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La mer d'innocence

Publié le par Yv

La mer d'innocence, Kishwar Desai, L'Aube, 2015 (traduit par Benoîte Dauvergne)....

Simran Singh, travailleuse sociale à Delhi, passe quelques jours de vacances à Goa avec sa fille-adolescente adoptive Durga. Elle reçoit une vidéo sur son portable, celle d'une jeune femme anglaise qui se fait agresser par des hommes. Puis, c'est Amarjit, un flic de sa connaissance qui lui demande d'enquêter sur la disparition de cette jeune femme, Liza. Précisons que Simran a déjà travaillé avec Amarjit, qu'ils ont même été amants et que c'est là la troisième enquête de cette travailleuse sociale fonceuse.

Les deux tomes précédents mettant en scène Simran Singh s'intitulent Témoin de la nuit et Les origines de l'amour, mais point n'est besoin de les avoir lus pour comprendre celui-ci et suivre avec intérêt cette enquête, la preuve, je ne les ai pas lus.

Simran Singh est une femme qui a passé la quarantaine, elle vit seule avec Durga qu'elle a adoptée suite à l'une de ses précédentes enquêtes. L'intrigue présente est très ancrée dans l'Inde contemporaine. Elle mélange fiction et réalité : vous vous souvenez sans doute de cette jeune étudiante indienne agressée et violée par six hommes dans un bus (en décembre 2012, cf, l'article de Wikipedia), Kishwar Desai en parle pour dénoncer la violence extrême à laquelle sont confrontés les Indiennes et ceux qui tentent de les secourir -certains hommes qui ont tenté de les aider se sont fait tuer par les violeurs. L'action de son roman se déroule au même moment. "L'état de la jeune femme que six hommes ivres avaient sauvagement violée dans un bus en marche s'aggravait. On en savait maintenant un peu plus sur ce qui lui était arrivé. A l'aide d'une barre de fer, l'un des violeurs avait perforé ses organes reproducteurs puis arraché ses intestins à mains nues. Au cours des nombreuses opérations qu'elle avait subies, les chirurgiens n'avaient réussi à sauver que cinq pour cent de ses intestins." (p.105)

Kishwar Desai place son histoire à Goa, ancienne destination hippie pour Occidentaux en recherche d'un autre style de vie, devenue la région la plus violente de l'Inde dans laquelle la drogue circule librement et le viol est devenu presque courant : "Un ministre craignait par exemple que Goa devienne la capitale mondiale du viol. Un autre membre du Parlement déclarait qu'en trois ans, un étranger était mort presque chaque semaine dans cet État." (p.106). Et ça fait peur, les touristes sont embêtés et lorsque ce sont des femmes seules, elles peuvent être harcelées, photographiées à leur insu, photographies qui se retrouveront sur des sites Internet, ...

L'héroïne de Kishwar Desai est une femme seule, fonceuse qui ne se soucie pas vraiment des conséquences de ses actes ou des questions qu'elle pose. Ce n'est pas une enquêtrice professionnelle, elle manque de finesse et de recul. C'est évidemment ce qui fait tout son charme, elle est loin des codes des flics ou privés : elle va droit au but, se pose de multiples questions sur les personnes qu'elle rencontre et qui l'aident : sont-elles des alliées, des ennemies ? Et le lecteur ne peut pas l'aider puisqu'il n'en sait pas plus qu'elle et qu'il a exactement les mêmes interrogations.

A part quelques petites longueurs dans ces questionnements qui reviennent un peu trop souvent, le roman se suit avec plaisir et envie de connaître le fin mot de l'histoire. Simran Singh est attachante, sa naïveté et son enthousiasme en font une enquêtrice hors norme, originale. Le contexte est fort, la place des femmes dans la société indienne, la violence du pays, la corruption des élites politiques, l'attrait de l'argent facile, l'opposition entre la modernité des grandes villes et des zones touristiques et les régions rurales qui sont très traditionalistes. Une très belle découverte que cette auteure qui, par le biais du divertissement d'un roman policier ne mâche pas ses mots et met l'accent sur ce qui ne tourne pas rond en Inde, tout en restant finalement assez positive ; le roman peut être dur, mais la personnalité de l'héroïne et l'ambiance finale nous laissent sur des notes encourageantes.

PS : pas fait exprès, mais un livre écrit par une femme, qui met en scène une femme dans un pays dans lequel la vie des femmes n'est pas facile chroniqué le 8 mars, Journée Internationale des Femmes, le hasard fait bien les choses dit-on communément.

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Z
Dommage que le côté "inspiré de faits divers réels" pénalise un peu la construction de l'intrigue. Mais dans l'ensemble, je suis d'accord avec toi: il est bien d'ouvrir les yeux sur l'Inde décrite par Kishwar Desai.
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Y
Je n'ai pas trouvé que ce côté pénalisait l'intrigue, mais au contraire qu'il lui donnait une réalité.
A
Tu aurais voulu le faire exprès, tu n'y serais pas arrivé.
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Y
Pour être franc, j'avais programmé mon article quelques jours avant -et oui, j'ai la chance d'avoir quelques articles d'avance- et en regardant le calendrier j'ai réalisé que ce dimanche était le 8 mars et j'ai donc voulu publier un article sur le livre d'une femme. Et en allant sur la plate-forme, j'ai vu que c'était pile celui-ci qui était prévu.
Z
J'aimerais tenter l'aventure indienne
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Y
Un voyage en Inde, ça ne peut pas faire de mal.
L
Un polar indien...une bonne idée pour mon challenge "polars du monde" merci.<br /> Le Papou
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Y
Je t'en prie, si je peux rendre service...
J
Une auteure que j'aimerais bien découvrir et je suis toujours attirée par les lectures sur l'Inde.
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Y
Je viens d'aligner deux livres sur l'Inde avec celui-ci et De haute lutte, et j'en ai un autre qui m'attend qui ne devrait pas tarder à être lu
A
Le sujet est dur, mais c'est la réalité et ce que tu dis de ce roman me tente.
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Y
Oui le sujet est dur, mais le biais de l'enquête policière menée par Simran Singh allège un peu le propos, le rendant pas moins dur, mais plus facile à aborder