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Je viens

Publié le par Yv

Je viens, Emmanuelle Bayamack-Tam, P.O.L, 2015

Roman à trois narratrices. La première, Charonne, la petite-fille noire et obèse adoptée à l’âge de 5 ans et demi. Adoption qui se solde par un échec puisque ses parents adoptifs veulent la "rendre" au bout d’un peu plus de six mois.

La deuxième narratrice, c’est Nelly la grand-mère, ancienne vedette de cinéma, adulée pour sa beauté qui a été follement aimée de Fernand son premier mari, et qui aime follement Charlie, le second.

La troisième et ultime narratrice est Gladys, la mère adoptive de Charonne, la fille de Nelly, la mal aimée et la mal aimante, la revancharde mal dans sa peau.

Reprenons dans le calme la composition de la famille : Nelly et Charlie sont mariés et ont recomposé une famille avec leurs enfants respectifs, Gladys et Régis qui eux-mêmes se sont mariés et ont adopté Charonne. Une sorte de famille recomposée qui se referme sur elle-même. La seule ouverture est l'adoption de Charonne qui débouche sur un échec.

Une fois que cela est dit, je dois dire ma difficulté à parler de ce livre qui m'a tour à tour plu, déçu et agacé voire fâché. L'écriture est surprenante, faite de belles phrases usant d'un vocabulaire riche parfois savant ; mais on peut passer aussi à des propos grossiers, insultants et racistes tenus par Charlie notamment. Je ne soupçonne pas l'auteure de racisme ordinaire mais certaines phrases me font bondir : "Je transpire. C'est ce qui arrive fréquemment aux petites filles quand elles sont grosses et noires..." (p.14) -pour moi, aussi con que de dire que tous les noirs courent vite et qu'ils ont le rythme dans la peau-, ou d'autres pires, franchement dégueulasses qui transcrivent les idées de Charlie totalement désinhibé avec l'âge et la maladie ; j'imagine qu'elles sont là pour dénoncer le racisme, mais trop c'est trop, on peut comprendre à moins*. De même l'auteure fait de multiples retours sur des situations par le jeu des différentes narratrices, sans rien y ajouter comme si ses lecteurs étaient atteints d'Alzheimer et qu'il fallait leur ressasser sans cesse. Je préfère un écrivain qui fait confiance à son lectorat. On me reprochera sans doute mon manque d'humour et de second degré face à une auteure qui fait de la provocation et ce dès le tout début de son ouvrage : "L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien." (p. 11). Je travaille auprès d'enfants confiés à l'Aide Sociale à l'Enfance, que ne lisent-ils ces propos, ça me simplifierait mes journées...

Pouf pouf, je me calme et je reprends par ordre d'apparition. Charonne est une jeune fille attachante, un personnage fort et puissant qui sans nul doute réussira sa vie telle qu'elle l'entend. Elle est sans doute à peine crédible, une enfant doublement abandonnée ne le vit pas aussi bien, mais bon chaque individu est différent, alors peut-être sa force de caractère lui permet-elle la résilience. Elle vit bien sa couleur de peau et son surpoids, en joue même. Elle sait qu'elle n'est pas aimée par ses mères biologique et adoptive et se retourne donc vers sa grand-mère, Nelly. Celle-ci a été follement aimée par Fernand son premier mari et le père de Gladys qui, loin d'être un Apollon était un amant prodigieux et également celui qui a fait d'elle une vedette de cinéma. A la mort d'icelui, elle tombe follement amoureuse de Charlie, beau comme un dieu, mais piètre amant. A 88 ans Nelly fait un point final sur sa vie qui ces dernières années a changé grâce à Charonne. Quant à Gladys, elle n'aime personne sauf son mari Régis. Mal-aimée, revancharde, égoïste, c'est une femme qui a toujours souffert.

La jalousie, l'égoïsme, la solitude, l'amour, la mort, les relations mères-filles sont en plein cœur de ce roman dans lequel E. Bayamack-Tam ajoute aussi des personnages virtuels, que chaque femme voit dans le bureau de la maison familiale, des personnages rêvés, des hommes qui leur permettent de vivre, de faire le point sur leur vie, de s'intéresser aux autres. C'est un roman sur une famille qui dysfonctionne, une famille handicapée du lien maternel et paternel.

Je finis mon billet sur ce roman qui ne laisse pas indifférent, qui se répète trop, souffre de longueurs, associe une langue très personnelle à des propos parfois à la limite de l'overdose parce que trop rabâchés, qui met en scène des femmes blessées, fortes et/ou en pleine interrogation sur le sens de leurs vies. Autant de points positifs que de négatifs. Je vous l'avais dit, je ne sais par quel bout prendre ce livre...

Dans un genre différent mais parlant de certains des thèmes évoqués ici, j'ai préféré Reproduction, de Bernardo Carvalho, moins racoleur.

* Cette parole qui se libère en ce moment à la faveur de la montée du FN m'exaspère au plus haut point. Je ne suis pas pour ce qu'on nomme le politiquement correct, mais franchement, certains propos m'énervent comme de dire que les petites filles grosses et noires transpirent et puent... Je vis quotidiennement avec deux garçons noirs qui me rapportent des propos tenus dans les cours d'école qui me sidèrent, du racisme quotidien qui n'a rien à voir avec les petites vacheries entre enfants, c'est beaucoup plus profond que cela ; ou alors ma grande naïveté m'avait jusqu'à maintenant -j'approche quand même de la cinquantaine !- épargné, pourtant il ne me semblait pas avoir vécu dans du coton loin des réalités...

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Nouvel an chinois

Publié le par Yv

Nouvel an chinois, Koffi Kwahulé, Zulma, 2015...

Ézéchiel est un jeune homme qui vit avec sa mère -sa sœur Sora'shilé a quitté la maison, s'est enfuie vers la Drôme-. cité Popincourt, Paris XI°, quartier cosmopolite qui voit sa population chinoise augmenter. C'est le jour du nouvel an chinois que Guillaume-Alexandre Demontfaucon choisit de revenir dans ce quartier de son enfance. C'est le voisin d'Ézéchiel, un homme au passé trouble qui flirte avec la mère du jeune homme et qui hurle à ses fenêtres son racisme et sa haine des Chinois. Cet homme va bouleverser la vie du quartier. Ézéchiel qui ne bougeait plus de chez lui va ressortir grâce à la jolie dentiste Melsa Coën qui peuple ses rêves ; le jeune homme veut la revoir.

Étrange livre que voilà. Difficile de se frayer un chemin balisé entre les rêves, les fantasmes, les délires, la réalité -fictionnelle- de la vie d'Ézéchiel. Je pourrais résumer mon impression par un dialogue du livre lorsqu'Ézéchiel lors d'une soirée dit qu'il lit un roman africain :

"Vous aimez ?

Je ne comprends pas tout. [...] Ça parle d'identité... [...] C'est marrant, enfin je veux dire joyeux. Un peu compliqué parfois, mais ce n'est pas grave. Parce que le vrai sujet du roman, c'est la langue. Parler comme si on faisait l'amour. Ça doit être compliqué d'écrire aussi simplement." (p.138)

Ce roman entre le rêve et la réalité est écrit dans un style étonnant, Ézéchiel en est le narrateur, qui passe du "je" au "il" sans que cela ne gêne le lecteur qui s'y retrouve toujours. Certaines pages sont néanmoins déconcertantes, d'autres absolument magnifiques.

Une histoire elliptique, très imagée, notamment lorsque pour évoquer la masturbation, Koffi Kwahulé parle de prière ou de méditation, une métaphore qui dure jusqu'à la fin du roman : "Aussi ses séances où le plaisir était constamment différé constituaient-elles à ses yeux une prière. Une prière à lui-même adressée. Une profonde méditation. Plus la séance durait, plus la jouissance et surtout le sperme lui paraissaient de meilleure qualité. Au fond de lui-même, depuis la découverte de cette maîtrise de soi, cette recherche d'équilibre, Ézéchiel se considérait comme un moine des temps modernes. Certains jours, Ézéchiel priait plus que de raison." (p.28)

Je ne connaissais pas l'auteur, qui écrit là son troisième roman mais qui est plus connu pour ses nombreuses pièces de théâtre ; une découverte marquante.

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Mettez des mots sur votre colère

Publié le par Yv

Mettez des mots sur votre colère, Marc Malès, Glénat, 2015....

Owen Brady est contacté par le National Child Labour Committee qui veut dénoncer le scandale des enfants obligés de travailler, aux États-Unis en ce début de XX° siècle. Il doit les photographier, prendre leurs noms et leurs âges pour faire un reportage. La chose n'est pas aisée, les enfants ne voulant pas se dévoiler au risque de perdre leur travail, les employeurs n'aimant pas voir traîner un photographe près de leurs usines. Au cours de ce reportage, Owen est confronté à son passé d'enfant martyrisé, ce qui rend son travail encore plus difficile.

Très bel album sur les États-Unis du début du siècle dernier confrontés au travail des enfants. Pour les familles très pauvres, ce travail était une nécessité, les parents ne pouvant pas se passer de cet apport de revenu aussi minime fut-il, car en plus de travailler dur, les enfants étaient mal payés. Tout cela, on le sait déjà ; on sait également que ça existe encore dans certains pays dans lesquels les Occidentaux font fabriquer leurs produits qu'ils importeront et vendront cher.

Cette BD a le mérite de nous rappeler qu'il a fallu que certains se battent contre l'exploitation des enfants, contre la course au profit pour libérer les enfants : "La consultation des archives locales était assez édifiante... On y lisait que plusieurs législateurs progressistes s'étaient cassé les dents à vouloir obtenir ne serait-ce qu'un semblant de réforme sur le travail des enfants. La partie était perdue d'avance parce qu'ils avaient en face d'eux le tout-puissant lobby de patrons. Ceux-ci n'envisageaient pas de se priver si facilement d'une telle main-d'œuvre, par définition docile, qu'ils pouvaient exploiter sans vergogne." (p.22)

Cet album s'il met en scène Owen, un personnage fictif, est basé sur la réalité d'un reportage photo mené par Lewis Hine. Owen Brady est son double professionnel mais sa vie d'enfant martyr et d'adulte violent -parfois de manière totalement contradictoire avec le reportage qu'il réalise, avec les gens qu'il rencontre- est fictive. Sans faire de la psychologie de comptoir, Marc Malès met bien en dessins la difficulté de faire face à son enfance lorsqu'une situation qu'on rencontre adulte nous la remet en pleine face. Reproduit-on la violence dont on a été victime ? Jusqu'où peut-on expliquer les pulsions violentes des adultes battus et exploités lorsqu'ils étaient enfants ? Peut-on tenter de réparer le mal fait ? En ce début du XX° siècle, les réponses psychiatriques, psychanalytiques, et autres psy n'étaient pas encore pratiques courantes.

Format à l'italienne qui permet d'élargir certaines cases, de faire des panoramiques, jeu avec le nombre des cases par page, dessin réaliste et ton sépia font de cet album une belle réalisation, une bande dessinée sociale et historique.

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Voici le temps des assassins

Publié le par Yv

Voici le temps des assassins, Gilles Verdet, Jigal, 2015.....

Paul, photographe participe avec Simon au braquage d'une bijouterie de luxe parisienne. Le casse se déroule correctement lorsqu'entrent dans la bijouterie deux personnes habillées de niqabs qui braquent les braqueurs et tuent Simon. Puis, c'est au tour de Bernard, l'ami de Paul et de Simon et le metteur en scène du braquage de se faire tuer. Paul, directement touché sans se sentir particulièrement menacé essaie de comprendre pourquoi ses deux amis sont morts.

D'autres personnes étrangères au trio meurent de meurtres déguisés en accident ou en suicide. Agnès, internée, meurt brûlée, Georges sous les roues du métro, ... Tous les morts entendront avant de succomber, susurrés à leurs oreilles des vers de Rimbaud.

Voici un roman noir totalement original si ce n'est dans son intrigue au moins dans son scénario et surtout dans ses personnages. Le premier truc, c'est déjà de s'habituer à la narration très particulière de Gilles Verdet qui alterne le langage oral, l'argot, la poésie. J'ai mis un peu de temps, j'ai même tenté de sauter des paragraphes, mais test inutile car irréalisable tant cette écriture vous tient malgré la -très- relative difficulté du départ à s'y faire. C'est une putain de belle langue qui impose son rythme et qui oblige à lire tous les mots, je découvre un auteur amoureux des mots, à la plume envoûtante.

Si en tant que lecteur de polars j'ai déjà pu rencontrer semblable intrigue, j'avoue que sa mise en condition m'a bluffé. Rimbaud et Verlaine sont très présents, des vers d'iceux sont cités, ils font partie de l'explication finale. La Commune de Paris, cette révolte de 1871 est omniprésente également, et comme c'est une période sur laquelle j'ai lu et continue de lire (Le cri du Peuple de Jean Vautrin, notamment dans sa version BD de Tardi est excellente), j'ai été irrémédiablement attiré et scotché par ce roman. L'ombre des combattants des barricades flotte sur ce livre ainsi que celle de leurs bourreaux, de Galliffet par exemple ; la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871) sert de base historique. C'est un roman noir mélancolique, Paul se balade beaucoup dans les rues parisiennes en essayant de comprendre pourquoi on meurt brutalement autour de lui. Il fait des rencontres, notamment celle de Jean-Philippe Gallet un historien qui l'aidera à comprendre cette période troublée. J'ai appris ainsi l'existence du groupe d'artistes Les vilains bonshommes qui a compté brièvement dans ses membres, Arthur Rimbaud. Je ne suis pas spécialiste du poète, n'ayant pas biberonné à ses vers, je ne suis qu'un piètre connaisseur et amateur de poésie, mais j'avoue que j'ai été embarqué dans cette histoire.

Le suspense tient autant dans l'intrigue que dans les questionnements liés aux personnages : qui sont-ils ? A quoi jouent-ils ? Aucun d'entre eux ne correspond aux stéréotypes de son genre. Ils ont tous un côté mystérieux voire étrange et secret, ce qui est un pur plaisir de lecteur. Les stéréotypes, il en faut, surtout dans le polar, mais lorsqu'ils sont détournés, c'est encore mieux.

Un roman noir avec un fond historique, une langue qui scotche les lecteurs, des personnages qui ne font pas forcément ce qu'on attend d'eux, que demander de plus ? Rien.

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Osez... une nuit d'amour parfaite

Publié le par Yv

Osez... une nuit d'amour parfaite, Marc Dannam, La Musardine, 2015

La littérature et le cinéma sont emplis de nuits d'amour parfaites, d'amants qui pendant des heures font l'amour, lui tout en performance, elle aussi d'ailleurs ; en plus, ils se réveillent le lendemain matin, frais et dispos, prêts à enchaîner avec une journée de travail et en général, leur travail n'est pas de tout repos : sauver le monde si c'est un film étasunien. Ce guide n'est absolument pas là pour que nous égalions ces performances, mais pour préparer la nuit folle avec le partenaire que nous venons de rencontrer ou avec celui qui partage nos nuits depuis des années.

A la lecture de ce guide, je me suis fait la réflexion qu'il était quand même plus fait pour des rencontres récentes ou alors, pour les moments où les parents se retrouvent enfin sans enfants, partis pour le ouiquende ou encore mieux carrément la semaine en vacances. Ou le top du top, ce sont les parents qui sont partis une ou plusieurs nuits : un séjour à l'hôtel... La prochaine fois que nous partons avec nuits à l'hôtel, je glisserai ce livre dans nos bagages. Cette introduction faite -si je puis me permettre, bien que ce soit encore un peu tôt, nous n'en sommes qu'aux pré-préliminaires-, je ne peux pas dire que le livre soit une mine d'informations nouvelles, mais son très grand mérite est de tout recenser de manière légère, vive et drôle en 180 pages. Quelques conseils de lingerie adaptée, d'ambiance, de mise en condition, ... Quelques pages sur la pilosité (une des grands thèmes actuels dans la sexualité et ailleurs), sur l'utilité de se parfumer, d'accueillir sa belle ou son beau avec un apéritif, musique d'accompagnement (quelques suggestions, Otis Redding, Marvin Gaye, Sébastien Tellier, Donna Summer...).

Après cette mise en bouche -pas tout à fait encore mais ça ne saurait tarder- on passe aux préliminaires ou plutôt comme le préfère l'auteur aux préludes, tant il est vrai que ce mot est plus joli. Puis, le lit si ce n'était pas déjà le lieu d'accueil des préludes et là, je vous la fais courte -oui, il y a un paragraphe intitulé "Il a un tout petit pénis"-, la nuit entre dans ses moments les plus intenses jusqu'au petit matin puisque c'est le dessein de ce livre.

Je ne vais pas vous faire toute la liste des choses à faire ou ne pas faire -ces dernières sont classés dans des rubriques de fin de paragraphes en "Les Tue-l'amour", je finis avec une citation de la quatrième de couverture qui résume parfaitement la collection des guides "Osez..." : "Coquins, amusants, pratiques et joyeux, des livres pour TOUS les goûts sexuels."

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Bingo's run

Publié le par Yv

Bingo's run, James A. Levine, Piranha, 2015 (traduit par Laurent Bury).....

Bingo a quinze ans. Il vit à Nairobi et court pour livrer les doses de drogues aux clients de Wolf son patron. Bingo est le plus rapide de tous, et comme il paraît à peine dix ans, il n'est jamais inquiété par la police. Un jour, Wolf lui confie une mission délicate et Bingo en la menant à bien est témoin du meurtre du plus gros dealer de Nairobi, le patron de Wolf. Bingo, pour se protéger, est alors obligé de se réfugier dans un orphelinat mené d'un main de fer par le père Matthew qui profite de sa situation pour gérer quelques affaires malhonnêtes et lucratives.

J'ai choisi ce livre sur trois critères : l'éditeur que j'aime bien, l'auteur qui m'avait déjà plu avec son formidable Le cahier bleu et la couverture que je trouve très réussie. Très bonne pioche ! Ce roman m'a emballé de bout en bout. Premier point, Bingo est un gamin attachant, débrouillard, une sorte de Gavroche kényan du XXI° siècle. Il est de ces personnages de roman qu'on suit avec grand plaisir et pour qui on souhaite ardemment une fin heureuse -mais ça, je ne vous dirai pas... Il est roublard, filou, pas toujours très respectueux des filles ou des femmes qu'il rencontre, il peut même être cupide -dans sa situation d'enfant pauvre, qui ne le serait pas ?- mais chez lui, ça ne sonne pas comme des défauts majeurs, ce sont au pire des péchés de jeunesse, voire des qualités en ce qui concerne la roublardise ou la filouterie. On sent en lui d'énormes qualités humaines qui ne demandent qu'à s'exprimer.

Toutes les personnes qu'il rencontre, ses amis, ses clients, le prêtre, les filles sont importantes pour lui et de chacune il apprend quelque chose qui lui servira ; les seconds rôle du roman sont donc importants, bien décrits et très présents, notamment Slo-George l'ami de Bingo, à la placidité réconfortante -il me fait un peu penser au George du roman Des souris et des hommes de J. Steinbeck.

Le cahier bleu de James A. Levine parle de la prostitution enfantine, c'est un roman fort et dur. Bingo's run parle toujours des enfants pauvres dont certains profitent pour leur bénéfice, les dealers, les trafiquants divers. Bingo's run en mettant en scène un gamin des rues débrouillard est moins dur, plus enlevé, pas mal d'humour émaillent les pages, comme par exemple l'histoire de la multiplication des pains par Jésus racontée par le père Matthew, escroc et profiteur, version hilarante dont je vous livre la fin : "La parabole des cinq pains nous enseigne comment le Christ, en investissant l'amour de Dieu, a augmenté le capital et la richesse. Voilà comment Jésus a utilisé les cinq pains pour nourrir cinq mille personnes, grâce à un portefeuille d'investissements avisés. Vois-tu, Bingo, la volonté de Dieu était que la richesse croisse dans son temple et que Jésus, son élu, devienne son unique marchand ; car tel est l'amour d'un père pour son fils." (p. 73). Il reste néanmoins un roman assez dur sur les conditions de vie des enfants des rues dans certains pays d'Afrique qui n'ont pas la chance d'avoir le caractère optimiste et pragmatique de Bingo.

Un très beau roman, fort bien traduit dans une langue simple, accessible qui parlera à tout public. James A. Levine est un médecin-professeur émérite dans une clinique étasunienne. "C'est en parcourant le monde et plus particulièrement les pays émergents pour rédiger des rapports sur le travail des enfants dont les Nations Unies l'ont chargés que lui sont venus l'idée et même le besoin de témoigner, sous forme de fictions populaires, des conditions extrêmement violentes dans lesquelles grandissent et évoluent ses héros." (dossier de presse). Contrat réussi haut la main, comme lui je suis persuadé que les messages passent beaucoup mieux sous des formes pas trop formelles, le roman particulièrement. Bingo est un jeune homme que le lecteur gardera en tête comme la jeune Batuk du Cahier bleu, malheureux symbole de la prostitution enfantine.

Ne passez pas à côté.

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Le sculpteur

Publié le par Yv

Le sculpteur, Scott McCloud, Rue de Sèvres, 2015 (traduit par Fanny Soubiran).....

David Smith est un sculpteur qui a sans doute laissé passé sa chance de devenir célèbre pour son art. Faute d'argent, il ne produit plus, il boit, vit seul. Un jour, attablé dans un restaurant, il rencontre le diable qui lui propose un marché : il pourra sculpter tout ce qu'il souhaite à mains nues, sur tout support mais seulement pendant 200 jours, après il mourra. David accepte car il ne sait pas encore que peu de temps après ce pacte il rencontrera son grand amour.

Connaissant votre sagacité, je ne doute pas que vous ayez reconnu ici le mythe de Faust, ce savant qui a vendu son âme au diable pour profiter de tous les plaisirs et accéder à des savoirs alors inconnus. Scott McCloud s'empare de ce mythe pour son roman graphique absolument formidable.

J'ai été emballé par l'histoire bien sûr, qui même lorsqu'on connaît la fin reste passionnante, d'une part parce qu'une once d'espoir réside : et si le pacte avait un vice de forme ? Et si cet homme qui a retrouvé le goût de vivre émouvait le diable au point de résilier le contrat ? Évidemment, je ne vous dirai rien, il vous faudra aller au bout des presque 500 pages pour savourer le déroulement de l'histoire et son dénouement.

Les dessins sont figuratifs, réalistes, sauf lorsque David réalise des œuvres avec son nouveau pouvoir : elles sont directement issues de son imagination, de ses souvenirs et sont entre réalité et abstraction. Trois couleurs seulement, le noir, le blanc et le bleu. En fonction de la situation telle ou telle domine. Scott McCloud joue aussi avec le nombre de cases par pages : une seule ou deux lorsqu'il a le besoin de ralentir le rythme, presqu'une trentaine et même plus, superposées lorsque le récit accélère. Exactement comme dans un roman : phrases longues pour ralentir, phrases courtes pour accélérer. Des cases saturées de phylactères lorsque David est saoulé des discours environnants, d'autres cases muettes. J'ai lu que l'auteur était un "théoricien de la bande dessinée et de la communication visuelle", c'est dire s'il en connaît les codes ; il les applique donc à son ouvrage magistralement.

A certains moments, lorsque David Smith sculpte dans l'euphorie, j'ai eu des images de Akira, le seul manga que j'aie lu, de Katsuhiro Otomo, récemment récompensé à Angoulème. Les univers sont différents, mais cette folie qui s'empare des héros est assez semblable.

L'éditeur Rue de Sèvres a fait une entrée remarquée dans le monde de la BD il y a deux ans, avec notamment Une histoire d'hommes de Zep, la très belle adaptation de Maupassant, Le Horla de Guillaume Sorel ou Le château des étoiles d'Alex Alice, pour ceux que j'ai lus. Depuis le catalogue s'est étoffé et ce roman graphique ajoute une très belle note à l'ensemble.

Pour les ceusses qui comprennent l'américain, Scott McCloud a un site (cliquez sur son nom, vous y êtes)

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Reproduction

Publié le par Yv

Reproduction, Bernardo Carvalho, Métailié, 2015 (traduit par Geneviève Leibrich)...,

Un Brésilien, étudiant de chinois, décide de partir en chine pour immersion. A l'aéroport, il croise son ancienne professeure de chinois, celle qui l'a laissé en plein milieu d'une leçon, deux ans auparavant. Elle embarque elle aussi avec une fillette de cinq ans qui n'est pas son enfant puisqu'elle n'en a pas. Soudain, l'ancienne professeure est sortie de la file d'attente brutalement par un policier. Puis c'est au tour de l'étudiant de chinois d'être appréhendé. Il est alors interrogé par un commissaire de l'anti-terrorisme. Et là, l'étudiant de chinois entame un discours totalement anarchique, mâtiné de racisme, d'homophobie, d'antisémitisme, ...

Ce qui surprend dans cet ouvrage c'est la forme qu'il prend. Trois parties. Trois monologues. Enfin, plutôt des dialogues dont nous lecteurs n'entendrions qu'un participant. Le premier est de l'étudiant de chinois. Le deuxième d'une commissaire qui a subi divers affronts et règle ses comptes avec son collègue, celui qui interroge l'étudiant de chinois. Le troisième, c'est à nouveau l'étudiant qui parle. Le style est très haché. Phrases très courtes, beaucoup de questionnements sans forcément les réponses puisqu'on n'entend pas les propos de l'autre interlocuteur. On les devine par les réflexions suivantes des narrateurs. Pour les amateurs, il y a du Céline là-dedans : variations des niveaux de langage, langage très oral, propos tendancieux, racistes, homophobes, phallocrates, tout y passe. Dans toute cette logorrhée -parfois fatigante avant de se faire au rythme qu'elle impose-, l'auteur apporte des réflexions intelligentes, des questionnements universels ; il se permet par exemple de parler de la France et de sa lente (?) dérive vers l'extrême droite : "Mais, si dans le pays des Droits de l'homme on élit comme président le candidat d'extrême droite ? Hein ? Vous avez déjà réfléchi à ça ? (...) Mais j'attends de voir ce qui se passera quand le pays des Droits de l'homme deviendra fasciste ! Et par-dessus le marché en ayant la bombe. Je vous garantis qu'il deviendra alors beaucoup plus chic d'étudier le chinois que le français." (p.43/44)

On peut être noyé dans le flot ininterrompu des intervenants et ce, d'autant plus que la mise en page est dense, sans espace pour respirer, collant ainsi à ce dialogue de fou, rapide, désordonné, sans reprise de souffle. Un livre qu'il n'est pas facile de quitter, à moins de noter précisément la ligne à laquelle on s'est arrêté. Néanmoins, moi qui aime les textes aérés, j'avoue que cette densité sert celui-ci, rajoute de la confusion, de la colère ou de la paranoïa et de la rapidité dans les propos des personnages. C'est décousu, ça part dans tous les sens, mais on comprend tout, même lorsque Bernardo Carvalho balance une information par surprise et que ce ne sont que les phrases suivantes voire les pages suivantes qui l'expliquent.

Il parle de tout : de la France qui lorgne vers l'extrême droite, de la Chine qui domine le monde, de la disparition des langues et de fait de l'appauvrissement du monde : "Il est écrit ici que la diversité est un réservoir d'adaptabilité. Plus il y a de différences, plus nous avons de chances de nous adapter à l'inattendu. Avec davantage de langues, nous avons davantage de possibilité de résister." (p.138), du racisme, des noirs, des juifs, des homosexuels, des sectes, de la religion, du trafic de drogue.

Bref, un roman fourre-tout qui paraît fouillis et qui est diablement maîtrisé. Un roman célinien, qui tout en faisant dire aux personnages des énormités plaide en faveur de la différence, de la rencontre d'autrui. Et un auteur brésilien sait de quoi il parle tant les habitants de ce pays sont d'origines diverses.

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Bistouri blues

Publié le par Yv

Bistouri blues, Philippe Kleinmann, Sigolène Vinson, Le masque poche, 2015 (Le masque, 2007).....

Lorsque Benjamin Chopski opère à Lariboisière, il est rarement braqué à la fin par un homme-grenouille armé d'un harpon qui en veut à la vésicule qu'il vient d'extraire en urgence d'un malade. Un rien désappointé, il en appelle à la maréchaussée qui se présente alors à l'hôpital sous les traits de son ami, le capitaine Cush Dibbeth, flic passionné par l'origami et qui apprendra avec Benjamin à s'intéresser à la chirurgie. Mais que peut donc bien cacher cette course à l'organe malade à laquelle certaines personne semblent jouer ?

Me voilà donc avec en mains un polar médical, écrit par un chirurgien, Philippe Kleinmann et une avocate et chroniqueuse judiciaire à Charlie Hebdo, Sigolène Vinson. Chaque en-tête de chapitre est une phrase ou un schéma ayant rapport à la médecine. Bon, parfois, ça fait plus peur que le polar lui-même : hypocondriaques s'abstenir. Quelques descriptions d'opérations sont un peu gore pour qui, comme moi supporte mal juste l'entrée dans un lieu de soin, mais rien d'insurmontable, plus on avance dans le livre, moins il y en a ou alors je me suis habitué... Quelques termes techniques courent le long des pages, que je ne saisis pas toujours mais qui ne sont pas gênants pour la bonne compréhension du propos, on sait qu'il s'agit d'opérations chirurgicales, et ça suffit, finalement, les détails on s'en passe volontiers.

Pour le reste, eh bien, je me suis régalé. D'abord l'intrigue bien menée de bout en bout : un trafic d'organes malades en lien avec le terrorisme ? Ou bien une espèce de chirurgien qui a totalement pété les plombs et qui met en place un étrange circuit entre Karachi, Djibouti et la France ? Cush Dibbeth resserre peu à peu les fils de son enquête pour se retrouver avec son unique suspect, mais malgré cela, une surprise finale n'est pas exclue.

Ensuite, les personnages Cush Dibbeth en tête et Benjamin Chopski pas loin derrière. C'est un véritable hymne à la différence et à la diversité. Cush Giuseppe Robert Dibbeth de son nom entier parce que ses origines paternelles sont en Ethiopie et en Italie et maternelles en France. On y croise aussi un Zhou Pong, un Vassili, une Sophie Labounstova, un Dupont, un Durant, ... Très attachant ce Cush Dibbeth avec sa passion pour l'origami : un fonctionnaire qui fait des cocottes en papier et toutes sortes d'autres formes pour réfléchir. Benjamin est un chirurgien atypique avec ses cinq trous à chaque oreille chacun portant un anneau, sa coupe de cheveux qui épouse la forme du casque audio qu'il porte quasi en permanence pour écouter jazz et classique. Le lieutenant Dubreuil, second de Cush, sorte de fayot très drôle et surtout très efficace apporte une autre couleur au trio.

Très bien écrit, très simple malgré quelques explications techniques, c'est un polar enlevé, rapide et très agréable à lire. Le ton est à la détente et à l'humour même s'il n'oublie pas d'être sérieux sur l'intrigue et ses implications. Une découverte qui m'amènera forcément à lire la suite qui vient de paraître, intitulée Substance, toujours au Masque.

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