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Le chien de Don Quichotte

Publié le par Yv

Le chien de Don Quichotte, Pia Petersen, Ed. La Branche, 2012

Hugo est l'exécuteur des basses œuvres d'un grand patron pas très regardant sur les méthodes appliquées pour le débarrasser de concurrents ou de gêneurs. Hugo n'a pas d'états d'âme lorsqu'il s'agit d'occire tel ou tel qui s'oppose à Esteban, son patron. Mais un soir, dans un bar, Hugo rencontre un prêtre alcoolique qui a perdu la foi. Celui-ci lui donne un livre qui va changer la vie du tueur. Bouleversé par sa lecture, il décide de faire le bien, à commencer par recueillir et s'occuper du chiot qu'il trouve dans un parking souterrain. 

Nouveauté de l'excellente -on ne le dira jamais assez- collection Vendredi 13 des éditions La Branche. Cette fois-ci il est question de cybercriminalité, de hackers et d'un tueur confronté à ses doutes et son désir de faire le bien. Sauf qu'évidemment, faire le bien n'est pas évident dans cette profession souvent expéditive et atypique. Pia Petersen s'amuse avec ses personnages, joue des stéréotypes, des clichés, en rajoute dans la caricature, et nous lecteurs, eh bien on sourit à la lire. On n'éclate pas de rire, mais un sourire effleure les lèvres tout au long de la lecture. Le "prêtre-athée", personnage secondaire mais déclencheur des événements est drôle, décalé et absolument pas en phase avec le monde qui l'entoure. C'est d'ailleurs ce décalage, cette vie hors des normes qui le rendent drôle. La présentation des hackers, chacun avec ses spécialités, ses motivation pour en arriver là son envie d'en découdre au sein du collectif Vendredi 13 est un régal : on pourrait presque les voir se matérialiser devant nous.

Et que dire de Hugo qui se promène avec son chiot, même lorsqu'il doit effectuer une mission délicate ? Cela donne des situations irréelles presque surréalistes : imaginer un tueur  effectuer son oeuvre tout en protégeant son chien, en le portant lorsqu'il est trop fatigué, ... A quasiment chaque page, j'ai pensé à ce film que j'ai beaucoup aimé, de Pierre Salvadori, Cible émouvante, dans lequel Jean Rochefort est un tueur à gages qui entre deux missions apprend et récite les verbes irréguliers anglais. C'est pour moi le même genre d'humour, noir, décalé et peu probable.

J'ajoute que dans son livre, Pia Petersen dresse un portrait peu flatteur du grand patron, sans scrupules, sans regrets ni remords, en lien très étroit avec les politiques, ce qui ici, est une litote ou un euphémisme :

"Le président s'approcha et lui parla sur le ton de la complicité. On ira jusqu'au bout. On m'a élu pour faire le boulot. Pas question de reculer. Esteban le salua et descendit les marches. Le rendez-vous était terminé. Esteban monta dans sa voiture et quitta l'Élysée et le chauffeur prit la direction du café. Le ciel était sombre et menaçait de se coucher sur les toits. Il faisait un froid de chien." (p.140).

On ne peut pas dire de ce roman qu'il dénonce quoi que ce soit, mais il met le doigt (bon, c'est une image puisqu'un livre, évidemment, n'a pas de doigts) sur des situations et des faits réels dans une ambiance quelque peu barrée et réjouissante. La scène finale que je ne raconterai pas pour laisser le suspense total et entier est absolument hilarante, enfin j'espère que c'est bien comme cela qu'il fallait la voir. Je dis bien "la voir" car les livres de cette collection sont aussi faits pour être filmés et là, je salive déjà à l'avance à l'idée de regarder le film, qui j'espère portera le même formidable titre que je répète juste pour le plaisir : Le chien de Don Quichotte.  

Action-Suspense a aimé, Livrogne moins 

Merci Pauline de chez Gilles Paris.

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Baby boom

Publié le par Yv

Baby boom, Jean Vautrin, Rivages/Noir, 2012 (Ed. Mazarine, 1985)

"Existe-t-il une quête plus humaine, et en même temps plus difficile, que celle du bonheur ? Les personnages de Jean Vautrin se mesurent à cet épineux problème à travers treize textes noirs à l'écriture électrique et cinématographique.

Jean Vautrin est, avec Jean-Patrick Manchette, l'un des pères du néo-polar.

Baby boom a reçu le Prix Goncourt de la nouvelle." (4ème de couverture)

Recueil de nouvelles noires, très noires. En fait, une réédition d'un livre paru en 1985. Jean Vautrin fait preuve de toute l'étendue de son talent en écrivant des histoires de manières totalement différentes. Certaines sont écrites dans un langage très imagé, argotique, familier voire grossier. D'autres sont plus classiques, dans une belle langue, souvent faite de phrases courtes pour maintenir un certain rythme. Certaines nouvelles sont assez elliptiques, il faut savoir lire un peu entre les lignes, elles n'ont pas de chutes véritables ; d'autres sont plus prosaïques, construites comme de petits romans. Toutes ont en commun un univers noir : des sentiments, de l'amour, de la haine, de la désespérance, du sexe et la mort. Si vous aimez la diversité dans vos lectures, n'allez pas chercher plus loin, dans ce recueil, vous pourrez trouver votre bonheur. Pour vous allécher, les premières phrases des nouvelles que j'ai le plus appréciées :

- L'espoir des Pouilles : "Dimanche dernier, les lumières de la salle omnisports de Clermont-Ferrand se sont éteintes si brusquement que je n'ai pratiquement rien senti. Consciencieux comme je suis, dès qu'au travers de mon œil gauche, j'ai aperçu des ombres penchées sur moi, je me suis mis en garde." (p.99)

- Douze petits baigneurs et qui savaient parler : "Voilà ce que j'ai vu. Mais personne n'est obligé de le croire. Il était attablé face à la porte et il essuyait. Il essuyait l'assiette que la serveuse venait de poser devant lui. Il essuyait les miettes de la table. Il essuyait ses couverts. Il essuyait le menu. Et il essuyait le revers de sa veste. Il essuyait même son crâne." (p.107)

- Signé Bondoufle : "Ces temps derniers, Tante Girafe avait perdu un peu la boule. C'était souvent une déviance passagère -des absences concentrées, pendant lesquelles ses yeux de porcelaine se perdaient dans le vague du jardin, ou bien au contraire, des bouffées d'enthousiasme inopinées qui lui coloraient temporairement les joues d'un peu de confiture de rose." (p.115)

- Un silence d'espadrille : "Lucette, garder ses bas, elle n'en avait rien à foutre. Simplement le Sarde du mardi dix-neuf heures aurait pu s'excuser des les avoir filés. Et puis, embrasser sur la bouche, elle n'aimait pas cela. (p.192)

Bon, voilà, j'en ai cité quatre, mais j'aurais pu en indiquer d'autres comme Le voyage immobile (de Kléber Bourguignault) : une histoire d'amour intense sur quarante années ou encore Le Pogo aux yeux rouges qui est aussi une histoire d'amour (et de vengeance). Très noires, ces histoires sont très différentes même si elles traitent des mêmes sujets. Jean Vautrin  est aussi archi connu pour ses romans notamment  Le cri du peuple (adapté en BD par J. Tardi et qui est de très très loin MA bande dessinée préférée ), Un grand pas vers le Bon Dieu (Prix Goncourt 1990) et son excellente série avec Dan Franck intitulée Les aventures de Boro, reporter-photographe.

 

dialogues croisés

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Naissance d'un pont

Publié le par Yv

Naissance d'un pont, Maylis de Kerangal, Gallimard, 2010 (Folio, 2011)

"Ce livre part d'une ambition à la fois simple et folle : raconter la construction d'un pont suspendu quelque part dans une Californie imaginaire à partir des destins croisés d'une dizaine d'hommes et de femmes. Un roman-fleuve qui brasse des sensations et des rêves, des paysages et des machines, des plans de carrière et des classes sociales, des corps de métiers et des corps tout court." (4ème de couverture)

Maylis de Kerangal part d'un idée originale pour son roman. De mémoire de lecteur, qui ne vaut pas sondage je suis passé à côté de tellement de livres, je n'ai pas souvenir d'un tel thème. Mais je me trompe sûrement et j'attends donc vos rectifications. De toutes manières, même si de tels romans existent, il faut bien reconnaître que ce n'est pas le thème majeur de la littérature. Car de littérature, il en est question, au moins pour ma propre -et variable- définition de ce vocable : chacun ayant sa signification de la littérature, ses critères personnels. Roman à l'écriture admirable, aux phrases travaillées, longues, qui englobent parfois plusieurs idées à la fois, au vocabulaire tantôt recherché, châtié voire rare et tantôt familier voire grossier, et il faut bien le dire à certains passages dans lesquels il est parfois difficile de maintenir l'attention. Mais comment résister à cela par exemple :

"Sanche Cameron, lui, s'écartera pour la regarder mieux tandis qu'elle se présentera aux autres, la détaillera sans parvenir à se faire une idée, la trouvera étrange, de la gueule mais lourde, une démarche de gorille, des mains courtes et des épaules carrées, des hanches larges, une belle peau mate, l'épaisse chevelure blonde, mais un menton en bénitier, un nez de chien, voilà, elle aura pleinement conscience d'être la bête curieuse, elle voudra faire impression et ne sourira pas, une fille au béton n'est pas monnaie courante." (p.49/50)

Maylis de Kerangal raconte tout : la préparation de la construction, le choix des hommes et des femmes, et certains d'entre eux un peu plus en détails ; elle s'attarde sur quelques uns pour nous raconter leurs vies, leurs parcours et parfois comme plus haut et comme ci-dessous leurs particularités physiques : "John Johnson, dit le Boa, est un homme de taille moyenne, corps imberbe, torse d'haltérophile et carnation chinoise, nuque forte, sourcils drus sur petits yeux fendus, pas de lèvres, dents pointues, langue grise." (p.53)

C'est une lecture qui demande un peu d'attention pour bien se diriger dans le chantier, qui se mérite mais qui récompense son lecteur. Certes, ce roman souffre de certaines longueurs, de certains passages moins captivants, mais sa construction est toujours épatante, dans une langue qui me ravit. Si je puis me permettre cette image totalement pourrie, je pourrais dire que le roman de Maylis de Kerangal est à l'image des ouvrages d'art, solide, bien construit et qui permet de découvrir de nouveaux horizons.

dialogues croisés

 

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Cannisses

Publié le par Yv

Cannisses, Marcus Malte, Ed. Atelier in8, 2012

Un lotissement en Province où toutes les maisons se ressemblent. Un homme, le narrateur, vient de perdre sa femme d'un cancer. Très abattu, il tient parce ses deux petits garçons sont présents et qu'ils ont besoin de lui. Germe alors en lui l'idée que si sa femme est morte, c'est à cause de la maison. La meilleure preuve, c'est que dans la maison d'en face -celle qu'ils auraient pu habiter également, ils avaient eu le choix à l'achat- vit une famille parfaitement heureuse, deux adultes et une petite fille en bonne santé et apparemment sans souci et sans histoires.

Marcus Malte est un écrivain reconnu pour ses romans et ses nouvelles, notamment Intérieur nord et Garden of love chroniqués ici même sur ce blog. Cette nouvelle éditée par les excellentes éditions de l'Atelier in8, ne ternira pas sa réputation, bien au contraire. C'est une montée en douceur et en puissance d'une douleur et de la folie humaine. Dans ma longue vie de lecteur -bien que je sois encore très très jeune, "longue", c'est parce que j'ai commencé de bonne heure- j'ai rencontré pas mal de barges, mais celui-là, il est particulièrement atteint. Sa douleur l'entraîne irrémédiablement vers une paranoïa obsessionnelle dangereuse. "Maintenant que j'y songe, la chatte Guimauve elle s'est fait écraser dans les tous premiers jours de notre arrivée. Ça ne faisait pas une semaine qu'on avait emménagé ici. On aurait dû comprendre que c'était un signe. Une sorte d'avertissement. Je m'en veux, c'est moi qui aurais dû y penser. En face, ce n'était pas encore vendu. Ce n'était pas trop tard pour changer. On n'avait pas déballé la moitié des cartons. Il suffisait de traverser la rue pour inverser le sort. C'est moi qui serais allé déposer un petit mot dans sa boîte aux lettres à lui. Ses condoléances, ça me fait une belle jambe. Dire qu'il suffisait de traverser." (p.17) Ça, c'est le début de son obsession : croire que la maladie de sa femme n'est due qu'à l'emplacement de la maison. Ensuite, Marcus Malte fait monter la tension, le suspense jusqu'à son point culminant, son apogée comme on dit quand on a du vocabulaire, voire même encore mieux, son acmé !

Construit avec des phrases courtes qui rythment l'action, le texte est donc rapide, efficace. On est dans la tête d'un grand malade, dans ses réflexions de désaxé qui ne se remet pas de la mort de sa femme, injustifiée à ses yeux. Comme à son habitude, Marcus Malte ne s'embarrasse pas de superflu, il va directement au but (même si on a droit aux détours des réflexions du narrateur) : son texte est court mais point n'est besoin d'en faire plus, on a tout : même ce qui n'est pas dit est limpide ! Moi qui aime les textes courts, forts et complets, je suis comblé.

Amis lecteurs qui habitez dans un lotissement tel que celui décrit plus haut, après avoir dévoré cette nouvelle terriblement bien construite, inévitable donc, vous ne regarderez plus vos voisins bienveillants et un peu réservés du même œil, surtout s'ils ont des cannisses à leurs fenêtres ! Moi, ça va, je viens de vérifier, ils n'ont que des rideaux, mais je reste vigilant tout de même. Et puis, mes voisins, ils ne sont pas vraiment discrets, ni réservés...

Merci Josée pour cette excellente nouvelle qu'effectivement vous pouvez être fiers de publier.

PS : message personnel pour JPS, JS, JC et AMC, mes voisins les plus proches qui se reconnaîtront : c'était pour rire bien sûr ! Quoique...

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Givre noir

Publié le par Yv

Givre noir, Pierre Pelot, Ed. La Branche, 2012

Une fusillade a lieu dans un bar d’Épinal : Gerbois, un journaliste local s'y rend pour recueillir les témoignages des victimes et témoins. La victime principale est une jeune femme surnommée Miss Image, et prénommée Veline, sorte d'icône de l'école d'Image de la ville.

Dans la région, dans une vieille maison vivent Mado et Stany, vieux couple aux relations minces. Nell, la nièce de Mado vit avec eux ; un soir elle surprend Mado dans les bras de Dustin, un ancien ami de son défunt fils, qu'elle a ramené à la maison. 

Deux résumés pour ce livre qui déroule deux histoires en même temps. On se dit qu'elles vont forcément se rejoindre à un moment, mais quand ? Et par quel subterfuge Pierre Pelot va-t-il lier ces deux parties qui a priori n'ont rien en commun, si ce n'est le lieu de l'action, Épinal ?

Un début de roman assez décevant qui traîne, tourne en rond et reste en surface des personnages et situations. L'auteur raconte ses histoires sans passion et avec un détachement qui déroute et ennuie quelque peu. Heureusement pour lui, il déploie des talents d'écrivains par son écriture. Il joue des registres du langage. Par exemple, Stany s'exprime de manière assez châtiée, soigne son vocabulaire et ses tournures de phrases alors que Mado est plus familière et Nell plus moderne. Le roman fourmille de trouvailles littéraires drôles comme par exemple cette métaphore culinaire : "Il advint que Mitidjène carrément se retrouva à deux doigts de mettre son poing dans la gueule d'un cornichon tombé de son bocal et désireux, brandissant le tube de rouge à lèvres de sa copine, que Veline lui signe un autographe sur le ventre. La copine du cornichon, encore plus vinaigrée que lui, devint excessivement aigre quand la garde rapprochée entreprit de virer son guignol. Tout avait fini dans les cris, victoire à Mitidjène, qui pour gueuler ne craignait personne, et les deux condiments s'étaient fait virer." (p.136/137)

P. Pelot s'amuse à détourner les expressions, à en changer un mot sans en changer totalement le sens. Par exemple pour dire de Dustin, qu'il ne réagit pas au propos de Stany, il écrit : "Dustin resta de placoplâtre." (p.74), et montre ainsi par ce simple détournement d'adage, que Dustin n'a pas inventé l'eau tiède ; disons qu'il n'a pas la noblesse du marbre ! Il n'est pas le seul d'ailleurs, l'ex-petit ami de Nell, garagiste de son état en prend aussi pour son matricule :

"- C'est pas parce qu'on lit L'Auto-Journal qu'on est plus con qu'un autre, ceci dit, estima Dustin [...] 

- Certainement, dit Stany. [...] Étant tout de même entendu que, dans le cas de ce garçon, Mado n'a pas tort. vous lui dites Toulouse-Lautrec, il vous répond Paris-Dakar." (p.77)

Ce roman noir plan-plan s'anime enfin sur les 40/50 dernières pages et affirme une volonté de faire oublier la relative mollesse du départ. Pari gagné ! On relie tous les personnages entre eux, toutes les situations, les volontés des uns et des autres. Tout ce qui était un peu emmêlé, confus devient limpide et pas si évident que cela : j'avoue que je n'avais pas prévu la moitié des révélations finales. 

En résumé, même lorsqu'un roman de la collection Vendredi 13 paraît un peu plus pépère et mollasson que les autres, il cache en son sein des joyaux d'écriture (ce fut le cas avec celui-ci et avec Close-up de M. Quint, loin d'être décevant sur le rythme cependant) et des fausses pistes capables de berner le lecteur innocent que je suis. 

Merci Pauline de chez Gilles Paris.

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Baho !

Publié le par Yv

Baho !, Roland Rugero, Ed. Vents d'ailleurs, 2012

Nyamuragi est burundais. Muet, il vit paisiblement dans un village de ce pays. Un matin, après avoir mangé et bu plus que d'habitude, il cherche un endroit pour se soulager. Il aborde une jeune fille de 14 ans, et par geste, lui demande de lui indiquer un endroit tranquille et à l'abri. Mais, récemment, plusieurs femmes du village se sont fait violer et Kigeme, la jeune fille pense que Nyamuragi veut l'agresser. Elle crie, hurle et la foule arrive, la sauve et veut se faire justice elle-même ; Nyamuragi est traîné jusqu'à un arbre pour être pendu.

Roland Rugero part d'un besoin naturel pour construire son histoire. Il raconte aussi le parcours de chacun de ses héros avant d'arriver à cette situation ubuesque. Il démonte joliment les mécanismes de la montée de la violence, du déchaînement de haine et de l'auto-justice. Le coupable désigné, innocent est faible, handicapé, ne peut se défendre, de toute façon la foule ne lui en laisse pas le temps. Par le biais de cette histoire l'auteur parle de l'intégration des handicapés, de la difficulté de vivre tous ensemble. Nyamuragi, "Né incomplet, il se contentait de vivre son atrophie. Pour lui seul, sans en faire une tragédie ni une affaire de vengeance sur le destin. Il ne faut pas craindre ce qui est. Sa mère lui disait : "Ibuye riserutse ntirimena isuka", "Le caillou qui émerge de la terre ne peut briser la houe". Dès que le cultivateur voit un caillou poindre du sol qu'il sonde de sa houe, il s'arrête, prend la peine de le ramasser, le jette loin et s'enfonce plus calmement dans son labeur." (p.69)

Ce petit roman (109 pages) oscille entre fable, poésie, roman de la tolérance et de l'intolérance. L'écriture varie elle aussi entre poésie et style plus linéaire, entre roman classique et tradition. Parfois, on peut se perdre pendant quelques paragraphes, mais on reprend pied très aisément. Les premières phrases sont très belles, représentatives de certaines digressions de Roland Rugero tout au long du livre : 

"Les cieux sont nus en ce mois de novembre.

Honteux, ils essaient de tirer quelques nuages pour se couvrir sous l'impitoyable soleil qui met au jour, de manière résolue, délibérée et éclairée, leur nudité.

Nus, bleus. Bleu de l'eau, couleur du Tanganyka, cette plaine ondoyante de l'Ouest. Des fontaines qui parsemaient les vallées autour de Kanya, l'eau y était il y a peu claire et limpide, abondante : mais elle manque. Un novembre sec." (p.7)

Parfois de telles interventions de l'auteur sont déroutantes, mais elles donnent au récit ce que j'ai appelé de la poésie, une dose d'irréalité dans la plus belle tradition des histoires africaines. 

Roland Rugero est burundais et ce joli roman est publié par une petite maison d'édition, Vents d'ailleurs spécialisée dans les cultures d'ailleurs, dans sa collection Fragments. une maison d'édition que j'ai découverte il y a quelques mois avec le superbe livre de Gary Victor Le sang et la mer. Très beaux livres, très beau travail qui ne vous laissera pas insensible.

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Peut-on aimer une morte ?

Publié le par Yv

Peut-on aimer une morte ?, Jean-Laurent Poli, LC Editions, 2012

Ludivine s'avance au bord de la falaise et saute dans le vide. Plus tard, un homme se promène au pied de cette même falaise et découvre le corps de la jeune femme. Il tombe immédiatement amoureux d'elle. Sa vie ne tourne plus alors qu'autour de sa nouvelle conquête au point de chambouler totalement son quotidien.

Bizarre, vous avez dit bizarre ? Voilà un thème et un livre on ne peut plus étranges et originaux. Qui débute par les ultimes pensées de Ludivine et son dernier geste :

"Ludivine Corinne se jeta dans le vide avec grâce, incapable d'anticiper l'image du cadavre qu'elle deviendrait, gisant au bas de la falaise, qu'un passant effaré découvrirait au petit matin...

Ce passant, ce fut moi." (p10)

Ce passant dont on sait peu de choses, si ce n'est qu'il vit seul, qu'il travaille pour une compagnie d'assurances pour laquelle il rédige les sinistres, qu'il est "un homme intelligent. A quoi bon ne pas le dire ? Intelligent et sensible." (p.10) qu'il a deux maîtresses et un ami, va tout quitter pour l'amour de Ludivine. Je laisse découvrir au futurs lecteurs jusqu'à quel point il va installer Ludivine dans sa vie et lui-même s'installer dans celle passée de la jeune femme.

On sent la folie du jeune homme monter lentement mais inévitablement. L'auteur est dans sa tête et dans toutes ses pensées, ses souhaits sont exprimés. Parfois quelques paroles d'autres personnes (on ne sait jamais réellement qui) s'intercalent dans ses propos, comme ceux d'un médecin ou de membres de la famille au chevet d'un malade.

Jean-Laurent Poli écrit très bien, certains passages sont un plaisir à lire tout haut, tout bas aussi, jouant avec les assonances, les mots, les matières, les sensations. Tiens, par exemple celui-ci (je rassure les lecteurs sur la santé mentale de l'auteur -encore que- c'est un cauchemar du narrateur): "Mes pieds sont transformés en épouvantables animaux, petits rampants gluants, vers rigides, qui glissent sur cette paroi, effrayants de ce que je les sens détachés de mon corps, doués d'une vie propre, comme vivants pour eux-mêmes, animés de desseins indépendants de ma volonté, libres comme des adolescents... [...] Mes pieds soudainement se mettant à donner du "Yes I am", du "So am I", infâmes rosbifs onglés, tapotant pareils à des coussinets de chat, un sol noir étale, portant de toute leur tessiture, des sons de tête, stridulants, avides d'agacer, s'ensachant tantôt du drap qui les recouvre pour satisfaire je ne sais quel désir puéril d'imitation, grimaçant (autant qu'il est possible pour eux de le faire) s'éloignant les uns des autres, les mollahs et les découverts, se distinguant de nobles mouvements de phalanges, mes pieds, là, devant le bois, faisant des gestes de chef d'orchestre..." (p.50/51)

Ce petit roman (90 pages) est un beau texte d'un homme qui court vers une folie certaine même si apparemment rien ne l'y prédestinait. D'un homme seul, par choix, qui préfère la vie avec une morte qu'avec les vivants (c'est vrai que c'est sans doute la seule femme qui ne le contredira pas et que ne l'embêtera pas pour des broutilles féminines que nous les hommes-on-s'en-fiche : bon, je sais c'est un peu facile et misogyne, mais je me dois de soigner tous mes -fidèles et nombreux, euh, euh- lecteurs machistes).

Vous en avez un peu marre des romans qui vous racontent toujours la même rengaine, la même histoire ? N'hésitez plus, vous avez là un bon moyen de changer pour un roman profond, tendre, ironique, drôle, décalé et original et de qualité !

Deuxième lecture des jeunes éditions LC que je vous invite à aller découvrir.

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Commissaire Garon : Emphysiqué !

Publié le par Yv

Commissaire Garon : Emphysiqué !, Saint-Luc, Ed. Beaurepaire, 2012

Roland Ariel-Sachs (dit R.A.S) directeur général du Fonds Monétaire de Secours vient d'être arrêté en Thaïlande, dans la station balnéaire de Hua Hin pour viol. Le commissaire Garon, spécialiste des affaires concernant les notables et les célébrités est dépêché sur place avec un statut de diplomate ; il doit faire le point sur cette délicate affaire et doit notamment rendre compte de la culpabilité de R.A.S ou de son innocence.

Évidemment, ce résumé fait inévitablement penser à une affaire récente qui a défrayé la chronique et a emballé tous les  journalistes jusqu'à l’écœurement absolu pour nous lecteurs, spectateurs ou auditeurs, enfin, au moins pour moi qui n'ouvrais plus ni journaux ni radio ni télé aux heures des informations. Dans Emphysiqué (dont je vous laisse le soin de trouver la signification dans le livre), Saint-Luc prend certes, comme idée de départ des faits quasi-similaires, mais s'en éloigne rapidement pour créer sa variante personnelle. Il ne faut donc plus garder à l'esprit ce fait divers sordide pour suivre l'enquête de Garon, même si l'auteur s'amuse à nous y retourner de temps en temps notamment grâce aux noms des protagonistes (Mme Le Bouclier va remplacer R.A.S au FMS par exemple). Que voulez-vous, je crois qu'il ne peut s'empêcher de nous ramener à sa lecture du monde politique actuel ! Il se plaît à décortiquer les situations les plus confuses pour ensuite nous montrer que tout le monde manipule tout le monde et que tout le monde est content d'avoir réussi à tirer son épingle du jeu. Bon, il y a bien çà et là des "dommages collatéraux" mais que des sous-fifres ou des gens sans importance aux yeux de nos élites. Certains passages sont parfois d'une lecture assez inconfortable ; l'auteur se moque, ironise et prête à ses personnages des propos grossiers, odieux ou méprisants directement sortis de son imagination et non pas de ses croyances intimes (c'est d'ailleurs heureux pour lui et sa santé mentale). Lorsqu'il décrit la supposée-victime du viol on la voit au travers d'yeux masculins qui s'attardent sur son physique peu amène, l'homme se demandant même comment on pouvait violer une telle laideur. Mais, que n'a-t-on pas entendu lors de l'affaire réelle qui sert de point de départ à ce roman ? "Un simple troussage de domestique", par exemple. Et de mémoire, cette question du physique s'est également posée : comment cet homme a-t-il pu céder à une femme si dénuée de féminité et de beauté ? Ou que n'entend-on pas lorsqu'une jeune fille se fait agresser, sur sa supposée provocation parce qu'elle était court-vêtue, voire même maquillée... ? Comme si nous les mâles nous ne pouvions résister à une paire de jambes, de fesses ou de seins esquissée ou suggérée ? Dans ce cas, Saint-Luc par l'entremise de ses personnages, ne se fait que l'écho de certaines remarques désobligeantes à l'encontre des femmes victimes (auxquelles d'ailleurs le livre est adressé). On ne peut pas soupçonner l'auteur de quelque misogynie ou machisme malséant que ce soit : il rapporte ces propos qu'il faut lire au énième degré.

Pour revenir à Garon, son enquête est un peu étrange, parce qu'il n'y a point meurtre (et dans des polars, c'est quand même souvent la base de l'intrigue), parce qu'elle se passe en quasi totalité à Bangkok et Hua Hin (merci Saint-Luc pour la belle visite, les descriptions des paysages, des restaurants, des habitants, ça donne envie d'y aller, mais pas habillé en soubrette !) : "A l'origine paisible port de pêche, Hua Hin vit dans les années 1920 sa destinée changer sous l'influence conjointe d'un nouveau moyen de transport -le train- et du désir d'un roi de savourer un air enfin pur, Rama VI. Ce despote éclairé, féru d'Occident, supportait mal le climat lourd de Bangkok. La côte sud-est offrant l'avantage d'une brise rafraîchissante venue de la Birmanie voisine, il n'hésita pas longtemps et jeta son dévolu sur la plus longue plage de la région. La Cour suivit, ainsi qu'elle suit toujours." (p.80)

Ce livre est donc une enquête singulière qui ravira les amateurs de dépaysement, d'actualité, d'ironie et de barbouzerie et de manipulations politiques en marge d'une affaire de mœurs. Pas politiquement corrects Garon et Saint-Luc ! Tant mieux et merci. Le commissaire s'épaissit, n'est ni vraiment sympathique et loin d'être antipathique. Surtout, il n'est pas lisse ; il navigue dans un monde qui à la fois le fascine et le dégoûte ; il tente de démêler le vrai du faux ; il essaie de faire ressortir la vérité à n'importe quel prix ; il dérange sa hiérarchie et son créateur dérange parfois le lecteur. J'adore ça. 

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Une femme seule

Publié le par Yv

Une femme seule, Marie Vindy, Fayard noir, 2012

Lieu-dit de l'Ermitage, en Haute Marne, un petit matin d'hiver, le 10 janvier, une très jeune femme est découverte morte étranglée près de la propriété dans laquelle vit Marianne Gil. Francis Humbert, capitaine de gendarmerie est chargé de l'enquête. Très vite, il est fasciné par Marianne qui vit seule dans cette grande maison perdue dans la campagne, qui est une écrivain reconnue et qui semble avoir pas mal de zones d'ombres de sa vie antérieure.

Évacuons tout de suite ce que je pense être des points faibles : d'abord certains côtés des personnages un peu stéréotypés (le flic un peu sauvage, divorcé, blasé et la femme seule mystérieuse, très belle forcément) et ensuite, ce qui m'a le plus gêné c'est la description des deux héros qui ne peuvent qu'être attirants, Marianne est superbe, c'est une "femme seule à la beauté sauvage" (4ème de couverture) même mal habillée, elle a un "corps gracile, presque fragile" (p.191) alors que les autres protagonistes sont gros, moches : "Georges Clément, petit monsieur râblé et moustachu aux cheveux grisonnants, son épouse Catherine, blonde et ronde, aux mollets de chasseur alpin, en chemisier synthétique et jupe au-dessus du genou, et Anne-Laure Calais, la belle-sœur, copie conforme de la précédente, en plus mince et légèrement moins avenante." (p.196), ou encore, Karine, "les traits marqués pourtant, elle portait un jean moulant qui ne mettait pas en valeur sa taille un peu épaisse, des bottines usées et un pull en polaire. Elle sentait le parfum bon marché." (p.199). Un autre témoin se parfumera aussi "bon marché". Ça ressemble un peu à une histoire d'un couple de beaux gosses au pays des Deschiens (pour les moins jeunes d'entre nous qui se souviennent d'eux, pour les jeunot(te)s qui ne connaissent pas, tapez "Deschiens" sur Goo...)

A part ça, eh bien, c'est un excellent roman policier ! 400 pages qui n'ennuient jamais (et pour moi, c'est presque un exploit) et qu'au contraire on déguste lentement avec plaisir, comme un polar de Mankell avec Wallander. Attention, lorsque je cite Wallander en exemple, c'est du lourd, il est pour moi le policier référence de ces dernières années, j'ai dévoré ses enquêtes. Que dis-je ? Dévoré ? Englouti serait plus adapté. D'ailleurs dans un interviouve, Marie Vindy ne s'en cache pas et revendique même la filiation (entre autres). Plusieurs points communs : d'abord l'enquête se passe en Province (Ystad pour Wallander et Chaumont pour Humbert), ensuite, Humbert travaille en équipe, même s'il fait parfois cavalier seul, puis les tourments, les questionnements, les réflexions des uns et des autres (surtout Humbert et Marianne) sont très présents : leurs vies privées tiennent une grande part dans ce roman, elles s'installent au milieu de l'enquête comme dans la vraie vie, et enfin, Humbert suit absolument toutes les pistes même la plus petite. Il en déroule le fil jusqu'à arriver dans des impasses, et doit donc éliminer telle ou telle possibilité : il élargit son enquête n'oubliant aucun indice pour mieux la resserrer ensuite et tomber inévitablement sur le (ou les) coupables. La solution arrive logiquement, tranquillement serais-je même tenté de dire, inéluctable, évidente mais le fruit d'un travail colossal et non pas d'une intuition particulièrement développée de l'enquêteur en chef.

N'allez pas croire cependant que Marie Vindy a fait du copier/coller : elle a su se défaire de ses références pour créer des personnages, des situations, des paysages qui lui sont propres. Un petit manque pour moi, j'aurais aimé un contexte plus fort (social ou politique chez Mankell/Wallander, politique et historique chez V. Kutscher/Rath), mais je ne désespère pas car je sens que ces 400 pages que j'ai dégustées avec un plaisir évident pourraient faire des petites ; une nouvelle enquête du capitaine de gendarmerie Humbert : je prends !

Merci beaucoup Lilas de chez Fayard noir.

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