Corps désirable
Corps désirable, Hubert Haddad, Zulma, 2015.....
Cédric est le fils du richissime homme d'affaire Morice Allyn-Weberson. Il est journaliste et très engagé contre les trusts pharmaceutiques et la finance, c'est à dire tout ce que représente son père. Il publie sous un pseudonyme, Cédric Erg et est la cible de certains groupes qui voient en lui un empêcheur de faire des affaires. Cédric est très amoureux de Lorna, très belle grand reporter ; ils vivent une histoire intense, passionnelle. Un jour, il est victime d'un accident qui le laisse cloué sur un lit d'hôpital. Sa seule chance de pouvoir continuer sa vie est de se faire greffer un nouveau corps, car cette technique est presque au point, un médecin italien la maîtrise, mais pas encore sur des humains. Cédric sera donc le premier, sa tête sera greffée sur le corps d'un donneur cliniquement mort dont personne ne sait rien.
Que voilà un roman formidable, à la fois classique : une histoire d'amour, de passion et un homme qui ne veut pas perdre la femme qu'il aime et en même temps, résolument moderne : la greffe de corps et les questions éthiques, humaines et morales qu'elle pose. Pendant la première partie du roman, j'hésitais entre la fascination pour l'exploit d'une telle opération et la peur qu'elle se réalise vraiment un jour. Un véritable malaise naît de la lecture, et franchement, un livre qui bouscule, c'est excitant.
Imaginez un roman classique d'un homme qui se pose des questions sur le sens de sa vie, qui aime profondément une femme qui veut le quitter, qui est donc prêt à tout pour la garder, qui veut continuer à se battre pour ses idées ; bon, on en a lus, ils sont parfois très bien et d'autres fois moins. Maintenant, prenez tout cela -mais un bon roman déjà- et ajoutez-y cette greffe de corps et donc les questions d'identité, du désir, de la jalousie (est-ce lui, Cédric, qui fait l'amour à Lorna ou l'autre, surtout lorsqu'elle ne regarde pas son visage ?), ... Toutes ces questions sont amplifiées par cette double identité au sein d'un même individu. Est-ce le cerveau qui a la mémoire du passé ou est-ce le corps ? Les informations passent-elles nécessairement du cerveau vers le corps, en descendant donc, ou bien, peuvent-elles remonter ? Si oui, quels sont les souvenirs, les réflexes, les apprentissages ou les choses innées qui sont de Cédric ou du donneur de corps ? Finalement, le nouveau Cédric Erg est-il le même qu'avant ou un mélange entre lui et le donneur de corps ? Et qui est ce donneur ?
Autant d'interrogations auxquelles Hubert Haddad répond ou tente de répondre dans une belle langue, comme d'habitude chez lui, absolument pas alambiquée ou artificielle ; elle est magnifique, parfois poétique -le chapitre où Cédric découvre son nouveau corps (p.103/107) est d'une grande beauté- qui use de mots savants -parfois médicaux, mais point trop, l'écueil est largement franchissable- ou de mots tombés en désuétude que l'auteur réhabilite avec talent et plaisir pour le lecteur. Les chapitres sont courts, rapides, ce qui donne à cet ouvrage un rythme de roman à suspense dont il a la densité et la force de vouloir absolument le finir vite pour connaître le fin mot de l'histoire.
Dans un thème ressemblant, n'hésitez pas à vous procurer et à lire, l'excellent roman de Roque Larraquy publié chez Christophe Lucquin, La Madrivore.