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Le singulier Monsieur-Tout-le-Monde

Publié le par Yv

Le singulier Monsieur-Tout-le-Monde, Dorine Hollier, F. Deville, 2022

Jean Pratou est un invisible, un insignifiant, c'est lui-même qui le dit. Élevé par des nounous pour cause d'absence de mère qui préfère les grandes scènes et la gloire -elle est cantatrice- et de père inconnu. Il se passionne pour le Louvre et reproduit les tableaux.

Lassée du défilé des nounous, sa mère envoie Jean à Saint Étienne, chez de vagues cousins qui le martyrisent. Il finit par se retrouver seul, dessine sur les murs de son appartement une femme qu'il imagine et qu'il prénomme Josette. Son idéal. Son fantasme. Aussi lorsqu'une vraie Josette apparaît en tant que préposée au courrier à son travail, Jean Pratou en tombe amoureux illico.

C'est un roman qui débute comme une farce, une comédie avec un anti-héros dont on sent bien qu'il va lui arriver des aventures pas banales, ce qui ne l'est pas puisque lui-même l'est, banal, passe-partout, commun, quelconque, insipide... Le ton est léger, comme par exemple lorsque Jean Pratou veut demander un conseil à un collègue : "Je grimpe sur ma chaise pour voir ce qu'il fait de son côté du mur, si par hasard des lettres traînent sur sa table. Je le surprends la main dans le pantalon, un air visqueux aux lèvres, concentré sur les activités acrobatiques de deux blondes qui se déploient sur son ordinateur. Je baisse la tête vivement avant qu'il ne me surprenne. Je m'en voudrais vraiment de condamner ses choix esthétiques." (p.26) Ce qui rend ce passage drôle, c'est le langage soutenu pour décrire un événement trivial. Jean Pratou fonctionne comme cela, il n'a pas les codes de la vie en société, il vit seul, ne fréquente que son chat à trois pattes, Robert et Sehtou, le préposé au courrier d'avant Josette.

Et puis, Dorine Hollier, doucement, change de ton. Elle parle de la société de consommation, tant pour les biens que pour les services ou la culture si tant est que l'on puisse citer ce mot pour parler de certaines chaînes de télé. Le constat et la critique sont sévères et justes, comme cet animateur télé aux dents blanchies : "Mes chéris, mes amours, public adoré, merci d'être toujours fidèles à "l'émission qui dit tout" ! [...] Un tonnerre d'applaudissements m'assourdit de nouveau. Les gens sont debout, en révérence, ils hurlent mon nom, les bras tendus vers leur gourou..." (p.162/163). Ce besoin d'un homme à révérer, d'une idole n'est finalement pas si loin de la religion, d'une croyance aveugle en une entité ou en une personne... Brrr, ça me fait froid dans le dos.

"Pouf pouf, Dieu me tripote" comme disait Pierre Desproges, revenons à ce roman qui devient quasiment une tragédie dans son final, un peu longuet, mais toujours de bonne tenue. J'ai beaucoup aimé, c'est assez rare de passer de la comédie au tragique en 300 pages avec autant de plaisir de lecture. Dorine Hollier a su créer un personnage insignifiant, certes, mais très attachant, et qui paradoxalement, fait partie de ceux que l'on n'oublie pas facilement.

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C
Alor là tu m'intrigues ! je prends note
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Y
cool, ça te fera une bonne surprise
L
Un livre qui me tente grâce à ce billet qui le décrit de façon attirante
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Y
c'est un roman vraiment pas mal du tout