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Ça coince ! (4)

Publié le par Yv

La soif primordiale, Pablo de Santis, Métailié, 2012

"Dans la Buenos Aires des années 50, à l'ombre de la dictature, Santiago, un jeune provincial réparateur de machines à écrire, se retrouve, par hasard, responsable de la rubrique ésotérique du journal où il travaille et informateur du ministère de l'Occulte, organisme officiel chargé de la recherche sur ces thèmes et les vérités qu'ils recouvrent." (4ème de couverture)

Malgré un thème tentant, je ne réussis à m'accrocher à rien de tangible dans cette histoire. Et pourtant j'ai essayé, mais je ne comprends pas tout. Trop ésotérique, pas assez prosaïque pour un garçon matérialiste comme moi. Je ne mets pas du tout en cause les qualités évidentes du bouquin, et je comprends que certains ont pu adorer. Simplement, la rencontre ne se fait pas entre lui et moi. Nous nous séparons donc à l'amiable, par consentement mutuel et néanmoins unilatéral (je me demande si ce n'est pas un peu incompatible comme notion ?) !

 

L'homme à la carrure d'ours, Franck Pavloff, Albin Michel, 2012

"Dans une zone du Grand Nord ignorée des cartes, d'anciens ouvriers oubliés de tous se sont regroupés en communautés hostiles. Seuls Kolya, un sculpteur d'ivoire descendant des Lapons, et Lyouba, la seule jeune femme à y être née, savent écouter les saisons, les hivers terribles et les printemps flamboyants, passer les frontières, déjouer la vigilance de gardiens invisibles pour s'aventurer à leurs risques et périls hors de ce lieu interdit" (4ème de couverture)

Étrangement, c'est un peu pareil que pour le livre précédent : l'auteur crée un monde dans lequel il ne m'est pas facile d'entrer. C'est trop elliptique à mon goût, je ne réussis pas à m'intéresser à la vie de ces personnages même si le postulat de départ me plaisait bien. Encore une fois, je ne dénigre pas le livre ou ses qualités réelles, mais je pense plutôt que la rencontre ne se fait pas entre lui et moi. Nous nous séparons donc... (voir plus haut)

 

A cause d'un baiser, Brigitte Kernel, Flammarion, 2012

Après trois ans de vie commune avec Léa, la narratrice lui avoue qu'elle a embrassé une autre femme, Marie. Se sentant coupable de s'éloigner de Léa qu'elle aime et qu'elle considère comme la compagne parfaite, elle tente, dans un premier temps de sauver leur couple malgré la colère de son amie.

Extrêmement bien écrit, d'une finesse et d'une recherche esthétique et littéraire évidentes -et pour ces points, on peut dire objectifs largement atteints- ce roman souffre néanmoins de longueurs et de répétitions. La question posée sur le bandeau : "Peut-on aimer deux personnes à la fois ?" peut sans doute être développée, mais là, 366 pages ce n'est plus du développement mais de la ritournelle, de la resucée voire de la redondance ! Au départ, je ne suis pas amateur de gros romans ; pour qu'ils me plaisent il faut donc qu'il y ait matière à me tenir en éveil au long des pages ; là, il faut bien que j'avoue que ce n'est pas le cas ! Le même thème écrit avec autant de qualités mais en plus court, je ne dis pas non ! 

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La tête à Toto

Publié le par Yv

La tête à Toto, Sandra Kollender, Ed. Steinkis, 2012

"- Écoute Anna, ton bébé est gravement malade, mais tu sais il pourrait être handicapé. Ah, OK, il est handicapé ? Mais tu pourrais être une mère célibataire. Ah, ça aussi ? Bon, mais ne te plains pas, je te rappelle que le père de ton fils est vivant alors que ton amoureux d'avant est mort d'un cancer. Tu vois, ça va tout de suite mieux non ?"

J'ai préféré ces phrases d'accroche à un résumé fait par mes petites mains et mon petit cerveau parce qu'elles résument à la fois le contenu du livre et le ton général, qui oscille entre gravité et humour. Roman autobiographique d'une mère qui se bat pour que son fils handicapé, qui se développe beaucoup plus tardivement que la "moyenne", qui ne parle que très peu et encore dans un charabia difficilement compréhensible par quelqu'un d'autre que sa mère, puisse progresser, et soit reconnu pour ce qu'il est : un enfant avec plein de possibilités d'évoluer et empli d'espoir et d'amour.

Qui s'intéresse un peu à l'insertion des enfants que l'on dit différents, handicapés moteur ou physique sait que le parcours des parents est extrêmement ardu, que les arcanes des administrations sont tortueuses et surtout que les moyens financiers n'y sont pas ! Sandra Kollender explique, démontre et raconte son véritable chemin de croix pour tenter de faire inscrire son garçon dans des écoles, pour même, dès le départ trouver un professionnel de la santé qui lui posera un diagnostic et l'aidera à faire progresser son fils. 

Bon, je ne voudrais pas plomber l'ambiance d'autant plus que ce roman qui traite de questions difficiles est aussi très drôle. Parce que Anna, la narratrice, veut aussi vivre pour elle. Pas évident de concilier le rôle de mère d'enfant handicapé, celui de femme-seule-qui-voudrait-encore-se-faire-peloter, celui de copine. A ce propos, quel dilemme le soir où elle doit choisir entre la copine et le mec qu'elle vient de rencontrer :

"Je lui explique que je ne peux pas planter la copine avec qui j'ai rendez-vous ce soir mais que je vais voir ce que je peux faire. Je te rappelle plus tard. Salut.

Si j'accepte, je passe pour la nana qu'on siffle et qui arrive. Pas bon pour la suite. Si je refuse, je ne roule pas de pelle, je ne me fais pas tripoter et en plus j'y pense toute la soirée. Pas bon non plus." (p.103)

Elle adopte un ton décalé, se moque d'elle-même, de son fils, ironise sur les professionnels qui ne lui disent rien -parce qu'ils ne savent pas dépister le handicap rare de son fils-, va parfois jusqu'à leur vouloir un peu de mal, mais juste un peu, rien de grave : "Je te souhaite de pourrir de l'intérieur, de perdre la vue, l'usage de ta main droite, d'être incontinent, insomniaque, migraineux, d'être bouffé très lentement par les vers, et de souffrir atrocement jusqu'à la mort, espèce d'ignoble charlatan." (p.22). Prendre la vie de ce côté, rire un peu de tout, expulser sa rage de cette manière, c'est aussi le moyen pour elle de pouvoir continuer à dépenser autant d'énergie pour Noé son fils.

"Noé a dix mois. Voilà c'est tout. 

C'est la totalité de ses états de services.

Noé a vaillamment atteint les dix mois. C'est une performance. On l'applaudit le plus fort possible, ce qui nous fera oublier qu'il ne tient toujours pas sa tête." (p.40)

Ce petit livre, 155 pages aérées, de format idéal pour une poche et pour lire dans les transports en commun, (mais prévoyez des lunettes si comme moi l'âge arrivant, vos bras ne sont plus assez longs pour lire sans aide oculaire, car la police est petite -la police de caractère bien entendu, jamais, je ne pourrais laisser entendre que les forces de l'ordre...) est surtout un livre d'une grande tendresse et d'un amour fusionnel mère-fils. Il ne changera pas la vision générale que la société a des handicapés, mais il permet de montrer le quotidien de parents d'enfants handicapés, toutes les démarches épuisantes et souvent vaines qu'ils sont obligés de mener pour tenter de les faire accepter. Mais surtout, il montre combien l'amour d'un enfant handicapé est au moins aussi fort que celui d'un autre enfant et combien cette récompense réconforte et redonne de l'énergie pour aller encore plus loin, malgré l'abattement qui parfois gagne du terrain.

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Sous le vent

Publié le par Yv

Sous le vent, Jean-Bernard Pouy et Joe G. Pinelli, JC Lattès, 2012

Pol a fait la guerre, la Grande, celle de 1914/18. A l'issue du conflit, il retourne dans son village de Bretagne. Il retrouve Adèle sa femme dans les bras de son meilleur ami, Vincent. Plus rien ne le rattache alors à ce pays, il décide donc d'embarquer pour une destination choisie au hasard d'une fléchette sur une carte : les îles sous le vent. Après avoir mis le feu à sa maison pour ne rien regretter et ne jamais revenir, il part.

L'histoire écrite par JB Pouy est illustrée par Joe G. Pinelli : ses dessins font immanquablement penser à Gauguin au moins à l'image que le grand public (donc moi) a des toiles de ce peintre. D'ailleurs les héros ne s'appellent-ils pas Pol (comme Gauguin) et Vincent (comme Van Gogh) ? Une fois que j'ai dit cela, il devient presqu'inutile de dire que les illustrations sont superbes. Elles collent au texte qui lui-même fait la part belle aux tons, aux teintes : "Après la longue traversée où tout était couleur de plomb et d'orage, Pol avait enfin découvert des couleurs où le rouge, l'incarnat, le grenat, le garance n'étaient plus dominants, il n'y avait que les petits remorqueurs, ceux qui tractaient les navires dans le chenal qui étaient encore peints de la couleur du sang. Tout le reste était un mélange de bleu et de vert, un camaïeu d'émeraude, d'outremer, de ciel minéral et de pétrole. Et, pour la première fois, le bleu horizon, de Prusse ou la ligne des Vosges ne lui rappelait plus les uniformes : c'était un bleu paisible, marin, un azur lourd et profond, habité, celui des profondeurs où de grands mammifères s'ébattent, un bleu d'orque et de baleine." (p.65)

Ce livre décrit la relation de Pol avec le monde qui l'entoure : ce monde de la nature et de la couleur, des hommes et des femmes qui vivent au jour le jour sans se poser de multiples questions avant d'agir. Une sorte de Paradis pour un rescapé de la guerre en proie à de multiples interrogations, à des rêves lourds et à des résurgences de son passé dont il se passerait bien, et qu'il essaie d'ailleurs de faire passer. Mais le romancier n'est point trop simpliste disant que là-bas au Paradis, tout se passe bien, qu'on y est forcément heureux : "La paix ne pouvait se trouver que dans le cœur des hommes, pas dans les lieux où ils habitaient. [...] Et tous les jours, il se demandait si les gens de ces îles arrivant en Europe, amèneraient ce bonheur qu'ils semblaient vivre et qui nous étonnait tellement nous, les soi-disant malheureux." (p.144/145) 

Énormément de poésie dans ce roman intériorisé. Beaucoup de termes qui parlent des couleurs, de la nature, des femmes des îles : une écriture en douceur pour raconter d'une part la beauté des paysages et des habitants et d'autre part les horreurs de ce début de siècle en Europe.

Je connaissais plus JB Pouy pour ses polars, je m'aperçois avec bonheur qu'il peut changer de style en continuant d'écrire des romans de qualité. Les dessins de JG Pinelli ajoutent encore du charme à cette histoire.

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Pangée

Publié le par Yv

Pangée, Alexandre Grondeau, Ed. La lune sur le toit, 2012

"Pangée est un jeune homme de trente ans qui n'aime pas la religion. Il moque les croyants, leur foi, leurs rituels, et déteste plus que tout les Églises et leurs clergés. Au détour d'une rue, une voiture le percute et le tue. Il se retrouve alors aux portes du Paradis et mesure la folie de ses erreurs : Dieu existe, son royaume aussi, et, dans sa grande miséricorde, il l'accepte à ses côtés." (4ème de couverture)

Aïe, aïe aïe ! Alors là, ça coince dès le résumé ! Bon, comme Davina (bonne continuation, et merci pour nos échanges) désormais ex-stagiaire chez Gilles Paris m'a envoyé ce livre gentiment, je fais l'effort. Las, c'est trop dur. Pas mal écrit, certes, c'est un style plutôt recherché, de belles phrases, mais bon, le sujet ne m'intéresse absolument pas, moi qui suis athée convaincu a priori comme l'auteur, je n'ai pas la moindre interrogation sur l'existence ou la non existence d'un Dieu ou de Dieux. Je suis, comme beaucoup scandalisé et choqué de ce que peuvent faire les hommes au nom d'une religion, mais ce à quoi ils peuvent croire ne m'intéresse pas. Alors, certes, il m'arrive de discuter religion avec des amis, des membres de ma famille croyants (ce sont surtout des discussions de fins de repas arrosés ou d'apéritifs prolongés, qui se croisent avec les échanges sur la politique) mais si je prends part à ces propos, c'est souvent pour provoquer mes contradicteurs -j'adore dire des énormités pour voir les réactions.

Bon si je reviens deux minutes au livre, il traîne en longueurs au départ par des descriptions de ce qu'est le Paradis avec les angelots, la brume permanente, la ouate : tous les poncifs du genre sont présents, toutes les représentations que l'on nous faisait de ce lieu quand nous allions au catéchisme sont bien là. Et pour finir, si ce qui se veut drôle peut faire sourire de temps en temps il ne fait pas s'esclaffer franchement. Ce sont des blagues un peu éculées (j'ai bien dit "éculées" : l'Enfer pour moi si j'avais mal placé un "n". Quoique entre angelots, peut-être que... Mais Yv, ça ne va pas, tu débloques totalement ? C'est quoi ces grossièretés ?)

"Pouf, pouf" (selon P. Desproges), revenons à nos angelots ou à nos moutons ou même à nos brebis, car s'il m'en souvient il en est bien question dans la religion, pour dire que ce bouquin me laissera d'autant moins de souvenir que je ne suis pas allé au bout des 346 pages, glossaire compris !

Ouh la la "Que Dieu me tripote" (toujours P. Desproges), je m'aperçois qu'en mécréant que je suis je ne peux m'empêcher de dire du mal de ce livre. Pardonnez moi, car j'ai péché (pas pécho, hein, péché !), je demande pardon et miséricorde à l'auteur, l'éditeur, l'attaché de presse, la standardiste (ça c'est dans une chanson de M. Eddy, qui a aussi chanté Pas de boogie-woogie, comme quoi, je suis raccord), le voisin du neveu de celui qui tient le flambeau, la cousine du beau-frère de la mariée et la main de ma sœur...

(-Décidément, Yv, tu es incorrigible !

- Ben, oui, que veux-tu quand on parle religion, ça m'excite !

- D'accord, mais une soeur quand même !

- Non pas une bonne sœur, mais ma sœur, elle, elle n'est pas bonne sœur, elle peut mettre sa main où elle veut !

- OK, autant pour moi.)

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Barbares

Publié le par Yv

Barbares, Erik Rémès, LC Éditions, 2011

Le narrateur est le Barbare. Le chef du Gang des Barbares qui enlève, séquestre et torture un jeune homosexuel, par pure homophobie et appât du gain puisqu'il demande une rançon. Celle-ci tardant à arriver, s'installe un rapport très malsain et extrêmement violent entre le détenu, "l'Enculé" et le kidnappeur, "le Barbare".

Dire que ce livre est violent est un doux euphémisme. Inspiré par le gang des Barbares et Youssouf Fofana qui ont enlevé, torturé et tué un jeune juif, Ilan Halimi en 2006, Erik Rémès se met dans la tête du chef des barbares qui raconte d'une part l'enlèvement et la séquestration et d'autre part son histoire et la montée de la violence en lui et dans la société. "La violence des mots fait partie de notre monde. Elle s'incruste au bahut. Où se forgent nos langages assassins ? Cette barbarie verbale du quotidien qui conduit certains -et pas les plus fragiles, au contraire- au passage à l'acte." (p.18)

En progressant dans la lecture, on apprend comment on peut en arriver à ce stade ultime de la violence de la haine et de la négation de l'autre en tant qu'individu. Il n'est pas dans le propos de l'auteur ni dans le mien de minimiser les faits au regard de l'enfance miteuse des uns et des autres, mais juste de montrer comment un environnement, des fréquentations, des mises au ban de la société systématiques du fait de son origine sociale ou ethnique marquent profondément les êtres. Parfois, cela peut être bénéfique et donne une volonté ancrée de s'en sortir. Parfois, c'est l'inverse, et dans ces cas-là, plus fréquents malheureusement, la chute peut être rude et vertigineuse.

Erik Rémès par le biais de son narrateur aborde beaucoup de points d'actualité comme la prison, la vie dans une cité, les communautarismes non pas ethniques mais de quartiers, de cités et l'intégration : "Ce projet de loi sur l'immigration du nain de jardin est fondé sur l'inhospitalité et le rejet de l'autre. Le monde actuel pousse les migrants à perdre leur culture au prix d'une désintégration. Nous, les émigrés, sommes inquiets, paranos. L'angoisse monte même chez les étrangers qui ne sont pas concernés par ce texte, parce qu'ils ont déjà des papiers, un travail, un logement. Toutes les positions se radicalisent. Comme on se sent menacé dans notre identité, on se recroqueville. Personne en peut s'intégrer dans une société inhospitalière." (p.42)

Dans une belle écriture empruntant à tous les registres, l'auteur fait monter la tension entre les protagonistes. Le livre est un long monologue : le Barbare s'adresse mentalement à l'Enculé : "Tu finis même par accepter ta nouvelle réalité. Des contacts positifs s'établissent avec nous, alors que nous sommes si différents. Oui, tout nous sépare. Mais nous traversons ensemble un putain de drame extraordinaire. Tu n'as plus que le Gang des Barbares pour t'identifier comme être humain." (p.38/39) Évidemment, la suite n'est pas du même acabit. La violence monte, s'instaure et devient presque insoutenable dans les toutes dernières pages (âmes sensibles prévoyez des moments difficiles). Mais, ne les passez pas ! Il serait dommage de ne pas lire ces passages parfois très crus qui ne sont finalement pas plus durs ou violents que ce que l'on nous raconte quasi quotidiennement. Ils ne sont pas plus durs ou violents que certains passages de thrillers qui se vendent comme des petits pains, sauf que là, dans le livre d'Erik Rémès cette dureté et cette violence (je reprends ces termes plusieurs fois à dessein) ne sont pas gratuites. Elles racontent quelque chose de notre société. Une part d'elle. Et pas la plus belle.

Pour finir, laissez moi vous conseiller également de passer faire un tour sur le site des Édition LC, toute jeune maison d'édition qui fait plutôt dans le livre numérique, mais qui fait aussi en livre-papier, et qui d'après ce que j'ai lu et vu publie des textes forts, très différents de la littérature qui encombre les rayons des grandes librairies. Bienvenue et bonne continuation à elle.

PS : je sais de source sûre que l'auteur sera en signature le samedi 18 mars à la librairie Agora Presse (19, rue des archives, Paris 4ème)

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Le secret du docteur Mériaux

Publié le par Yv

Le secret du docteur Mériaux, Y. Bocaj, Presses de la cité, 2012

Le docteur Mériaux est médecin. Docteur dans une petite ville au tout début des années 1970. Veuf, il consacre tout son temps à ses patients. Impuissant depuis le décès de sa femme, il vit entouré de femmes, sa grand-mère Rose, sénile, son aide-malade, son assistante à son cabinet, sa maîtresse Thérèse et bientôt Catherine, une jeune femme qu'il découvre une nuit, légère accidentée de la route. Pour contrer le bourgmestre actuel qui selon lui est un gestionnaire financier au mépris de la personne, il décide de se présenter aux élections sur la liste d'opposition.

On ne peut s'empêcher de penser à La maladie de Sachs lorsqu'on lit ce roman. Beaucoup de points communs, même si je ne compare pas, d'abord parce que le livre de Martin Winckler est une lointaine lecture et ensuite pour qui a lu cet excellent livre dudit M. Winckler, tout roman se rapportant à un docteur le lui rappellera forcément. 

Orps-la-Grande est une petite ville paisible entre urbanité et ruralité. Le docteur Mériaux fait énormément de visites à domicile, reçoit à son cabinet ; il ne lui reste que peu de temps pour lui. Heureusement, Thérèse est là, qui veille au bon équilibre de son amant impuissant. Alors, comment font-ils me direz-vous ? Eh bien, Y. Bocaj écrit quelques pages délicieusement et gentiment coquines (rien à voir avec ma lecture déplaisant d'un roman porno : tout se passe entre adultes consentants, et si certaines pratiques peuvent poser question -même au docteur-, elles ne sont jamais écœurantes. Au contraire !) D'ailleurs tout le livre est délicieux. On a le sourire quasiment  tout au long de la lecture et parfois des éclats de rire comme par exemple lorsque Marc Mériaux reçoit ce couple "d'arriérés mentaux", déjà parents de cinq enfants eux-mêmes "anormaux"  (vocabulaire des années 70 où le politiquement correct ne nous avait pas encore envahi, où l'on pouvait encore dire aveugle et pas mal-voyant, sourd et pas mal-entendant ou comme disait Pierre Desproges, où l'on pouvait dire con et pas mal-comprenant) :

"- Je suis enceinte, monsieur le docteur. [...]

- Enceinte ? Je vous avais pourtant prescrit la pilule ! [...]

Le mari intervient, en chef de famille [...]

- On a fait comme vous avez dit, monsieur le docteur, on les a achetées chez le pharmacien, vos pilules, mais comme je sais que ma femme est trop bête, je les ai prises à sa place. Une par jour, comme vous avez dit." (p.39)

Parfois cependant, le message est plus dur, plus lourd puisqu'un médecin est tout de même souvent confronté à la mort, notamment celle d'enfants. Le cas de Pierre, atteint d'une tumeur au cerveau ne prête pas à sourire et c'est là probablement que l'humanité de Marc Mériaux atteint son apogée. Parce qu'il aime les gens le docteur, qu'ils soient jeunes ou vieux, beaux ou laids, grands ou petits, il aime ses concitoyens. C'est donc pour cela qu'il se lance aussi en politique. On est dans les années 70 et la suspicion, le dégoût des politiciens n'est pas encore au niveau des années 2000 (ça, c'est comme pour le politiquement correct, on pouvait encore croire à la Politique et aux hommes et (peu de) femmes politiques intègres et honnêtes. Bon, en cherchant bien, il doit y en avoir encore quelques un(e)s, ce serait bien pour cette année). Un homme pétri de bonnes intentions, localement pouvait encore tenter de faire passer ses vues, ses idées et ses projets. Y. Bocaj s'amuse donc à raconter la vie de cette petite ville à la veille d'un scrutin important, avec ses petites ou grandes querelles, ses prises de bec, ses polémiques. 

Un roman très réel, très prosaïque, mais qui n'oublie pas de dresser un portrait en détails d'un homme simple et bon, dans tous ses aspects. Le personnage de Marc Mériaux est bien travaillé, en profondeur : sur cette année de vie, on n'échappe à aucune de ses réflexions, de ses peurs, à aucun de ses doutes. Parce que sous ses dehors humanistes, l'homme doute, aime et tentera, par amour de surmonter son handicap, comment dire, pas tous les jours facile à assumer. 

Plutôt bien écrit, très agréable à lire, c'est un livre qui ne vous tombera pas des mains surtout sur la fin ou l'on a hâte de connaître les divers dénouements des histoires en cours ; l'auteur fait preuve d'une plume joyeuse, tendre, humaniste pour reprendre un mot déjà plusieurs fois utilisé, libertine juste ce qu'il faut et d'un humour particulièrement plaisant (dans le genre, l'auto-citation p.31 n'est pas mal du tout)

Merci Laura.

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Mort d'un clone

Publié le par Yv

Mort d'un clone, Pierre Bordage, Au diable vauvert, 2012

Martial Bonneteau, 48 ans,  est un clone humain, clone employé type et modèle, clone époux étouffé par une maîtresse femme, clone père absent et peu intéressé par sa progéniture. Un jour, un peu par bravade, un peu par fatigue, il décide de flâner plutôt que d'aller au travail, de passer à la salle de bains avant Madame, ce qui est un affront à lui faire, de ne pas céder son siège dans le RER. Il décide donc de commencer à vivre pour lui.

J'ai déjà lu deux ou trois romans de Pierre Bordage, plutôt bien écrits, rythmés décrivant un monde très personnel, mais ne se démarquant pas par un style littéraire fort. Pour Mort d'un clone (écrit il y a 15 ans) l'auteur se lâche et s'amuse avec les mots, les expressions. Il détourne celles-ci, déforme ceux-là. Ce roman totalement barré est d'abord, dans sa première partie, un exercice d'écriture. Les portraits sont particulièrement soignés, tous les personnages sont moches, vulgaires trop ceci ou pas assez cela  : "Elle avait fait des folies de son corps aujourd'hui, Germaine-la-comptable. Tailleur jaune moutarde, chemiser à pois rouges et verts, nouvelle coiffure chou-fleur rehaussant une laideur qui s'affirmait avec le temps. Crayon de papier en main, elle leva sur lui des yeux interrogateurs, doublement grossis par le double foyer des lorgnons cerclés de fer noir. Redoutable perspective, elle ouvrit la bouche pour parler, libérant à la fois une haleine méphitique et un flot de postillons délétères." (p.52)

Parfois Pierre Bordage en fait trop, il abuse notamment des interruptions de scènes pour donner des définitions personnelles de mots ou expressions, certes très drôles, mais le procédé fatigue ou agace un peu. "Coquelets : jeunes cadres rudement dynamiques, parés de costume prince-de-galles impeccablement coupés, porteurs de reliques noires et rectangulaires, communément appelées attaché-cases. Particularité physiologique rarissime : leurs becs de coquelet sont munis de longues dents de loup." (p.43)

P. Bordage néologise à fond, bricole les mots comme par exemple et entre beaucoup d'autres ce "obligalante" (p.47) qui résume la galanterie obligée en certains moments à laquelle Martial ne veut plus se soumettre ou encore le "Pachydé-cétaterme : croisement d'une élépheine et d'un balant." (p.94). Il use également de périphrases, joue sur les sons, les répétitions : il s'en donne à cœur joie pour le plus grand plaisir d'un lecteur comme moi qui se laisse facilement charmer par une langue particulière, travaillée, recherchée et en plus très drôle. Par contre, je peux reconnaître aisément que l'auteur peut énerver parce qu'il en fait des tonnes, parce qu'il est beaucoup question de sexe (mais que voulez-vous Martial est éjaculateur précoce et donc cette question le turlupine, si je puis m'exprimer ainsi). D'ailleurs à ce propos Pierre Desproges disait : "on dit toujours que ce sont les meilleurs qui partent en premier. Dès lors, que penser des éjaculateurs précoces ?"

Et l'histoire dans tout cela ? Et bien, Martial va faire de belles et de troublantes rencontres, et quelques découvertes parfois irrésistibles -notamment avec un ancien colonel, mais je laisse le suspens-, parfois tragiques, et chacune le fera avancer dans la recherche de sa personnalité, de ses envies les plus profondes.

La seconde partie m'a laissé un peu plus perplexe tant sur le fond que sur la forme -et sur la double faute de conjugaison du verbe courir, écrit au passé avec deux "r" centraux, p.277 et 279- totalement différents de la première et moins percutants. Pour ne pas déflorer le suspense, je ne raconterai que le minimum, mais si j'ai dit barré pour le début du bouquin, la fin ne l'est pas moins, mais dans un style dissemblable. La ville s'estompe, la nature prend toute sa dimension dans le corps de Martial, le chamanisme arrive en force

Résultat : un bouquin inclassable, qui, comme les autres livres de P. Bordage reste à l'esprit et ne laisse pas de marbre. Une vraie bonne découverte d'un auteur plutôt connu pour ses romans d'anticipation que pour ses débordements linguistiques.

Merci à Caroline et à la Librairie Dialogues

 

 

dialogues croisés

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