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Café Panique

Publié le par Yv

Café Panique, Roland Topor, Wombat Éditions, 2012 (éditions Seuil, 1982), suivi de Taxi stories (éditions Safrat, 1988)

Roland Topor est un habitué du Café Panique. Au gré des verres de (bon) vin partagés, il y glane des histoires, vraies ou totalement inventées, peu importe. Trente-huit d'entre elles, telles de petites nouvelles, se retrouvent dans ce recueil. Puis, c'est ensuite au tour de ses aventures dans les taxis parisiens d'être narrées dans Taxi Stories.

Roland Topor a tout fait : écrivain, humoriste, dessinateur, cinéaste, acteur, et j'en passe. Il a notamment collaboré à l'écriture de Palace ou de Merci Bernard et co-créé Téléchat ! Cette ré-édition de ces histoires est une brillante idée pour entrer ou rentrer dans son monde de douce folie, de délire, d'humour noir, de décalage total, d'absurdité. On ne rit pas à gorge déployée, mais on sourit très très souvent et parfois même des éclats de rire fusent. Pour décrire son univers, j'en appellerai à plusieurs références, certaines qui lui sont antérieures et qu'ils l'ont sans doute nourri et d'autres qui lui sont postérieures et qu'il a sûrement nourries. La première qui me vienne à l'esprit c'est Alphonse Allais, et son humour noir et absurde, référence évidente pour moi. Ensuite, je peux parler évidemment des Brèves de comptoir de Jean-Marie Gourio (qui signe d'ailleurs la préface) : les histoires de R. Topor sont des brèves de comptoir, version longue. Plus récemment, j'ai lu Le bar parfait de JB Pouy, qui sent bon comme le livre de R. Topor, les déambulations pour trouver le meilleur bar de Paris, les virées entre copains de beuverie, ... et je retrouve la camaraderie, l'amitié que R. Bohringer décline dans son bar Au bout du monde (Les nouveaux contes de la cité perdue). Que du beau monde !

Les personnages de ce livre ont tous des noms particuliers qui se retrouvent dans les titres : par exemple et dans aucun ordre particulier : Histoire de Pas-de-Bol, Histoire de Gros-bide, Histoire de Goût-Bulgare, Histoire de Double-Face et de Frisée-aux-Lardons ou encore Histoire de Chaussettes-Humides, ... Certaines sont vraiment excellentes, comme celle de Pas-de-Bol, un dompteur qui cumule les ennuis (d'où son nom) et qui est obligé de se recycler :"J'ai connu un type qui était dompteur. Je n'ai jamais su comment il se nommait en réalité, mais nous, on l'appelait Pas-de-Bol parce qu'il collectionnait les tuiles. Le pauvre vieux avait des cicatrices partout. Je dis vieux, mais sa cinquantaine était encore toute neuve. Son truc favori consistait à fourrer la tête à l'intérieur de la gueule d'un lion, et crac ! régulièrement le lion éternuait, ou rotait, ou lui balançait un coup de queue, enfin bref, Pas-de-Bol se retrouvait à l'hôpital où bien entendu tout le monde l'accueillait à bras ouverts." (p.61) L'histoire est triste et drôle et la chute inattendue m'a fait éclater de rire.

L'Histoire de Peut-Mieux-Faire est aussi dans mes préférées : à la suite de la parution de cette histoire dans laquelle R. Topor prend des libertés avec la religion -on ne se refait pas, dès qu'on s'en prend aux religions, attention, il faut quand même l'art et la manière, je savoure- et son principal héros, Jésus, dans le Nouvel Observateur (c'était leur destination première avant édition), certains lecteurs du journal se sont plaints, R. Topor se fend donc d'une Histoire de Peut-Mieux-Faire (suite) : "[Certains Lecteurs] avaient envoyé des lettres ulcérées pour dire que j'étais une ordure d'une bassesse pas possible, et tout ça à cause de ce pauvre Peut-Mieux-Faire, parce qu'il avait raconté la vie du Christ de travers. Bon, je me dis, c'est de sa faute, c'est à lui de répondre à la critique. (...) Il lut attentivement les lettres, un étrange sourire aux lèvres. Quand il eut terminé, il vida sa Suze cul sec.

- Tu veux que je te dise, ces gens-là, moi, je les trouve pas très catholiques." (p.129)

Imparable, non ?

Pour finir, un mot sur le livre en lui-même : belle mise en page (pour les gens âgés comme moi, n'oubliez pas vos lunettes, la police est un peu petite), des illustrations de Nicolas et Roland Topor et une couverture avec une tranche rouge qui imite les anciennes tranches en tissu des vieux bouquins ; le reste de la couverture est très beau également, la première, la quatrième  et les rabats. Très bel effet !

 

dialogues croisés

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Ce que cache ton nom

Publié le par Yv

Ce que cache ton nom, Clara Sanchez, Éd. Marabout, 2012 (traduit par Louise Adenis)

Fredrik et Karin Christensen vivent paisiblement dans une petite ville près d'Alicante. Ce sont d'anciens nazis. Elle ancienne infirmière, lui ex-tortionnaire. Sandra est une jeune femme enceinte en plein questionnement sur son avenir, celui de son enfant. Le hasard veut qu'un jour tous les trois se rencontrent et nouent une relation petite-fille/grands-parents qui bénéficie à chacun d'eux. Julian est un vieil homme qui a passé sa vie, après avoir été déporté au camp de Mathausen, à rechercher  les anciens nazis cachés. Il vit en Argentine et sur les conseils de son vieil ami Salva, il atterrit dans cette petite ville, prêt à débusquer le couple Christensen. Il se lie lui aussi avec Sandra.

Ce roman part d'une idée excellente et débute sous les meilleurs auspices :"En sortant de là-bas [Mathausen], moi je voulais juste être normal, m'incorporer à l'humanité normale. Mais lui [Salva] m'avait dit que ce serait impossible, qu'il faudrait continuer à survivre. Et il avait raison, jamais plus je n'ai pu me doucher en fermant la porte à clé, jamais plus je n'ai pu supporter l'odeur de l'urine, pas même la mienne. A l'époque du camp, Salva avait vingt-trois ans et moi dix-huit, et j'étais physiquement plus fort que lui. Quand on nous a libérés, il pesait trente-huit kilos. Il était squelettique et pâle, mélancolique et très intelligent." (p.10) Très emballé, je me lance donc dans cette lecture avec envie et enthousiasme. Malheureusement, cette envie et cet enthousiasme furent vite refrénés. Que de propos inutiles et oiseux dans la première partie de ce roman ! C'est sans doute grâce à mon intelligence très au-dessus de la moyenne (avertissement : évidemment, c'est de l'humour, je ne suis pas "très au-dessus de la moyenne", plutôt "très largement au-dessus" !)  que j'avais compris que Sandra n'allait pas bien, qu'elle nouait une relation pas très saine avec les Christensen et que Julian n'allait pas se faire que des amis en Espagne. Je dis cela parce que l'auteure nous le rabâche tellement qu'à force j'ai fini par y croire moi à mon QI surdéveloppé ! Je serais franchement déçu voire abattu et même carrément dépressif si l'on me prouvait le contraire. Mais, je suis d'un naturel optimiste donc j'y crois à donf.

Toujours est-il que la très bonne idée de départ de ce roman est noyée dans des considérations peu importantes sur la grossesse, le tricot, les faiblesses qu'apportent l'avancée en âge, pas inintéressantes, certes, mais de nombreuses fois répétées. Alors, je me pose donc la question suivante : pourquoi écrire 444 pages là où 250 auraient largement suffi ? Un format plus compact aurait dynamisé le récit, donné du rythme et empêché l'esprit du lecteur (le mien au moins) de divaguer, de papillonner, de s'envoler vers des horizons lointains à certains moments (Est-ce que j'ai bien fermé le gaz ? Qu'est ce que je vais préparer à manger ce soir ? Je fais le ménage cet après-midi ou demain ? Demain, là, je lis ! Ah oui, à propos Yv, reviens dans ta lecture !)

Tout n'est pas mauvais bien au contraire, les personnages évoluent : il sont bien décrits à leurs différentes phases, Sandra, particulièrement et Julian aussi même si l'on peut remarquer pas mal de clichés et de stéréotypes. L'auteure sait installer des rebondissements pour retenir le lecteur, et placer des réflexions, des phrases fortes : "Avant de connaître Karin, il ne me serait jamais venu à l'esprit que le mal prétend toujours faire le bien. Karin affectait toujours de faire le bien, et avait fait de même lorsqu'elle avait tué ou aidé des innocents. Le mal ne sait pas qu'il est le mal, tant que quelqu'un ne lui arrache pas le masque du bien." (p.144) Le problème étant que ces passages plus "sérieux" doivent être repérés dans une littérature passe-partout. Point de recherche d'écriture ici pour retenir le lecteur.

Disons pour résumer que c'est un bouquin pas mal qui aurait pu être très bon voire excellent après un régime amaigrissant évident et un passage dans un salon de beauté pour embellir le style littéraire. Preuve que ce que je raconte est totalement subjectif, ce livre est un best-seller en Italie et en Espagne et a eu un prix (le Prix Nadal 2010). Mais s'il fallait se fier aux différents et nombreux prix...

Je tiens à remercier les Éditions Marabout et Thomas de My Boox pour ce partenariat en demi-teinte.

 

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Maleficium

Publié le par Yv

Maleficium, Martine Desjardins, Éd. Phébus, 2012

"A la fin du XIXe siècle, sept hommes partis aux confins de l'Orient et de l'Afrique croisent tour à tour la route d'une troublante créature. Pourquoi les soumet-elle aux plus inavouables tentations ?" (4ème de couverture) Ces hommes se livrent à l'oreille d'un prêtre dans le même confessionnal, racontant l'aventure qui les a menés jusqu'aux terres les plus lointaines, puis les a ramenés dans ce confessionnal, prêts à se repentir.

Au départ, j'ai cru avoir affaire à un recueil de nouvelles ayant des personnages et des lieux en commun. Mais c'est bien plus que cela. C'est un roman baroque construit et huit chapitres et un prologue m'avertissant que je lisais un livre dangereux, soit-disant caché par l'évêché de Montréal, un livre écrit par l'abbé Jérôme Savoie. 

Ma réserve viendrait d'une répétition certaine dans la construction des huit chapitres. Lorsqu'on aborde le cinquième ou le sixième, on sent une pointe de lassitude, mais finalement largement compensée par une écriture magnifique. Martine Desjardins travaille son écriture, sans que l'on sente la sueur que ça lui a sans doute coûté. Elle use d'un langue recherchée, qui sent le XIXe, le voyage, l'exotisme, la sensualité.

"Ainsi que je l'avais espéré, nous atteignîmes le dispensaire trempés jusqu'aux os. La robe de la jeune fille lui collait à la peau, moulant chacune des délicates apophyses épineuses de sa colonne vertébrale. Après le mauvais temps, mon cabinet privé semblait fort accueillant avec ses tapis, ses coussins et son divan profond. J'allai chercher un peignoir et une serviette de lin et, usant de mon autorité de médecin, je recommandai à mon invitée d'enlever au plus vite ses vêtements mouillés, de peur qu'elle n'attrape un croup fatal. Je lui ouvris la porte de la salle d'examen et lui indiquai un paravent derrière lequel elle pouvait se changer pendant que je préparerais le thé. J'étais en train d'allumer le réchaud quand elle apparut dans l'embrasure." (p.48)

Un -gros-soupçon de fantastique qui fleure bon l'époque également est le bienvenu. Immédiatement, j'ai pensé à Edgar Allan Poe (mais peut-être me trompé-je, mes références littéraires XIXe étant assez limitées ?). Le décor est planté, oriental. Les odeurs sont présentes, les épices dont le safran, les fleurs, les effluves humaines. Les lieux et les corps sont décrits admirablement : on se promène dans les uns et on admire ou regarde avec curiosité les autres (chacun choisira l'ordre de la phrase). Tout concourt à la fascination du lecteur pour ce livre et ce qu'il décrit et raconte. Et quelle érudition -ou documentation- de l'auteure qui sait parler du safran, des écailles de tortues et de la reproduction de celles-ci, d'espèces animales peu connues, d'insectes ou encore de fabrication de tapis et qui sait nous emmener dans les rues, les palais et les jardins des villes que ses personnages visitent !

Il y a sûrement des significations intellectuelles, scientifiques, philosophiques, des interprétations de mêmes ordres de ce texte de Martine Desjardins. Son héroïne, troublante, est sans doute la personnification de croyances, doctrines, ... Mais de tout cela, je n'en ai cure ni n'ai les capacités à les expliquer. Un seul conseil demeurera de mon billet : laissez-vous faire ! Découvrez Maleficium, son monde imaginaire, fantastique -comme le fantastique du début XIXe- et son écriture superbe qui vous envoûtera.

Merci Bénédicte.

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Nature morte aux papillons

Publié le par Yv

Nature morte aux papillons, Lorenzo Cecchi, Éd. Le castor astral, 2012

Vincent est un jeune homme qui vit à Bruxelles, dans les années 70. Étudiant, il se retrouve coincé entre une famille qui lui demande de l'attention, son père étant au plus mal, et Carine sa fiancée qui l'envahit, le protège alors qu'il ne rêve que de liberté. Trop couard ou par peur de faire du mal à ses proches, il ne prend aucune décision, ne rompt pas avec Carine pour qui pourtant il n'a qu'affection, quand elle envisage le mariage. Il passe du temps avec Nedad, un artiste yougoslave à jouer aux échecs. Un jour, Suzanne entre dans sa vie. Suzanne et sa notion toute particulière de l'amour.

Voici un roman que j'ai choisi dans la liste de Dialogues Croisés au hasard, sur le thème et parce que j'aime bien faire des découvertes, et aussi parce que j'ai déjà lu un ou deux livres de cet éditeur et que j'aime bien son nom, Le Castor Astral. Que des arguments objectifs ! Je reçois à la maison (Merci Caroline) les épreuves non corrigées, et en les ouvrant, quelle ne fut pas ma surprise de voir que "Cet ouvrage de la collection "Escales des lettres" est publié sous la direction de Francis Dannemark" (p.2). Et oui, le Francis Dannemark dont j'ai adoré le dernier roman : La véritable vie amoureuse des mes amies en ce moment précis. Nous étions donc fait pour nous rencontrer. Je me suis dit que s'il dirigeait cette collection, ce livre de Lorenzo Cecchi devait être bien. Je partais donc avec un a priori positif. A priori confirmé par la lecture. Mais on est loin du roman de F. Dannemark : aucune ressemblance.

C'est un roman qui parle de la difficulté de s'engager, de trouver la bonne personne avec qui construire sa vie. Celui d'une génération sans doute déboussolée par mai 68 et la révolution sexuelle des années qui suivirent (je dis, ça parce que je l'ai lu, moi, j'étais trop petit, né en 1966 !). Ce qui est intéressant c'est que l'auteur fait de ses héros masculins des êtres faibles, en plein questionnements, pas franchement matures ni prêts à affronter la vie (mesdames, ça doit vous faire sourire qu'un homme ne réalise cet état de fait que maintenant, ce qui abonde dans le sens de l'immaturité dont je parle plus haut). C'est la femme qu'elle soit Carine, celle qui protège, celle qui materne ou qu'elle soit Suzanne, celle sur laquelle Vincent fantasme, la femme fatale, sexuée, qui est libre et qui décide de sa vie.

Vincent s'interroge tout au long du livre (ça peut parfois être un tout petit peu long sur la première partie, ça ne l'est pas sur la seconde). Ses hésitations sont argumentées, il ne prendra aucun risque : trop cérébral, le jeune homme ! Trop renfermé ; parfois, comme dans l'extrait qui suit, je me suis revu à 18/20 ans (maintenant, ça va mieux -quoique...- l'âge venant la personnalité s'affirme, mais dans une foule, je fais souvent -volontairement- "tapisserie" : 

"La foule -quelques personnes- agit sur moi comme un astringent ; je me recroqueville, m'auto-avale, me fais le plus petit possible jusqu'à ce que ma présence sorte du monde sensible. Faire partie d'un groupe, quel qu'il soit, me met mal à l'aise : je ne sais vraiment pas comment me comporter pour être "dans la ligne du parti"." (p.34/35)

Je le disais un peu plus haut, là où la première partie souffre de quelques longueurs, la seconde en est exempte. Celle-ci se déroule une petite dizaine d'années plus tard, à la trentaine. Vincent apparaît toujours désabusé : il revoit, après une longue absence, Nedad et Suzanne. Mais je ne vous en dirai pas plus, je laisse le suspense s'immiscer en vous.

Parlons de l'écriture de Lorenzo Cecchi, qui écrit en français, ce n'est pas un roman traduit. Il sait écrire de belles phrases, avec parfois des mots savants dont on devine le sens si on ne les connaît point. Il sait aussi parfois y glisser des expressions ou des vocables familiers voire grossiers qui donne à son style un côté oral, courant. J'aime beaucoup cette alternance de belles phrases et de tournures familières, ça me fait penser à du Desproges, l'humour en moins. Plus exactement, pas le même humour. Celui de L. Cecchi est celui du désespoir, sarcastique et ironique, un rien désabusé (j'aurais pu dire cela de Desproges aussi, remarquez bien), mais là où l'un est fait pour faire rire de manière efficace, l'autre est plus saupoudré, plus léger.

Pour finir par une boucle bouclée, je confirme que ma découverte (dont je parle au début de ce billet) de cet auteur par Dialogues croisés est un essai largement transformé.

 

 

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Comme au cinéma

Publié le par Yv

Comme au cinéma (Petite fable judiciaire), Hannelore Cayre, Métailié, 2012

Etienne Marsant est une star. Le grand acteur français, mais suite à un infarctus, il ne tourne plus. Il vit sur sa notoriété. Cependant, il accepte d'être le Président d'un festival de cinéma de seconde zone à Colombey-les-Deux-Églises.

Dans le même temps, à Chaumont, se tient le procès en appel d'un braqueur de banques récidiviste. Un petit voyou sympa répondant au nom improbable de Abdelkader Fournier, qui braque avec une arme en plastique. Les époux Bloyé, Jean et Anne sont ses défenseurs. Mais la partie sera rude face au juge, surnommé "le boucher de la Haute-Marne".

Tout ce monde se croisera plus ou moins rapidement au tribunal ou dans la seule auberge digne de ce nom dans cette petite ville.

Hannelore Cayre sous-titre son livre, Petite fable judiciaire. Si elle avait fait appel à moi avant, je lui aurais suggéré plutôt : Petite farce judiciaire. Mais bon, tant pis pour vous Hannelore -vous permettez que je vous appelle Hannelore ?- vous avez préféré la jouer solo sans mon avis éclairé. Néanmoins, je ne vous en veux pas. D'abord parce votre sous-titre, bien que moins bon que le mien, il va sans dire, n'est pas mal non plus, et surtout parce que votre roman est très bien. Voilà, c'est dit, c'est clair.

Je suis passé par beaucoup de phases :

- celles où j'ai ri : Jean  Bloyé est totalement désabusé, blasé. Il regarde la vie et son métier avec une ironie et une causticité permanentes. Etienne Marsant est dans le même genre, le cynisme en plus voire même la goujaterie que lui permet son statut de Star et dont il joue. Et Hannelore Cayre de filer une parfaite métaphore florale : "Il avait également semé des fleurettes dans les cœurs de ces dames. Il comptait les cultiver pendant ces quelques jours de festival avec la chaleur ou la fraîcheur qui convenait à chaque espèce afin d'en récolter la plus épanouie la dernière nuit. Tout cela, évidemment, ne tenait que du voeu pieux puisqu'il ne bandait pratiquement plus." (p.74)

- celles où je me suis insurgé, contre le racisme, l'homophobie et la xénophobie faciles et malheureusement crédibles du juge Anquetin : "Anquetin est un gros con. Pas d'une gentille connerie débonnaire... Non... D'une connerie butée, contente d'elle-même. Son esprit est un rendez-vous de banalités racistes et de préjugés épidermiques. Et si un avocat ose lui démontrer qu'une chose n'est pas comme il croit qu'elle est, il prend un air dédaigneux qui s'opiniâtre à mesure qu'il insiste." (p.65)

- celles où je ne pouvais croire la tournure ubuesque que prenait l'histoire, mais elle me faisait rire, donc ça passait.

- celles où je me suis énervé contre le parisianisme exacerbé de Anne Bloyé (Pitié, Hannelore, dites-moi que ce n'est que votre personnage et pas vous !)

- celles ou j'ai ri de nouveau

- celles où je me suis dit : (je me cite, alors, je mets mes propos en italique) "mais finalement, les réflexions de Jean sur le monde actuel, sur cette mode de faire d'un ado, Augusteen Granger -ersatz de Justin Bieber- un modèle pour des millions d'autres ados, les remarques sur la futilité de ce qu'on nous présente comme étant la culture, de ceux qu'on nous dit être les nouvelles stars, mais qui comme les étoiles filantes ne dureront que le temps de les voir s'éteindre (c'est beau, on dirait du Verlaine), la  tendance à prendre comme baromètre de la société un pré-pubère chantonnant des niaiseries qui masque les inégalités, les violences de cette même société, tout cela est assez proche de ce que je peux penser. Oh, non, Yv tu es vieux ! Désabusé, blasé, comme Jean ! Mais que nenni, je vais résister !

Voilà donc mes différents états d'esprit en lisant ce roman, qui emporte l'adhésion, très aisément, grâce également à une écriture, drôle, caustique, franche. Chez Hannelore, un chat est un chat et un con un con ! Elle mène son histoire à un rythme qui ne laisse pas de temps mort, pas de répit à ses lecteurs. Et, cerise sur le gâteau, à chaque fois qu'un nouveau personnage apparaît, on a le droit à une description détaillée, moqueuse voire méchante mais tellement jouissive. En l'espèce, la sélection des jurés pour le procès est un vrai régal. Allez, pour finir en beauté, les portraits de la sous-préfète et de son mari :

"Avec ses tailleurs rouges ou bleu roi, toujours un poil trop petits, et ses cheveux flamboyants bétonnés de laque, la sous-préfète faisait penser plutôt à une grosse poule rousse sexuellement très agressive. Elle offrait un sacré contraste avec son mari, un petit teckel gris et tremblotant [...]"

Merci Valérie.

région

 

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En route vers un avenir radieux

Publié le par Yv

En route vers un avenir radieux, Brigid Pasulka, Éd. ZdL, 2012 (traduit par Lucie Delplanque)

Pologne, 1939, la première fois qu'il voit Anielca, celui que tout le monde nomme Le Pigeon, tombe amoureux. Il n'aura de cesse de tout faire pour se trouver à ses côtés, pour se faire accepter par sa famille, jusqu'à reconstruire la maison de sa belle dans le petit village de Bourg-Perdu, loin dans les montagnes. Mais la guerre retarde ses plans, lui qui va lutter contre les Allemands.

Pologne, 1992, Beata, aussi surnommée Baba Yaga, la petite fille d'Anielca vit de petits boulots de serveuse et de dame de compagnie en plein Cracovie. Pas d'ambition, pas de goût particulier pour les études, elle vit au jour le jour, hébergée par Irena, sa tante.

Je suis un peu déçu par ce livre parce que sans doute j'en attendais beaucoup plus. Là où je voulais un roman mettant en scène des personnages dans des périodes historiques très fortes pour la Pologne notamment, je ne trouve que des histoires d'amour, de filiation sans vraiment de lien avec ce pays. Plus exactement, disons que le contexte politique, social n'apparaît pas à la hauteur de mes espérances. Il est présent, certes, mais en léger fond. Un lavis. Je m'attendais à plus dense parce que ce que j'avais lu de chez ZdL Éditions m'avait habitué à cela : Churchill à Yalta, par exemple qui est un excellent exemple de roman bien ancré dans une période historique ou Le labyrinthe de Poutine, qui n'est pas un roman mais une enquête journalistique.

Une fois passée cette relative déception, j'ai en mains un roman sympathique qui raconte en parallèle la vie de deux femmes à 50 ans d'écart : Anielca, la beauté légendaire de Bourg-Perdu et sa petite fille Beata, jeune fille en attente. Ce n'est pas vraiment mon genre de littérature, même si je dois avouer ici -au risque de détruire à tout jamais cette réputation de virilité exacerbée- que je n'ai pas passé un mauvais moment. Certains paragraphes du livre permettent quand même de se raccrocher à ce qui me manque, le contexte, notamment celui-ci, racontant comment les Polonais, à la demande de leurs dirigeants, au sortir de la guerre, affluent vers les villes pour la reconstruction du pays :

"Cet été-là, lorsque l'appel à la reconstruction fut lancé dans des villes, les Polonais se ruèrent sur les routes comme lors de la panique initiale. Cette fois, en revanche, il flottait sur cet exode comme un parfum de dernier jour d'école, l'impression de délaisser l'année écoulée encore affichée aux murs, pour sauter, la tête la première, dans une ère illimitée, toute baignée de soleil. Tous savaient bien sûr que cette liberté était temporaire. [...] Les règles et restrictions qui les guettaient demeuraient un vague fantôme debout sur l'autre rive, ricanant devant cette liesse." (p.339)

Le roman est bien ancré géographiquement, on sait qu'on est en Pologne, mais l'histoire n'est pas suffisamment originale ni ancrée politiquement, socialement, historiquement pour qu'elle emporte mon adhésion. De même, l'auteure ne joue pas assez sur les contrastes entre Anielca, jeune paysanne des années 30/40 et Beata, sa petite fille, jeune citadine des années 90. Passer de l'oppression qu'elle fût nazie ou communiste à une période de liberté où tout est envisageable aurait dû être plus évident, plus présent dans le texte.

Néanmoins, si vous êtes amateurs(trices) de romances bousculées par des événements extérieurs, de jeunes femmes et de jeunes hommes tergiversant pour s'avouer leur amour, de sagas familiales, laissez-vous tenter, vous ne devriez pas être déçu(e)s.

Merci Léa de chez Gilles Paris.

 

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Certaines n'avaient jamais vu la mer

Publié le par Yv

Certaines n'avaient jamais vu la mer, Julie Otsuka, Éd. Phébus, 2012 (traduit par Carine Chichereau)

Début du siècle dernier, des femmes, des jeunes, des moins jeunes, quittent leur Japon natal pour les États-Unis. Elles vont y épouser un homme qu'elles n'ont vu qu'en photo. Un de leurs compatriotes exilés depuis plus ou moins longtemps. Ce sera une rencontre difficile, quasi impossible, surprenante, jamais anodine. Leurs vies vont radicalement changer, même si elles continueront de vivre entre Japonais, dans des quartiers nippons des petites ou grandes villes. Leurs espoirs de bonheur sont bien vite déçus : elles iront travailler dans les champs, dans des boutiques, dans des maisons de bourgeois en tant que bonnes voire dans des bordels. Enfin, travailler, le mot le plus adéquat serait trimer, sans cesse, sans repos.

Ce livre est petit mais très dense. Julie Otsuka a une manière très personnelle de raconter le parcours de ces femmes, arrivées aux États-Unis dans les années d'après la première guerre. Elle s'intéresse à elles jusqu'aux années de la guerre suivante, celle que leur pays d'adoption mène contre leur pays natal.

Plutôt que de nous parler d'une seule héroïne qui serait un peu toutes ces femmes, l'auteure écrit sur toutes en même temps. Dans un même paragraphe, elle dit toutes les possibilités, reprenant ses débuts de phrases telle une litanie :

"Sur le bateau nous étions presque toutes vierges. Nous avions de longs cheveux noirs, de larges pieds plats et nous n'étions pas très grandes. Certaines d'entre nous n'avaient mangé toute leur vie durant que du gruau de riz et leurs jambes étaient arquées, certaines n'avaient que quatorze ans et c'étaient encore des petites filles. Certaines venaient de la ville et portaient d'élégants vêtements, mais la plupart d'entre nous venaient de la campagne, et nous portions pour le voyage le même vieux kimono que nous avions toujours porté -hérité de nos sœurs, passé, rapiécé, et bien des fois reteint. Certaines descendaient des montagnes et n'avaient jamais vu la mer, sauf en image, certaines étaient filles de pêcheur et elles avaient toujours vécu sur le rivage." (p.11)

Le procédé est répété durant tout le livre et ce qui pourrait lasser voire agacer produit le phénomène inverse : le rythme est là, évident, même lorsque les phrases sont longues, on a l'impression du contraire, de phrases très courtes, accolées qui pourraient être ces femmes obligées de vivre ensemble, malgré leurs différences sociales ou culturelles. Elles vivent la même douleur de la séparation, de l'angoisse, de la peur de l'inconnu, tant l'homme qu'elles vont épouser que le pays dans lequel elles vivront désormais. L'écriture de Julie Otsuka est comme une musique répétitive de Steve Reich, par exemple, ou plus connu, le Boléro de Maurice Ravel : on se demande pourquoi, ça nous plaît, mais on est fasciné et on en redemande.

Le propos est la clef de voûte de ce roman. Il en est l'ossature, forte et puissante. Le style en est l'ornement poétique, direct, franc. Car Julie Otsuka ne cache rien de la vie des ces femmes : leur peur sur le bateau, leur arrivée au port, leur premier contact avec leurs maris, notamment sexuel, leur vie de labeur dure et sans repos, les enfants qui naissent américains, qui se détournent de leurs parents, le racisme au quotidien au moins aussi présent que le racisme anti-noirs : "Ils savaient quand ils étaient autorisés à aller nager à la piscine de la YMCA -Les lundis sont réservés aux gens de couleur- et quand ils pouvaient aller au cinéma Pantages Theater, en ville (jamais). Ils savaient qu'ils devaient toujours commencer par téléphoner au restaurant. Vous servez les Japonais ?" (p.87/88)

J'ai pris ce roman comme un reportage écrit au milieu de ces femmes : une immersion totale dans leurs vies. L'auteure a su trouver des mots et un style étonnant, particulier et très personnel. Moi qui recherche dans mes lectures, mais aussi dans les musiques que j'écoute ou dans les films que je regarde, à être surpris voire dérouté, je dois avouer que je suis comblé. A plus d'un titre. D'abord cette écriture que j'aime beaucoup, et ensuite, ces histoires que Juie Otsuka raconte et que je ne connaissais pas vraiment : je n'avais qu'une vague idée de ce qu'avait été la vie des Japonais exilés aux États-Unis pendant les années 30 à 50.

Merci beaucoup Bénédicte.

Cathe l'a lu, Canel aussi.

 

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