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Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles

Publié le par Yv

Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Yves Tenret, La Différence, 2015...,

Walter est un loser depuis quelque temps. Viré de son boulot de prof de dessin. Viré par sa femme Léa. Il trouve refuge chez son vieux copain César qui squatte une maison de la rue Buot, quartier de la Butte-aux-Cailles, treizième arrondissement de Paris. Walter traîne sa misère dans les rues et surtout au bar des Barreaux, chez Daniel. Il rentre tous les soirs bourré, se fait taxer du fric par César. Quatre copains meurent assez subitement, César n'était pas loin. Un massacre a lieu dans un salon de massage chinois dans le quartier, César est encore là. Coïncidences ? Walter commence à se poser des questions sur les arnaques de son pote.

Les éditions de la Différence ont lancé récemment une collection noire, qui débute avec ce roman et Les roses noires de la Seine-et-Marne. Entrée en matière réussie et originale, car ces deux romans ne sont pas des polars avec enquête, flic, enquêteur, mais plutôt des romans noirs, des romans d'ambiance. Pour Coup de chaud à la Butte-aux-Cailles, Yves Tenret place son roman dans un quartier de Paris, en pleine canicule. La Butte-aux-Cailles, Paris 13ème. Je ne suis pas Parisien -ça me va bien, ça me va bien-, je ne sais pas si l'auteur décrit ce quartier tel qu'il est réellement, un endroit où pas mal de zonards traînent, des alcoolos, des petits arnaqueurs, ... des gens qui n'emmerdent pas les touristes -bon il n'y en a pas beaucoup, ce n'est pas un quartier avec des sites référencés. En plein cœur du Chinatown parisien avec ses restaurants, ses salons de massage, un endroit que Walter ne connaît pas bien ou plutôt qu'il connaît mais qu'il n'a pas vu évoluer. Le roman est centré sur Walter, sur ses déambulations dans les rues et les bars proches de son squat. Sur ses questionnements quant à sa chute vertigineuse jusque sur le trottoir, lui l'ancien prof qui vient de passer la soixantaine, sur son alcoolisme. Sur ses copains plus jeunes que lui morts rapidement. Sur le quartier qui change à vue d'œil. Yves Tenret en décrit les endroits typiques, la petite Russie par exemple, la vie dans Chinatown, la manière dont les affaires s'y règlent, les rivalités entre Chinois et Libanais. Il crée une belle galerie de personnages, Walter en tête, mais aussi César ou Daniel le cafetier, Park Yun la Coréenne qui ne supporte pas les autres Asiatiques...

Tout concourt à ce que le lecteur passe un bon moment et ait même envie de se promener dans les rues de la Butte-aux-Cailles. Yves Tenret enjolive son histoire avec une jolie plume dialoguée assez vivement, et dans des descriptions réjouissantes qui n'en finissent pas et qu'on aimerait prolonger, sortes d'inventaires, dont celle-ci que je ne peux pas vous citer entière, elle fait une page : "Dans la courette, au ciment badigeonné chaîné de brique rouge succédaient de savants appareillages avortés, ayant l'ambition d'accorder aux nuances dorées de la brique de Vaugirard, la douceur saumonée de celle de Dizy, des moellons hirsutes de pierres de taille, puis du béton peint, de la brique nue, (...) un petit palmier, des rhododendrons, des hortensias, du laurier, des œillets d'Inde, des géraniums rose magenta, (...) des cyclamens, une niche dans un mur -le tout à moitié fait, jamais fini, un vrai Frida Kahlo de climat tempéré, une promesse de bonheur, promesse usée par tous les bouts mais toujours débordante de sa prolifération organique d'origine... Résilience !" (p.27/28)

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Phénix

Publié le par Yv

Phénix, Raymond Penblanc, Christophe Lucquin, 2015...,

Le narrateur est un tout jeune garçon d'une douzaine d'années, il dit se nommer Perceval. Il vit avec sa mère et son grand frère Roland, 16 ans. Tous deux ont le même père, disparu. Autant Roland est déluré, quasi-délinquant, dragueur, amateur de filles et de femmes, de cigarettes, de sorties, autant Perceval est prêt à faire sa communion solennelle, totalement croyant en cette vieille religion rancie et culpabilisante, notamment pour l'éveil au corps, à l'amour et à la sensualité. Ce jeune homme solitaire, particulièrement sensible découvre la vie d'adulte, la malveillance voire la méchanceté, mais aussi l'amitié. Il aime aussi se réfugier dans son repaire, un arbre mort.

Le garçon-narrateur a douze ans et est relativement innocent. Il découvre au fur et à mesure de l'ouvrage la méchanceté des autres, parce qu'il est plus petit, parce qu'il fait partie de la chorale de l'école et qu'il chante bien avec une voix d'ange ; tout cela changera avec la puberté, mais en attendant ce jeune homme est encore "pur", donc gênant pour les autres qui ne peuvent supporter de l'avoir face à eux. Très vite il découvre ce que la vie lui réserve, Roland son frère se charge de le lui montrer : "Roland, c'est donc Roland, le preux chevalier, mais, à l'entendre, son olifant est dans son froc. Sauf que ça n'est pas lui qui souffle dedans, ce sont les filles.[...] Moi je suis Perceval, Perceval l'Ahuri, qui trempe encore ses doigts dans le bénitier et bave sa foi sur ses cahiers." (p.9/10)

Perceval n'est pas comme tous les autres garçons, plus sensible, solitaire, différent. C'est cela qui met mal à l'aise certains qui le harcèlent et le menacent. Encore une fois, la différence fait peur et plutôt que de tenter d'apprendre d'autrui, de le connaître et de savoir ce qu'il peut apporter, certains préfèrent lui faire du mal, par peur de se confronter à ce qu'ils ne comprennent pas.

Roman construit en quatre chapitre du nom des saisons, commençant par l'automne. A chaque saison Perceval change, évolue, découvre, apprend. Une belle écriture qui part parfois dans des régions inconnues -de moi, mon côté terre-à-terre- mais qui toujours nous reprend pour nous emmener un peu plus loin. Beaucoup de sensibilité, d'émotions mais aussi des moments plus légers, plus drôles, c'est l'enfance quoi. Des phrases et un vocabulaire simples, certaines à retenir : "Il faudrait loger une femme dans chaque homme pour l'empêcher de faire couler le sang." (p.144/145)

Un très beau roman sur l'enfance, sur la différence, sur le passage à l'âge adulte et l'abandon des rêves et des illusions (pas pour tous, heureusement).

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Le caillou

Publié le par Yv

Le caillou, Sigolène Vinson, Le Tripode, 2015...,

La narratrice est une jeune femme qui vit de peu. Serveuse en extra dans un bar parisien, elle habite dans un petit appartement et n'en sort que rarement. Son voisin, Elle aide sa voisine du dessous, Madame Vallé atteinte d'éléphantiasis en lui faisant ses courses et tient compagnie à son voisin direct, Monsieur Bernard depuis qu'il est venu sonner à sa porte, une nuit, désorienté. Ce vieil homme s'est mis en tête de faire une sculpture de la jeune femme. Ça tombe bien, puisque l'ambition d'icelle est de devenir un caillou. Monsieur Bernard lui raconte sa vie, ses séjours en Corse. A la mort de son voisin, la jeune femme décide d'aller en Corse sur les traces de Monsieur Bernard.

C'est un roman un peu étrange d'une femme qui végète et se laisse mourir à Paris et revit en Corse, sur les côtes du sud d'Ajaccio, à Coti-Chiavari, près du Capo di Muro. Un coin tellement bien décrit tant dans ses décors, ses paysages, ses lumières et ses senteurs qu'une envie irrésistible d'y aller naît en tout lecteur. La Corse est sublime, je le sais pour n'y être jamais allé et pour avoir beaucoup entendu, lu et vu sur cette île.

C'est un roman sur le sens de la vie, sur les raisons qui poussent chacun d'entre nous à vivre avec les autres : l'amour, l'amitié, une passion, un rêve à réaliser, ... Des vies simples mais pleines, pas de grandes ambitions ou des souhaits de notoriété, non juste vivre en harmonie avec soi-même.

C'est un roman sur l'art ou comment les sculptures qui nous viennent des l'Antiquité sont presque plus vivantes que certains hommes. Comment la volonté de créer fait (re)vivre, exister à ses yeux et à ceux d'autrui.

C'est un roman d'amour pour celui que la narratrice attend et qui ne vient pas, alors il lui faudra vivre avec d'autres qu'elle aimera itou. Moins fort ? Pas sûr, mais différemment, l'être idéalisé ne se confrontant évidemment jamais à la réalité, au quotidien.

C'est un roman bien écrit, entre humour du désespoir, mélancolie, envie malgré tout de vivre. Phrases assez courtes, des dialogues, on est dans la tête de la jeune femme qui, avant de partir en Corse se laisse solidifier pour devenir caillou. Le style est très évocateur, on voit les paysages corses, on sent les odeurs tant celle de l'humidité et de pourriture de l'appartement de Monsieur Bernard que celles des arbustes qui ornent le chemin corse qu'elle emprunte chaque jour : lentisque, myrte et figuier. Je vous le disais plus haut, ne reste plus qu'à aller vérifier tout cela sur place.

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Nouvelles de Côte d'Ivoire

Publié le par Yv

Nouvelles de Côte d'Ivoire, Éd. Magellan & Cie, 2014....

Recueil de six nouvelles d'écrivains de Côte d'Ivoire : Régina Yaou, Venance Konan, Luriel Diallo, Awaba, Tanella Boni et Henri N'Koumo. Elles représentent la vivacité littéraire du pays.

- Le séjour d'un morceau de bois dans l'eau, de Régina Yaou : Ankrey est un jeune golden boy, ivoirien. Ses aïeux viennent d'un petit village dans lequel les traditions sont encore très fortes, comme celle qui établit le passage à l'âge adulte par des rites et l'élection d'un chef. Contre toute attente, Ankrey accède à la demande de son père de se plier à l'exercice et y trouve beaucoup de réponses et un sens à donner à sa vie. C'est une nouvelle empreinte des traditions mais également très au fait de la nouvelle vie des Ivoiriens dans la capitale. Un télescopage ou plutôt une saine cohabitation entre tradition et modernité.

- Sarko, Robert et notre président bien-aimé, de Venance Konan : Robert est le président des jeunes et le responsable du parti politique du président actuel dans le canton duquel est issu ce président. Aussi lorsque le président français vient en visite officielle en Côte d'Ivoire, Robert prépare-t-il une réception à la hauteur de l'événement. Une nouvelle drôle sur les préparatifs de cette rencontre, mais qui aborde aussi l'immigration si chère à notre ancien président, et le pouvoir toujours un peu fragile dans certains pays d'Afrique.

- Madame Rose ou la vraie vie, de Muriel Diallo : Madame Rose a fait fortune on ne sait comment. De retour au pays, elle se fait construire une maison dans l'enceinte même du cimetière, ce qui aux yeux des autres la fait passer pour une femme habitée, envoûtée. Une nouvelle plus ésotérique, liée aux croyances, aux esprits.

- Sans voie, de Awaba : Bintou est une jeune femme qui arrive au mariage vierge et assez peu au fait des choses du sexe. Elle angoisse un peu au moment de sa nuit de noces. Une nouvelle qui pourrait paraître légère et qui est tout le contraire, dure. La tradition est parfois violente.

- Un masque à visage rouge, de Tanella Boni : Goli Antin est un albinos qui veut faite de son handicap sa force, quitte mettre son intelligence au service d'escroqueries pour son profit personnel. Une nouvelle très actuelle sur un mode de criminalité très répandu en Afrique.

- La boue à grande coulée, de Henri N'Koumo : Un orage. Des pluies torrentielles. Et l'agression, le viol de cette jeune femme seule dans cette grande maison. La difficulté de porter plainte dans ce pays où les policiers ont mieux à faire que de s'occuper des filles qui se plaignent. Une nouvelle dure, une écriture rapide et envoûtante. Une histoire terrible où "aller de Charybde en Scylla" prend tout son sens.

J'ai une préférence nette pour la dernière, écrite dans une langue superbe avec de belles phrases comme : "Dehors, il continue de pleuvoir dru. Les gouttes d'eau sont pleines de muscles. Elles frappent les toitures et les murs faits de planches d'une force d'homme." (p.96) Cette nouvelle vaut à elle seule l'idée de se pencher sur ce recueil, et comme en plus les autres sont de très bonnes factures cette idée n'en est que renforcée. Avec un petit plus pour Sans voie et Le séjour d'un morceau de bois dans l'eau. Une très belle manière de découvrir -ou de confirmer- la littérature ivoirienne qui aborde des thèmes difficiles comme le poids des traditions, la place de la femme dans la société, les violences qu'elles subissent, la politique, ...

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Deux frères

Publié le par Yv

Deux frères, Fabio Moon, Gabriel Ba, Urban comics, 2015 (traduit par Michel Riaudel) ...,

Yaqub et Omar sont jumeaux. Ils vivent à Manaus au Brésil. Ils ont été séparés tôt, Yaqub a dû partir cinq ans au Liban le pays des origines paternelles. Lorsqu'il revient dans la maison familiale, les retrouvailles ne sont pas joyeuses. Les rivalités qu'ils ont toujours eues reviennent au grand jour, décuplées par la séparation. Avant le départ de Yaqub, une violente bagarre à propos d'une fille avait éclaté entre les deux frères, Yaqub s'en tirant avec une balafre sur le visage. Dans ce Brésil des années 50, en plein essor, les deux frères vont alors adopter deux styles de vie très différents et s'affronter violemment.

Cette bande dessinée est l'adaptation du roman du même titre de Milton Hatoum, paru en 2003 aux éditions du Seuil qui existe aussi chez Actes sud/Babel. Après quelques questionnements quant à ma capacité à suivre ce roman graphique, le rythme est pris. Ce qui me pose question, ce sont des retours en arrière pas forcément expliqués, des personnages assez nombreux et pas toujours très identifiables par le trait ce qui fait qu'on se demande à qui se rapporte le fait raconté, des dessins volontairement malhabiles -ce n'est sans doute pas le terme idoine, mais c'est ce que j'ai trouvé de mieux, par exemple les murs des maisons ne sont pas toujours bien droits. Une fois le pli pris, cet album se lit avec rapidité et grand plaisir. Il s'agit d'une belle et violente histoire de famille, avec ses trahisons, ses amours, ses vengeances, ses actes impulsifs parfois regrettés intérieurement mais jamais face à la victime et donc jamais pardonnés, ... Il est rarement fait mention d'une rivalité telle au sein d'un couple de jumeaux, on lit plus souvent des pages sur la fusion entre les deux, sur la difficulté de vivre sans l'autre, sur l'amour inconditionnel... La gémellité est souvent source de belles histoires de complicité ou d'histoires plus noires, parfois terribles (cf. Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins)... dans Deux frères, c'est littéralement à la vie à la mort.

Album en noir et blanc qui oblige à se concentrer sur les personnages et leurs vies, la couleur aurait sans doute détourné nos yeux vers les paysages brésiliens. Le dessin est tour à tour sobre ou au contraire très riche avec de nombreuses silhouettes ou des paysages denses. Le noir et blanc permet aussi d'insister sur la noirceur du propos, le côté sombre des héros et donne de la profondeur tant au paysage qu'aux protagonistes.

Je n'aurais sans doute pas pris ce roman graphique de ma propre initiative, mais il fait partie d'un des deux livres de ce mois-ci pour le club de lecture de la librairie Lise&moi et je confesse une belle découverte.

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Japonais grillés

Publié le par Yv

Japonais grillés, Carlos Salem, Editions In8, (traduit par Judith Vernant)....

Ce Japonais grillés est un recueil de cinq nouvelles, noires écrites par Carlos Salem, un auteur brésilien. Elles ont en commun certains personnages, une unité de lieu, un bar et surtout l'ambiance mi-tragique mi-drôle. On pourrait aisément imaginer une mise en images par Quentin Tarantino.

- Japonais grillés : l'histoire d'un tueur à gages qui veut prendre sa retraite et laisser son second Juan prendre la suite. Il s'en ouvre à un professeur dans un bar de l'aéroport et le vin déliant la langue lui raconte comment il fait pour que la passation se déroule le mieux possible.

- Petits paquets : Poe travaille dans un atelier clandestin pour "le mec à la Ferrari" : il coupe, colle et met en forme du plastique. Il se lie d'amitié avec l'Artiste. Mais l'atelier clandestin dénombre moult accidents, membres coupés par des machines particulièrement dangereuses.

- Comme voyagent les nuages : Poe traîne dans le bar de Lola. Tous deux se tournent autour sans oser faire le premier pas. Un jour, un type maigre arrive et raconte une histoire, d'abord celle de son suicide inévitable pour lui puisqu'il vient de fêter ses quarante ans et ensuite celle d'une vie parallèle et noire dans le métro, la nuit notamment lorsqu'il est fermé au public.

- Des marguerites dans les flaques : un vieux flic alcoolique ne peut se faire à l'idée d'enterrer une enquête concernant une jeune prostituée d'à peine vingt ans, sa fille étant morte de la même façon quelques années auparavant. Il s'en ouvre au propriétaire de son bar habituel qui l'écoute, comme toujours.

- Mais c'est toi qu'elle aimait le plus : Poe, toujours dans le bar de Lola, est contacté par Cortès un ami qu'il n'a pas vu depuis longtemps, Olga l'une de leurs ex, on ne sait pas trop lequel elle aimait le plus, est menacée par son mari pour toucher une prime d'assurance. Poe et Cortès vont veiller chez elle la dernière nuit avant son élimination.

Voilà, c'est noir, c'est sombre, c'est drôle. Les codes du polar noir sont présents, la mécanique est parfaitement huilée, implacable et la chute arrive, pas forcément surprenante mais inattendue parfois. Beaucoup de dérision, Carlos Salem raconte de la fiction et il le sait, il ne tente pas de nous y faire croire, il construit ses personnages sur les bases des grands types des protagonistes du polar : alcool, filles, bar, types au bout du rouleau, désabusés. Et c'est excellent de se retrouver dans ces nouvelles, je le disais plus haut, c'est un peu comme regarder des courts-métrages de Quentin Tarantino (du genre de Pulp Fiction, celui que je préfère sans doute), et ça fonctionne admirablement bien.

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