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Le jardin des pleurs

Publié le par Yv

Le jardin des pleurs, Mohamed Nedali, Ed. de l'Aube, 2014...

Driss et Souad viennent de se marier et de s'installer ensemble dans un petit studio de Marrakech. Lui est infirmier, elle serveuse dans un restaurant de la ville. Tout va bien, jusqu'au jour où Souad est agressée par un client ivre, un commissaire de police. Ils portent plainte, mais la justice marocaine n'est pas prompte à juger un fonctionnaire de police au bras très long. Pour le jeune couple, un parcours semé d'embûches, un labyrinthe juridique commence alors. Entre intimidations, extrême lenteur de la justice, corruption, le procès se déroulera-t-il un jour ? 

Mohamed Nedali s'empare d'un fait divers, d'une histoire tristement vraie pour construire son roman. Il en fait un récit très précis. On connaît quasiment tout de la vie de Driss, le narrateur, dans les moindres détails : le piston pour entrer à l'école d'infirmiers, un autre pour être nommé à Marrakech, son installation et la déco de son studio et évidemment la procédure, les reculades de la justice. Une écriture chirurgicale, rien n'est laissé au hasard. Mohamed Nedali écrit presque un témoignage sur le fonctionnement du système judiciaire marocain. Et le résultat n'est pas joli et ferait froid dans le dos. Compromission et corruption, passe-droits aux "dignitaires de l'état", c'est dire si Driss et Souad ont peu de chances de voir leur dossier aboutir : "... les magistrats [ont] des consignes leur interdisant formellement de traîner les dignitaires de l'Etat devant la justice, quel que soit le chef d'accusation pour lequel ils sont poursuivis. [...] Pour [...] ne pas entamer ce qu'ils appellent l'hiba, l'aura ou l'intouchabilité dont jouit tout haut commis de l'Etat au sein de la société." (p. 160). Un avocat ami de Driss lui explique comment fonctionne la justice, un réseau de relations et d'échanges de services : "J'ai moi aussi appris à collaborer avec mes collègues avocats, à courtiser juges et magistrats, à leur faire des courbettes, à leur graisser la patte... Qu'est-ce que tu veux, notre système judiciaire est ainsi fait : l'avocat doit s'y soumettre ou se démettre !" (p.199) L'administration en général est gangrenée par le bakchich généralisé, pour obtenir tel ou tel papier plus rapidement, un résultat d'analyse, éviter une contravention, les billets de dirhams passent vite d'une main dans une autre dans le livre.

Mohamed Nedali critique sévèrement, sans aucune concession la société marocaine, tout s'achète, se négocie, jusqu'aux prières pour un enterrement ! Néanmoins, on sent dans ce qu'il écrit tout l'amour qu'il a pour son pays et ses habitants qui vivent ces situations au quotidien. Ce n'est pas une critique gratuite pour médire, je l'ai pris plus comme une critique pour appeler à une prise de conscience et surtout à un changement radical des mentalités et pratiques, de manière descendante : que les élites commencent et ensuite, la société suivra !

Malgré la dénonciation virulente, le livre arbore plutôt un ton ironique, sarcastique et caustique. On ne se dit pas qu'il en fait trop, que là, c'est bon, basta. Non, on compatit aux malheurs du jeune couple, on espère qu'ils vont s'en sortir, et on espère surtout, que plus généralement, le Maroc deviendra un jour un pays démocratique qui permet aux pauvres d'être défendus face à des nantis ou des hommes puissants. Un bouquin fort et très accessible, absolument pas déprimant malgré le thème abordé. 

Mohamed Nedali est un auteur reconnu -bon, perso, je ne le connaissais pas- qui à reçu divers prix, celui du Grand Atlas (présidé par JMG Le Clézio) et celui de la Mamounia (présidé par C. Orban), pour des ouvrages précédents.

 

 

rentrée 2014

 

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Simon, Anna, les lunes et les soleils

Publié le par Yv

Simon, Anna, les lunes et les soleils, Verena Hanf, Le castor astral, 2014

Simon est désespéré, sa compagne vient de le quitter, comme ça, sans explication. Pour éviter de sombrer totalement, il part une semaine en Alsace, dans la vallée de Munster, dans un village qu'il a découvert enfant avec ses parents et qui lui a laissé un souvenir de bonheur et de quiétude. L'hôtel a bien changé, et la maîtresse des lieux aussi : une jeune femme charmante a repris l'affaire. En plein hiver, l'hôtel est presque vide, l'autre cliente est une femme, Anna, avec qui Simon se lie bientôt. Anna raconte son histoire douloureuse, qui fait écho à des pendants de la vie de Simon. 

Verena Hanf est une auteure germano-égypto-libanaise qui écrit en français, j'ai lu et apprécié son premier roman, Tango tranquille. Le roman dont je vous parle aujourd'hui est un de ces livres dont on se dit en avançant qu'on a déjà lu ce genre d'histoire, qu'il n'apporte rien de nouveau mais qu'on ne réussit pas à poser, parce que les personnages sont sympathiques, parce que l'écriture est bien agréable et que le ton s'il n'est pas à l'humour est ... comment dire ? optimiste, voilà c'est cela, optimiste ! Verena Hanf met de la légèreté dans son écriture alors que le thème est plutôt sombre, au départ au moins. Anna est la fille d'une mère-célibataire allemande. Son père, le grand-père d'Anna donc, a fait la guerre, sans croire au national-socialisme : "Le père, un homme sec et maigre, ancien employé de poste, cultivait une rancune sans issue. Il se sentait injustement traité par la vie, durement puni pour pas grand-chose : non, il n'avait pas été un vrai, un méchant nazi. Non, il n'avait pas eu de sympathie pour Hitler, non, il n'avait pas commis d'horreurs. Non, il n'avait pas dénoncé de juifs, de toute façon il n'en avait pas connu beaucoup et ceux-là le laissaient indifférent. [...] Il avait été envoyé au front, il y avait perdu trois doigts et son dernier petit reste de joie. Les Américains l'avaient détenu avant de le transférer dans un camp de prisonniers de guerre en France. Libéré en 1947, il était rentré en Allemagne -maigre, malade et misanthrope. Lui qui n'avait jamais été capable de sentiments trop passionnés, nourrissait depuis cette époque-là une haine profonde contre la France, contre tout ce qui était français." (p. 57/58)

Verena Hanf place ses personnages en Alsace, tout un symbole que cette région qui a plusieurs fois changé de pays de tutelle, et en plus, elle a raison, c'est une région superbe ! Anna, franco-allemande y a vécu son enfance -y vit toujours, mais à Strasbourg-, et revenir à Munster est pour elle nécessaire pour se confronter à ce que furent ses premières années. Elle trouve en Simon une oreille attentive, c'est parfois plus facile de se confier à un étranger dit-il à un moment. On pourrait reprocher à l'auteure un manque de profondeur des protagonistes, mais je pense que c'est plutôt le ton résolument optimiste comme je l'écrivais plus haut qui peut donner cette sensation. De fait, en posant le livre et en réfléchissant à la manière d'écrire mon article, je me suis aperçu que mine de rien, sans qu'on s'en rende vraiment compte, Verena Hanf nous en apprend pas mal sur eux. Elle aborde subtilement les questions de l'identité, de la nationalité, de la filiation, de l'amour, de la fidélité ; certes, rapidement, mais son dessein n'était pas de faire un essai sur chaque thème.

Anna et Simon sont deux personnes qu'on quitte à regret, un peu comme des amis avec qui on a passé une bonne soirée, auxquels on ne veut et on ne souhaite que du bien, des amis avec qui l'on se sent bien, réconfortants, apaisants, malgré leurs fêlures, leurs faiblesses et leurs doutes dont on pourrait écouter les confessions et vice-versa. Une certaine filiation avec les personnages des livres de Francis Dannemark, qui est le directeur de la collection "Escales des lettres" qui publie Verena Hanf. Juste un rapprochement, les personnages de Verena Hanf ont leur originalité, leurs propres vies et leurs personnalités.

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Le château des étoiles

Publié le par Yv

Le château des étoiles, Alex Alice, Rue de Sèvres, 2014 (volume 1)..... 

Lorsque la maman de Séraphin part à l'aventure, en 1868, dans un ballon, à la recherche du mur de l'éther, tout va de travers et son ballon disparaît à 13000 mètres d'altitude. Un an plus tard, son carnet de bord est retrouvé, une lettre anonyme en informe Séraphin et son père qui partent à sa recherche. C'est alors le début d'une formidable aventure pour tous les deux. 

Bande dessinée d'aventures, clin d'œil plus qu'appuyé au maître français du genre, Jules Verne, ainsi qu'à Pierre-Jules Hetzel pour la conception de la couverture, qui rappellera aux plus vieux d'entre nous de délicieux souvenirs. L'aventure est au rendez-vous de cette rentrée littéraire ; après L'île du Point Nemo et Notre-Dame des vents, Le château des étoiles. Et ça me ravit, il y a longtemps que je n'avais pas lu d'aussi belles histoires dans ce genre.

Je ne suis pas spécialiste de la chronique BD, mais j'ai aimé cette histoire parce qu'elle est l'une de celles que l'on peut partager entre parents et enfants. Il y a les gentils, les méchants, les doux-dingues qui font avancer la science, une idylle naissante, des décors fabuleux, des inventions fantastiques. Tous les ingrédients sont là pour que l'aventure commence sous de bons auspices. Ce qu'elle fait et le plaisir d'avancer se propage et s'intensifie au fur et à mesure que le scénario se dévoile. Alors d'aucuns pourront dire que c'est simpliste, archi vu. Certes, mais Alex Alice construit son histoire pour tous, même pour ceux qui n'ont jamais lu de romans d'aventures qui y découvriront rebondissements et trahisons. La touche historique est là également avec Ludwig, roi de Bavière (Louis II, pour nous qui francisons les  noms propres) réputé pour son excentricité, son amour des arts, et la construction de châteaux extravagants (celui de Neuschwanstein notamment) et qu'Alex Alice présente surtout comme mélancolique, solitaire et sans doute un rien misanthrope. Le contexte de cette BD est bâti sur fond de volonté d'annexion de la Bavière par Otto Von Bismarck - ce qui adviendra en 1870 après la défaite de la France contre la Prusse du même Bismarck- et de résistance à l'annexion par les dirigeants bavarois, Ludwig en tête !

Très beaux dessins, sans être spécialiste, je pencherais pour des aquarelles, dans des tons pastel ; une mise en page changeante, qui donne du rythme et colle donc à l'histoire. Une couverture sublime tant à voir qu'à toucher, lisse à certains endroits, granulée à d'autres. Enfin, de la bien belle ouvrage !

Pour finir, sachez que cette bande dessinée est en deux volumes, que celui-ci en est le premier et que j'ai hâte de découvrir le second, car j'ai laissé Séraphin est très mauvaise posture...

 

 

polars 2015

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Le dernier gardien d'Ellis Island

Publié le par Yv

Le dernier gardien d'Ellis Island, Gaëlle Josse, Noir sur blanc, Collection Notabilia, 2014 .... 

John Mitchell est le dernier directeur d'Ellis Island, cette île, à cheval entre New York et Jersey City qui fut de nombreuses années, le centre d'accueil de tous les migrants désireux de devenir citoyens des Etats-Unis. Là, ils devaient attendre que l'administration du pays leur octroie la citoyenneté. John Mitchell écrit son journal entre le 3 novembre 1954, jour du départ du dernier immigrant et le 12 du même mois, jour de la fermeture définitive du centre. Il y est seul, et tente de faire le point sur sa vie, sur plus de quarante années passée sur l'île. 

John Mitchell arrive sur cette île, jeune homme avec un rôle encore très imprécis, au début des années 1910. Petit à petit, son intelligence, son sens de l'organisation et ses compétences lui permettent de devenir directeur. Dans son journal, il remonte le cours de sa vie, parle de sa trop brève union avec Liz, de son attirance pour Nella, une immigrante sarde. Il explique également le rôle du centre d'Ellis Island, la parfois difficile prise en charge des immigrants, la difficulté pour eux de tout quitter pour un ailleurs qu'ils espèrent meilleur : "Pendant quarante-cinq années -j'ai eu le temps de les compter-, j'ai vu passer ces hommes, ces femmes, ces enfants, dignes et égarés dans leurs vêtements les plus convenables, dans leur sueur, leur fatigue, leurs regards perdus, essayant de comprendre une langue dont ils ne savaient pas un mot, avec leurs rêves posés là, au milieu de leurs bagages. [...] Apprendre, apprendre vite et ne pas se retourner. Je ne sais pas si pour la plupart d'entre eux le rêve s'est accompli, ou s'ils ont brutalement été jetés dans un quotidien qui valait à peine celui qu'ils avaient fui. Trop tard pour y penser, leur exil est sans retour." (p. 19/20). 

A partir d'une réalité, Gaëlle Josse construit un roman, une fiction, seuls quelques personnages secondaires de son livre sont réels, mais elle s'est permis de leur inventer des traits de caractère. A l'aide d'une très belle écriture, classique, simple, sans faire appel à des superlatifs, des centaines d'adjectifs, elle fait naître une ambiance propice aux souvenirs. Beaucoup de sensibilité, d'empathie pour ses personnages, tant pour elle j'imagine que pour nous lecteurs. Les sentiments ne sont pas absents de ce lieu pourtant pas romantique : "Cette jeune Italienne brune et affligée avait atteint en moi des régions inconnues, de ces lieux dont l'existence reste insoupçonnable et dont la brusque découverte nous tend un miroir où se reflète un inconnu." (p.69). Ellis Island, un sas vers la liberté, vers une nouvelle vie pour des millions d'immigrants, vers le fameux rêve américain, "America, America !" est un lieu mythique, une dernière embûche avant la possibilité de recommencer à zéro. Sous la plume de Gaëlle Josse, ce lieu reste bien sûr un endroit de mélange des populations, de désinfection lorsque les migrants arrivent pleins de vermine, de conflits entre les uns et les autres, mais il est aussi un espace dans lequel tous les espoirs sont permis. John Mitchell voit les siens réduits à néant, il sait désormais que sa vie sera auprès des migrants, il deviendra un ermite à Ellis Island, au milieu d’une foule on ne peut plus cosmopolite. Ce sera son lieu-ressource. 

Je découvre l’auteure avec ce roman, pourtant elle en a écrit d’autres qui ont eu de beaux échos. Un petit livre (167 pages) publié chez Noir sur blanc dans leur très belle collection Notabilia dans laquelle j’ai déjà pu apprécier Lutte des classes d'Ascano Celestini et Franz Schubert Express de Tecia Werbowski.

 

 

rentrée 2014

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Carambole

Publié le par Yv

Carambole, Jens Steiner, Ed. Piranha, 2014 (traduit par François et Régine Mathieu)...,

Trois adolescents, copains du même village cherchent à s'occuper, à se faire de l'argent pendant les vacances qui débutent sous une chaleur accablante. Une de leurs amies, en rébellion avec ses parents leur apprend qu'elle les quitte, son père part aussi laissant une femme seule, désemparée. Un joueur de tennis, très connu, originaire du village et y habitant toujours, sur les hauteurs, disparaît. Trois vieux amis se retrouvent pour parler d'Epictète et de Gramsci... 

Voici un résumé on ne peut plus décousu, mais je m'explique : ce livre est constitué de douze chapitres comme douze nouvelles qui forment un roman. Chaque narrateur tourne, devient un personnage de second plan ou disparaît. Chaque bout d'histoire en éclaire une autre. Tout se passe dans le village, dans un temps très court, avec quelques retours en arrière pour comprendre la situation actuelle et le rôle de chacun. J'aurais pu parler de deux des adolescents du début qui reviennent chacun pour son chapitre expliquer un bout de la grande histoire du village grâce à ce qu'il voit ou entend. Ou encore de ces deux frères fâchés qui ne se voient plus depuis quarante ans. Ou de Renate, l'adolescente qui fuit ses parents et se retrouve en mauvaise posture. Ou de ce handicapé énigmatique qui observe tout le monde à travers ses longues-vues. Un jour une explosion aux abords du village déclenche des scènes de peur, des réflexes étonnants, des rencontres imprévues, un peu comme si la bulle de verre qui chapeautait le village explosait et que chacun commençait à s'ouvrir aux autres. Une tentative au moins. Un petit pas contre le repli sur soi.

Lire cet ouvrage n'est pas un exercice facile comme l'est la lecture de certains best-sellers de cette rentrée littéraire (je ne vise personne évidemment, puisque je n'ai pas lu le dernier -ni les autres d'ailleurs- livres d'A. Nothomb !). Jens Steiner fait appel à l'intelligence du lecteur, à lui de faire le lien entre tous les intervenants, qui comble du vice pour certains, prennent un pseudonyme. Je rassure tout le monde, je ne suis pas fort en général à ce jeu-là, je me perds facilement dès que le nombre d'intervenants dans un livre est important, mais là, j'ai tout réussi, ce qui est, bien sûr, vous l'avez deviné, une preuve de ma grande intelligence -ou du talent de l'écrivain- ! Jens Steiner procède par petites touches, par ellipses et par images. Il commence chaque chapitre sans nous dire qui en est le narrateur, et bien sûr chacun s'exprime à la première personne. On commence dans le flou, on tente de deviner et puis au bout de plusieurs lignes, voire une ou deux pages, on le tient. Ce n'est pas un sentiment très agréable de ne pas savoir qui parle (je dois même dire que sur certains chapitres qui m'ont moins plus, j'ai trouvé le procédé un peu répétitif et longuet), mais la plupart du temps, il fonctionne. Le lecteur que je suis n'a jamais entièrement perdu une sensation de flottement, une certaine incompréhension, je me suis parfois fait violence pour finir ma lecture, mais franchement, je ne regrette pas d'avoir été un peu bousculé, la littérature sert à cela aussi, ne lire que des choses très linéaires peut être un peu rengaine parfois, même si j'aime bien aussi des livres avec un début, un développement et une fin, le tout bien calibré 

L'écriture de Jens Steiner est simple, minimaliste parfois, lorsqu'il dialogue notamment et que l'interlocuteur principal hésite, n'est pas très à l'aise avec la discussion, poétique, familière, "parlée", elle varie en fonction des narrateurs. Un beau travail de traduction.

Les toutes jeunes éditions Piranha publient un texte original, dense et riche.

 

 

rentrée 2014

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Troisièmes noces

Publié le par Yv

Troisièmes noces, Tom Lanoye, La Différence, 2014 ..... (traduit par Alain van Crugten)

Maarten est un homosexuel cinquantenaire qui ne se remet pas de la mort de son compagnon, Gaëtan, quatre ans plus tôt. Lui-même est très malade, au chômage, aussi lorsqu'un homme lui propose, moyennant finances, de faire un mariage blanc avec Tamara une jeune femme noire, après moult hésitations, il accepte. Commence alors une cohabitation pas simple, compliquée par la présence et les questions des enquêteurs chargés de savoir si le mariage est un vrai ou une manœuvre pour régulariser Tamara. 

Maarten est un homme revenu de tout, désabusé qui n'a plus foi en rien et qui ne se remet pas de la mort de Gaëtan qu'il a accompagné jusqu'au bout. Ce livre est le récit de sa nouvelle vie avec Tamara, avec de très nombreux retours sur sa vie avec Gaëtan. Ce n'est pas un livre fondamentalement joyeux, mais Tom Lanoye manie autant et aussi bien le cynisme que la mélancolie, ou encore le réalisme et l'humour : "Ils [les voisins mormons] nous regardaient avec mépris, Gaëtan et moi, ils tenaient leur chien étroitement en laisse et ils se plaignaient quotidiennement chez l'épicier de la présence d'un dangereux pédophile à côté de leur porte. Ou plutôt, de deux pédophiles. Jusqu'au jour où ils ont vu l'épicier faire un French kiss à son petit ami derrière le comptoir des primeurs. Ce n'est pas pour rien que j'habite le quartier le plus hype de la ville. La hypetitude d'un quartier se mesure à l'aune des préférences sexuelles de ses épiciers." (p. 51/52). A noter également que la scène du "oui" à l'église et du baiser après l'échange des consentements est irrésistible de drôlerie : les hésitations du futur marié entrecoupées de souvenirs et l’impatience de la jeune épousée.

Malgré sa misanthropie, Maarten va devoir habiter avec Tamara qui abandonne sa timidité pour s'imposer dans la maison. Petit à petit, en des pages magnifiques, chacun s'apprivoise, découvre l'autre et se dévoile, pudique ou impudique, met à nu ses peurs, ses faiblesses, ses angoisses, ses forces. Dans un premier temps, c'est Maarten qui se montre, puis il apprend à découvrir Tamara, peut-être pas si faible et victime qu'elle veut bien le montrer. 

Ce qu’il y a de formidable dans ce livre, c’est que Tom Lanoye ne se censure pas, il aborde toutes les questions existentielles : la naissance -la mère de Maarten est morte en couches-, la filiation, l'homosexualité -la vie au quotidien la perception par les hétéros-, l'amour, la mort, très présente par celle de Gaëtan et la maladie de Maarten. Il parle aussi de racisme, d’acceptation d’autrui, du repli sur soi, de la recherche d’identité, de la culture et de sa globalisation, de son étêtement à cause des émissions ou séries télévisées dont on nous abreuve : "Le tissu de saloperies les plus prévisibles sorti des fabriques à fables des faiseurs de fric anglo-saxons, qui exterminent tout talent comme un éleveur de volaille éradique à titre préventif, avec des tonnes d'antibiotiques, la pneumonie aviaire chez son gagne-pain caquetant. Toute vie doit en être éliminée ! Tout ce qui n'est pas naturel, peu agréable, inexorablement tragique, fragmentaire, fantastique, désespérément compliqué ou sortant de l'ordinaire -disons carrément toute authenticité et tout risque- doit être noyé dans le sirupeux et le pleurnichard, en formats fixes rassurants et en schémas sans aucun fond de spiritualité." (p. 226) Un extrait qui me fait penser à certaines tirades de Pierre Desproges, dans le ton et le fond.

Je découvre avec ce roman formidable (écrit en 2006) l’écriture de Tom Lanoye, qui peut être légère, poétique, violente et crue ; il varie les niveaux de langage, alterne de belles phrases travaillées avec des plus courtes, plus punchies, qui peuvent choquer ; certains propos sont bruts, mais toujours magistralement écrits (donc traduits). L’auteur ne fait pas dans le politiquement correct, et ça fait un bien fou, il critique la société belge, puisqu’il est Flamand, mais, en tant que proches voisins, on peut se sentir concernés à raison.  Lire Tom Lanoye n’est pas un acte de tout repos, ça remue et ça interpelle. Ses personnages sont attachants, fort bien décrits, profonds et tourmentés, réalistes ; ils sont de ceux qui restent un peu –ou beaucoup- en nous lecteurs pendant de longs moments après les avoir quittés à regret.

 

 

rentrée 2014

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Grotte

Publié le par Yv

Grotte, Amélie Lucas-Gary, Christophe Lucquin, 2014...,

Le narrateur est le gardien d'une grotte aux peintures préhistoriques précieuses. A tel point que comme elle se dégrade, une première réplique est construite pour les visites, puis une seconde car la colline sur laquelle sont l'original et le premier fac-similé se détériore. Lui, en tant que gardien, a le pouvoir d'ouvrir ou non cette grotte aux visiteurs célèbres ou pas qui viennent en nombre, ce qui donne naissance à de drôles de rencontres. 

Un premier roman décalé, mi-sérieux-mi-ironique. Enfin, plutôt une suite de petits chapitres mettant en scène la grotte et le gardien, comme de petites nouvelles avec unité de lieu et de narrateur. Celui-ci traverse les époques, tel un immortel, abreuvé à une source de jouvence, il accueille donc énormément de gens différents. Amélie Lucas-Gary s'inspire de faits réels, on ne peut évidemment que penser à Lascaux et ses fac-similés, mais pas seulement. Il y a la visite de la Première dame, avec son Président de mari (souvenez-vous de la visite de l'ancien président à Lascaux en 2010), le mouvement des Irrités, Philippe Bouvard, ... Ces faits ou personnages réels sont une base à partir de laquelle l'auteure construit une histoire irréelle parfois saugrenue. Bref, une galerie folle et éclectique. 

Au fur et à mesure que j'avançais dans ma lecture, je me disais que c'était bien sympathique mais finalement assez vain, et puis, petit à petit, le manque de profondeur ressenti (le comble pour une grotte !) s'estompe et laisse place à des réflexions plus intéressantes sur sa place dans la société, la manière de vivre, la liberté. La grotte est omniprésente, tour à tour lieu de vie, de mort, d'éternelle jeunesse et d'amour (qui m'a immédiatement fait penser à Monde profond d'Eric Pessan)

Un roman loufoque, drôle, absurde qui se lit très agréablement servi par une langue travaillée et fluide : "Elle [la maison du gardien] était grosse, bien trop énorme pour une seule personne, elle ressemblait cependant à une cabane, conçue dans l'urgence puis rafistolée, boursouflée comme un blockhaus en doudoune, trop habillé en été. Ni l'harmonie ni l'équilibre n'avaient présidé à sa conception ; c'était sûrement ce qui lui donnait ce cachet exotique. Elle impressionnait comme une excroissance, sans que l'on sût de quel corps elle aurait été la triste protubérance." (p.125/126) Une langue qui fait aisément naître des images, la preuve cette maison, sans description technique, on la visualise assez bien. 

Bref, un bon roman dans la lignée de ce que présente Christophe Lucquin, bien écrit avec un gros zeste de folie douce, la légèreté en plus. Un premier roman à découvrir livré dans sa robe blanche au point bleu, qui ici, vous l'avez sûrement remarqué, se creuse comme une grotte.

 

 

rentrée 2014

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Le complexe d'Eden Bellwether

Publié le par Yv

Le complexe d'Eden Bellwether, Benjamin Wood, Zulma, 2014 (traduit par Renaud Morin).....

Oscar un jeune aide-soignant, entre, à la faveur d'une musique jouée à l'orgue par Eden Bellwether dans une chapelle de Cambridge. Là, il tombe sous le charme d'une jeune femme, Iris, sœur d'Eden. Peu à peu, Oscar entre dans le groupe très fermé de cinq amis : Eden, Yin, Jane, Iris et Marcus, tous étudiants à Oxford, tous de milieux aisés. Eden en est le leader incontesté par sa personnalité, son intelligence, son amour absolu pour la musique baroque et les curieuses théories qu'il développe et entend tester. 

On lit parfois des premiers romans au goût d'inachevé, au talent prometteur mais qui devra encore faire ses preuves, mais là, je viens de finir un premier roman totalement maîtrisé, absolument ébouriffant, qui flirte brillamment avec les théories liées à l'hypnose, le pouvoir guérisseur de la musique et de la transe. Son maître est un compositeur et théoricien allemand, contemporain de Haendel, Johan Mattheson : "Eh bien, Mattheson croyait, et je le crois aussi, que les compositeurs ont le pouvoir d'affecter et de manipuler tes émotions, tes passions, comme disait Descartes. Par leur musique, ils sont tout à fait capables de te faire ressentir tout ce qu'ils veulent que tu ressentes. Un peu comme une expérience chimique : si des éléments sont associés selon une certaine formule tu obtiens une certaine réaction." (p.61)

Eden n'aura de cesse d'expérimenter, de prouver que les théories de Mattheson qu'il a fait siennes peuvent être vérifiées. L'arrivée d'Oscar sonne comme une aubaine pour lui. Le petit aide-soignant pourrait faire un bon cobaye. Eden possède la rhétorique pour le convaincre, les autres du groupe le suivent sans le contredire. 

Tout est finement analysé dans ce roman, les personnalités de chacun, celle d'Eden bien sûr mais aussi celles d'Oscar et d'Iris et dans une moindre mesure celles des trois autres membres du groupe et celles des parents Bellwether et celles des parents d'Oscar. Les différences de niveau social, de niveau d'étude, d'ambition, ... sont très présentes, parfois elles viennent télescoper Oscar dans sa difficulté à changer de statut, à se sentir à l'aise dans un milieu qui n'est pas le sien, parfois, elles sont plus lointaines, et ont tendance à s'estomper au fur et à mesure de l'histoire. Les relations entre les personnages sont décortiquées également, surtout la relation frère/sœur-Eden/Iris et la rivalité Eden/Oscar. Pas d'humour du tout, même si l'on est dans un roman anglais, néanmoins ne croyez pas que ce bouquin soit plombant, non je l'ai lu avec avidité, avec l'envie de tourner les pages rapidement mais point trop pour ne rien rater, car s'il est assez conséquent (498 pages, remerciements compris), aucune page n'est superflue -et c'est un amateur de livres pas trop épais qui vous le dit !

L'écriture est alerte (donc la traduction également), elle fait place à des dialogues qui allègent un peu le livre mais sans altérer la portée des propos. Simple d'accès même lorsqu'elle parle des théories de Mattheson et d'Eden, quelques mots savants peuvent obliger à sortir le dictionnaire mais rien d'insurmontable. Par exemple, je croyais que "péan" était le nom d'un journaliste spécialisé dans les bouquins sur les hommes et scandales politiques, eh bien sachez (si vous ne le sachassiez point encore) que c'est aussi un nom commun : "un chant d'allégresse ou funèbre, chant de combat ou de triomphe, dans la Grèce antique" (merci Larousse).

Bon tout ça pour dire que ce premier roman d'un jeune auteur anglais est absolument formidable et que ce serait dommage de passer à côté, de même que pour l'autre édité chez Zulma pour cette rentrée littéraire, L'île du point Nemo. Un beau doublé !

PS : le 02 septembre dernier, Benjamin Wood à reçu le Prix Fnac 2014 pour ce roman.

 

 

rentrée 2014

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Madame Diogène

Publié le par Yv

Madame Diogène, Aurélien Delsaux, Albin Michel,2014..,

Une vieille femme vit recluse dans son appartement. A l'intérieur, elle s'est construit un abri fait de bric et de broc :  des vieux journaux, des immondices qui traînaient, un vrai terrier. Elle ne sort plus de chez elle, est harcelée par les voisins qui ne supportent plus ni les odeurs absolument nauséabondes qui sortent de l'appartement ni la prolifération des cafards et autres vermines qui pullulent et visitent tous les appartements.  

Petit roman (heureusement !) fort bien écrit, même si quelques phrases m'ont posé question, que je trouve bancales, mal construites ou pour le moins maladroites, comme par exemple : "... elle est montée sur une pile de cageots, sur quoi elle avait jadis posé le yucca. Il est tombé voilà longtemps, le pot se brisa." (p.21) Le reste est franchement travaillé, de longues phrases (ce qui peut sans doute expliquer les maladresses dont je parle, écrire une longue phrase n'est pas toujours aisé), très ponctuées, comme j'aime. 

Mais le propos est sombre, gris comme la poussière et le moisi de l'appartement, rouge comme le sang que la vieille voit s'étaler sur la route suite à un accident et noir. Franchement noir. Pas d'espoir. Madame Diogène sombre dans la folie, la paranoïa la plus totale, pas une once de lumière dans ce récit, parfois, rarement, un simple rai sous la porte. Notons tout de même de belles pages sur la perte de l'écriture, du langage :

"Elle voudrait y dessiner les lettres du tract abandonné, non les mots qu'elle n'a pas lus, mais la forme des caractères, traits croisés, superposés, ronds, lignes courbes, diagonales, droites perpendiculaires ou parallèles, et la verticalité des points d'exclamation, et le soleil noir abandonné à leur base, comme une larme, comme un cratère, comme le trou où tout finit. Elle joint ses doigts, sa main contractée fait une grosse araignée, elle trace des lignes verticales, épaisses et grasses. Ce sont des barreaux, des poteaux électriques, des potences, des chemins qui tombent sans aller vers rien, des troncs nus, sans branche ni racine." (p.87/88)

Même lorsque les phrases sont belles, l'ambiance est délibérément noire, opaque, glauque dirais-je même, si l'on isole les mots ou les expressions de ces deux phrases, on flirte avec le désespoir total, le néant : "soleil noir", "larme", "cratère", "trou où tout finit", "barreaux", "poteaux", "aller vers rien", "des troncs nus". Et ce ne sont que deux phrases, longues certes, mais on est loin de la totalité du livre ! Il faut avoir bon moral pour aller au bout de cette lecture, c'est la raison pour laquelle je disais "heureusement" tout à l'heure pour le petit nombre de pages (138), plus serait un calvaire ! Déjà que j'ai failli abandonner avant la fin, mais je me suis accroché ; ça m'a rappelé une lecture terrible que j'avais faite -pas jusqu'au bout- de Chloé Delaume, Dans ma maison sous terre, un des rares bouquins que je crois même avoir jeté !

Madame Diogène ne met pas à l'aise, ce livre dérange, déstabilise, et je ne le conseille qu'aux gens optimistes de nature, comme moi. Une femme qui me hantera sans doute dans un bouquin qui laisse comme un goût de "je ne sais pas si j'ai aimé" et qui devrait faire sensation dans cette rentrée littéraire. Aurélien Delsaux signe là son premier roman. Et il a une belle plume.

 

 

rentrée 2014

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