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Atar Gull

Publié le par Yv

Atar Gull, Fabien Nury (scénario), Brunö (dessin), Laurence Croix (couleur), Dargaud, 2011

Atar Gull est chef de la tribu des Petis Namaquas. Son clan a perdu contre celui des Grands Namaquas et ses hommes et lui-même ont été vendus pas le chef des Grands Namaquas à un blanc qui les revendra en tant qu'esclaves. Atar Gull est très grand, très fort, ce qui en fait une marchandise désirée. Arrivé en Jamaïque, il devient esclave chez Tom Will un maître qui le traite lui et ses compagnons d'esclavage plutôt bien. Atar Gull devient petit à petit très proche de son maître.

Tiré d'un roman d'Eugène Sue qui fit scandale à sa sortie en 1831 parce qu'il parle ouvertement de la vengeance d'un noir, capable des crimes les plus odieux (même si les blancs de leur côté ne s'en privaient pas non plus ; source : ici). L'esclavage ne sera définitivement aboli en France qu'en 1848.

L'histoire est celle d'une vengeance sur fond d'esclavage : les scènes de traversées des mers avec leurs lots de morts, de viols, de brimades ne sont pas nouvelles, mais elles sont bonnes à rappeler, des fois que certains voudraient les oublier. L'horreur est présente, bien mise en images : le dessin est clair, précis, réaliste, figuratif dans des tons ocres ou verts. Cet album même s'il raconte une partie de l'histoire dont l'humanité n'a pas à s'enorgueillir, ou bien parce qu'il la raconte justement, peut être lu par tout public, un peu comme l'était "de mon temps", La case de l'oncle Tom.

A bien y regarder, cet album pourrait ressembler à Django unchained de Quentin Tarentino (ou vice-versa) : un homme noir qui cherche à assouvir sa vengeance dans un pays dans lequel il est encore considéré comme moins qu'un homme, même en étant affranchi. La même violence tant physique que morale.

Un album à lire absolument. En outre, si vous passez par Nantes qui comme chacun sait a largement profité du commerce triangulaire, prenez quelques instants pour aller visiter le Mémorial de l'abolition de l'esclavage (la visite est libre, tous les jours : si vous cliquez dessus vous vous dirigez vers le site Internet du Mémorial). Une manière pour cette très belle ville (chauvin moi ? Alors là, pas du tout) de ne pas fermer les yeux sur son passé mais au contraire d'ouvrir ceux des visiteurs de passage et des Nantais (j'en suis, et la visite est vraiment très intéressante). Après ça, pour vous détendre, vous pourrez aller voir le désormais célèbre éléphant de Nantes et tout le site des Machines de l'île : enchantement assuré : le passage de l'un à l'autre se fait tranquillement à pieds.

PS : n'oubliez pas le guide, mettez-moi au moins quelques commentaires à défaut de venir vous faire payer l'apéro !

Une chronique sur cette BD sur Les huit plumes, signée Marie-Florence.

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Ça coince ! (16)

Publié le par Yv

Les larmes de Spinoza, Pascal Commère, Éd. Le temps qu'il fait, 2009

Recueil de nouvelles dont le thème principal est l'écriture, la lecture et la rencontre d'autrui. Dit comme cela, ça tente. Le souci c'est que je n'ai jamais réussi à déchiffrer l'écriture de P. Commère, belle certes, travaillée, mais parfois alambiquée, elliptique, comme s'il s'adressait à des lecteurs avec qui il avait commencé une histoire qu'il continue ici. Il me manque des ficelles pour comprendre la profondeur des textes. En outre, dans certaines nouvelles, les narrateurs sont des enfants, quatorze ans et dix-sept ans, et le style littéraire adopté ne colle pas aux personnages qui s'expriment à la première personne du singulier : trop littéraire, trop travaillé. Je ne demande pas du tout que l'auteur écrive en langage texto, mais un minimum de correspondance entre la personne qui parle et la manière de le faire m'aurait davantage plu et n'aurait pas généré chez moi ce décalage total entre ce que je lisais et les images qui peuvent venir. On est dans un niveau de langage très recherché voire élitiste plutôt que dans du courant.

Dommage parce que le résumé me paraissait intéressant et pour ne rien vous cacher, j'avais prévu de faire une méchante blague du genre : Les larmes de Spinoza, à rapprocher d'un autre livre que j'ai déjà chroniqué, de JB Pouy, Spinoza encule Hegel (personnellement, j'aurais plutôt cru aux larmes de Hegel, mais bon...). Pas de très haut niveau, je le concède, mais mine de rien, je l'ai placée quand même.

 

Une saison à Venise, Wlodzimierz Odojewski, Les Allusifs, 2006 (Éd. A vue d'oeil, 2007), (traduit par Agnès Wisniewski et Charles Zaremba)

Marek est un garçon polonais d'une dizaine d'années en 1939. Il se prépare à partir à Venise avec sa mère pour un séjour. Mais la guerre se déclare et tous les projets tombent à l'eau, mais Marek a du mal à comprendre les raisons de l'annulation du voyage auquel il tenait tant. Sa destination pour l'été sera la maison de sa tante Weronika dans laquelle, les autres sœurs de sa mère viendront également ainsi que d'autres enfants.

Ce n'est pas un bouquin qui "coince" franchement, je l'ai lu jusqu'au bout, sans souci mais sans passion. Beaucoup de femmes se retrouvent dans cette maison de famille, se disputent, parlent s'occupent des enfants qui trouvent eux-mêmes plein d'activités. La guerre est en toile de fond, à peine esquissée au départ, puis un peu plus présente : tout est fait pour n'y point penser.

Le hic, c'est que rien n'est particulièrement original ou intéressant, ni les situations (sauf cette source qui surgit dans la cave), ni les personnages, ni l'écriture. Rien qui n'empêche d'apprécier sa lecture mais rien qui n'emporte mon adhésion. "Un roman simple et loufoque [...] d'une drôlerie jubilatoire" est-il écrit en quatrième de couverture. Manifestement, l'humour et la jubilation sont des notions très subjectives, je n'ai pas ri ni n'ai jubilé même intérieurement.

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Pour rire un peu

Publié le par Yv

Il y a quelques jours, j'ai eu une excellente idée, et comme ce n'est pas si fréquent que cela, je vous raconte. Figurez-vous qu'à côté de mon lit, qui est aussi celui de Mme Yv, pas le côté, juste le lit, parce qu'on a bien sûr chacun son côté, j'avais une pile de livres, des dossiers lus que je gardais au cas où. J'ai tout trié et rangé, j'en ai profité pour ouvrir le tiroir du chevet. J'ai jeté, classé, changé de place, donné ou prêté des ouvrages et j'ai retrouvé dans tout ce fatras (en fait dans le tiroir du chevet) deux vieux livres qui étaient à mon papa, que j'avais récupérés et pas forcément lus :

- Pour rire un peu, Histoires plaisantes et jeux d'esprit par Charles Cloix, illustré par JJ Roussau, Éd. Spes, 1939

- Le numéro 83 de la Revue mensuelle intitulée 100 blagues, Rédacteur en chef, Roger Sam, Éd. EGE, 1969

Pas en très bon état, ce sont en fait pour le second, des blagues, courtes, les favorites de gens connus, comme par exemple celle de R. Queneau :"Un explorateur blanc a été capturé par une tribu d’anthropophages ; on le juge à point et on l'installe dans une grande marmite. Au moment d'allumer le feu, le cuisinier s'approche et demande :

- Comment te nommes-tu ?

- Je ne vois pas ce que cela peut te f... rétorque l'explorateur, en haussant les épaules.

- C'est pour le menu..." (p.47)

Pour le premier livre cité, le début est construit avec des textes d'auteurs connus, comme G. Courteline, T. Bernard, M. Twain, et d'autres oubliés ou moins connus. De petites nouvelles à chute, drôles. La grosse seconde partie du livre est consacrée à des histoires drôles, des devinettes, des charades, des histoires racontées par Alphonse Allais par exemple :

"Alphonse Allais, apercevant un jour devant un café un brave homme qui avait toutes les apparences d'un provincial, s'approche de lui, le chapeau à la main, et lui demande :

- Monsieur, pourriez-vous me prêter dix louis ?

Le provincial, stupéfait :

- Mais, monsieur, je ne vous connais pas !

- C'est bien à cause de cela que je m'adresse à vous, réplique Allais avec flegme. ceux qui me connaissent ne veulent plus rien me prêter." (p.147/148)

C'est évidemment daté voire très daté et démodé, mais ça me rappelle les Almanachs Vermot que je lisais gamin, pendant les vacances, et ce genre de vieux livres qu'on trouvait dans les greniers ; on s'amusait avec mes frères et sœurs à se poser les devinettes, à se lire les histoires drôles, et aussi à regarder les dessins humoristiques et un peu sexy dans lesquels des femmes adultères, nues, aux formes généreuses se faisaient surprendre par leur mari en pleins ébats et ne manquaient jamais d'aplomb. L'amant était souvent un jeune homme un peu naïf et couard au contraire de sa maîtresse. Les cougars avant l'heure qui pouvaient s'écrier évidemment : "Ciel, mon mari !"

Voilà voilà voilà pour cet article nostalgique qui risque de me faire passer pour un vieux schnock auprès de tous les très nombreux jeunes qui lisent mon blog (il y en a quelques uns si j'en juge par les mots-clefs utilisés pour accéder à mes billets, du genre "résumé La folie Giovanna" ou "explication de texte Agota Kristof" ou encore, très récemment, "commentaire composé Charles Juliet l'année de l'éveil"), mais tant pis j'assume mon côté vieux con et ma minute nostalgique. Alors, si vous avez un grenier ou si vos parents -voire vos grands-parents pour les plus jeunes d'entre vous- ont un grenier, n'hésitez pas, allez le fouiller, il y a des petits trésors de drôleries désuètes à relire le sourire aux lèvres.

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Renaître de tes cendres

Publié le par Yv

Renaître de tes cendres, Dominique Lin, Élan sud, 2011

Léon a du mal à se remettre de la mort de Danièle sa femme. Sans emploi, ne survivant que grâce aux minimas sociaux, il fréquente Le Rideau rouge, un café dans lequel il retrouve toujours les mêmes copains, notamment le Pacha. Un jour, il retrouve une opportunité de retravailler, commercial dans la finance. Mais c'est sans compter avec son passé qui remonte brutalement : son embrigadement dans une secte dans laquelle il a entraîné Danièle, la plus grande partie de leurs vies gâchée.

Il y a quelques temps, Dominique Lin me contactait pour me demander de lire et chroniquer l'un de ses romans, ce fut pour moi Passerelles pour lequel j'eus un bel accueil, et garde une très belle impression. Alex reçut elle, Renaître de tes cendres et à son initiative, nous avons échangé nos envois ; merci pour cette idée Alex. 

Encore une fois, Dominique Lin parle d'un homme normal, lun de ceux que l'on peut rencontrer dans la rue ou au bistrot ou même avoir dans ses connaissances, pas forcément dans tous les traits de caractère, mais dans certains : un homme de 50 ans, au chômage, veuf, qui ne sait plus quoi faire pour se sortir de cette spirale, qui trouvera une ressource dans la lecture de Diderot et l'écriture. Il se prénomme Léon (comme feu mon papa, c'est dire si le prénom me parle). 

L'écriture de D. Lin est toujours aussi belle, parfois poétique, même dans le quotidien et non dénuée de sourire : "Au bout d'une heure, le bar se remplissait. Depuis la loi d'interdiction de fumer à l'intérieur, on ne sentait plus le tabac, remplacé par les effluves de pastis et les odeurs de cuisine mêlées, selon la volonté du Pacha, aux parfums d'Orient ou de la Méditerranée. Jeudi, c'était le couscous, seul jour où les histoires de riads bénéficiaient d'un accompagnement olfactif. Le Maghreb sur fond de sardines grillées du vendredi n'avait aucun sens, on lui aurait préféré le port de Marseille ou les côtes bretonnes, mais ils n'appartenaient pas à l'univers du Pacha." (p.13/14) Certes, le sourire ou le rire ne sont pas le propre de ce roman qui se penche plutôt sur les questionnements d'un homme arrivé au mitan de sa vie sans avoir rien construit. Pas gai, évidemment, mais profond. L'auteur réfléchit et fait réfléchir Léon sur le sens de la vie, sur la religion, les sectes, l'embrigadement en général fut-il spirituel ou social ("Adrien, tu connais la différence entre une religion et une multinationale ? - Non ? - La date de réunion. La religion, c'est le dimanche et la multinationale, le lundi matin..." [p.140])  la société de consommation, le prêt-à-penser contemporain ("Combien de journalistes accolent le terme de philosophe à certains contemporains dont le discours relève parfois de la sottise ou de la ségrégation ! Ce n'est pas parce qu'on pense beaucoup qu'on pense bien et le bien n'a de valeur que s'il s'adresse au plus grand nombre, pas à une poignée de privilégiés ou d'intellectuels perdus dans des sphères hermétiques" [p.97/98]). De très belles pages également sur l'amour qui unissait Léon et Danièle, notamment les deux premières, sorte de prologue du livre et d'autres sur l'absence et sur la manière de penser à ses proches décédés, dont cette réflexion suivante que je fais mienne depuis longtemps déjà, mais quand c'est bien écrit, c'est encore mieux :

"Tu m'avais dit qu'il n'y avait pas besoin de se recueillir à une place précise pour penser à quelqu'un, comme il n'était pas nécessaire d'avoir un toit pour prier. Le souvenir d'un défunt ne se limite pas à des données géographiques, il habite celui qui reste, partout où il va." (p.129)

Vous l'aurez compris sans peine, j'ai aimé ce livre, autant que Passerelles, deux bonnes raisons pour vous initier à l'écriture de Dominique Lin, qui, il m'en excusera je l'espère, commet un anachronisme, pas essentiel à la bonne compréhension du livre et de ses personnages, mais qui fait désordre, en plaçant Denis Diderot (1713/1784), page 99,  spectateur des campagnes napoléoniennes, qui n'auront lieu qu'après la mort du philosophe, puisque se déroulant entre 1789 et 1814. (Napoléon Bonaparte 1769/1821).

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L'inconnue de Bangalore

Publié le par Yv

L'inconnue de Bangalore, Anita Nair, Albin Michel, 2013 (traduit par Dominique Vitalyos)

La première nuit du Ramadan à Bangalore, un jeune prostitué est agressé et brûlé vif. Puis, un autre meurtre suit, la victime est un homme étranglé et égorgé par un fil garni de petits morceaux de verre, comme la première victime. L'inspecteur Borei Gowda se voit confier l'enquête. Gowda est un flic qui approche de la cinquantaine, brimé dans ses avancements à cause de son mauvais caractère, de sa manie de suivre son instinct plutôt que les procédures. Un jeune homme, l'inspecteur-adjoint Santosh est affecté dans son service.

Petites précisions géographiques avant d'entamer mon billet : Bangalore est une ville du sud de l'Inde, d'environ 8.5 millions d'habitants, capitale de l'État du Karnataka, considérée comme la Silicon Valley indienne (source : Wikipédia et l'éditeur).

Revenons maintenant au roman d'Anita Nair qui m'a fort agréablement surpris. J'avoue, à ma grande honte (ouh, ouh, ouh), avoir une idée dépassée de l'Inde, des habitants réservés, un rien compassés, des us et coutumes très ancrés. Il me faut dire également que ce n'est pas un pays pour lequel j'ai un intérêt particulier et que je ne suis jamais allé chercher d'information sur la vie moderne indienne. Tous mes préjugés volent en éclat et c'est tant mieux. Ce polar met en scène à la fois des coutumes et des scènes ou des mœurs beaucoup plus modernes : il y est beaucoup question de sexualité, de trans-sexualité, des rapports qu'entretiennent entre eux les gens d'une grande ville, de la corruption, des accointances entre politiques et chefs de la police, de prostitué(e)s, de sans-papiers, de faux-monnayeurs, d'eunuques et de travestis. L'auteure réussit le tour de force de donner beaucoup de modernisme tout en gardant les traditions de son pays très présentes. Son personnage principal Borei Gowda n'est pas un mec éminemment sympathique, ni antipathique d'ailleurs, il est mal embouché, bourru, néanmoins, il a des côtés touchants et attachants, mais s'emporte très vite, ne supporte pas beaucoup les autres : "Gajendra pâlit. C'était toujours comme ça quand la tendance de Gowda à la méchanceté remontait à la surface. Il parlait sur un ton suave qui, au lieu de désamorcer la violence intérieure, l'amplifiait. Le brigadier éprouvait une grande sympathie pour Santosh. On avait vu des hommes plus endurcis retenir leur souffle quand Gowda optait pour la douceur." (p.39)

Il a des raisons pour être comme cela, c'est un excellent flic, doté d'un sixième sens, mais qui se heurte à la hiérarchie souvent plus occupée à s'occuper d'elle-même que des meurtres commis dans les rues, fussent-ils perpétrés par un tueur en série : "Il se passe beaucoup de choses dans votre juridiction. Des Africains en ont fait leur quartier général. Certains sont impliqués dans un trafic de drogue. Occupez-vous de ça. Il y a aussi un consortium de propriétaires de carrières en quête de bons filons qui voudrait qu'on regarde ailleurs. Mettez-y bon ordre. Ça nous fera le plus grand bien, à vous comme à moi. Laissez ces absurdités de tueur en série à la Criminelle." (p.217)

D'aucuns pourront dire qu'il n'y a là rien de nouveau. Certes, je ne crois pas qu'Anita Nair veuille révolutionner le roman policier, mais elle y ajoute un contexte géographique, politique assez différent de ce que je peux lire habituellement. Ça suffit pour me plaire, surtout si dès lors qu'on tente de comprendre qui peut être le ou la coupable, on patauge un peu, A. Nair nous embrouillant avec des termes indiens tels "Anna" (=frère aîné), "Akka" (=sœur aînée)", certes expliqués en un bienvenu glossaire de fin de volume, mais qui, s'ils peuvent désigner une personne particulière -celle que l'on pense être un coupable parfait- sont aussi des termes génériques qui peuvent s'adresser à plusieurs personnes -donc d'autant plus de suspects.

Voilà donc pour ce polar indien qui devrait plaire à un grand nombre de lecteurs, peut-être pas aux plus exigeants des amateurs de romans policiers qui en verront les ficelles, sauf s'ils se laissent prendre par l'ambiance mi-moderne mi-traditionnelle qu'a su créer Anita Nair.

 

Merci Laure.

PS : petite note à l'attention du traducteur, qui cette fois-ci pourrait revenir me voir avec des intentions plus sympathiques et des mots (lui qui a l'habitude de les manier) moins désagréables que pour le livre de Tarun Tejpal.

 

thrillers

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Sentiers sous la neige

Publié le par Yv

Sentiers sous la neige, Mario Rigoni Stern, Éd. La fosse aux ours, 2000 (traduit par Monique Baccelli)

Recueil de nouvelles construit en trois parties, la première étant plutôt des nouvelles romancées dans lesquelles parfois l'auteur se met en scène (elles paraissent plus romancées car l'auteur s'exprime par l'intermédiaire d'un narrateur en "il"), la deuxième est plus autobiographique (il s'exprime avec "je") et la troisième raconte le rapport que Mario Rigoni Stern entretient avec la nature dans sa vie quotidienne.

Comme à chaque fois qu'il s'agit de nouvelles, je n'excelle point à les décrire et donner mon avis (si tant est que je puisse exceller en quoi que ce soit d'ailleurs). Les histoires qui m'ont le plus touché sont celles de la première partie, plus romancées car mettant en scène des personnages qu'on pense fictifs, mais qui vivent des situations réelles, celles qu'ont vécues des soldats italiens pendant la guerre.

- ... comme tu es maigre , frère ! : la nouvelle qui ouvre le livre raconte l'errance d'un soldat évadé d'un camp de prisonniers en Prusse et qui marche des jours et des jours pour tenter de rallier son village, à la fin de la guerre. Il traverse des paysages qui ont changé, rencontre des Partisans pas toujours bien intentionnés, des civils qui l'aident. "A chaque coin de rue son regard tombait sur les ruines des bombardements, mais ça ne le troublait pas vraiment. Depuis des années, et sur des milliers de kilomètres, il n'avait vu que ruines et cadavres." (p.27)

- Polenta et froumage, c'est bong... : sans doute la plus jolie des nouvelles, celle dans laquelle un vieil homme, ancien soldat qui ne marche plus beaucoup demande à sa petite fille d'aller sur les lieux de sa guerre en tant que Partisan. Il lui demande de regarder, de revoir certaines personnes et de tout lui raconter à son retour.

- Ensorcellement : Lorenzo est un ouvrier sérieux et très qualifié, il travaille dans une scierie. Ouvrier modèle jusqu'à ce que "Les yeux d'une jeune femme [pointent] sur lui. Plus profonds que le ciel nocturne, plus lumineux que le soleil sur la neige, humides comme ceux d'une jeune biche." (p.59)

- Auberge de frontière : l'histoire d'une auberge au fil des ans de sa naissance en tant qu'abri pour la garde sanitaire en 1613 jusqu'aux toutes dernières années, sur la route qui relie la Vénétie au Tyrol.

Dans toutes les nouvelles du livre il est question du pays de Mario Rigoni Stern, né en 1921 à Asagio, en Vénétie au Nord-est de l’Italie (et mort au même endroit en 2008). Tout le relie à la tradition des bergers, de la polenta et du fromage à une certaine manière de vivre (ou art de vivre) à l'ancienne, où prendre du temps n'était pas un luxe ou un privilège. De la nostalgie et beaucoup de tendresse pour le pays et ses habitants humains et tous les autres animaux, oiseaux, écureuils, chevreuils, ... Beaucoup de poésie également, notamment dans la nouvelle intitulée Neige dans laquelle il décrit toutes les neiges de son pays de celle qui commence à tomber en octobre jusqu'à celle qui peut subvenir parfois en été.

Un texte tout en sobriété, aucun mot n'est en trop, pas de grandes envolées pour décrire ses montagnes, ses marches ou la guerre. C'est du direct point dépourvu de poésie, des textes qui même lorsqu'ils sont plus anodins restent d'une qualité exceptionnelle.

Mario Rigoni Stern est un écrivain incontournable en Italie, ami de Primo Levi, qui a lui aussi connu la guerre, les camps et dont les thèmes d'écriture principaux sont tous présents dans ce recueil. De lui, j'avais déjà lu et aimé Histoire de Tönle.

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La disparition de Jim Sullivan

Publié le par Yv

La disparition de Jim Sullivan, Tanguy Viel, Minuit, 2013

Tanguy Viel, après avoir lu beaucoup de littérature française a eu une période assez longue de lecteur de littérature américaine. Il se demande alors pourquoi les romans américains sont quasi-universels, traduits dans tous les pays et décide de s'atteler à l'écriture de son roman américain. Son héros s'appellerait Dwayne Koster, professeur de littérature américaine à l'université, 50 ans, divorcé, ne supporterait pas la séparation, habiterait Detroit.

En général, je suis emballé par les livres de Tanguy Viel. Il a l'art de m'intéresser à une histoire banale, par la subtilité de son écriture, ses longues phrases, ses personnages mis pourtant dans des situations déjà lues ou vues. Son dernier roman est encore mieux : il utilise les mêmes bases, mais en plus il décortique le roman américain, intervient sans cesse en tant qu'écrivain pour dire ce qu'il pourrait faire. De fait, on a à faire à un écrivain qui nous raconte comment il construit son roman. Il absorbe toutes les règles pour fabriquer un roman international, car il faut bien le dire, nombre de romans étasuniens sont calibrés, pré-construits, les rebondissements arrivant à tel et tel chapitres, la minute sentimentale itou... un peu comme les films du même pays, ou comme le camembert d'une grande marque (mais français, l'honneur est sauf) : surtout ne pas déstabiliser le client, lui apporter toujours la même chose, le même plaisir, le garder, le guider. Personnellement, je n'aime pas cela, je vois peu de films hollywoodiens, lis peu de -gros- livres étasuniens et mange du camembert au lait cru, moulé à la louche : j'aime qu'on me surprenne.

Tanguy Viel écrit son roman américain finalement très français (et tant mieux, le contraire m'eût sans doute moins plu) parce qu'il explique toute la méthode, tous les clichés et les stéréotypes du genre, sans critiquer : il constate. Il explique la différence entre un roman français et un roman étasunien :

"Je ne dis pas que tous les romans internationaux sont des romans américains. Je dis seulement que jamais dans un roman international, le personnage principal n'habiterait au pied de la cathédrale de Chartres. Je ne dis pas non plus que j'ai pensé placer un personnage dans la ville de Chartres mais en France, il faut bien dire, on a cet inconvénient d'avoir des cathédrales à peu près dans toutes les villes, avec des rues pavées autour qui détruisent la dimension internationale des lieux et empêchent de s'élever à une vision mondiale de l'humanité. Là-dessus, les Américains ont un avantage troublant sur nous : même quand ils placent l'action dans le Kentucky, au milieu des élevages de poulets et de des champs de maïs, ils parviennent à faire un roman international" (p.10)

Et T. Viel de raconter la vie de ses personnages, Dwayne qui épie son ex-femme qui vit désormais avec l'un de ses ex-collègues prof de l'université, celui qu'il détestait, qui ne voit plus ses enfants, qui va pour tenter de reconquérir sa femme se compromettre. Il passe aussi rapidement sur les traumatismes de cet ex-du Viet-Nam (il a bien failli y aller à un jour près), sur la désormais inévitable dans les romans guerre d'Irak et l'encore moins évitable 11 septembre 2001. On avance dans son roman, on suit Dwayne et les autres personnages, on comprend toute son histoire et on s'y intéresse et dans le même temps, l'auteur intervient et nous dit ce qu'il aurait pu écrire ici ou là pour faire un vrai roman américain, il le dit à ses lecteurs en quelques lignes, dans ses phrases toujours aussi longues et belles là où un romancier étasunien prendrait un ou deux chapitres par idée évoquée ; cela se ressent sur le poids du livre, rarement moins de 400 voire 500 pages pour un roman international et 153 pages pour Tanguy Viel que je ne remercierai jamais assez pour sa concision alors qu'il ne passe aucun thème récurrent du roman américain.  A propos de concision, je vais peut-être stopper là moi aussi en précisant que ni Tanguy Viel (si je l'ai bien compris) ni moi n'avons rien contre le roman international, contre les auteurs étasuniens en général, c'est un genre qui plaît, à juste titre, même s'il n'est pas celui que je lis le plus couramment. Personnellement, je préfère et de très très loin LE roman américain de Tanguy Viel qui une fois de plus aura su me passionner, me surprendre et me captiver avec une histoire et des personnages loin d'être originaux. Du très bon travail, un roman excellent, n'ayons pas peur des mots. Tout ce que j'aime est dedans.

D'autres avis sur Babelio, Clara, Véronique, Krol, ...

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L'alcool et la nostalgie

Publié le par Yv

L'alcool et la nostalgie, Mathias Énard, Actes sud-Babel, 2012 (Éd.Inculte, 2011)

Mathias part à Moscou pour accompagner en train la dépouille de son ami Vladimir jusqu'à Novossibirsk. C'est Jeanne avec qui il a vécu, étudiant à Paris, puis à Moscou en même temps que Vladimir qui l'a prévenu du décès de leur ami. C'est pour Mathias le moment de faire le point sur cette amitié entre eux deux, cet amour entre les deux hommes et la femme. 

Jusque là je n'avais pas encore lu Mathias Énard, ce qui est bien fait pour moi. Je ne sais pas pourquoi je n'avais pas osé ouvrir un de ses livres, parce que la surprise fut bonne, excellente même. Ce tout petit roman est certes court mais intense. Si les questionnements ne sont pas nouveaux : la mort, l'amitié, l'amour, l'alcool, la drogue, le début de la vie d'adulte, les tourments de jeunes gens mal dans leur peau, dans leur vie et dans la société, ... la manière de les mettre en page est tout simplement magistrale. Une écriture belle, de longues phrases qui peuvent tour à tour être lentes lorsqu'elles décrivent les superbes -ou très moches- paysages russes et leur histoire :"J'irais bien sur le Bosphore après une croisière sur la Volga, descendre le fleuve jusqu'à Astrakhan au nord de la mer Noire, puis me laisser glisser doucement vers Istanbul, on verrait Kazan et Stalingrad, deux batailles russes ; on verrait l'île où s'installa Ivan le Terrible avant de prendre Kazan et de mettre fin au khanat héritier de la Horde d'or, terminée la domination mongole en Russie, place à l'encens, aux moines et aux popes barbus." (p.44) ou rapides lorsque le narrateur parle de ses affres de ses doutes et de ses douleurs : "... j'avais vingt ans quand j'ai lu ce livre Vlad, vingt ans et j'ai été pris d'une énergie extraordinaire, d'une énergie fulgurante qui a explosé dans une étoile de tristesse, parce que j'ai su que je n'arriverais jamais à écrire comme cela, je n'étais pas assez fou, ou pas assez ivre, ou pas assez drogué, alors j'ai cherché dans tout cela, dans la folie, dans l'alcool, dans les stupéfiants, plus tard dans la Russie qui est une drogue et un alcool j'ai cherché la violence qui manquait à mes mots Vlad, dans notre amitié démesurée, dans mes sentiments pour Jeanne, dans la passion pour Jeanne qui s'échappait dans tes bras..." (p.42)

M. Énard parle formidablement bien du sentiment amoureux, de l'amitié, de la jalousie du manque d'une personne aimée. S'y ajoute la défonce, drogue et alcool, nécessaire pour ces jeunes gens pour surmonter leur difficulté à vivre tout simplement. Et les petits -ou gros- plus ce sont d'une part les paysages russes enneigés, pas toujours très beaux, certains étant de simples vestiges de l'époque communiste, blocs de béton abandonnées, murs de goulags, d'autre part les pans d'histoire de ce pays qu'il insère entre deux descriptions, entre deux questionnements des héros et enfin, les souvenirs de lecture des grands écrivains russes, eux qui ont su donner de leur pays une image forte et ont su écrire sur la fameuse âme slave.

Eh bien que me reste-t-il à dire ? Que je relirai très certainement M. Énard qui m'a enchanté dans ce récit très nostalgique et mélancolique, que j'espère que le plaisir sera de nouveau au rendez-vous de ma prochaine lecture.

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Marcel Proust roi du Kung-Fu

Publié le par Yv

Marcel Proust roi du Kung-Fu, Marc Lefrançois, Éd. Portaparole, 2011

Élodie a une passion pour Marcel Proust. Paul a une passion pour le Kung-Fu et Bruce Lee. Ils sont tous les deux professeurs. Elle de lettres. Lui de sport. Ils s'aiment. Leurs passions aux antipodes sont-elles compatibles, solubles dans leur vie de couple ?

Deux êtres si différents peuvent-ils s'aimer, construire leur vie ensemble, ou bien la vie se résume-t-elle à ce fameux adage : "qui se ressemble s'assemble" ? Sur ces questionnements, Marc Lefrançois construit son court roman. Ce qui est bien c'est  qu'il évite la posture facile de l'écrivain pour qui, bien sûr Marcel est plus fort que Bruce. Peut-être parce que d'après sa courte biographie, sur le rabat de première de couverture, il est écrit que M. Lefrançois a été prof de lettres et qu'il est un spécialiste d'un art martial japonais, le Taido ? En fait, Marcel tout autant que Bruce, ou Élodie tout autant que Paul se font gentiment railler. Car ce roman est drôle, écrit sur un ton léger même s'il aborde finalement des questions essentielles sur la vie en couple, la vie en société, l'écoute de l'autre, la tolérance, et caetera, et caetera

La vie de couple n'est point aisée tous les jours (croyez-moi, je suis marié depuis pfff..., quelques années) et si les centres d'intérêts sont opposés, elle doit être un sport quotidien : "A ces moments, Élodie et Paul devait avoir la même pensée : "Il y a des couples qui durent toute leur vie. Comment faisaient-ils ? Peut-être mouraient-ils plus tôt que les autres ?" (p.38) Réflexion pas totalement dénuée de fond puisque jadis, nos aïeux se mariaient et ça durait jusqu'au bout, mais leur espérance de vie était moindre que la nôtre qui continue d'augmenter de trois mois par an : donc quand on prend une année on ne se rapproche de la fin que de 9 mois (dixit je ne sais plus quel expert sur le plateau de F. Tadéi, un soir) !

Personnellement -puisque c'est mon blog je peux parler de moi- je ne suis fan ni de l'un ni de l'autre ; Marcel, je l'ai lu un peu, ai calé beaucoup, ai aimé ce fabuleux passage de la madeleine mais ne suis pas vraiment allé au-delà malgré plusieurs tentatives, mais peut-être sur mes vieux jours... Bruce, j'ai vu des films une fois peut être deux (il faut bien avouer que l'effort est moindre que pour lire une seule fois un tome de La recherche du temps perdu), n'ai pas lu de livre de lui : "Il est vrai que Bruce Lee avait moins écrit que Marcel Proust. Néanmoins, il y avait quand même son livre sur le Jeet kune Dao, l'art martial qu'il avait inventé et son monumental Pensées percutantes ou la sagesse du combattant philosophe." (p.29)

Un roman qui traînait chez moi depuis un moment et dont le titre me faisait de l’œil. J'ai fait du rangement ai réduit considérablement ce que beaucoup appellent une PAL (Pile A Lire, j'ai mis du temps à comprendre ce que cet acronyme signifiait, la blogosphère en est pleine et souvent je n'y entrave rien, celui-ci au moins je l'ai retenu. Et encore je ne vous parle pas des flux RSS, des CSS que je vois fleurir un peu partout et dont je ne sais rien : je sais juste publier un article, le mettre en page et y coller une photo, le reste, je patauge.)

Pouf, pouf, je m'égare, revenons à Marcel et Bruce réunis dans un roman au ton léger qui ne l'est pas tant que cela même s'il ne se prend pas au sérieux. Suis-je bien clair ?

Marc Lefrançois est écrivain et aussi blogueur : ici

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