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Le péril vieux

Publié le par Yv

Le péril vieux, Lætitia Coryn, Ed. Hugo&Desinge, 2014..

Janvier 2019, l'âge de la retraite est repoussé à 79 ans après 57 ans et 2 trimestres de cotisation. Attention, les seniors sont prêts à reconquérir le monde du travail et à reprendre en mains la société qui va mal.

Mes enfants sont prévenus, je veux vivre vieux. Très vieux. Centenaire. Au moins... Je veux être doyen de l'humanité. Et en bonne santé. Et, parce que "et" il y a, je veux vieillir et devenir un vieil emmerdeur. Je m'entraîne. Beaucoup. J'ai aujourd'hui un niveau très honorable. Mais je dois m'améliorer. Encore et toujours pour tenter de pulvériser mes objectifs. Je me vois bien, cheveux et barbe blancs -bon, la barbe, est déjà sérieusement blanchie, ce qui évidemment ajoute à mon charme naturel. Mais si l'on me demande de travailler jusqu'à 79 ans, je devrais revoir mes ambitions à la baisse. Et puis, ça ne me va pas, moi je veux profiter, me reposer pour mourir vieux et en pleine forme. Non, mais. Le péril vieux est donc a priori tout indiqué pour moi, pour peaufiner mon entraînement. Mais... (Quelle introduction ! Quel talent ! Quel suspense !)

Si l'idée de départ est excellente, le traitement par la BD est décevant, nettement sous la ceinture, les blagues scatophiles succèdent aux blagues sexuelles pas très drôles. Quelques gags ont réussi à me tirer un sourire, mais l'éclat de rire fut loin, très loin et ne me frôla quasi jamais. Le dessin est bien, la mise en page itou, mais les chutes font flop ou pschitt, selon votre goût ou votre humeur et/ou la capacité du dentier à laisser passer ce genre d'onomatopée. La couverture et les premières pages laissaient imaginer un scénario du genre "la révolte des vieux" ou "les vieux contre attaquent", avec de belles idées, des détournements de films de zombies, d'histoires de ce genre, mais en fait, Lætitia Coryn tombe très vite dans le graveleux, le pipi-caca un poil lourdingue.

Et pourtant, à bien la regarder, cette couverture ferait presque peur, pas de regard, des sourires inquiétants, elle laisse envisager une histoire, mais celle-ci ne se déroule pas, l'auteure aurait dû continuer et approfondir ce thème. Elle aurait pu, aurait dû partir dans un délire plus décalé, loin de toute réalité, un truc vraiment barré qui aurait collé à son titre et à sa feuille de route. Une prise de pouvoir par les vieux, en y ajoutant des gags inattendus, de la nouveauté, de la fraîcheur... Une sorte de Hot Fuzz -si vous ne connaissez pas ce film d'Edward Wright, c'est une énormissime faute de goût, de toute urgence, regardez-le ainsi que son précédent Shawn of the dead ! Je ne suis fan ni de thrillers ni de films de zombies, mais là, on nage en plein délire hilarant-, mais on en est très loin. C'est fort dommage. Une déception très nette.

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Les enragés de la jeune littérature russe

Publié le par Yv

Les enragés de la jeune littérature russe, Monique Slodzian, Ed. La Différence, 2014

Depuis 1989 date de la chute du Mur et encore plus depuis 1991 date du démantèlement de l'ex-URSS, les choses ont bien changé dans ce pays. Une nouvelle génération d'écrivains est née peu avant ces années-là, a vécu le changement radical, le passage du communisme au capitalisme. Ils revendiquent de penser différemment le passé soviétique de leur pays, de ne pas tout jeter sous prétexte d'aller dans le sens de l'occidentalisation de la Russie. Ils s'appellent Zakhar Prilepine, Guerman Sadoulaev, Roman Sentchine, Sergueï Chargounov, se disent de gauche et se réclament du national-bolchevisme d'Edouard Limonov.

On a tous une image assez classique et sans doute dépassée de la Russie et de ses écrivains. A travers ce livre qui nous promène dans la politique et la littérature russe, Monique Slodzian, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales, spécialiste de la Russie et de la littérature russe contemporaine, tente de nous faite toucher du doigt la réalité oh combien complexe de ce grand pays.

Le 30 juillet 2012, Zakhar Prilepine met le feu aux poudres en écrivant une Lettre à Staline (reproduite p.24 à 29) dans laquelle il "ne cherche pas à dissimuler l'existence des crimes de Staline et encore moins à les justifier." (p.10), mais il demande à ce qu'on n'oublie pas que pendant la guerre c'est lui qui a regroupé autour de lui des millions de Russes qui ont repoussé les nazis "C'est à Stalingrad que le projet de Hitler a connu sa défaite. Manifestement, l'Ouest et la Russie ne partagent pas la même mémoire de la guerre." (P. 34), qu'il avait aussi fait avancer la science, ... Il conclut son courrier par cette formule lapidaire : "Nous te sommes tous redevables. Sois maudit." (p.29)

Puis, Monique Slodzian explique comment nous voyons la Russie par nos yeux d'Occidentaux formatés par les médias, comment c'est un pays complexe qu'on ne peut comprendre en un simple reportage de deux minutes au journal télévisé. La situation en Ukraine en est un bon exemple que les dirigeants occidentaux voient en Europe, alors que "les derniers épisodes du conflit ukrainien disent combien l'entrée de l'Ukraine dans l'Union douanière pilotée par la Russie revêt une importance à la fois stratégique et symbolique, en raison même des fondements historiques de l'empire slave." (p.73)*

Elle égratigne au passage le livre d'Emmanuel Carrère, Limonov, qu'elle juge bien écrit mais vu encore une fois par les yeux d'un Occidental qui ne s'est pas mis dans la peau d'un Russe et qui en a donc une vision faussée. Les Russes ont subi le changement des années 90, comme un coup de massue sur la tête, le temps que certains mafieux et autres malfrats prennent le pouvoir par l'argent et ils se sont réveillés plus pauvres qu'ils n'étaient avant.

Elle en vient ensuite à ces écrivains qui se retrouvent au sein d'un même mouvement politique, le Parti National-Bolchévique (PNB) qui a longtemps été dirigé par Edouard Limonov, et qui est résolument contre le régime en place, s'allie avec les libéraux et autres opposants pour le faire tomber aux élections, jusqu'ici vainement. Elle ne fait pas l'impasse sur les propos parfois très tendancieux de Limonov qui ont pu, à tort, faire penser à certains que le PNB dérivait vers l'extrême droite.

Cet essai est "une rencontre moins convenue avec la Russie" comme me l'écrit Monique Slodzian dans sa dédicace, une lecture qui permet de ne pas toujours regarder l'histoire des peuples par le petit bout de sa lorgnette, mais de se déplacer et de tenter de se mettre à la place d'autrui pour le voir et pour se voir. M. Slodzian finit son livre par des courtes biographies et bibliographies des principaux auteurs nommés intéressantes qui donnent envie de les lire, ce que je vais faire très bientôt avec Zakhar Prilepine et son Je viens de Russie.

* texte écrit avant les tout derniers événements ukrainiens

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Les invasions quotidiennes

Publié le par Yv

Les invasions quotidiennes, Mazarine Pingeot, Julliard, 2014....,

Joséphine Fayolle est professeure de philo et également et surtout auteure de littérature jeunesse. Depuis quelques temps, rien ne va plus dans sa vie, entre son angoisse de la page blanche, le changement du directeur de la publication, sa séparation difficile d'avec José le père de ses deux garçons, les relations conflictuelles avec sa mère, son découvert à la banque, son quotidien de mère célibataire dépassée par les devoirs, les repas, les poux à éradiquer, le lave-vaisselle à changer, ... Il est temps pour Joséphine de se reprendre et de reprendre sa vie en mains.

Voilà un roman qui débute un peu comme un long monologue duquel je me suis un peu senti exclu, le temps de m'habituer au rythme, et au fait que c'est bien une femme qui parle et que donc, moi, pauvre homme, je ne pouvais en placer une (je sais, c'est un peu facile, mais c'est vraiment la première impression qui m'est venue). Une sorte de logorrhée, un long monologue entrecoupé de quelques dialogues donnant à l'ensemble un rythme rapide ; c'est parfois saoulant, souvent ironique et drôle et toujours réaliste. Sans m'en rendre totalement compte, j'ai penché dangereusement vers l'empathie et la sympathie pour Joséphine, pour ses déboires, ses tracas de femme seule empêtrée dans des actes de la vie quotidienne. Et à force de pencher, je suis véritablement tombé sous le charme de l'écriture de Mazarine Pingeot, que jusqu'à cette lecture je ne connaissais que de nom (et un peu de visage pour l'avoir vue à la télévision). Son roman aurait pu être une simple bluette un peu cucul, la vie d'une mère-célibataire-futur-divorcée en proie à tous les soucis susnommés et au bord de la dépression, mais Mazarine Pingeot analyse finement et profondément ses personnages, Joséphine en particulier, comme rarement je l'ai lu dans des romans, et puis elle a la classe et l'élégance de l'écriture, usant d'un vocabulaire large (il y a sûrement plus de mots différents dans une seule phrase -certes longue- de Mazarine Pingeot que dans un roman entier de Christine Angot, mais il est vrai qu'on ne va pas au bout des romans d'icelle), de tournures de phrases travaillées et belles et faisant preuve d'une maîtrise certaine de la syntaxe. Un vrai style littéraire quoi, qui me ravit ; je vous l'ai dit, sous le charme, je suis ! Ses phrases sont souvent longues, belles, très ponctuées, virgulées, avec apartés personnels -de Joséphine-, opinions, avis, digressions, car l'esprit de Joséphine s'échappe très vite laissant son corps présent mais ses idées hors de lui, parfois très loin...

"Une nuit a passé et je suis une autre. Une autre que celle-de-la-veille victorieuse, c'est-à-dire que je suis redevenue l'ancienne, celle qui hésite devant sa tenue, qui regarde sa montre pour faire avancer le temps comme si l'observation du cadran avait un quelconque pouvoir d'accélération (en l'occurrence cela a plutôt un pouvoir inverse), celle qui se sent incapable de travailler car autre chose travaille son esprit, celle qui trouve que sa coupe fraîche après une bonne nuit de sommeil ressemble à un saint-honoré, et qui n'arrive pas à y remettre de l'ordre, parce que le pli de la mèche de dessus que l'oreiller a modelé sept heures durant est indestructible, comme sculpté dans la pierre, celle qui se gratte la tête parce que le brushing pulvérisant d'un coiffeur à bout de patience est pour le pou ce que le spa jet d'eau chaude, enrobage de boue et massage aux pierres chaudes est pour la femme de quarante ans célibataire et work addict, celle qui trouve soudain ses trente pages écrites en une soirée nulles, vaines, voire honteuses, celle qui se dégoûte d'avoir accepté si promptement un déjeuner avec son nouvel éditeur qu'elle a la faiblesse de trouver attirant, celle qui se regarde dans la glace et a envie de pleurer, celle qui reçoit un SMS de son ex-mari lui demandant si elle peut récupérer ses enfants en début d'après-midi car il doit passer un scanner." (p. 179/180)

J'ai cédé à la tentation de citer ce long passage, cette longue phrase qui résume l'état d'esprit de Joséphine et l'écriture de Mazarine Pingeot qui alterne dans une même phrase les considérations matérielles, les emmerdements et les questionnements tout cela de manière assez légère (j'adore le passage sur le spa des poux -avec un "x" comme bijou, caillou, chou, genou, hibou et joujou, comme chacun sait).

Je découvre avec ce roman l'œuvre de cette auteure que je vais m'empresser d'aller creuser -euh, l'oeuvre évidemment...-, m'attend déjà, dans un genre très différent, beaucoup plus grave, Bouche cousue.

PS : 6 ans jour pour jour que j'ai ouvert le blog et je découvre encore plein d'auteur(e)s et il m'en reste encore une multitude à découvrir... C'est chouette la lecture !

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Carnaval

Publié le par Yv

Carnaval, Manuel Blanc, Ed. Hugo et Cie, 2014..

Un homme se retrouve à Cologne, en Allemagne, sur les traces de son amant qui l'a quitté et lui a donné rendez-vous dans cette ville quelques jours plus tard. Mais ne pouvant attendre, il part tout de suite pour l'Allemagne et se retrouve en plein Carnaval. D'abord déguisé en gorille, il parcourra la ville, y cherchera un toit, fera des rencontres, notamment sur le tournage d'un film. 

Carnaval est le premier roman de Manuel Blanc, par ailleurs comédien. Bon, franchement, je n'ai pas accroché à ce livre, et rarement, je me suis trouvé aussi sec en ayant fini un roman. Je me demande bien ce que je vais pouvoir en dire, mais l'inspiration viendra sans doute au fur et à mesure que j'avance dans mon billet. 

Je me suis demandé du début à la fin où l'auteur voulait nous emmener, j'avais bien une petite idée, qui s'est avérée d'ailleurs : des rencontres, de l'attente, de la solitude, du carnaval, bizarrement assez peu présent, juste en toile de fond alors qu'il aurait pu être vraiment plus décrit ; il l'est par les déguisements, mais on ne sent pas l'ambiance, j'ai eu presque l'impression qu'il n'y avait qu'un pelé et trois tondus qui défilaient, éméchés et déguisés. On est très loin du film Karnaval avec Sylvie Testud et Clovis Cornillac, qui dans le thème est très ressemblant, mais qui joue à fond la carte du Carnaval de Dunkerque. 

Puisque le Carnaval n'est pas le point fort du livre, venons-en aux personnages, aux rencontres. Là non plus, je ne suis pas convaincu. Oh, rien de désagréable, pas de sortie de route, mais plutôt des personnages un peu palots qui n'ont rien vraiment de romanesque. Là encore on est dans du superficiel, dans le manque de profondeur. Les personnages ne sont pas travaillés, les relations entre eux existent, certes, mais sont amenées assez abruptement, sans préparation, qu'elles soient éphémères ou plus longues. 

L'écriture de Manuel Blanc est agréable, c'est d'ailleurs l'unique raison qui m'a fait aller jusqu'à son ultime ligne, son roman se lit vite, construit en courts chapitres. Ce n'est pas une lecture qui m'a emballé ni ne m'a agacé au point de lâcher le livre, plutôt un texte qui m'a laissé froid qui n'a pas éveillé en moi d'envie particulière, qui ne me restera pas en mémoire. Il débute ainsi : 

"Sac sur le dos, je pile dans le hall de la gare. Le cou tendu, je scrute le panneau d'affichage à la recherche d'un train. Je ne sais pas où je vais. Le confort je n'y ai pas droit. Il y a un poids sur mes épaules, en plus de celui de ton sac. Dans l'urgence du départ, je l'ai gavé de mes vieilles peaux. Qu'elles me tiennent chaud à l'étranger, m'aident à me repérer." (p. 9)

Séverine a un avis différent.

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Loger et abriter les insectes au jardin

Publié le par Yv

Loger et abriter les insectes au jardin, Vincent Albouy et André Fouquet, Ed. Delachaux et Niestlé, 2014....

"Longtemps les insectes ont été négligés au jardin. Pire, les espèces dites "nuisibles" ont été combattues à grand renfort de produits chimiques. Aujourd'hui, on sait combien les insectes peuvent être de précieux alliés des jardiniers. Devant la raréfaction inquiétante de nombreuses espèces autrefois banales, il est temps d'agir et d'accueillir, comme il se doit, les insectes au jardin, en leur offrant notamment des nichoirs et des abris variés." (4ème de couverture). 

Heureux possesseur d'un petit jardin, les joies d'habiter une petite ville de Province, je laisse pousser, désherbe (rarement, parce qu'en fait j'ai tendance à arracher des choses que Mme Yv veut voir pousser, je confonds un peu le bon et le moins bon), je taille, je coupe, je sécate, je déplante et replante voire transplante, je tonds, je ramasse et récolte (peu, nos prouesses en matière de potager sont proches du néant) et il y a peu, je soignais et nourrissais trois poules (Fernande et Félicie, mon hommage à la chanson française, année des "F", et Honorine, plus jeune, année des "H")  en même temps que je profitais de leur ponte ; j'ai aussi installé des nichoirs à mésanges et à rouges-gorges, des nids naissent dans les lierres et les arbustes et sous les toits, deux nids d'hirondelles à chaque pignon, soit quatre nids très fréquentés au printemps et à l'été ; l'hiver, une mangeoire est garnie et des boules de graisse pendent dans leurs sachets de plastique vert. Bref, je fais -nous faisons- tout pour que le jardin soit habité, nous ne traitons absolument pas, aucun produit chimique, pas de ça chez nous, non mais ! Nous n'avions pas encore franchi le pas d'accueillir des insectes en notre espace vert, mais en parlions depuis un petit moment, avant même que n'apparaissent sur les ronds-points des abris à insectes ; alors lorsque j'ai vu ce livre, mon sang n'a fait ni deux ni trois, mais qu'un seul tour, il me le fallait... Et puis, je l'ai feuilleté, j'ai repéré des nichoirs, abris ou aménagements à faire dans l'été pour abriter toute une colonie de diverses bestioles cet hiver, histoire qu'elles soient en pleine santé pour s'occuper du jardin les saisons suivantes. S'il me semble bien agréable de creuser une souche ou une buche pour les coccinelles, ou les chrysopes qui sont de charmantes bêbêtes, d'autres insectes n'ont pas a priori mes faveurs, du genre les perce-oreilles, les guêpes, les araignées, mais bon M. Vincent Albouy, il dit que toutes les variétés sont importantes, et il est quand même entomologiste amateur et il "aménage et cultive depuis plus de 25 ans son jardin pour les insectes et la "nature banale" (4ème de couverture), tandis que son compère, le sieur André Fouquet "se consacre désormais à sa passion de toujours : l'étude et la photographie des grosses et petites bêtes sauvages des côtes et des campagnes." (4ème de couverture)

Trêve de plaisanterie, ce petit bouquin est un guide très bien fait qui explique le rôle des insectes, la manière de les accueillir et de prendre soin d'eux pour qu'en retour, ils prennent soin de nos jardins : entre constructions d'abris, aménagements de tas de bois ou de feuilles, plantations diverses qui attirent telle ou telle espèce, il recense plein de solutions faciles à mettre en place qui éviteront d'une part de répandre des produits toxiques et d'autre part d'engraisser les multinationales qui les fabriquent.

Allez, moi, maintenant, je vais aller faire un petit tour dans le jardin voir où je vais bien pouvoir installer mes maisons à insectes.

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Le syndrome Shéhérazade

Publié le par Yv

Le syndrome Shéhérazade, Eric Pessan, Ed. de l'Attente, 2014.....

Shéhérazade, c'est évidemment les mille-et-une nuits, les histoires qu'elle raconte pour ne pas mourir. Le syndrome Shéhérazade, ce sont des petits bouts d'histoire, mille-et-un, qui se succèdent sans rapport les uns aux autres, ou parfois se suivent, se ressemblent, diffèrent. Ce n'est pas du roman. Ce n'est pas de la poésie. Ce n'est pas du théâtre. Ou alors un peu de tout cela. "Le syndrome Shéhérazade est un théâtre érodé où seules les répliques subsistent : manquent la narration, le récit, l'articulation et les péripéties ; manquent les décors et le contexte." (4ème de couverture) 

J'ai rencontré Eric Pessan à la médiathèque Libre Cour de Vertou, un soir ; il venait y parler de ses livres, de son travail d'écrivain, dans une ambiance détendue. Eric Pessan, l'écrivain le plus prolifique du vignoble, comme l'a présenté la bibliothécaire, qui écrit vite -et très bien- du théâtre, des romans pour adultes, des romans-jeunesse, chez divers éditeurs, des indépendants, Cousu main, In8 (Croiser les médusesMonde profond) des plus gros, L'école des loisirs (Et les lumières dansaient dans le ciel), Albin Michel (Incident de personne et Muette), venu en voisin présenter Muette et Et les lumières dansaient dans le ciel. Et, au hasard d'une phrase, il nous parle de son tout dernier livre sorti chez un tout petit éditeur, un livre à la mise en page très particulière, aérée, avec une trentaine de pages noires (écrites en blanc) à la fin, lorsque la nuit tombe, des bouts de textes qui se parlent ou pas, des voix qui se croisent, des personnages qui ne font qu'un passage, d'autres qui reviennent pour diverses remarques,... Le syndrome Shéhérazade. Bon, vous commencez à me connaître, depuis les 6 ans quasi jour pour jour (le 26 mai) de l'ouverture de ce blog, avec un tout petit billet sur un livre de Pierre Bordage -dont je me souviens encore très bien-, dont Eric Pessan disait ce soir-là que c'était lui l'écrivain le plus prolifique du vignoble nantais. Moi, la seule chose que je constate, c'est que je suis drôlement bien entouré, mes voisins ont du talent ! ; je disais donc avant de m'auto-interrompre qu'évidemment un livre ainsi présenté ne pouvait que m'attirer, je l'achète aussitôt au stand de la librairie Coiffard, (ouf, j'avais retiré de l'argent le matin même !), me le fais dédicacer en buvant un petit verre de Muscadet, et hop, à peine rentré, je commence ma lecture.

Oubliez tout ce que vous connaissez du roman, de la poésie ou du théâtre, les codes, les règles de lieu ou d'action ou de temps. Ce n'est pas un livre d'aphorismes, et heureusement, parce que je ne suis pas amateur du genre. Non, ce sont des personnages qui racontent certains pans de leur vie, ou qui racontent des pans de la vie des autres car souvent Eric Pessan parle d'un personnage par le prisme d'un autre, une sorte de filtre supplémentaire entre l'auteur et ses créations. Les voix des uns et des autres se croisent, ne se parlent pas, mais peuvent se télescoper. Certaines reviennent, et alors se dessinent des situations, des histoires, celle du couple qui ne se comprend plus, celle du petit garçon qui a un billet de dix francs, des situations souvent dramatiques, rarement humoristiques, il est question d'amour, de désir, de trahisons, de haine, d'inceste, de violence physique et psychique, de sexe, de séparation, d'oubli, de déception, de folie, de mur infranchissable, ... Le soir où j'ai rencontré Eric Pessan, il disait qu'un livre était la somme de tous ceux qu'on a écrits avant, et sans doute, jamais mieux qu'avec icelui je le remarque, tellement j'ai l'impression que tous les personnages précédemment rencontrés dans les livres de l'auteur se retrouvent ici ; je n'ai pas lu toute sa production mais seulement sept ou huit, et j'ai pu reconnaître (mais peut-être me trompé-je ?), le narrateur d'Incident de personne, Muette, l'homme de l'Effacement du monde ou encore celui de Monde profond ou de Les géocroiseurs. Ceux de ses autres livres doivent aussi faire un passage dans Le syndrome Shéhérazade sans que je ne les remarque puisque je ne les connais pas, mais ce n'est pas un souci, le plaisir de lecture reste absolument intact.

J'ai tellement noté de pages, de phrases à citer que je ne sais laquelle ou lesquelles choisir ici, il me suffirait d'ailleurs d'ouvrir le livre au hasard et je suis sûr de trouver un passage excellent :

"Je sais qu'il est mort, je le sais, j'ai vu le corps, je le sais intellectuellement, je n'arrive pas à le ressentir, à délimiter les contours de ce que signifie pour moi sa mort." (p.65)

"Papa, elle m'a répondu, je n'ai pas besoin que tu me fasses la leçon avec les préservatifs, les maladies, les filles qui tombent enceinte. Je ne me fais pas mettre, je suce." (p.112)

"Toi et moi, c'est un numéro de clown qui fait pleurer les enfants." (p.119)

"La mère mettait la télé très fort lorsque le père entrait dans le lit de leur fille." (p. 128)

"Je suis un enfant, je prends soudainement conscience que je suis percé : les oreilles, les yeux, la bouche, le nez, le cul, le sexe, je suis intolérablement troué, j'ai peur de finir par couler hors de moi." (p.180)

Voilà des exemples que j'aurais pu multiplier à l'infini. L'écriture d'Eric Pessan est claire, limpide, très belle, flirte avec la poésie ; je tiens cet auteur en très haute estime, j'avais été subjugué par L'effacement du monde qui reste pour moi jusqu'ici un des meilleurs romans que j'ai lus et son meilleur livre. J'ai continué à la lire toujours avec bonheur. Le syndrome Shéhérazade m'a bluffé, conquis, séduit, il se hisse pour moi largement au top de ce que j'aime lire, c'est un beau projet littéraire mené à terme, original, maîtrisé (l'exercice ne doit pas être évident de faire se croiser toutes ces voix), un livre à lire d'une traite, puis à reprendre, à ne pas rater, mais dépêchez-vous, il est en tirage limité chez un petit éditeur... 

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Baudelaire

Publié le par Yv

Baudelaire, Felipe Polleri, Ed. Christophe Lucquin, 2014 (traduit par Christophe Lucquin)....

Un auteur totalement barré raconte son dernier livre consacré à la vie de Baudelaire, voit des corrélations entre leurs deux vies, des points communs qui le troublent, lui qui n'a pas forcément besoin d'être troublé. Une sorte de double biographie, celle du poète et celle du narrateur-écrivain qui se croisent et se mêlent. 

Pas très facile d'entrer dans ce livre sans code, sans connaître un peu la vie de Charles Baudelaire. J'avoue humblement que je ne la connaissais point et que, après une bonne quarantaine de pages, j'ai décidé de faire une recherche et que j'ai trouvé plein d'éléments qui ont aidé à ma compréhension : les multiples déménagements du poète pour fuir les créanciers, le remariage de sa mère avec un militaire suite au décès de son père, la syphilis qu'il a contractée avec une prostituée et qui l'a tué ; j'avais évidemment, quand même, je ne suis pas inculte à ce point, dans un coin de mon esprit l'expression "poète maudit" qui collait parfaitement à Baudelaire, mais je ne savais pas à quel point ni les détails de sa vie de galère. Avant que vous ne lisiez ce roman, je vous conseille donc de collecter quelques éléments de la vie de Baudelaire, qui en plus, miracle de la littérature, pourront vous resservir en société. Ah que c'est beau un livre qui instruit !

Le texte n'est pas simple, les premières pages sont totalement surréalistes -du terme qui a donné le mouvement surréaliste-, on peut se demander parfois si on est pas dans une écriture automatique, dans des exercices de style, un mot en appelant un autre, pour les sonorités, le rythme : j'ai eu l'impression -sur quelques pages- de lire des mots que je comprends tous séparément, mais qui, mis ensemble donnent un sens énigmatique à la phrase. C'est une sensation étrange et loin d'être désagréable que de se laisser porter par les mots, juste pour le plaisir de les lire ; ça me rappelle mes lectures des surréalistes du temps où j'étais étudiant, dont Au château d'Argol de Julien Gracq, ou encore mes lectures de poésies, moi qui ait un peu de mal avec le genre. De là à dire que le texte de Felipe Polleri est poétique, il y a un pas, que je franchis volontiers. "Les proches ont commencé à arriver et à se rassembler autour du cercueil ou du gâteau ou peu importe ce que c'était ; des femmes avec leurs petits et des bougies blanches, des hommes avec des nœuds noirs accrochés au revers de leur veste. Ils lui ont coupé la tête, dit La Voix. Un homme est sorti de la resplendeur de la cuisine et s'est mis à gratter les ongles du petit avec un couteau ; j'imagine qu'il lui en a extrait dix petits violons microscopiques. En outre, je suppose que l'homme était un ange. Le téléphone m'a réveillé."(p.15/16) Il y a aussi, plutôt sur la deuxième partie du livre, une sorte de refrain, de leitmotiv, repris dans toutes les pages les quatre mots suivants : "a-t-il dit", qui mettent en scène l'écrivain dans la narration de son livre sur Baudelaire ; ça peut gêner, ça m'a gêné un peu au début, et puis, ça donne un rythme, ça place le narrateur dans sa position de biographe décalé à la fois dans le réel et dans le fictionnel. 

La couleur verte est très présente, j'avoue ne pas avoir compris pourquoi, mais peu importe : "La dernière fois, a-t-il dit, je me suis perdu et je me suis retrouvé à midi dans la lumière verte. Lumière de parc. Un parc vert d'eau, a-t-il dit. Ce qui était sidérant, a-t-il dit, au-delà du fait que ce soit le printemps, c'était l'herbe qui était couverte de pièges à rats." (p.46) Le noir est là aussi, plus compréhensible parce que couramment associé à la mort ou la maladie.

Un texte de 126 pages qui demande soit de l'attention soit de se laisser porter ou les deux tour à tour, formidablement traduit (par Christophe Lucquin) et mis en pages, dans la livrée désormais connue de l'éditeur, blanche et bleue, sobre et classe. J'avais déjà lu de Felipe Polleri, L'ange gardien de Montevideo, un autre livre pas très évident, mais très original et diablement bon.

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La palette de l'ange

Publié le par Yv

La palette de l'ange, Catherine Bessonart, Ed. de L'aube, 2014..,

Le commissaire Chrétien Bompard à la fin d'une enquête se promène en forêt d'Orléans lorsque qu'il voit un ado qui se balance au bout d'une corde. Il tente de le sauver, mais il est assommé. Puis la vie et le travail reprennent, et le commissaire est confronté à un meurtrier qui utilise d'étranges et magnifiques couteaux. Assisté des lieutenants Grenelle et Machnel, Bompard tente de comprendre ce qui lie les victimes. 

Nouveau flic, deuxième tome des aventures de Chrétien Bompard -Et si Notre-Dame la nuit... a déjà été publié-, ne signifie pas forcément inventivité et originalité. Je n'ai rien de particulier à reprocher à Bompard et son équipe, mais rien ne m'a vraiment enthousiasmé non plus. J'ai lu cette enquête sans vibrer, sans ressentir les affres du suspense ni celles du livre qu'on ne peut pas lâcher. Non au contraire, j'ai même reposé plusieurs fois l'ouvrage pour vaquer à mes occupations d'homme de maison : préparer le repas, enfourner un gâteau, faire une lessive puis l'étendre, passer l'aspirateur, enfin, tout ce qu'on fait lorsqu'on est à la maison, je l'ai repris entre chaque tâche (ou corvée) ménagère  ; je dois même ici faire une confession terrible, lors de ma dernière préhension du roman pour les ultimes pages, j'ai mis quelques secondes à me remettre dedans et anecdote terrible lorsqu'on lit un polar, certains détails qui n'en étaient plus m'étaient totalement sortis de l'esprit si tant est qu'ils y soient entrés, par exemple, un journal intime d'un suspect dont je ne me souvenais plus que le commissaire l'avait trouvé et lu ou encore un nom de suspect totalement oublié. Gênant, n'est-il pas ? Ouh la, avec tout ça j'aurais pu oublier mon gâteau dans le four, mais heureusement, il sonne (le four, pas le gâteau) pour me prévenir de la fin de cuisson.

En fait, il y a dans ce bouquin un truc, je ne saurais dire quoi précisément, qui gêne ma progression. C'est impalpable, totalement subjectif. Peut-être la méthode de Bompard de faire des sortes de brainstorming desquels ressortent des évidences ? De partir de suppositions et d'en faire des faits quasi avérés ? De procéder exactement comme je le fais maintenant, par questions, censées apportées des réponses rapides ? J'ajoute à cela des dialogues parfois inutiles qui n'apportent rien :

"-Oh, pardon, Commissaire, je ne vous avais pas reconnu

- Ça m'arrive à moi aussi parfois, quand je croise mon reflet dans une glace." (p.103)

C. Bessonart n'a pas besoin de faire dans la blague pas drôle, dans la répartie de bas niveau, car dans son écriture, elle place des jeux de mots, des références et des touches humoristiques bienvenues. Globalement d'ailleurs, le texte est de bonne qualité, il se lit agréablement, c'est la raison première qui m'a tenu jusqu'au bout du roman, sans cela je  crois que j'aurais abandonné avant la fin.

Histoire de tempérer un peu ma déception, je me dois de dire que l'auteure a plutôt bonne presse, Et si Notre-Dame la nuit...a reçu le Prix Polar du meilleur roman francophone de Cognac en 2013 et sur Babelio, La palette de l'ange a un très bon accueil, quais unanime ; encore une fois, je fais un peu le mouton noir, mais c'est pas grave, j'ai l'habitude.

 

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Chemins de transhumances

Publié le par Yv

Chemins de transhumances, Histoire des bêtes et bergers du voyage, Anne-Marie Brisebarre, Ed. Delachaux et Niestlé, 2013.....

"Ces dernières décennies, le pastoralisme transhumant a su évoluer tout en conservant des savoir-faire ancestraux. Formés dans des écoles, de jeunes bergers et bergères d'alpages y acquièrent de nouvelles fonctions, celles de producteurs de biodiversité et de "jardiniers du paysage". Un livre sur l'histoire et la vie des bergers du voyage d'hier et d'aujourd'hui." (4ème de couverture) 

Il y a quelques années, en été, en vacances en Ariège, pas très loin de Les Cabanes, nous avons eu l'occasion, histoire de se mettre en jambes et dans l'ambiance, de commencer nos balades par une petite randonnée pédagogique, empruntant les chemins de transhumance et organisée par Philippe Lacube. Extrêmement intéressante et conviviale ce fut un des bons moments de ces vacances. Un peu plus tard, alors juré du Prix littéraire France Télévision, je fis la connaissance d'une bergère des Pyrénées franche et très encline à parler de son métier. Voilà deux rencontres qui expliquent peut-être le choix de ce beau livre sur la transhumance.

"Transhumer" vient de "l'espagnol trashumar, forgé à partir du latin trans, "à travers", et humus, "terre", et signifie "aller au-delà de la terre d'origine, évoquant à la fois le départ de la contrée où vivent habituellement les troupeaux et la traversée d'une région de transition pour en rejoindre une autre, écologiquement différente." (p. 14) Ce terme apparu tardivement dans notre langue désigne cependant une tradition très ancienne. Je ne vais pas vous faire l'historique ni vous raconter par le menu ce qu'est la transhumance, Anne-Marie Brisebarre le fait très bien, le livre est très complet et à la portée de tous, c'est un formidable moyen d'en connaître un peu plus sur la vie des bergers et de ceux qui les entourent, de découvrir ou revoir les lieux qu'ils fréquentent et de voir tous les à-côtés du travail : les colliers pour les ovins ou bovins, les sonnailles (ou cloches) très différentes en fonction de leur rôle, la tonte des moutons, la fabrication des fromages, les fêtes de village, ...

Un très beau livre bourré de photos et d'illustrations diverses qui parle de toutes les transhumances, celles des moutons, des chèvres, des vaches mais aussi celle des chevaux et celle des abeilles, qu'on a beaucoup moins en tête ; il parle aussi du rôle de l'homme et de sa relation aux animaux et n'oublie pas le plus fidèle allié du berger, son chien !

Si le sujet vous plaît, s'il vous attire ou si vous connaissez quelqu'un qui aime la montagne, les animaux et leur mode d'élevage, ce livre est l'objet idéal, exhaustif, instructif et magnifique. Un beau cadeau. Un livre à laisser à portée de main pour le feuilleter.

L'auteure est ethnologue et membre du laboratoire d'Anthropologie du Collège de France, spécialiste des rapports entre les sociétés humaines et leurs animaux domestiques

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