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L.A. pour les intimes

Publié le par Yv

L.A. pour les intimes, David Guinard, Librinova, 2015...

2002, David Marquan est un détective privé français, installé à Los Angeles depuis dix ans. Trente cinq ans, beau mec, il fuit un passé douloureux en traquant les couples adultères de la belle société de la ville, entre Santa Monica, Beverly Hills, ... son carnet d'adresses ferait pâlir n'importe quel jet-setteur, mais discrétion oblige, David Marquan sait rester muet. Son affaire du moment est celle d'une femme qui soupçonne son mari de la tromper. L'enquête de David le mène très vite sur les pas de Deborah McClure, la femme du gouverneur pressenti pour une candidature à la Présidence, mais le fait également s'intéresser au soi-disant suicide d'une jeune homme l'année d'avant.

Si David Guinard n'invente rien, ne fait pas dans l'originalité, il se sert des codes des détectives américains et les prend à son compte d'assez belle manière. Son David Marquan est un homme désabusé malgré son jeune âge, qui ne croit plus à l'amour et vit en quasi solitaire sauf son ami Bill, flic à la LAPD. Sensible aux charmes féminins, il préfère les aventures d'un soir à un engagement plus long. Assisté de Kelly, sa secrétaire, un rien bimbo en apparence, il mène ses enquêtes qui lui assurent une vie assez confortable. Et puis, un jour, c'est l'affaire qui va réveiller en lui ses blessures et ses limites.

David Guinard m'a contacté par le blog pour que je lise son livre numérique auto-édité : en général, je ne réponds pas, mais, bien élevé, je vais voir de quoi il retourne. Là, j'ai été intrigué par ce que je lisais sur ce bouquin, et gentiment, David Guinard m'a envoyé un exemplaire papier (avis à tous les solliciteurs, je ne lis pas en numérique !). Ma première surprise fut la grosseur de l'ouvrage : 671 pages ! Après ma lecture, je peux dire que ce polar ne souffre que de quelques longueurs, assez peu finalement compte tenu de son épaisseur, quelques pages sur une filature un peu longue, que l'on peut survoler rapidement. Ma deuxième surprise fut la qualité de l'écriture, assez stylée, pas forcément ce que l'on trouve dans les polars : "Je tentai cependant de refroidir mon empressement, connaissant ma propension à l'affabulation et à la paranoïa ; j'étais capable de m'inventer un univers qui expliquât, dans sa logique propre, les événements dont j'étais le témoin, selon toute évidence, involontaire, voire qui justifiât ma présence dans l'affaire. J'étais incorrigible." (p.113). L'auteur cherche le mot juste, pas forcément le plus courant, mais celui qui sera à la fois le plus adapté et le plus beau. Son récit au passé lui impose aussi pas mal de tournures avec le subjonctif imparfait, qui donne une impression de "littérature", d'efforts pour écrire bien. J'aime bien, ça donne un une belle allure au roman, mais parfois D. Guinard tombe dans l'excès et quelques tournures de verbes, même correctes ne sont pas très belles à lire, voire alourdissent franchement le texte ; il y aurait sûrement des manières de les contourner.

Pas mal de digressions très bien senties également, sur la politique et le cynisme des hommes qui la font, qui préfèrent aller dans le sens de l'opinion pour être élus plutôt que là où les mèneraient leurs convictions, sur la vie aux États-Unis, la société du pays qui n'aime pas que l'on ne soit pas dans la norme, sur le suicide, ... A ce dernier propos, j'aime bien la citation suivante qui parle d'une manière de se supprimer en se jetant d'un haut étage : "Le grand saut était sans doute le plus enivrant, parce qu'il s'accompagnait d'un sentiment d'extase ; avoir l'impression de voler et de goûter à une liberté absolue, qui nous était interdite tant que l'on restait accroché à la vie. Mais j'avais trop peur de me rendre compte, une fois en suspension dans l'air, que j'étais encore capable d'éprouver du bonheur dans ce monde-ci et que c'était peut-être une erreur de le quitter. Je me demandais s'il y avait quoi que ce fût de pire que le remords dans la conscience d'un suicidé." (p. 229)

Pour conclure, ce fut une belle surprise que ce polar étasunien écrit par un jeune Français, qui ne m'a pas laissé en paix jusqu'à son dénouement malgré son épaisseur. Un rien académique sans doute, David Guinard gagnera à prendre plus de libertés avec ses personnages et même avec son écriture, mais en attendant, son roman est plein de promesses. Vous voulez vous faire une idée, allez sur le site Librinova, il est en vente (peu cher) en lecture numérique.

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Apostoloff

Publié le par Yv

Apostoloff, Sibylle Lewitscharoff, Éd. Piranha, 2015 (traduit par François et Régine Mathieu)..,

"Deux sœurs, installées en Allemagne, acceptent l'offre d'un riche membre de leur communauté d'origine : il leur propose une importante somme d'argent pour l'exhumation de leur père qu'elles ont à peine connu car il veut réunir dans un même tombeau les dépouilles de tous ses amis bulgares morts en exil. Après la cryogénisation du corps (une technique russe qui transforme les os... en miettes), un convoi de limousines de luxe traversant l'Europe les conduit à Sofia. Leur chauffeur, Ruben Apostoloff, entreprend de leur faire découvrir les "richesses" du pays : la céramique à décor de paon (à base de bleu de cobalt hautement toxique), le littoral de la mer Noire (totalement défiguré) ou encore l'architecture locale (un des pires crimes du XXe siècle contre l'esthétique)." (éditeur)

Alléché par le dossier de presse d'une part et très satisfait de ma découverte des éditions Piranha avec des titres précédents (Dernier requiem pour les Innocents, Carambole) j'ouvre donc ce roman enthousiaste. Mais pour être franc, je coince dès le début, à cause des nombreuses digressions qui retardent d'autant la mise en place de l'histoire : pourquoi les deux sœurs sont elles en voiture avec Ruben Apostoloff (sauf si l'on a lu le résumé et qu'on l'a retenu) ? Pourquoi leur père s'est-il suicidé ?

A cause aussi du style très personnel qui contourne le sujet, ne l'attaque pas de front et procède par allusions ou images et qui demande pas mal d'attention parce que les phrases sont parfois longues et biscornues ; je salue d'ailleurs ici le travail des traducteurs qui ont dû s'arracher quelques cheveux. Néanmoins, dans ma relative incompréhension, j'ai pu relever quelques réflexions bien menées sur le monde et un humour noir, sarcastique, assez vache, on n'est pas dans la blague à deux balles mais dans une critique sévère par l'humour.

Pour atténuer mon propos, je dois dire que si le style ne me sied point, il plaira à d'autres -c'est vraiment un ressenti très personnel- et que c'est un choix audacieux que de publier un texte qui ne m'a pas semblé très facile. Je salue donc ici les excellentes éditions Piranha qui en plus, une fois qu'on a ôté la sur-couverture ont eu la bonne idée d'une sublime couverture noire avec écriture blanche, comme pour Carambole. Éditer des textes un peu décalés, c'est prendre le risque que ça ne marche pas à tous les coups, mais au moins, on sait qu'en allant chez ces éditeurs on ne lira pas de bluette mièvre ou de littérature passe-partout. Tant pis pour cette fois-ci, je retournerai chez Piranha voir si d'autres ouvrages me correspondent davantage et sûr que j'en trouverai.

Quelques avis sur Babelio.

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Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins

Publié le par Yv

Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins, Jérôme Fansten, Anne Carrière, 2015.....

"Jérôme Fansten" est une entité. Deux frères. Jumeaux. Nés d'un viol et déclarés par leur mère comme un seul enfant. Jérôme Fansten a presque 40 ans, est scénariste et écrivain. Mais aussi dealer de cocaïne dans les milieux hype -on ne dit plus branchés- de la capitale. Jérôme Fansten est également tueur. Il tue les hommes censés être les auteurs du viol de sa mère. Ils sont cinq. Un est déjà mort, le deuxième meurt au début du livre. Mais l'un des Jérôme de l'entité veut cesser toute activité illégale. Il est tombé amoureux de L. Lorsqu'un Jérôme est dehors, l'autre est terré dans la cave. Et ils changent. Un jour sur deux. Personne ne voit le changement. Le Jérôme narrateur est l'amoureux pour qui l'idée de partager L avec son frère est une douleur sans nom. Ce Jérôme à des doutes. Son frère paraît plus détendu, décontracté et souriant. Il n'a aucun scrupule.

Remarque préalable à mon article : Jérôme Fansten est un fou dangereux ! Le vrai Jérôme Fansten, l'écrivain, pas son double -pour le coup le mot est à prendre dans les deux sens puisqu'ils sont deux- de papier. Seconde remarque : les doubles sont barrés eux-aussi. J. Fansten, le vrai, il prend son nom, ses professions, sans doute certains de ses traits de caractère et se met donc en scène dans un rôle d'entité : "Non, je ne suis pas schizo. Nous sommes vraiment deux..." Et puis tant qu'il y est, il ajoute d'autres vraies personnes auxquelles il prête des propos et des actes dont elles sont sans doute incapables sauf dans la fiction. Il insère également dans son bouquin des mails, des conversations sur Internet entre L. et lui, des extraits des notes de l'entité et même une photo. Un bouquin absolument original sur la forme, qui l'est pareillement sur le fond. Ce pourrait être un énième polar sur une vengeance et l'on se trouve dans un roman difficile à classer. Noir, sûr ! Jérôme Fansten joue avec les notions de réalité et de fiction brillamment. Lorsqu'en tant qu'entité, il décide -sur les conseils de son éditeur Stephen Carrière- d'écrire un Manuel de dramaturgie, il prend des notes, fait des recherches, et c'est à la fois ce Manuel, le compte-rendu des assassinats et leur préparation, les relations mère/fils et frère/frère, la naissance et l'évolution de la relation amoureuse avec L, les démêlées avec le grossiste de drogue et les craintes que la police ne les découvre, c'est donc tout cela que l'on découvre dans ce livre. Bien que copieux, il n'est jamais ennuyeux ni confus. Totalement maîtrisé, les révélations ou rebondissements arrivent parfois juste au détour d'une phrase. Des explications comme cette manie de décrire les tenues vestimentaires des invités des sauteries parisiennes que l'entité-dealer fréquente avec les noms des marques -d'aucuns y verront même un agaçant name-dropping qu'ils vénèrent sans doute chez d'autres, comme Brett Easton Ellis- arrivent plus tard. Enfin, bref, je me suis régalé de bout en bout.

C'est un roman noir social, totalement ancré dans l'époque, qui parle du monde du cinéma, de celui de la littérature -sans doute avec outrance ?-, Jérôme Fansten n'est pas avare de petites vacheries -sans citer de noms- sur certains types d'acteurs ou d'écrivains putassiers (mot qui revient plusieurs fois) qui, pour réussir sont prêts à toutes les compromissions même -et surtout ?- lorsqu'elles concernent leur travail. J. Fansten se balade également dans ses ouvrages précédents -qu'il n'est pas obligatoire d'avoir lus, la preuve je n'ai pas lus ceux dont il parle moi-même-, n'hésitant pas à épingler quelques critiques un peu courtes, peu aimables et pas vraiment argumentées.

Je classe sans hésiter Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins dans ma catégorie Coups de cœur, comme je l'avais fait avec l'autre roman de Jérôme Fansten que j'ai lu, L'amour viendra, petite !

Le titre me rappelle un bouquin qui, sur le fond n'a rien à voir, de P. Desproges, Manuel de savoir-vivre à l'usage des rustres et des malpolis ; dans certaines pages du Manuel de J. Fansten, j'ai retrouvé des accents desprogiens : humour vache et noir, un brin désespéré, amour des belles lettres et plaisir de jouer avec les mots et les niveaux de langage. Lorsque je cite Desproges, comme référence, comprenez que pour moi, on est dans le haut du panier...

N'hésitez pas !

Jérôme Fansten a un blog : ici.

Superbe couverture dessine par Winshluss, auteur de BD et cinéaste qui a co-réalisé -avec Marjane Satrapi- Persépolis et Poulet aux prunes (excellents films que je vous recommande)

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De haute lutte

Publié le par Yv

De haute lutte, Ambai, Zulma, 2015 (traduit par Dominique Vitalyos et Krishna Nagarathinam)....

Recueil de quatre longues nouvelles mettant en scène des femmes indiennes. Elles sont mariées dans ce pays dans lequel la condition féminine n'est pas vraiment une priorité nationale. Elles se battent pour être reconnues à l'égale des hommes.

Ambai, de son vrai nom C.S. Lakshmi écrit en tamoul (de la région du Tamil Nadu, au sud de l'Inde). C'est son premier livre traduit en français.

Quatre nouvelles dont trois m'ont beaucoup plu, et une, la dernière, intitulée La forêt, m'a laissé sur le bord par son écriture plus décalée, moins descriptive, plus mystique. Je me concentrerai donc sur les trois premières qui à elle seules valent qu'on découvre cette auteure.

- Le manuscrit : une jeune femme est invitée en tant que descendante d'un poète célèbre à une commémoration. Elle découvre qui était vraiment son père : un homme violent avec sa mère lorsqu'il avait bu, et il buvait beaucoup. Malgré son niveau d'études, ses qualifications, l'épouse battue ne pouvait vivre selon ses désirs, brimée par cet homme qui ne vivait que pour son art.

- Les ailes brisées : Châyâ est une femme mariée qui lorsqu'elle est seule invente des lois qui devraient être votées en Inde, comme par exemple : "Prohiber les grosses bedaines, les poitrines grasses et flasques sur les corps masculin, se dit Châya." (p.51) Et elle sait de quoi elle parle, son mari Bhâskaran, est le type même décrit plus haut. Et pour couronner le tout, il ne lui parle que pour lui faire des reproches : sur la nourriture trop salée, sur ses dépenses inconsidérées alors qu'il gagne sa vie correctement. Car le plus gros problème de Bhâskaran c'est sa pingrerie extrême qui empêche sa femme et son fils de vivre. Châyâ rêve d'indépendance, de vivre seule avec son fils qu'elle élèverait sans avarice. Le jour où sa sœur présente son futur mari à sa famille, elle décide malgré l'avis de Bhâskaran qui refuse de dépenser de l'argent pour le trajet et le cadeau de se rendre chez ses parents.

- De haute lutte : Cempakan est une excellente musicienne formée par un maître dont elle a épousé le fils. Celui-ci, malgré les recommandations de son père refuse que Cempakan continue à chanter en public, craignant sans doute une concurrence à son désavantage, car lui aussi est chanteur. Alors Cempakan, continue dans l'ombre à chanter chez elle et à supporter son mari. Jusqu'au jour où un élève lui demande de lui écrire une chanson (par "chanson", entendez chant traditionnel tamoul).

Belle écriture d'Ambai, à la fois moderne et traditionnelle, se référant beaucoup aux croyances indiennes (ce n'est pas un handicap de lecture, d'abord parce qu'il y a un glossaire et ensuite, parce que même si les noms sont étranges pour nous, ils ne sont pas essentiels aux fils des histoires, ils ajoutent un côté mystique à ces nouvelles), et en même temps très concrète. Elles racontent la difficulté d'être une femme en Inde aujourd'hui et de vouloir travailler, pratiquer son art ou tout simplement vivre libre.

Une très belle découverte que cette auteure inédite en France jusqu'à ce livre et qui devrait continuer à être traduite, du moins je l'espère.

Jostein a aimé

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Harmonicas et chiens fous

Publié le par Yv

Harmonicas et chiens fous, Marc Villard, Éd. Cohen&Cohen, 2015....

"En France et en Belgique, des hommes et des femmes marqués par le rock, survivent, unis par la rébellion. Marc Villard confronte ces ex-fans des sixties à la violence du quotidien dans des nouvelles noires, tendues, percutantes. Ces dix histoires courtes peuvent aussi être considérées comme des singles de deux minutes balancés pas des guitares saturées" (4ème de couverture)

Marc Villard est un orfèvre en matière de nouvelles. Il excelle aussi dans le domaine du roman noir, du polar. Il réunit ses deux dons -et je ne le limite pas seulement à ces deux-là, mais ici, ce sont ceux qui m'intéressent- dans ce recueil de dix histoires. Il met en scène des gens simples, des amateurs de rock, de blues. Il raconte une tranche de leur vie où tout peut arriver, le meilleur comme le pire, un rien peut faire basculer une vie du mauvais côté du fil du rasoir. Certaines histoires sont noires, sans espoir, d'autres en laissent un, même si on sait que les gens dont parle Marc Villard sont en rupture de la société et qu'il leur sera difficile de vivre dans la marge, parce que la société rejette ce qu'elle appelle les marginaux. Ils sont boxeurs, chanteurs, zonards ou en activité professionnelle, dans des soucis familiaux, des peines de cœur, des moments charnières de leur vie où le choix que chacun fait habituellement leur est confisqué pour cause d'événement, d'accident ou d'incident qui décideront pour eux.

Leur vie se confronte parfois en une seule phrase au monde des autres : "Installés à une table du restaurant d'en face, un couple endimanché observe Brigitte se débattre dans l'ambulance et convient, pour finir, qu'ils regarderont en soirée La Ferme Célébrités."(p.53), et là, on s'identifie tout de suite à Brigitte plutôt qu'aux amateurs de débilités télévisuelles. Avec une économie de mots, Marc Villard va à l'essentiel, mais on cerne assez vite ses personnages dans leurs difficultés et leurs complexités. Ils sont amers, blasés, mélancoliques, non dénués d'humour -noir, évidemment- : "Elle sait plein de choses, Brigitte. Par exemple que les hommes quand ils vont mourir ont peur comme des petits enfants, que les psychanalystes se masturbent très rapidement, que la CIA a assassiné Stevie Ray Vaughan et Michael Jackson, qu'il faut toujours dire du mal des Américains, eux ils savent pourquoi." (p.52)

Même si j'ai cité deux passages d'une même nouvelle, je ne peux en départager aucune, elles sont toutes très bien. Parfois dites "à chute", parfois non, elles montrent l'étendue du talent de Marc Villard dans ce domaine. Si vous n'aimez pas les nouvelles mais que vous voulez appréhender le genre avec un écrivain reconnu qui saura vous les faire apprécier, n'hésitez pas.

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Hôtel international

Publié le par Yv

Hôtel international, Rachel Vanier, Intervalles, 2015...

Le père de Madeleine, dépressif depuis de très nombreuses années -il est quasiment né dépressif- se suicide. Totalement désemparée, perdue, la jeune femme quitte Paris, ses amis, sa famille pour Phnom-Penh, la capitale du Cambodge. Là-bas, elle se lie avec des expatriés, des Français, des Allemands. C'est alors le refuge dans les soirées alcoolisées, les rencontres brèves et sans but précis. Madeleine, toujours soutenue par des mails de ses amis restés en France, et par les gens qu'elle rencontre au Cambodge, Arthur en particulier, créateur de mode qui lui propose de travailler pour lui, tente de surmonter la mort de son père.

Il existe sans doute deux lectures de ce roman. D'abord, l'indulgente, celle qui le prend comme une chronique sur la vie des expatriés qui ne se mêlent pas aux autochtones, qui ne vivent qu'au rythme des mojitos ou vodka-pomme qu'ils ingurgitent et qui, finalement, en rentrant dans leurs pays se souviendront des bars, du climat, des touristes qui viennent pour les très jeunes prostituées, mais absolument pas d'avoir rencontré de vrais Cambodgiens. Cet angle de vue permet de se satisfaire d'une légèreté, d'un survol des thèmes abordés. Ensuite, il y a l'autre lecture, celle qui revenait régulièrement hanter mon esprit tout au long de ma lecture, sans doute plus exigeante qui cherche du fond à la fuite de Madeleine : on voit les mêmes personnages évoluer dans un monde qui est le leur, totalement étranger aux gens qui les entourent. Une espèce de jeunesse dorée qui vit bien et n'a absolument rien à faire des gens qui composent ce pays. S'intéresser à leurs conditions de vie, ou les respecter est bien loin de leurs préoccupations, ils ne les voient que comme des chauffeurs de tuk-tuk, des mendiants, des parasites. Pris dans ce sens, c'est un roman très fille-parisienne qui se retrouve dans la jungle, totalement inadaptée, qui ne pense qu'à picoler, baiser -avec des expatriés-, encore picoler et surtout... picoler. Je n'ai rien contre sur le principe, je trouve même qu'une jeune femme qui écrit cela, c'est assez réjouissant, ça change l'angle de vue de ce genre de récits souvent écrits par des mecs. Mais dans le même temps, je me dis, à quoi bon ? Quel est l'intérêt d'aller si loin si ce n'est pour changer de regard, de manière de vivre ? Et puis à quoi aura servi ce voyage puisque quelques mois plus tard, Madeleine sera de nouveau en France, dans le même milieu un rien frivole et en proie aux mêmes questions existentielles sur la manière de s'habiller pour revoir son ex... ?

J'avoue que je suis frustré, Rachel Vanier survole les sujets importants du Cambodge : les effets des la dictature, la pauvreté, la prostitution de mineures, le travail pénible faiblement payé, à peine a-t-on la remarque d'un jeune Cambodgien qui travaille dans une usine textile qui répond à la remarque de Rachel : "Ah, ça doit être dur. (...) Oui, parfois ils me prennent toute mon énergie, mon esprit, mon âme." (p.168). Elle survole même la question de son roman : comment se remettre de la mort d'un proche si tant est que cela soit possible, ou comment vivre sans le disparu ? Ce qui me gêne, c'est que je ne sais pas si j'ai à faire à un roman léger sur la vie difficile d'une jeune femme aisée, écrit par une femme pour les femmes, qui de temps en temps glisserait des phrases sérieuses pour donner du corps au récit ou si je lis un roman plus sérieux qui veut aborder des thèmes forts et importants en y glissant des morceaux de délire alcoolisés et d'humour. Je crains que l'auteure n'ait pas su elle-même se départager ; son livre, hybride, me déçoit pour ces raisons .

Mais, ce qui sauve ce roman et qui fait que je suis allé jusqu'à sa dernière ligne, c'est l'écriture de Rachel Vanier, vive, moderne, précise, minutieuse, franche et directe lorsqu'il le faut, comme lorsqu'elle parle d'un certain cinéma étasunien : "Un mec, un peu nul, met en place des plans machiavéliques pour se vider les couilles, sur les précieux conseils de ses meilleurs amis les gros blaireaux. Il passe par un chemin semé d’embûches -comme éjaculer dans son pantalon, se faire surprendre par les voisins en train de se masturber dans la cuisine, ou avoir une méga-chiasse pendant un rendez-vous galant. Mais à la fin il finit toujours par obtenir ce qu'il veut : baiser la bonnasse avec de gros seins." (p.204) Je vous rassure, il y des pages moins vulgaires -mais je dois reconnaître que je partage l'avis de Madeleine et que traiter un cinéma vulgaire avec des mots vulgaires, ça fait du bien. Lorsque Madeleine parle de la relation avec son père, tout dépressif qu'il soit, cette complicité qu'ils ont, on comprend que le manque sera terrible, un trou qui ne se remplira jamais.

Pour conclure, un ressenti très mitigé pour moi, j'aurais aimé plus de profondeur dans les situations, les personnages, le contexte, plutôt que ce mélange raté de livre profond et de roman très léger, pour ne pas dire inutile. Rachel Vanier montre néanmoins un talent évident pour l'écriture que je retrouverai avec plaisir dans des romans plus construits, plus profonds.

D'autres avis, moins durs chez Fattorius, et sur Babelio.

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Les temps sauvages

Publié le par Yv

Les temps sauvages, Ian Manook, Albin Michel, 2015.....

Lorsque le corps d'un cavalier sur son cheval est retrouvé en pleine steppe mongole recouvert d'un femelle yack éventrée, le tout complètement gelé par les températures particulièrement glaciales de l'hiver, c'est Oyun, la policière coéquipière de Yeruldelgger qui se charge de faire les constatations. Lui est appelé à un autre endroit tout aussi froid parce que le corps d'un homme a été vu coincé dans la montagne. Yeruldelgger s'apprête à organiser l'équipe qui viendra chercher le corps, lorsqu'il est interpellé par la police des polices. On le soupçonne du meurtre de Colette, une prostituée qu'il connaît. Ramené sans ménagement à Oulan Bator, il décide d'enquêter sur ce meurtre, laissant son équipe se débrouiller des corps retrouvés gelés dans la steppe. Il ne sait pas encore que cette histoire le mènera loin, très loin et qu'il devra faire appel à ses instincts les plus bas pour tenter de la résoudre.

Pour le premier tome, sobrement intitulé Yeruldelgger, j'avais écrit en gros caractères un message du genre : "Lâchez vos livres et prenez immédiatement la direction de la Mongolie !" Pour le second tome, je vais tenter plus original : "Lâchez vos livres et prenez immédiatement la direction de la Mongolie !". Deuxième tome tout aussi bon que le premier, très différent et finalement assez ressemblant. Je m'explique. Ressemblant, parce qu'on est dans les mêmes lieux : Oulan Bator la Mongolie moderne, terriblement polluée, ville dans laquelle respirer est synonyme de s'empoisonner et les grands espaces blancs pour cause d'hiver dans lesquels vivent les nomades selon les rites des anciens mais avec des moyens modernes (portables, téléviseurs, Internet, ...). Ressemblant également parce que les personnages reviennent : Yeruldelgger bien sûr avec son sale caractère, son côté blasé, désespéré ; Solongo la médecin légiste, sa compagne : Oyun sa coéquipière qui se remet doucement de la violente agression du tome précédent (un an auparavant) ; Batulga le jeune garçon des rues ; Saraa la fille de Yeruldelgger.

Différent parce que pendant une très longue parenthèse, Yeruldelgger laisse la place d'abord à Oyun, puis à Zarzavadjian, un flic français qui enquête du côté du Havre sur des trafics divers et se retrouve mêlé à l'intrigue mongole. Zarza, c'est un peu le Yeruldelgger français, il ne s'embarrasse pas trop des procédures, se joue des autres flics et suit son intuition. Pendant ce long moment, les paysages changent et les coutumes itou. Lorsque Ian Manook fait évoluer les flics mongols, il décrit leurs lieux de vie, les paysages, les us, les spécialités culinaires très différentes des nôtres (mouton, thé salé, mouton, thé au beurre rance, lait de dzum -femelle yack-, lait de jument). La Mongolie est un pays qui m'attire... sauf pour sa cuisine qui m'effraie un peu. Lorsqu'il fait bouger Zarza avec un journaliste normand, on a le droit aux spécialités du coin avec beaucoup de crème, de beurre, de pommes, enfin que des bonnes choses... je me dis que je devrais visiter la Mongolie avec des spécialités normandes...

Très bien vues ces plongées "totales" dans les pays que Ian Manook nous fait visiter. On peut aussi rajouter le contexte géo-politique, historique qui donne du corps à un roman noir déjà bien charpenté. Fort bien documenté et maîtrisé ce livre est instructif et divertissant.

Ce que j'aime aussi, ce sont ses personnages, bien décrits, forts et faibles, humains quoi. Ils font des bêtises qu'ils paient comptant en général, se mettent dans des situations périlleuses desquelles il se sortent péniblement, souvent aidés par des collègues, des hasards ou des loups (très belles pages sur ces animaux, un côté chamane, un peu irrationnel, qui m'a bluffé et emballé). Et puis cette violence omniprésente, c'est un vrai coup dans la figure. Le premier tome l'était déjà, celui-ci encore plus il me semble. Yeruldelgger est colère. Un polar qui déménage, qui semble partir un peu dans tous les sens et qui revient toujours à l'intrigue principale et à ses personnages. Pour contrer cette violence, quelques passages drôles, comme cette parodie mongole des Tontons flingueurs dont je vous livre un très court extrait : "Je vais te montrer qui c'est, Rebroff ! Aux quatre coins de la toundra qu'on va te retrouver, congelé par petits bouts, façon glace pilée. Moi quand on cherche le brassage, je cogne plus : je slap shot, je drop le puck, je pète la rondelle !" (p.294) Bien d'autres passages sont écrits plus légèrement mettant en scène par exemple un gangster intellectuellement limité qui veut faire de la psychologie, on en oublie presque qu'il est en train de tuer un homme.

Je ne sais pas si Yeruldelgger reviendra pour une troisième aventure ou s'il s'arrêtera sur cette seconde épopée. S'il ne tenait qu'à mon désir de lecteur, il reviendrait bien sûr avec une enÔrme envie et un plaisir tout aussi gros. S'il raccrochait là, je serais déçu. Franchement. Avec tous mes compliments, s'il ne revient pas...

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Les nymphes sourient aussi parfois

Publié le par Yv

Les nymphes sourient aussi parfois, Ana Clavel, Christophe Lucquin, 2015 (traduit par Lydia Amokrane)...,

Ada est l'héroïne de ce conte ou de cette fable. Une nymphe qui vit dans un monde mythologique, entourée de faunes, d'archanges, de déesses. Ada s'éveille à la sensualité, à la découverte de son corps et du plaisir qu'elle peut en tirer seule ou avec un partenaire. Chaque expérience la révèle à elle-même et la fait progresser sur la connaissance d'elle-même et des autres.

Roman très perturbant. Non pas que je sois prude et que l'évocation du sexe m'effarouche ou que je souffre d'éreutophobie à la moindre phrase parlant d'onanisme ou de pratiques sexuelles diverses. Non, ce qui est dérangeant, c'est qu'Ada est, au début du roman, une très jeune fille, et qu'elle parle très directement de son rapport de séduction aux hommes. Ça peut mettre mal à l'aise. Bien sûr les enfants ont une sexualité, mais je ne me suis pas senti très bien au début du livre. Un vieux reste sans doute de mon éducation chrétienne dont je ne me suis pas totalement débarrassé. Les thèmes de prédilection d'Ana Clavel sont le corps et le désir, comme j'avais pu le constater avec un roman précédent : Les violettes sont les fleurs du désir. Elle reste donc en plein cœur de ses préoccupations.

Mêmes thèmes, même auteure et même constat pour moi. J'avoue être passé sans doute à côté d'une partie du texte. C'est très beau, on lit de belles pages, les fleurs sont très présentes : les violettes, les orchidées et bien d'autres, le sexe itou. Les odeurs des unes et de l'autre sont également décrites, elles peuvent se rapprocher. Je me suis demandé si j'étais dans un roman ou dans un long poème. Une sorte de fable poétique et érotique. L'écriture est belle, sensuelle, féminine, qui s'attarde sur les sensations d'Ada, ses sentiments, son désir, son souhait de vivre des expériences pour enrichir son corps et son esprit.

Le langage est direct et en même temps très imagé, érotique et pas du tout porno ; Ana Clavel use de mots francs mais les nimbe d'une légère brume pour les rendre plus désirables. J'écrivais un peu plus haut que j'étais sans doute passé à côté de ce conte, mais je dois reconnaître que c'est un texte captivant, envoûtant qui ne m'a pas laissé indifférent -ce qui est une excellente chose quand on parle littérature- et que je n'ai pas pu abandonner avant la fin -ce qui est un bon signe, parce que si le texte ne me plaît pas, je ne me force pas.

A découvrir, ce roman dans sa belle livrée blanche et bleue

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Un homme de peu

Publié le par Yv

Un homme de peu, Elisabeth Alexandrova-Zorina, Éd. L'aube, 2015 (traduit par Christine Mestre)....

Savel Férosse, le bien mal-nommé, habite avec femme et fille dans une petite ville du grand nord russe, proche de la Finlande. Cette ville qui vit grâce à une usine, est gouvernée par un maire, un député et un chef de la police véreux, aux ordres du truand local surnommé La Tombe. Ce La Tombe vit de la prostitution, de la drogue et du racket. Lorsqu'un jour, Savel Férosse voit sa fille aux mains des voyous, prête à monter dans la voiture du député amateur de jeunes femmes, il s'interpose. La Tombe, surpris et railleur le défie en lui mettant une arme en main. Savel le tue. Dès lors, il doit s'enfuir. Sa cavale le mènera dans la décharge, dans la forêt avec les Samis. Un véritable périple pour cet homme de peu.

Une très belle surprise que ce roman russe, écrit par une jeune femme (née en 1984) qui connaît bien la région qu'elle décrit puisqu'elle y a grandi. La péninsule de Kola, au-delà du cercle polaire a été abandonnée après la chute du mur, elle est désormais une région polluée par l'enfouissement de déchets radioactifs.

Qui aime les romans d'aventures avec des personnages fous, décalés, des rebondissements, sans oublier une vision de la Russie actuelle sera ravi. Même si parfois quelques longueurs ou quelques répétitions de figure de style envahissent le texte, l'ensemble se lit avec plaisir et gourmandise.

La critique de la Russie actuelle est inscrite dans ce roman, tant dans la pauvreté voire le dénuement de certains, la difficulté à vivre dans un pays corrompu dans lequel l'argent que détiennent seulement quelques uns fait loi que dans la corruption, la concussion. La peur règne, entretenue par les mafieux, les truands : "On voyait tant de choses chaque jour au poste de police qu'on pouvait en perdre la vue mais seuls les murs avaient des oreilles ; les conversations sur la pègre se tenaient dans des bureaux sales et enfumés et le soir, quand le poste se vidait, la vieille femme de ménage les balayait avec la poussière si bien qu'elle savait tout ce qui se tramait dans la ville. Quant aux policiers, ils oubliaient ce qu'ils entendaient en moins de temps qu'il ne leur fallait pour remplir les procès-verbaux." (p.108)

"Tout est pourri au royaume de Poutine" pourrait-on paraphraser. C'est un peu vrai si on lit ce roman, mais pas tout à fait, car Elisabeth Alexandra-Zorina trouve les mots pour parler de la forêt, des Samis qui y vivent, de la nature, de Férosse qui est un homme simple et bon, naïf et foncièrement honnête. Elle oppose ces deux mondes, celui de la Russie traditionnelle, celle qui fait perdurer l'âme russe et celle qui s'est occidentalisée, qui a laissé le meilleur du progrès aux mains de quelques uns qui en abusent sans partager et qui manipulent les plus petits : "Il disait que les gens croyaient plus à la télé qu'à leurs propres yeux ; le voilà, qu'il disait, le miracle de la technique !" (p.193)

Un roman salué en quatrième de couverture par Bernard Werber "avec un univers d'une originalité typiquement russe." et par Zakhar Prilepine, agitateur politique notoire en Russie et écrivain : "Voici un roman social original et brillant sur la Russie actuelle, écrit dans une prose puissante par une jeune femme pleine de talent."

Avis partagé à 100%, j'ai juste un peu développé pour remplir les lignes du blog. Je le redis en conclusion : très belle surprise que cet excellent roman entre roman social, roman noir et roman d'aventures.

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