Darnand. Le bourreau français (1/3), Bedouel et Perna, Rue de Sèvres, 2018.....
Joseph Darnand (1897-1945) s'engage très jeune dans la Première Guerre Mondiale. Il y fera preuve de bravoure et sera décoré pour avoir notamment mené une opération difficile qui a permis de déjouer une attaque allemande de grande ampleur.
On le retrouve vingt ans plus tard, militant de l'action française groupe d'extrême droite.
Dans ce tome 1 du triptyque consacré à Darnand, la première partie est consacrée à la guerre 14/18, puis vingt ans plus tard à une reprise d'activités au sein de l'action française en vue d'assainir aux yeux des militants la politique française corrompue par les juifs et francs-maçons.
Basée sur des faits et personnages réels auxquels quelques situations, faits ou personnages fictionnels sont ajoutés, cette bande dessinée est une réussite. Dans le dessin de Fabien Bedouel qui montre bien les horreurs des tranchées et des offensives, mais aussi les gueules des combattants, la violence. Un dessin classique, clair, très lisible. Le scénario de Patrice Perna est lui aussi limpide qui s'appuie donc sur une histoire réelle et montre parfaitement l'histoire de Darnand.
Beau travail, et comme je suis particulièrement bon, demain, je parle du tome 2.
James Katenberg est un scénariste réputé à Hollywood, fils d’Eva Lopès, grande actrice des années 50, ayant joué avec les plus grands : Brando, Kazan, Von Stroheim, ... Arrivé en France quelques années auparavant pour écrire une série pour la télé, James a fait la connaissance d'Eden, une jeune femme qui a purgé une peine de huit mois de prison pour détention et vente de drogue. Il vient la chercher à sa sortie, et décide de retourner chez lui, dans son ranch en plein désert d'Arizona. Eden le suit, amoureuse de ce type protégé par le FBI pour on ne sait quelles raisons.
Très bonne surprise que ce roman noir s'il en est avec un héros revenu de tout, désabusé, blasé, alcoolique, aux accès de violence chroniques qui vit dans le souvenir de sa mère grande star d'Hollywood et dont il voudrait comprendre les raisons du suicide. A ses côtés, Eden, jeune et jolie fille un peu perdue, droguée, qui passe de l'amour à la haine en une fraction de seconde, du rire aux larmes, d'une déclaration enflammée à une colère terrible, violente.
Sur fond de cinéma étasunien des années 1950, Pascal Louvrier construit un roman noir, sec, dans lequel il ne s'embête pas avec des fioritures. L'écriture est directe, sèche elle aussi, va au plus rapide, sans passer par des circonvolutions peu intéressantes. Ses personnages sont bien sûr archétypaux, ce qui est dans les codes du genre noir. Il parvient habilement à nous les rendre sympathiques en allant au plus profond de leurs débordements, de leurs doutes et peurs, interrogations, et James en a des tonnes.
On est loin du rythme d'un thriller, James prend son temps, même s'il est pressé par Eden pour changer, pour sortir de cette adoration morbide pour sa mère et les raisons de son suicide. Rien de déplaisant pour le lecteur, bien au contraire, qui prend lui aussi le temps de vivre avec les personnages pour ensuite sentir monter l'intrigue et tenter de résoudre l'énigme. Icelle est fort bien menée qui tient jusqu'au bout, sans doute par l'atmosphère pesante, lourde et orageuse comme le climat du désert de l'Arizona.
Franchement, j'ai beaucoup aimé, je me suis régalé de bout en bout -malgré quelques paragraphes superflus. Pascal Louvrier a écrit pas mal de biographies (Michel Delpech, Françoise Sagan, George Bataille et Johnny Halliday) ; Moteur ! est son troisième roman, qui en plus me fait découvrir les éditions TohuBohu.
Léanne, bretonne d'origine, qui a passé une longue période à Nice, aux stups, prend la tête de la PJ finistérienne. Retour aux sources donc et retrouvailles avec ses deux amies d'enfance, Elodie médecin-légiste et Vanessa psychologue dans la police. D'où le nom de la série qui débute avec ce tome, Les trois Brestoises.
A peine arrivée, une vieille dame est retrouvé à son domicile, assez sauvagement assassinée. Pas forcément appréciée de son voisinage, Corentine Ledantec n'était pourtant point menacée. Les trois amies se retrouvent à s'entraider sur cette affaire délicate.
Trio de filles donc, avec en plus des juges, des substitutes du procureure... plein de filles dans ce polar breton, je crois même que c'est la première fois que j'en vois autant... sous une plume masculine. Filles qui n'échapperont pas aux remarques et discours machistes et qui se feront respecter par leur travail et leurs compétences. En plus, tout cela se passe en pays bigouden, entre Brest, Quimper et un peu plus loin Rennes -Corentine Ledantec est tuée à Combrit-, donc le plaisir est doublé voire triplé. Parce qu'évidemment plaisir il y a. D'abord, j'aime beaucoup assister à la (quasi) naissance d'héroïnes récurrentes auxquelles l'auteur sait nous intéresser ; sur ce tome, la part belle est faite à Léanne, il serait alléchant qu'il en fasse de même avec Vanessa et Elodie lors des volumes suivants. Ensuite, on ne s'ennuie pas dans ce livre qui multiplie les intrigues et brouille les pistes et qui ne fait pas des filles des super héroïnes qui règlent tout en deux trois questions et quelques coups de feu. Non, c'est beaucoup plus réel et subtil. Puis, Pierre Pouchairet qui a déjà écrit des polars (le très bon La prophétie de Langley et l'excellent Tuez-les tous... mais pas ici) sait ménager ses effets et maintenir le suspense. Langue simple, dialogues vifs et réparties parfois cinglantes, tout est là pour que les pages se tournent vite. Enfin, et je l'ai écrit plus haut, il y a la Bretagne, ses paysages, son climat et ses habitants. Très bon tout cela. Vivement la suite !
Le début : "Un demi-sourire aux lèvres, Léanne reposa son téléphone. Elle venait de décrocher son premier dossier en sol breton. En bruit de fond, elle entendait sas collègues qui se marraient. Ils en étaient au café et le major Kerantec devait encore faire le spectacle en racontant de nouvelles vannes." (p.9)
Je vais rester, Trondheim et Chevillard, Rue de Sèvres, 2018.....
Fabienne et Roland arrivent à Palavas pour une semaine de vacances. Très organisé, Roland à tout préparé, dans les moindres détails, tout est planifié et payé d'avance. L'arrivée est très venteuse et l'accident bête, Fabienne se retrouve seule. Au lieu de rentrer, de s'occuper des formalités, Fabienne décide de rester et fait la connaissance de Paco, un Palavasien pur jus.
Une bande dessinée qui aborde la solitude, le deuil de façon très décalée. Au lieu de faire du noir, la situation est ensoleillée par l'été à Palavas, la plage, les jeux et animations pour touristes et Paco, bavard impénitent et sympathique. Rien n'alourdit l'ambiance, certaines pages sont totalement muettes, le dessin de Chevillard suffisant au lecteur pour saisir le désarroi mais aussi l'envie de ne pas céder à la déprime de Fabienne.
J'ai beaucoup aimé cette histoire scénarisée par Trondheim, qui montre bien que personne ne vit la perte d'un proche de la même manière et que la douleur peut être réelle sans être ostensible. Loin d'être plombante, cette bande dessinée permet de réfléchir aux idées toutes faites comme quoi il faudrait pleurer et être triste pour se conformer aux attentes de la société. Tout cela est fait sous le soleil estival de Palavas, avec en prime un peu de légèreté et d'humour apportés par Paco.
Les enfants de Lazare, Nicolas Zeimet, Jigal polar, 2018.....
Pierre Sanak, photo reporter à France télévisions s'ennuie un peu dans son travail. Un jour, il rencontre Agathe, jeune chanteuse des laveries parisiennes, d'origine cambodgienne. Pierre tombe sous le charme, apprend à la connaître.
Dans les mêmes instants, il lit un entrefilet dans la presse concernant un jeune garçon mort et revenu brièvement à la vie, au Cambodge. Immédiatement, il fait le lien entre cette histoire de mort imminente et ce qu'il sait de la vie d'Agathe. Il s'envole pour le Cambodge pour enquêter.
Quel polar mes amis, quel polar ! Dépaysant au possible et fortement attractif, au point d'en vouloir tourner les pages rapidement, mais point trop quand même pour en profiter au maximum et rester un peu avec Pierre, au Cambodge. Le pays est magnifiquement décrit, il attire, étonne et charme. Et pourtant Nicolas Zeimet ne fait pas l'impasse sur l'extrême pauvreté de certains habitants, sur la richesses d'autres, la corruption galopante, la liberté de la presse pas au top, la justice qui n'est pas vraiment au meilleur niveau non plus, n'ayant par exemple pas jugé tous les anciens chefs khmers rouges. Malgré tout cela, l'attirance est forte, les habitants chaleureux et le pays superbe et pas seulement le site d'Angkor que Pierre visitera -et nous aussi par son intermédiaire.
Très documenté, Nicolas Zeimet parle longuement de l'ouverture du Cambodge, du trafic d'enfants à adopter auquel certains se sont livrés, de toutes les bassesses liées. Il évoque aussi très longuement les EMI (Expérience de Mort Imminente), argumente, étaye son récit. Tous ces thèmes et ce contexte forment un roman excellent, minutieux, auquel il ne manque aucun détail sans pour autant être lourd ou barbant. C'est tout le contraire. Passionnant et original.
Il ne peut laisser insensible, marquera je pense, de manière assez durable ses lecteurs. Disons pour faire clair que l'on n'en sort pas exactement pareil que l'on y est entré. C'est formidable lorsqu'un livre parvient à ce résultat. Et l'auteur de devenir avec ce cinquième roman l'une des voix fortes et originales du catalogue Jigal mais aussi des romanciers noirs français.
Voilà le début du chapitre 1 : "Assis au bout de la table de la salle de conférence, son exemplaire du Parisien sous les yeux, Pierre Sanak passait le temps en noircissant les espaces blancs à l'intérieur des lettres de la une. Il venait de terminer de remplir le deuxième o d'Euro Millions quand un éclat de rire général secoua les membres de la rédaction de France 3. Son regard s'égara à l'extérieur. Il pleuvait à torrents, on ne distinguait même pas la ligne élancée du pont du Garigliano dans la grisaille striée d'épais sillons argentés." (p.10)
Einstein, le sexe et moi, Olivier Liron, Alma, 2018.....
2012, Olivier, autiste Asperger, se retrouve sur le plateau de Questions pour un champion, opposé à des supers champions. Son but ? Gagner évidemment. La partie sera rude, entrecoupée d'épisodes de sa vie, de ses pensées intimes ou pas, de ses rêves, ...
Résumé volontairement succinct, car finalement ce livre n'est que cela. Mais quel brio ! Il débute avec un court autoportrait fait de petites phrases, parfois drôles, parfois moins, à la manière de l'Autoportrait d'Edouard Levé, que j'ai beaucoup aimé et qui traîne encore et toujours sur mon chevet. "Je suis autiste Asperger. Ce n'est pas une maladie, je vous rassure. C'est une différence. Je préfère réaliser des activités seul plutôt qu'avec d'autres personnes. J'aime faire les choses de la même manière. Je prépare toujours les croque-monsieur avec le même Leerdammer." (p.11) (à lire l'entièreté de ces pages, je dois avoir des côtés Asperger)
Puis, construit en chapitres qui reprennent les manches -enfin, c'est ce que j'ai compris, n'ayant jamais regardé ce jeu-de Questions pour un champion (QPUC pour les initiés) : Les neuf poins gagnants, Le quatre à la suite, Le face-à-face, Super champion, ce livre sous-titré : romance télévisuelle avec mésanges parle d'Olivier, de son enfance et adolescence pas facile avec sa différence que les autres collégiens lui ont fait payer au prix fort, certains profs également, de sa difficulté à nouer des relations avec ses pairs, avec les femmes. Non-amateurs ou non-connaisseurs de l'émission naguère présentée par l’inénarrable Julien Lepers, ne fuyez pas, je le disais plus haut, je n'ai jamais regardé ce programme et j'ai beaucoup aimé cette "romance télévisuelle". Là où certains prennent le prétexte d'un auteur ou d'une oeuvre pour parler d'eux, de leurs peurs, leurs questions, leurs désirs, leurs points de vue sur la société, ... (cf. par exemple, l'excellentissime Quichotte, portrait chevaleresque de Eric Pessan), Olivier Liron prend un jeu populaire. Il parle de ses origines, de sa mère, de la violence qu'il a subi enfant, de sa découverte de la peinture, notamment Mark Rothko : "Je me suis assis et j'ai regardé le pourpre. J'ai commencé à percevoir des nuances extrêmement fortes. Du rouge brunâtre, du carmin, du vermillon et du bleu lilas, du rose lilas, des couleurs boueuses... Et à force de regarder le pourpre, je suis entré dans le pourpre, j'ai senti une petite secousse de plaisir dans le bas du dos, une secousse de plaisir qui a explosé en moi en millions d'échardes de lumière. J'avais des orgasmes de nuance." (p.106/107)
Puis, retour au jeu et au suspense puisque évidemment, j'ai eu très envie qu'il gagne voire qu'il pulvérise les autres candidats -qui, d'ailleurs s'ils lisent ce livre risquent d'être surpris de leurs portraits pas toujours flatteurs, mais vus par les yeux d'un adversaire. Olivier Liron construit son roman comme un polar, faisant durer le plaisir et le suspense, ses apartés jouant le rôle de repos du lecteur mais aussi avec son impatience à connaître le dénouement de la partie.
"Quand on ne peut pas parler, on construit des forteresses. Ma forteresse à moi est faite de solitude et de colère. Ma forteresse à moi est faite de poésie et de silence. Ma forteresse à moi est faite d'un long hurlement. Ma forteresse à moi est imprenable. Et j'en suis le prisonnier." (p.152) Dernier extrait qui, pour moi, résume assez bien son livre, entre douceur et violence.
La mer en face Vladimir de Gmeline, Ed. du Rocher, 2018...
Philippe, la cinquantaine, séparé de sa première femme avec laquelle il a eu deux enfants : Ivan hockeyeur au Canada et Sacha étudiante aux Etats-Unis, vit maintenant avec Léa une femme plus jeune que lui et avec laquelle il a eu Charlotte, six ans. Philippe se souvient de son adolescence en Allemagne chez un oncle ancien SS. Il se prépare à retourner dans ce pays, tenter de comprendre qui était cet homme et ce qu'il a fait pendant la guerre. Puis, en fin de voyage sa fille le prévient qu'Ivan ne va pas bien. Philippe rentre et repart aussitôt pour le Canada
Ce roman débute sous de bons auspices, même si je l'avoue, le prétexte des souvenirs des vacances adolescentes me semble un peu léger pour entreprendre le voyage en Allemagne. En fait, rien ne va vraiment plus dans la vie de Philippe : ses enfants sont loin, il se reproche son divorce, son couple n'est pas au mieux, ... Bref, cinquante ans, c'est le temps du bilan de mi-mandat pour lui. Sa vie n'est pas un havre de paix, elle est plutôt saccadée. Ses interrogations sonnent juste, Philippe est le représentant de pas mal d'hommes de sa génération se posant des questions sur leur passé, sur les traces qu'ils laisseront et sur la manière de passer le restant le mieux possible. Tout cela est bien, ainsi que l'écriture de Vladimir de Gméline, très dialoguée, moderne, simple et fluide. Ce qui pêche à mon sens c'est que tout ce bon est noyé dans des longueurs, des répétitions et que Philippe passe du coq à l'âne sans vraiment que j'aie bien saisi pourquoi. Quatre-cent-vingt pages qui m'ont paru à la fois très bien et très bavardes parfois.
Pas un enthousiasme débordant de ma part vous le voyez, mais pas vraiment de déception non plus. La fin est étonnante, totalement différente du début du roman, comme si l'auteur voulait montrer plusieurs facettes de son talent et laisser le lecteur sur une belle impression, ce qu'il parvient à faire finalement.
L'île aux troncs, Michel Jullien, Verdier, 2018.....
Île de Valaam, nord-ouest de la Russie, dès la fin de la seconde guerre mondiale, les éclopés, culs-de-jatte pour la grande majorité d'entre eux, y sont relégués, dans un ancien monastère, pour ne plus mendier dans les grandes villes du pays. Là, vivent Piotr et Kotik. Piotr est comme beaucoup de ses voisins, amputé des jambes. Kotik, lui, a encore une jambe, un privilégié donc, mais n'a qu'un bras, les deux membres restants du même côté.
C'est sur cette base historique que Michel Jullien construit le roman de ces deux hommes qui vouent un culte à l'aviatrice Natalia Mekline (1922-2005), héroïne de guerre.
Le livre débute par un travelling absolument génial de la communauté îlienne. Dans une langue un brin précieuse -j'ai dû aller chercher la définition de quelques mots : "bollard", "piédouche", "paisseau", "tronchet", "cauteleux", "mofettes", "bagotter", "higoumène", "soulte", "empeigne", "dessiller", "embrever"- et en même temps d'une grande modernité, de belles longues phrases déstructurées, très ponctuées, assemblant en elles parfois plusieurs idées, Michel Jullien parvient à faire naître de nombreuses images. J'en ai apprécié chaque mot, chaque tournure, que j'ai lus lentement pour n'en rien rater.
Puis, le romancier, dans sa deuxième partie, s'attarde sur le duo Piotr/Kotik, avant qu'ils n'arrivent à Valaam, leur amitié, leur force malgré leur jeunesse. Tout n'est pas dit, et il faut deviner des traits de caractère, des conséquences de leur situation de mutilés de guerre, Michel Jullien parie sur l'intelligence du lecteur. Il continue sur le même rythme, le même style littéraire, qui, parfois, induit quelques longueurs, car je le disais plus haut, pour bien en profiter, il faut tout lire, prendre son temps, ce ne sont pas des longueurs rédhibitoires, elles participent à la bonne compréhension de la vie des deux jeunes hommes dans le monastère.
Cent-vingt pages qui peuvent prendre un peu de temps (avec en prime un court dossier sur l'île de Valaam et Natalia Mekline), mais qui sont d'une grande beauté, qui peuvent déplaire, mais qui, lorsque le lecteur s'y retrouve lui donnent une grande joie, un plaisir de lecture indéniable. Sans doute y aura-t-il des critiques plus objectives, plus construites que ma recension, mais je me suis totalement, et dès le début , laissé emporter d'abord par cette écriture si particulière, si belle, puis par le contexte et enfin par Piotr et Kotik. Comment aurais-je pu résister à un texte qui débute comme ça -avec cette première phrase que j'ai relue plusieurs fois, me demandant pourquoi elle était construite ainsi et finalement la trouvant parfaite ?
"A ce point que, de bonne foi, on n'aurait pu prétendre à un hasard. En effet, on vit sortir un mutilé de sa cellule, héros de l'île parmi d'autres, diminué sous le fessier avec un déhanchement inoubliable, une espèce de pendule volontaire, le corps oscillant d'avant en arrière à chacun de ses pas qu'il effectuait sur les mains, agile, plutôt souple et sans que rien ne pesât, les épaules comme elles travaillent aux arceaux, un magnétisme terrien, à peine empesé, les deux bras enroulés dans un fichu de laine, les paumes servant de talon, le poignet efficace, en soutènement, actif, un grand moignon, à lui tout seul se balançant entre deux foulées, le buste qu'il envoyait au sol comme un plot, une potiche mobile avec un peu de poussière flottant autour des hanches à chaque nouvelle tombée, un bassin qui servait de bollard." (p.11)
Alors, comment résister ? Et la suite est aussi réjouissante. Vive la préciosité -des imparfaits du subjonctif, des mots peu usités, des tournures de phrases osées- dont je parlais plus haut lorsqu'elle sert un texte si beau.
Féloche revient avec un nouvel album, le troisième. Des deux premiers, je connais surtout deux titres que vous devez connaître aussi :
- Darwin avait raison, tiré de l'album La vie Cajun
- Silbo, tiré de l'album... Silbo
Chimie vivante m'a plu au premier abord par le style musical qui emprunte à beaucoup de genres. J'ai senti parfois des influences de Jacques Higelin tant dans la musique que dans les paroles, que dans la manière de chanter. Mais Féloche est Féloche, et loin de moi l'idée de comparer, même si citer Higelin est un compliment. Du rock, de la chanson, française, de la mandoline, du banjo, ce qui donne d'ailleurs un titre de l'album : Manjo. Du rap ou du slam, de l'électro. Un beau mélange quoi. Féloche est inclassable et c'est tant mieux.
Il écrit sur l'amour, l'enfance, la musique, la nature et tout cela donne 11 titres vraiment originaux à découvrir pour ne plus dire : "Je ne connais pas Féloche".
En final, je mets en lien les deux titres cités plus haut, plus celui qui lance Chimie vivante et intitulé Tara Tari.