis), un, Les délices du 36, qui me déçoit par sa platitude. Voilà, c'est exactement le mot qui résume ma lecture : platitude. Tant dans l'écriture qui ne fait pas ressortir d'émotions (sauf peut-être la dernière partie, épistolaire, mais je ne suis pas amateur du genre) que dans les personnages. Ils sont pâles, inodores et sans saveur. Et puis, on ne ressent rien de l'euphorie des congés de 36 dans ce court -heureusement- roman. Tout tourne autour de Marius et d'Emma et de leurs amours adolescentes angoissées. Quasiment rien n'est en rapport avec l'époque, je me suis même plusieurs fois demandé si le romancier ne faisait pas un bond en avant pour raconter l'histoire des arrière-petits-enfants de Jean et Bernadette. C'est un peu gênant de se poser une telle question à plusieurs reprises, surtout lorsque le livre doit parler des premières semaines de vacances payées de 36 ! La même histoire avec les mêmes protagonistes aurait pu être transférée à n'importe quelle époque sans que le lecteur y gagne ou y perde quelque chose. Nicolas Rey passe totalement à côté de son sujet. En fait, je réfléchis en écrivant et me dis que les deux jeunes gens sont des personnages très actuels, absolument pas du siècle précédent, leurs amours sont tristes, ils ont peur du lendemain, ils ne savent pas profiter du moment présent, tout est très actuel et plutôt en accord avec la société de 2016 où l'innocence et la spontanéité sont perdues. Supposez qu'on change les lettres de la seconde partie par des textos, et hop, le tour st joué, on place cette histoire en 2016. Histoire interchangeable. Ou alors, c'est le conflit imminent qui les mine, Marius à 16 ans et bientôt mobilisable, mais aucune insinuation de l'auteur, aucun mot, rien, nada.

Et puis, pour ma première lecture de l'auteur, je dois dire que je suis déçu. J'ai l'impression d'entendre une de ses chroniques radio -à l'époque où j'écoutais la radio-, et ce que je pouvais ne pas aimer dedans, eh bien je le retrouve là. Une certaine facilité dans les effets de style, un travail bâclé et décevant. Il y a aussi cette désagréable sensation que Nicolas Rey place dans ses textes des références, des allusions que je ne comprends pas, n'évoluant pas dans son milieu et ne m'intéressant pas aux cancans parisiano-parisiens, ni aux autres non plus. Je sens bien que je passe à côté de certains trucs, et franchement, ça m'agace, comme m'agace ce bouquin.

Pénélope Bagieu signe la couverture, c'est ce qu'il y a de mieux dans le livre.

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La promeneuse

Publié le par Yv

La promeneuse, Didier Fourmy, Hugo&Cie, 2016....

Lorsque Frédérique se retrouve au chômage et seule -si l'on excepte Tommy son chat en fin de vie-, son ami d'enfance, Victor lui demande de le remplacer pendant quelques temps : il est promeneur pour chiens et chats et comportementaliste animalier. Un peu contrainte, Frédérique accepte et se prend au jeu, elle qui comprend les animaux de manière innée. C'est alors tout le carnet d'adresse de Victor qui l'appelle pour accourir à son secours. Et ce carnet, il est plutôt éclectique et gratiné.

De Didier Fourmy, j'ai déjà lu Les Pétillantes, un roman léger et enlevé sur la colocation au troisième âge, j'ai par contre moins accroché à la suite, l'effet de surprise manquait sans doute. La promeneuse est avec un thème différent, dans le même genre, un roman sympa, léger, drôle et pas prise de tête, qui a la chance de ne pas être écrit avec les pieds (je dois même dire que l'écriture est très fluide, agréable) et qui voit naître de beaux personnages, barrés, déjantés, seuls, terriblement seuls, hormis leurs animaux de compagnie. Si je l'osais, je dirais que ce roman est LE roman de l'été, celui qu'il faut lire en vacances pour se détendre, à la mer, à la montagne, à la campagne, ...

Sous un prétexte léger, Didier Fourmy parle de grands sujets de la société actuelle : l'individualisme, la solitude et l'intérêt totalement débordant pour les animaux voire même totalement délirant, mais c'est un marché qui rapporte de l'argent à ceux qui savent en profiter. Tout cela est fait de manière drôle pour que l'on ne s'ennuie pas et qu'on ait envie de tourner les pages jusqu'au bout. On sait en l'ouvrant que ce livre finira bien, si ce n'était pas le cas, l'auteur nous décevrait, c'est le genre qui veut cela. La galerie de personnages est large, entre une vieille dame aux mille vies, qui n'est pas la même le matin et le soir et qui se promène avec deux braques de Weimar, Günther et Laslo, uniquement avenue de Breteuil, une voyante qui lit l'avenir dans les yeux de ses chats, un grand chef étoilé et sa petite chienne cocker, un styliste à la mode et son carlin, ... sans oublier l'énigmatique et bel homme qui promène régulièrement sa belle labrador noire et qui fait de l'effet à Fred.

Une bonne idée, c'est de faire parler les animaux, en italique -comme les tueurs dans les thrillers- ; ils parlent entre eux ou à Fred qui les comprend par leur langage mais aussi par leurs postures. Ils font passer les messages, les difficultés de leurs maîtres qui eux, les cachent souvent, ils se moquent d'eux ouvertement pour qui les comprend et franchement, il y a de quoi. Il y aura des rapprochements, des sentiments forts entre Fred et ses patients hommes femmes et animaux -en tout bien tout honneur, la zoophilie n'est pas au programme, je rappelle que c'est un roman d'été, tout public, même si Günther ou Laslo, je ne sais plus lequel, est porté sur la chose, mais uniquement avec ses congénères- et évidemment idylle.

Un bon moment à lire et partager -le livre pourra faire le tour de la famille-. Pas seulement pour les amoureux des animaux, il donne envie de savoir parler leur langage, mais bon, on continuera à faire comme si on comprenait.

Les premières lignes : "Il pleuvait quand elle sortit du métro Tuileries. Elle ôta vivement son trench pour s'en couvrir les cheveux et traversa la rue de Rivoli en courant pour se mettre à l'abri sous les arcades. Elle avait, hélas, choisi des talons un peu trop hauts et manqua glisser en sautant par-dessus la mare du caniveau." (p.9)

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La porte de la mer

Publié le par Yv

La porte de la mer, Youcef Zirem, Intervalles, 2016.....

A la mort de sa mère, Amina se retrouve seule pour élever ses deux petits frères, son père ancien professeur étant parti dans la rébellion islamique. Il en devient vite un des chefs, craint, recherché et auréolé d'une certaine gloire, celle du combattant. Soumise à la dureté de la vie à Alger, Amina choisira la prostitution de luxe, seul moyen pour elle de vivre et d'aider Menach et Juba, ses frères. C'est en côtoyant les hommes riches et puissants qu'elle prend conscience de l'état de son pays, de sa ville mais aussi de leur formidable potentiel, si au moins les dirigeants ne réprimaient et ne brimaient pas le peuple algérien.

Tout en économie de mots et de moyens, Youcef Zirem dresse le portrait d'un pays en régression, totalement muselé par ses élites qui préfèrent profiter du pouvoir plutôt que de se mettre au service du peuple et du pays. Ce n'est pas nouveau, et l'Algérie n'est pas la seule à fonctionner comme cela, mais en tant qu'Algérien, il n'est pas facile ni sécurisant de le crier fort, la liberté d'expression y étant une notion peu développée. Le langage est sec, direct, parfois violent (le premier chapitre l'est incontestablement), l'auteur n'éludant pas les questions, ne passant pas outre la violence de la société de son pays. Les phrases sont courtes, les chapitres aussi et le livre également (140 pages). Malgré cette relative brièveté et la volonté du romancier d'aller droit au but, il ne fait pas l'impasse sur les belles descriptions d'Alger ou de la Kabylie et même des rues et des monuments parisiens.

Rien ne va dans la société algérienne, et pourtant, Youcef Zirem parle d'initiatives portées souvent par des jeunes gens qui cherchent à la faire bouger, de jeunes femmes belles qu'il décrit rapidement, à peine une silhouette parfois, mais qu'on imagine très vite et qui ne peuvent que jouer de leurs charmes pour s'en sortir. Son roman n'est pas manichéen, il y a des bons et des méchants dans les deux camps, tout cela est une question de personne et de force de caractère. De cela Amina et ses amies sont particulièrement bien dotées, des jeunes femmes a priori comme les autres qui révéleront leurs forces dans l'adversité, et pourtant elles restent "normales", absolument pas exceptionnelles et veulent le demeurer.

Grâce à sa brièveté ce roman est dense, bourré de références à la littérature française (Camus, Hugo, Char, Bobin,...) avec Pessoa (portugais) en prime. Beaucoup de dénonciations des connivences, des collusions et accointances entres les militaires et les barbus amnistiés qui s'achètent une seconde vie -ou qui la vendent très cher-, tout cela pour le pouvoir et l'argent. Certains n'hésitent pas à se lancer dans le commerce de l'alcool alors qu'ils sont censés ne pas en boire... Youcef Zirem parle aussi beaucoup des paradoxes des religieux qui ne boivent pas d'alcool, qui ne regardent pas les femmes et qui ne veulent pas qu'on regarde les leurs, mais qui dans le même temps, ne se privent pas de soirées arrosées et accompagnées d'escort girls qu'ils paient cher. Tous ces hommes de pouvoir clament haut et fort leurs préceptes religieux -qui ne sont évidemment qu'interprétation des textes en leur faveur- qu'ils s'empressent de bafouer en privé.

Youcef Zirem prône le respect de tous, de la femme en particulier qui, en Algérie, est considérée comme mineure toute sa vie. Son roman est très féminin, féministe, ses personnages de femmes sont très beaux, forts, sans doute inoubliables. Son écriture qui va à l'essentiel laisse passer tout le respect et l'admiration qu'il a pour elles, et même l'espoir qu'il place dans les femmes pour sortir son pays du marasme dans lequel il est plongé depuis longtemps, à la condition que celles-ci ne s'arrêtent pas de lutter dès lors qu'elles ont obtenu un poste pour elles.

Je n'ai pas pu dire la moitié de ce que contient ce très beau roman, je me suis sans doute répété et j'ai tourné autour du pot, mais le meilleur moyen pour vous en rendre compte, c'est de lire La porte de la mer (en plus le titre est magnifique, comme j'imagine, le coin du pays qu'il désigne). Je suis persuadé d'avoir découvert un grand auteur humaniste.

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Notre quelque part

Publié le par Yv

Notre quelque part, Nii Ayikei Parkes, Zulma poche 2016, (Zulma, 2014), (traduit par Sika Fakambi).....

Lorsque la maîtresse d'un ministre ghanéen est de passage dans le village de Sonokrom et qu'elle découvre horrifiée dans la case d'un certain Koffi Atta, un morceau de chair apparemment humaine sanguinolente, elle est dans tous ses états et son amant veut lui apporter des réponses. C'est le jeune diplômé de médecine légale, Kayo qui est désigné volontaire pour faire les constatations et mener l'enquête. Kayo arrive dans le village et plutôt que de jouer les cadors, il salue les anciens et se met à l'écoute de l'un d'entre eux, chasseur et raconteur d'histoires, Yao Poku.

Kayo, de son vrai prénom Kwadwo est allé faire ses études en Angleterre et est revenu au Ghana pour travailler. Mais, il bosse pour un laboratoire n'ayant pas été recruté pour être médecin légiste à Accra la capitale du pays. Un concours de circonstance l'amène à enquêter dans ce village. Fort de son éducation, il aurait pu snober les habitants, mais au contraire, il les écoute et c'est ainsi qu'il avancera dans ses investigations. J'ai souvenance d'une nouvelle parue dans un recueil Nouvelles de Côte d'Ivoire, dans laquelle, un peu de la même manière, un jeune golden boy revenait dans son village d'origine et retrouvait les gestes et le goût de la simplicité, des croyances et des coutumes de ses aïeux. C'est la rencontre de deux mondes, le Ghana ancien et le moderne que nous narre Nii Ayikei Parkes. Il décrit fort joliment l'un comme l'autre et le télescopage n'est pas si violent que cela, avec de l'écoute et de la compréhension, les deux mondes se côtoient et vivent ensemble.

Pour raconter son histoire, le romancier joue avec les codes du polar, puisqu'enquête il y a, avec les plaies de certains pays d'Afrique -pas chez nous, non, nous en Europe... c'est comment dire ? c'est pas pareil- : corruption, intimidation, régime autoritaire qui ne supporte donc pas la moindre contrariété ou contradiction, argent qui passe de mains douteuses en d'autres mains douteuses, ..., avec les codes du roman d'initiation, du conte du griot et avec les différences entre les cultures occidentale et africaine. C'est très bien vu et très bien fait. C'est assez drôle dans les dialogues, léger et vif :

"Bon, mon ami, veuillez décliner vos nom, prénoms et profession.

- Kayo Odamtten. Je travaille dans un laboratoire scientifique.

- C'est ça le nom que votre père a trouvé pour vous faire sortir au grand jour ?"

Il y avait dans la voix du sergent un mélange d'agacement, d'amusement et de cynisme.

"Donnez-moi votre vrai nom.

- Kwadwo Okai Odamtten." (p.75)

La langue de Nii Ayikei Parkes est métissée lorsqu'il fait parler ou intervenir Yao Pokou, le vieux chasseur du village. Je dois même confesser que le premier chapitre m'a troublé, déstabilisé, mais je voudrais inciter ici tout futur lecteur à passer au-dessus de cet éventuel écueil, parce que la suite vaut le détour, largement, très largement, très très largement. Il faut saluer le travail de la traductrice Sika Fakambi qui a dû se torturer les méninges pour reproduire la vitalité et le métissage du style de l'auteur.

Encore une fois les éditions Zulma publient un très joli livre, dépaysant, original, formidable. Et en plus, il sort en poche... Pourquoi se priver ?

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Deux-pièces

Publié le par Yv

Deux-pièces, Éliette Abécassis, Éd. Prisma, 2016....

France, 1946, piscine Molitor, un défilé de maillots de bains. Le premier bikini conçu par le couturier Louis Réard fait la sensation. Aucun mannequin n'a voulu défiler avec ce bout de tissu, sauf une danseuse nue, Micheline Bernardini, qui cette fois-ci paraît habillée. Dans le public, une jeune femme frêle, journaliste pour une revue de mode féminine, Gabrielle, est interpellée par Antoine l'un des proches collaborateurs de Louis Réard. Antoine est aussi l'ancien fiancé de Gabrielle qu'il n'a plus revue depuis le début de la guerre.

Une première que ce défilé de lingerie avec le bikini en vedette. C'est le but de la collection Incipt dont ce court roman fait partie que de parler des premières fois. Je ne connais pas l'auteure, ne l'ai jamais lue et si je ne suis pas totalement conquis, j'ai bien aimé sa manière de s'approprier la petite et la grande histoire qui constitue le contexte réel du roman et de le mêler à ses personnages de fiction. C'est bien fait, parfois malheureusement malhabile ou peu fluide, comme lorsque Antoine raconte son expérience de maquisard dans l'Ain et qu'il énumère les noms des créateurs du réseau de Résistance auquel il appartenait, le mouvement Espoir (p.58/59), ça ne fait pas très "dialogue" à l'oreille en plein milieu d'un défilé, on est plutôt dans la volonté de placer des références, de rendre hommage à certains combattants, ce qui est louable, mais ça manque d'articulation. De même, la romancière jette ça et là des noms de gens qui ont plus ou moins collaboré ou ont au moins fait preuve de complaisance à l'égard des nazis, comme "Danielle Darrieux, la célèbre "D.D." qui travaillait pour la Continental société de production aux capitaux allemands créée par Joseph Goebbels, et qui avait fait le "voyage à Berlin" organisé par la Propagandastaffel..." (p.14), mais elle oublie de dire que D.D. a fait ce voyage contrainte et forcée pour tenter de faire libérer son mari incarcéré en Allemagne. Une précision importante et manquante.

Mis à part ces quelques agacements, Éliette Abécassis réussit à aborder la question de la féminité, du féminisme, de la place de la femme dans la société, elle qui suppléa l'absence des hommes au travail et à qui, du jour au lendemain on demande de reprendre son rôle d'épouse et de mère au foyer. Grâce à ce bikini, les femmes peuvent enfin se sentir libres dans leurs corps, mais c'est aussi le début des diktats de la mode. Elle parle aussi des théories communistes qui se font jour après la libération d'une grande partie de l'Europe par l'URSS et qui s'opposent au capitalisme qui déferle avec l'autre grand libérateur du continent, les USA.

Enfin, pas mal de point abordés dans ce court roman (84 pages) illustré par Thibault Balahy, qui confirme que cette collection Incipit mérite qu'on s'y arrête un petit moment.

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