L'île du Point Némo

L'île du Point Némo, Jean-Marie Blas de Roblès, Zulma, 2014.....
Un magnifique diamant de Lady MacRae vient d'être dérobé. Martial Canterel dandy richissime, ex-amant de Lady MacRae flanqué de l'incomparable Miss Sherrington, puis son ami Holmes, pas Sherlock, l'un de ses descendants, accompagné de son majordome Grimod de la Reynaudière partent à sa recherche. Le voleur est sans doute l'insaisissable Enjambeur Nô que recherche également Litterbag, le policier irascible et opiniâtre qui suit le groupe, l'aide et le sauve parfois de situations embarrassantes. Tout ce petit monde part dans des aventures rocambolesques, incroyables et jubilatoires.
Que voilà un roman d'aventures foisonnant, et encore je ne vous ai pas tout dit ! Dans mon résumé volontairement succinct, je ne vous ai pas parlé de Monsieur Wang, directeur d'une usine de liseuses électroniques, un pervers, ni de Charlotte et Fabrice deux de ses employés ; j'ai également omis de vous parler d'Arnaud, l'ancien propriétaire de cette usine qui de son temps, aidé par sa bien-aimée Dulcie atteinte d'une étrange maladie, sorte de comas dont elle ne sort pas, fabriquait des cigares, comme à Cuba où existait dans de telles fabriques des lectures à haute voix pendant le travail ; et il me manque Dieumercie, impuissant dont la femme Carmen tente par tous les moyens de réveiller son sexe endormi. Tous ses personnages divers et variés sont dans ce livre absolument passionnant. Il est un hommage aux grands romans d'aventures de Jules Verne (L'île mystérieuse, Vingt mille lieues sous les mers, pour les plus flagrants), de H. Melville, RL Stevenson et bien d'autres, Agatha Christie également (Le crime de l'Orient-Express) ou Conan Doyle évidemment avec l'emprunt du nom Holmes voire même M. Leblanc, j'ai trouvé que M. Canterel avait des petits airs d'Arsène Lupin.
JM Blas de Roblès a une imagination débordante dans tous les domaines pour nous emmener loin, très loin et quand on y est, il en rajoute encore un peu pour nous éloigner plus, jusqu'à l'île du Pont Némo, lieu absolument extra-ordinaire que je vous laisse découvrir par vous-mêmes. Il regorge d'idées pour mettre ses personnages dans des situations étonnantes, risquées, drôles (comme les inventions de Carmen pour que son Dieumercie puisse enfin la combler sexuellement) ; à chaque fois une péripétie en amène une autre tout aussi folle. C'est un vrai plaisir que de retrouver l'ambiance de mes lectures enfantines ou adolescentes. Mais là où l'auteur est malin, c'est que son roman n'est pas qu'une aventure, un récit pour jeunes hommes et jeunes filles, c'est aussi un ouvrage plein de questionnements et de réflexion :
- sur la littérature, la lecture (de grands passages sont voués à la lecture à voix haute dans les ateliers de fabrique de cigares qui ont permis à beaucoup d'ouvrières d'accéder à la littérature), sur l'avenir du livre (Monsieur Wang fabrique des liseuses),
- sur la philosophie, la médecine et la science qui n'en finissent pas de chercher et de trouver des solutions pour tel ou tel souci, qui repoussent ainsi les limites de l'humanité et posent des questions éthiques,
- sur l'écologie, et la manière dont nous traitons la Terre, certains jusqu'au-boutistes pensant qu'elle se régénérera seule,
- sur la politique mondiale, cette course à la croissance dont on ne sait pas jusqu'au bord de quel gouffre elle nous mènera.
L'écriture de JM Blas de Roblès est riche, très riche, tour à tour "vieille France", qui colle aux romans d'aventures auxquels il fait référence, lorsqu'il évoque l'épopée de Canterel, Holmes, Grimod et Lady MacRae : l'écriture pourrait faire penser qu'on évolue au début du XX° et puis on comprend qu'on évolue dans un monde inventé dans lequel la plus grande technique côtoie des us et coutumes du début XX°, un monde néo-rétro : "Après une courte nuit, abrégée par de légitimes récapitulations sur la poursuite qui s'engageait, mais surtout par l'aptitude de Holmes à renouveler son verre de whisky avant d'émettre le moindre avis, ils grimpèrent tous les quatre dans un cab aux alentours de midi. Depuis la réouverture des mines de houille et le retour du coke dans tous les domaines de l'industrie, un épais brouillard pesait désormais sur les métropoles européennes. Autrefois célèbre, le fog londonien avait repris sans peine ses lettres de noblesse, si bien que même à cette heure du jour il réduisait les rues à de lugubres canyons peuplés de silhouette vagues."(p.68/69) ; elle se fait beaucoup plus moderne lorsque l'écrivain s'intéresse à Monsieur Wang et ses employés ou à Carmen et Dieumercie, ce qui personnellement me plaît beaucoup, ce télescopage d'époque tant dans la description des lieux, des personnages, des habitudes, des vêtements que dans l'écriture.
Vous comprendrez aisément que j'ai plongé avec délices dans le roman de JM Blas de Roblès, que j'en suis encore à peine remis, que je le conseille à tous ceux qui veulent lire à la fois de l'aventure, une "critique radicale des idéologies et des gouvernances anonymes, tentaculaires, doublée d'une piquante réflexion sur l'art littéraire" (4ème de couverture), un livre totalement maîtrisé et vachement bien écrit et en plus magnifiquement illustré de cette couverture signée David Pearson (comme toutes les couvertures Zulma). Je le classe dans "Culture polar" et dans le challenge de Liliba, sans que cela le réduise à cet aspect : il est plus vaste, il enjambe plusieurs genres ; un vrai roman d'aventures !
Livre de la fameuse rentrée littéraire 2014 donc pile pour le challenge du même nom de Hérisson.
Hélène est aussi enthousiaste que moi.