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Qui a tué l'homme-homard ?

Publié le par Yv

Qui a tué l'homme-homard ?, J.M. Erre, Buchet-Chastel, 2019

Margoujols, Lozère, le village le plus reculé de France. Quatre-cent-trente-deux habitants dont des rescapés d'un cirque ambulant échoué là en 1945. Un cirque pas comme les autres, l'un de ceux qui présentaient des monstres de foire : homme-homard, homme-éléphant, femme à barbe... Soixante-dix ans plus tard, ils ont des descendants et un descendu puisque Joseph, l'homme-homard détesté de tous est retrouvé mort et démembré.

L'adjudant Pascalini aidé du stagiaire Babiloune a du mal à se faire prendre au sérieux par les habitants. Il est secondé par Julie, la fille du maire, tétraplégique à l'humour corrosif.

Pastiche de romans policiers, très drôle, d'un humour féroce et noir. J.M. Erre part du principe que sa narratrice handicapée est comme n'importe quel autre personnage de son roman peuplé de différences et de particularités et qu'à ce titre, elle est à la fois la source de blagues trash mais aussi la cible, ce qu'elle aime par-dessus tout. C'est donc elle qui raconte son enquête et celle des gendarmes et entre deux recherches, elle s'immisce dans son récit pour donner son avis sur le roman policier en général, sur les critiques en général -itou- mais aussi celles qui cibleront son roman. Ce qui fait que quasiment tout ce qu'on peut critiquer, en bien ou en mal, de ce livre y est inclus.

C'est franchement drôle et c'est ce côté qui retient, davantage que la résolution des meurtres. Les personnages de J.M. Erre sont très décalés, hors normes et les situations qu'ils vivent sont du même acabit. Néanmoins, je ne cache pas que les 350 pages sont un peu longues et que je m'y suis un peu ennuyé sur la fin, l'intrigue ne suffisant pas à retenir mon attention et l'humour un peu dilué dans ce trop grand nombre de signes et un peu répétitif -j'aime l'humour de répétition pourtant- me semblant moins acéré et affuté.

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Le guerrier solitaire

Publié le par Yv

Le guerrier solitaire, Henning Mankell, Seuil, 1999 (traduit par Christofer Bjurström)

En plein été caniculaire de 1994, alors que Kurt Wallander espère profiter de se dernière semaine de travail avant ses vacances pour expédier les affaires courantes, il est appelé parce qu'une jeune fille erre dans un champ de colza depuis plusieurs heures. Alors qu'il tente de s'approcher d'elle, elle s'immole par le feu.

Le lendemain, c'est un ancien ministre de la justice qui est retrouvé assassiné et scalpé, un homme retiré de la vie publique depuis deux décennies. Kurt Wallander sent que c'est un meurtre qui en appelle d'autres. Une course contre la montre macabre démarre dans la ville d'Ystad.

Cinquième tome des enquêtes de Kurt Wallander et, étrangement, deuxième titre traduit et paru en français. Passionnant et haletant, on comprend  encore mieux le fonctionnement du flic, ses questionnements incessants :"Chaque pas impliquait un risque, une nouvelle position, une discussion avec lui-même sur une idée qu'il venait d'avoir. Il se déplaçait autant dans sa tête que sur le lieu du crime." (p.399) Il fonce sur une piste, et dirige ses collègues sur d'autres, n'en négligeant aucune, chaque détail compte et comptera au final : "En fin de compte, se dit-il, le travail de policier consiste à ne jamais abandonner avant qu'un détail important ne se trouve confirmé sur un morceau de papier." (p.448). 550 pages de tâtonnements, de recherches laborieuses et minutieuses, de réflexions, d'hypothèses et finalement une évidence qui survient après que tout le reste a été écarté. 550 pages de travail acharné, car lorsqu'il est dans ce genre d'enquêtes Kurt ne dort qu'à peine, mange à la va-vite et ne sait rien faire d'autre que de travailler. L'enquête et ses intervenants sont à l'intérieur de lui.

Et dans ces pages, Henning Mankell n'oublie jamais de raconter l'homme Kurt, celui qui tente de préserver sa relation avec Baiba même si leurs vacances ensemble semblent compromises ; celui qui voit son père vieillir et avec lequel les relations restent difficiles et celui qui apprécie retrouver une certaine complicité avec sa fille Linda.

De même, Henning Mankell parle de la société suédoise qui change, de la violence qui augmente ou qui s'intensifie et de ce pays longtemps considéré comme un modèle qui n'en a plus la stature. Le monde change, la Suède aussi.

La force des romans policiers de Mankell tient à ce mélange : un constat sociétal et social, des meurtres et des situations violents, des intrigues ficelées et déficelées magistralement et des flics réalistes avec Kurt en tête qui font ce qu'ils peuvent pour endiguer la violence.

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Le bruit du rêve contre la vitre

Publié le par Yv

Le bruit du rêve contre la vitre, Axel Sénéquier, Quadrature, 2021

Recueil de nouvelles qui ont en commun de se dérouler pendant le confinement de 2020 et d'avoir été écrites à la même période.

-Les murs porteurs : Thibaut est un poète incompris, mais aussi le compagnon violent de Pélagie. La période de confinement fut malheureusement propice à l'augmentation des violences faites aux femmes.

- Les somnambules : Mathieu, musicien de fait libre de tout engagement décide de se rapprocher d'une association pour offrir son aide

- Les chemins de l'école : Victor pensait qu'au vu de son niveau d'étude, il pourrait aisément faire l'école à ses trois enfants pendant le confinement.

- Intégration : Sigrid et Alex, parisiens, décident de prendre la route vers leur résidence secondaire. Sera-ce pour une longue période ? Seront-ils bien accueillis ?

- Fashion faux pas : lorsqu'Albertine doit accueillir une youtubeuse très influente dans son journal, elle le fait sous la contrainte, sachant très bien que la prochaine étape c'est son remplacement à elle par l'influenceuse.

- La crise de la quarantaine : Titouan, risk manager chez Total, la quarantaine, profite du confinement pour faire du rangement te redécouvre l'histoire de ses père et grand-père

- Le bruit du rêve contre la vitre : l'homme qui témoigne est entre la vie et la mort, détresse respiratoire, il revoit sa vie et se sait en de bonnes mains, celles de soignants de l'hôpital.

- Sauvage : Milou, jeune femme SDF se fait virer de son squat, elle trouve refuge au jardin des plantes fermé pendant le confinement. La nature elle, n'est pas confinée, c'est même tout le contraire.

- Balcons fleuris : Pierre s'ennuie dans son appartement, aussi profite-t-il de ses journées pour fabriquer des guirlandes de mots et de ses nuits pour les distribuer incognito à ses voisins.

- Marée noire : Catherine se réveille ne pleine nuit, son conjoint, insomniaque regarde la télévisions, son fils récemment victime d'un accident ne dort pas lui non plus.

- Fermentation lente : Valentin, cavalièrement largué par son compagnon en tout début de confinement se prend de passion pour le pétrissage de la pâte à pain et la cuisson d'icelle.

- Verre solitaire : lorsque l'apéro Zoom entre amis fait naître tensions et frustrations.

Douze nouvelles tragi-comiques pour reprendre un mot souvent utilisé mais qui, ici, est à lire dans son sens littéral : de la tragédie naissent des situations comiques et vice-versa. Axel Sénéquier parvient en quelques phrases à décrire des scènes réalistes qui puisent dans le meilleur et le pire de ce que l'on a tous vécu ou entendu pendant ces mois de confinement. Sans en faire des tonnes, il va au cœur des personnages qu'il invente qui, se retrouvant face à eux-mêmes doivent où se questionner ou s'abrutir de télé ou vidéos. C'est forcément une période propice et favorable à la création littéraire ou autre, et sans doute pas mal de livres en parleront. J'en entends déjà venir avec leurs gros sabots de la rentrée de septembre. Axel Sénéquier évite les poncifs et préfère se décaler avec des personnages attachants, perdus, qui perdent pied et qui ne peuvent se rattraper à rien tant notre époque et nos sociétés trop sûres d'elles n'ont rien anticipé.

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Les grandes blondes

Publié le par Yv

Les grandes blondes, Jean Echenoz, Minuit, 1995 (Minuit double, 2006)

"Vous travaillez pour la télévision. Comme vous souhaitez produire une série sur les grandes filles blondes au cinéma, mais aussi dans la vie, vous pensez faire appel à Gloire Abgrall qui est un cas particulier de grande blonde. On l'a vue traverser, dans les journaux, les pages Arts et spectacles puis les pages Faits divers du côté des colonnes Justice, il y a quelques années. Ce serait bien, pensez-vous, de lui consacrer une émission. Certes. Malheureusement, Gloire est un peu difficile à joindre." (4ème de couverture)

Dire que j'aime les livres de Jean Echenoz est un euphémisme. Dire que celui-ci fait partie des bons -certes, comme tous les autres- l'est aussi. Le talent de l'auteur est de raconter des histoires et des personnages décalés, souvent de pas grand chose, juste un pas de côté, de nous faire rire et sourire et de faire tout cela avec une classe incroyable et un style littéraire qui me ravit. "Grand individu maigre autour de quarante ans, Salvador n'avait pas d'épouse. Ses longs doigts pâles jouaient en toute circonstance entre eux cependant que, plus charpentières que charcutières, les mains de Jouve s'ignoraient au contraire, s'évitaient avec soin, chacune enfermée dans sa poche la plupart du temps." (p.8)

Dans cette histoire de grandes blondes, Gloire fuit toute tentative d'approche de Jouve et Salvador et de leur détective Personnettaz et vivra moult aventures dans divers lieux tentant à chaque fois de se faire oublier. Ils pourront se croiser et là encore, ce passage est divinement narré : "Comme il atteignait le milieu du pont, parut le petit convoi de quatre wagons argentés qui assurent la liaison de Rouen à Paris : semblant façonnés en fer blanc, ils filaient sur leurs rails selon un axe nord-ouest-sud-est. Personnettaz empruntant pour sa part le pont dans l'axe sud-ouest-nord-est, les parcours de l'homme et du train se croisèrent à angle droit et, l'espace d'un centième de seconde, le corps de l'homme se trouva superposé à celui de la femme, à l'intérieur du train, qu'il venait de s'engager à chercher." (p. 84/85)

Je pourrais citer beaucoup d'autres extraits, certains flirtant avec l'écriture de Raymond Quenenau, du comique de répétition, du apparemment léger. J'aime les phrases et les mots de Jean Echenoz, j'y trouve un vrai plaisir de lecture comme rarement ailleurs. Les grandes blondes est à ce titre une grande réussite, plus une histoire en léger décalage. Excellent !

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La geste permanente de Gentil-Cœur

Publié le par Yv

La geste permanente de Gentil-Cœur, Fanny Chiarello, Ed. de l'Attente, 2021

"Une jeune joggeuse croisée dans le bassin minier du Pas-de-Calais a inspiré un roman et cette chanson de geste. Images, vers de 11 pieds, assonances et allitérations, mais rien d'épique dans le propos puisqu'on y découvre comment, pendant un mois, tous les jours nombres premiers, la narratrice est allée jusqu'au parc de la jeune athlète sur un vélo en fin de carrière, observant la vie des oiseaux d'eau, subissant la météo, variant ses pique-niques, se trouvant de nouveaux spots de pipi nature et chantant cajun. Ce road-trip entraînant s'amuse à faire un parallèle entre le nord de la France et le sud des États-Unis. La rencontre se produira-t-elle ?" (1ère de couverture)

Quasiment tout du long accompagné de Iko Iko ("jock-a-mo fee-no ai na-né/jock-a-mo fee na-né"), chanson qui reste bien en tête, longtemps, j'ai parcouru les allées du parc Jean-Guimier de Sallaumines au rythme de Fanny Chiarello. Vers de 11 pieds, hendécasyllabe me suis-je laissé susurrer à l'oreille, donc des phrases qui, possiblement, ne se terminent pas à la fin de la ligne mais à la suivante. Mais quelles phrases puisqu'aucune ponctuation, aucune majuscule sauf aux noms propres. Jeux de sons, jeux de mots, Fanny Chiarello fait dans le plus prosaïque mais aussi dans la contemplation.

Long poème en prose, longues chevauchées sur un vieux vélo, à la recherche ou l'attente d'une jeune joggeuse croisée à deux reprises. C'est surprenant, parfois déroutant et franchement j'adore ça. Combien de livres ouvre-t-on et lit-on sans ce petit truc en plus qui surprend, qui titille, qui lutine la zone de confort sise dans le cerveau en lui disant qu'il faut se bouger un peu ? Même si je tente de lire régulièrement ce genre d'ouvrages, parfois ça marche, parfois ça marche pas. Là, ça marche formidablement.

J'ai parfois pensé à Tentative d'épuisement d'un lieu parisien de Perec, Paris en moins, parc en sus, dans la description du rien, toute comparaison gardée, mais plaisir de lecture comparable :

"un homme passe avec des chiens puis un chien

avec un homme puis un mec avec un

sac plastique puis un type qui court bras

et buste tendus vers le sol comme s'il

allait faire une roulade avant mais non

et d'un esprit plus aventureux que les

quatre femmes évoquées hier quoique

guère plus rapide il quitte le parc pour

le vaste monde et après lui c'est tout pour

l'activité si nous faisons fi des pies" (p.72)

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Un polar mineur

Publié le par Yv

Un polar mineur, Sven Andersen, Bord du Lot, 2021

Bruxelles, 1986, Hans Nollomont, la quarantaine est détective privé, anar qui assume ses contradictions puisqu'il aime les belles voitures -il roule en BMW série 5- et vit dans un quartier chic de la ville. Deux ans auparavant, Carole, fille de bonne famille est retrouvée morte dans un entrepôt et depuis, l'enquête est au point mort, les flics ne s'y intéressent plus. Alexandra, la sœur de Carole, fait appel à Hans.

Premier polar pour Sven Andersen qui a déjà sévi dans Anarphorismes et Manifeste schizo-réaliste, deux livres de chroniques qui fourmillent de bons mots, de bonnes idées marquées d'anarchisme, de liberté, d'athéisme...

Le détective de Sven Andersen, Hans Nollomont, sur ses vieux jours, lira sûrement ces deux livres tant ils résument bien ses idées. Anarcho-communiste ou l'inverse, anarcommuniste en quelque sorte, il distille ses réflexions, ses remarques, ses pensées et opinions tout au long du livre. C'est assez savoureux lorsqu'il croise, à plusieurs reprises, des militants d'extrême-droite dont l'un a des capacités de réflexion et de la culture, comme quoi, tout peut arriver. Ces apartés, nombreux et denses sont parfois répétitifs et un peu longuets, comme les considérations automobilistiques et la supériorité de la BMW sur Mercedes ou autre, mais aussi les conditions d'entrée dans les boîtes de Bruxelles (interdites aux porteurs de basket et aux personnes qui ont la chance d'être davantage brun de peau qu'un Bruxellois lambda, si en plus ils portent des baskets...). Malgré mes bémols, ce polar est intéressant, une plongée dans le Bruxelles des années 1980, dans les quartiers chauds, plutôt la nuit, peuplés de gens qu'on ne voit pas la journée. Et puis, il est bien sympathique ce Nollomont, j'aime l'entendre évoquer ces thèmes favoris. Anar, bouffeur de curé, un peu alcoolo, fidèle en amitié, persévérant, cynique, ironique, se faisant peu d'illusion sur la capacité des hommes à résister à la société de consommation mais énonçant tout de même ses doutes et ses craintes. Un détective atypique, un polar atypique qui ravira davantage ceux qui aiment découvrir un univers, des personnages bien décrits qu'ils soient les "gentils" ou les "méchants", même si, évidemment, Sven Andersen est moins manichéen que cela, qui se posent des questions, se remettent en cause et tentent d'avancer avec ce qu'ils sont et ce à quoi ils croient, que les amateurs d'une énigme tortueuse qui leur fera chauffer les méninges.

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La diablesse dans son miroir

Publié le par Yv

La diablesse dans son miroir, Horacio Castellanos Moya, Métailié, 2021 (traduit par André Gabastou)

Laura, la meilleure amie d'Olga Maria Trabanino ne se remet pas de l'assassinat d'icelle d'une balle dans la tête. Elle raconte, dans un très long monologue tout ce qu'elles ont vécu ensemble et découvre que son amie avait un jardin secret assez dense. Laura, incrédule, apprend qu'Olga Maria lui avait caché beaucoup de choses : son passé, ses turpitudes, ses vices...

Laura qui tient à ce que l'on ne ternisse point l'image de son amie refuse de parler aux policiers et se sent bientôt harcelée.

Dire que lorsqu'on ouvre un roman d'Horacio Castellanos Moya, on entre dans un livre plein de surprises est un euphémisme. De Le bal des vipères à La servante et le catcheur, en passant par Effondrement, pour les trois que j'ai lus, à chaque fois, je suis conquis. Cette fois-ci, après l'assassinat, c'est Laura, décrite fort justement en quatrième de couverture comme "cancanière, hystérique et jalouse" qui tient toutes les promesses de passer un excellent moment. Le livre est court (150 pages en version poche) et heureusement, car il est dense. C'est le discours d'une femme blessée qui au petit à petit va apprendre que son amie n'était peut-être pas la bonne épouse et commerçante qu'elle voyait tous les jours. Elle est inarrêtable, son flot est rapide, quasiment sans pause, elle passe du coq à l'âne comme on peut le faire dans une conversation, mais elle en artiste de haut vol. Heureusement, on peut faire des pauses pour ne pas se noyer, mais pour reprendre vite là où elle s'est arrêtée -si tant est que Laura s'arrête de parler lorsqu'on pose le livre, je la soupçonne de continuer.

C'est méchant, drôle, ironique, acide, d'une justesse incroyable : on se voit en face de Laura à l'écouter, enfin, à l'entendre serait plus précis. Horacio Castellanos Moya égratigne la classe politique sud-américaine des années 90 pourrie de l'intérieur tant par les luttes pour le pouvoir que par ses rapports avec les trafiquants de drogue et la bonne société salvadorienne des mêmes années qui ne pense qu'à consommer, à profiter de ses richesses sans voir la pauvreté qui l'entoure.

"Dieu du ciel, regarde les tronches de ces types. Et cet épouvantail, d'où sort-il ? regarde celle-là en minijupe, on dirait qu'elle vend de la cellulite. Les gens n'ont plus aucun sens du ridicule, ma belle ; la règle, c'est le laisser-aller. La plage était très belle : déserte, à marée basse. Ce qu'il y a de bien en semaine, c'est qu'il n'y a pas la populace. Le week-end, c'est insupportable : toute la racaille d'El Majahual envahit San Blas. Que des voleurs et des putains ! Je ne comprends pas pourquoi on ne peut pas clôturer la plage ; c'est ce que dit mon père. Quand on a sa maison en face de la mer, on doit supporter tous ces voyous qui passent leur temps à chercher quoi voler, qui attaquer." (p.83/84)

C'est tout du long comme cela : prévoir une grande inspiration avant d'entamer le livre, un peu comme lorsqu'on plonge dans l'eau -enfin, j'imagine, je ne plonge jamais, je ne sais pas nager-, et n'oubliez pas de remonter de temps en temps reprendre de l'air ; attention à l'ivresse des profondeurs.

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Le rouge et le brun

Publié le par Yv

Le rouge et le brun, Maurice Attia, Jigal polar, 2021

1978, Paco Martinez, ex-flic devenu chroniqueur judiciaire et critique de cinéma part en Italie où Aldo Moro vient de se faire enlever par les Brigades Rouges. Il va essayer de faire des articles sur l'événement, mais il en profite surtout pour échapper à la routine et au manque de son boulot de flic.

Simultanément, Irène, sa femme, découvre dans le grenier de sa mère un écrit de son père relatant un épisode de 1899 : des militants d'extrême droite dont le patron du journal L'Antijuif, se retranchent dans une maison rue Chabrol pour tenter d'échapper aux poursuites à leur encontre.

Plus un troisième fait : un cadavre dans une fontaine à Lauris, Vaucluse.

Retour de Paco Martinez après La blanche Caraïbe, deux ans plus tard. Le lien entre ces histoires est l'extrême qu'elle soit de droite ou de gauche, qui prône la violence et qui ne recule pas devant la mort d'opposants ou supposés opposants. Ces extrêmes qui sont parfois enfouies et resurgissent dans les moments difficiles, parce qu'il est plus facile de trouver un coupable à tout ce qui va mal.

Ce roman est un peu déroutant car on a davantage l'impression de trois nouvelles qui se suivent et peuvent se croiser à certains moments, mais somme toute c'est une bonne idée de l'avoir bâti ainsi, car l'autre construction aurait pu être une alternance des histoires dans des chapitres qui m'aurait sans doute perdu. Si je me souvenais un peu de l'enlèvement d'Aldo Moro -j'étais jeune mais c'était un événement important-, je ne connaissais rien du retranchement des Liguistes antisémites en 1899. Retranchement qui générera l'expression "un fort chabrol". On est en pleine affaire Dreyfus, la révision de son procès à Rennes, qui divise les Français.

Maurice Attia est fort bien documenté et rend les événements dont il parle très vivants par l'intermédiaire de ses deux personnages principaux, Paco et Irène, chacun travaillant séparément. Une fois encore la fiction permet de parler de la réalité et pas forcément la plus glorieuse, d'instruire les lecteurs, de leur rappeler que le pire n'est jamais loin et que même en se dédiabolisant -quel vilain terme-, en usant de techniques de communication éprouvées, les extrêmes restent les extrêmes qui prônent la haine, le repli sur soi, la peur d'autrui surtout s'il n'a pas la même culture ou la même couleur de peau. Mais tout cela est plus finement et plus joliment dit par Maurice Attia.

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La fragilité des funambules

Publié le par Yv

La fragilité des funambules, Verena Hanf, F. Deville, 2021

Adriana, roumaine vit à Bruxelles. Elle a quitté son pays suite à un viol collectif. Elle travaille pour un couple aisé Stefan et Nina qui traverse une période compliquée. Elle s'occupe de leur petite fille Mathilde, très remuante. Adriana a laissé en Roumanie, son fils Cosmin, 11 ans, à la garde de ses parents Dorina et Mihai. Elle fréquente Gaston ; ils se voient les week-ends et les mercredis. Doriana se blesse, Adriana va devoir loger et s'occuper de son fils pendant quelques semaines, et rien ne se passera comme espéré.

Roman choral dans lequel toute l'histoire se dévoile petit à petit et à travers tous ses personnages. Adriana, emplie d'une colère qu'elle parvient à dominer à force de volonté. Adriana la froide, la femme dure avec elle et avec les autres, qui a vécu l'horreur et ne vit qu'avec l'espoir de se venger. Nina, sa patronne, psychologue, alcoolique, femme qui ne supporte plus son mari, sa vie, elle-même. Stefan, avocat, père et mari absent, à la vie millimétrée, organisée, rigoureuse. Mathilde, la petite fille délaissée, capricieuse et terriblement seule. Doriana et Mihai qui adorent leur petit-fils Cosmin qui le leur rend bien et qui ont du mal à se faire à son départ, fut-il temporaire. Et Gaston, l'amoureux, tendre et patient qui ne parvient pas à comprendre les réactions et les silences d'Adriana. Toutes ces personnes sont tour à tour les mains avec lesquelles ce roman s'écrit, Adriana étant la personne autour de laquelle tout s'articule. Mis à part Gaston et Cosmin et les grands-parents, ils sont à un moment tous agaçants et attachants. Qu'ils montrent ou pas leurs fêlures, leurs faiblesses. Tous révèlent leur personnalité, parfois la plus profonde dans ces journées particulières, leurs peurs, leurs questionnements, leurs doutes. Pour certains, la pente sera difficile à remonter, pour d'autres ça semble mieux engagé.

J'aime bien cette alternance des personnages qui donne des vues différentes d'une même situation et de la personnalité de chacun. Verena Hanf écrit simplement, son texte est fluide et tout se déroule admirablement. L'on aurait pu se contenter de ce qui se présente au début comme des tranches de vies qui s'entrecroisent, mais elle y ajoute un petit truc, une tension qui monte doucement et l'on subodore, l'on attend le fait, le moment où tout risque de basculer pour l'un ou plusieurs d'entre eux. Et comme ils sont bien sympathiques, l'on espère que ce ne sera point trop grave.

Un très beau roman avec des personnages fictifs tellement réels. De ceux qui laissent des traces dans les têtes des lecteurs, durablement. Et quel beau titre tant on a l’impression qu’ils avancent sur un fil.

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