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Une conspiration de papier

Publié le par Yv

Une conspiration de papier, David Liss, Ed. Lattès, 2001 (Ed. du masque, 2012)

Benjamin Weaver se décide à raconter sa vie aventureuse dans le Londres des années 1720. Ce qui au départ devait être des mémoires se révèle être son rapport de l'enquête qu'il a menée sur la mort de son père. Fâché avec lui depuis une dizaine d'années, certains indices lui laissent croire que son père a été assassiné pour de sombres histoires de spéculation boursière. Il se lance véritablement dans ces investigations tel l'ancien pugiliste à mains nues qu'il est sans se soucier dans un premier temps des coups bas et des peaux de bananes qu'on lui glisse sous les semelles.

J'avais beaucoup aimé L'assassin éthique de David Liss et je ne savais pas ce qu'il avait pu écrire avant ce roman ; eh bien, maintenant je sais. C'est un gros, très gros roman policier (710 pages dans sa version poche) extrêmement documenté, fouillé et intéressant. Il raconte la vie dans le Londres de 1719, cette grande ville sale, dangereuse où l'on peut se faire dépouiller -voire pire- à n'importe quel coin de rue.

David Liss place son roman dans une époque historique réelle : la première crise boursière européenne, la crise de la Compagnie des mers du Sud (ou South Sea Bubble). Dans son roman, interviennent des personnages ayant réellement existé (dont les noms peuvent être changés) et d'autres totalement fictifs. A l'époque, une véritable guerre se livrait entre la Banque d'Angleterre et la Compagnie des mers du Sud pour le contrôle des finances du pays. Benjamin Weaver est au cœur de ce scandale qu'il permet de dévoiler. Trop long à vous expliquer les arcanes et les méandres des tractations financières, des corruptions, des spéculations et des malversations, David Liss y revient en long en large et en travers, ce qui est d'ailleurs un peu le bémol de ma critique : beaucoup de répétitions sur cette affaire, sur le statut des juifs de l'époque (j'y viens un peu plus loin) qui certes enfoncent le clou, mais qui appuient un peu trop le propos. Un certain allègement -voire un allègement certain- sur tous ces paragraphes  eût été de bon aloi et de nature à rendre le livre moins lourd à porter. Mais que ceci ne vous retienne pas de vous plonger dans cette aventure passionnante, car on peut survoler si ce n'est parfois sauter quelques passages sans nuire à la bonne compréhension de l'histoire et du contexte.

Ce livre (écrit en 2000) a de curieuses répercussions de nos jours ; c'est un étrange télescopage entre Histoire et réalité actuelle : la crise, la finance, les spéculateurs, les actionnaires, les riches, les pauvres, les travailleurs, ... : "La presse unanime dénonçait le poids de la dette nationale, qui, disait-on, ne pourrait jamais être remboursée, et ne cessait d'augmenter... C'était une époque d'exubérance et de tumulte, de prospérité et de débauche." (p.8/9) On pourrait presque réécrire cette phrase maintenant, dans un ouvrage politique, et elle serait crédible ! Douze ans après sa première publication ! 300 ans après le premier krach boursier européen !

L'autre thème, outre l'intrigue dont je reparle tout à l'heure, qui sonne vrai et actuel, c'est le traitement fait aux juifs en particulier et plus généralement aux miséreux de Londres. Les juifs -Benjamin en est un quoiqu'ayant pris quelque recul avec la religion et ses préceptes- sont tolérés mais n'ont pas le droit d'être propriétaires de maisons, sont accusés de tous les maux et vivent à part, hors de la société des Anglais, ne pouvant bien évidemment pas accéder au statut qui fait les grands du pays : "Si tu venais travailler avec moi, tu deviendrais riche, mais tu comprendrais aussi les dangers d'être un Juif fortuné dans ce pays. Nous n'avons pas droit à la propriété, nombre de secteurs d'activité nous ont été interdits. Depuis des siècles nous avons été contraints de nous occuper de leur argent, et dans le même temps, nous sommes honnis parce que justement nous pratiquons la seule activité qu'ils nous ont concédée" (p.605) Ils veulent s'intégrer aux gens de ce pays, mais ne le peuvent parce qu'on les en empêche. Très près de nous, récemment, la France n'a pas eu à s'enorgueillir du résultat du premier tour des élections présidentielles : presque 20% pour un parti qui prône la haine de l'étranger, de la personne différente et le repli sur soi -et dans quelques interviews "off" de son ex-Président, le racisme et l'antisémitisme-, pour bien rester entre soi sans ouvrir les portes à ce que l'on ne connaît pas et qui pourrait déranger. Aisé de se rendre compte que certains parmi nous n'ont pas plus d'ouverture d'esprit que nos aïeux qui malgré leur rejet des autres (probablement excusable par une moindre information, des croyances plus largement répandues et encore très ancrées) n'ont pas réussi à sauver leurs pays des guerres, des krachs et d'autres horreurs. Rester entre soi ne garantit donc pas une totale sécurité tant financière que des personnes !

Revenons donc pour finir plus légèrement à l'intrigue : un vrai sac de nœuds : tout le monde paraît être en cheville avec tout le monde et plus Benjamin avance et plus la solution s'éloigne et le mystère s'épaissit. Comme le dit l'un des protagonistes, cette histoire est un labyrinthe dans lequel on avance, mais que certains -les meneurs- voient du haut et s'ingénient à rendre de plus en plus ardu, opaque et flou, si tant est que l'on puisse dire d'un labyrinthe qu'il est flou et opaque.

Belle, belle et longue surprise que ce roman policer historique : une preuve ? Je déteste les gros livres, eh bien celui-ci je l'ai lu en entier sans barguigner (sauf sur quelques pages de techniques financières ), et croyez-moi sur parole, 710 pages pour moi, c'est quasi un exploit !

Avis totalement différent chez Akialam

Merci Audrey.

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E
deux com. totalement différents, cela attise ma convoitise, ma LAL va encore se plaindre, mais je ne sais pas quand je pourrai le lire
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Y
<br /> <br /> En plus c'est un gros livre...<br /> <br /> <br /> <br />
A
710 pages, pas étonnant qu'il y ait des longueurs.
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Y
<br /> <br /> Il y en a mais finalement, pas tant que cela : parfois dans des livres de 350 pages, il y en bien plus !<br /> <br /> <br /> <br />
A
Déjà le titre me plaisait, puis policier dans l'Angleterre du 18ème, puis ton enthousiasme = je le note (pour quand ? à voir...)
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Y
<br /> <br /> Un peu de temps à réserver étant donnée l'épaisseur<br /> <br /> <br /> <br />