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La fantaisie des Dieux

Publié le par Yv

La fantaisie des Dieux, Hippolyte et Patrick de Saint-Exupéry, Ed. Les Arènes, 2014.....

Du 6 avril au 4 juillet 1994, le génocide rwandais a fait huit cent mille morts. Des Tutsis, éliminés par les Hutus alors au pouvoir. C'est le génocide le plus rapide de l'histoire mené par les extrémistes Hutus du Hutu Power. Patrick de Saint-Exupéry a couvert ce massacre, et en 2013, il retourne au Rwanda avec Hippolyte dessinateur de BD. 

Cette BD reportage est un excellent moyen de revenir sur ce génocide dont on parle encore aujourd'hui et particulièrement cette année puisque des commémorations ont eu lieu et vont continuer pour ce sinistre anniversaire. Elle n'explique pas totalement pourquoi les Hutus ont massacré les Tutsis, il faudra aller chercher l'information ailleurs, même si elle explique la source de tous les maux : "Pour vous, c'est une guerre de plus en Afrique. Un conflit ethnique. Le mot ethnie n'existe même pas dans notre langue. Ce sont les colons allemands et belges qui nous ont divisés. Diviser pour mieux régner... Vous connaissez la devise ? Tout était en place." (p.33) Elle revient sur le génocide, sur l'implication ou la non action de la France dans ce pays anciennement colonie belge. La France qui n'a pas beaucoup fait pour éviter le bain de sang, mais j'ai vu sur ce sujet (lundi 7 avril) l'excellente émission d'Arte, 28 minutes, dans laquelle il était clairement expliqué qu'aucun pays n'avait bougé, ni la France, ni la Belgique, ni les Etats-Unis, ou alors trop tard ! Bill Clinton, président de l'époque, disait même en 2012 que s'il avait mobilisé 10 000 hommes et convaincu d'autres pays d'en faire autant ils auraient pu sauver 300 000 vies ! "Un génocide, c'est d'abord du silence. Un silence étourdissant" (p. 82/83) est-il écrit en fin volume. C'est effectivement ce que je ressens. Je ne me souviens plus de la manière dont on parlait du Rwanda en 1994 (mais à la même période, j'avoue que je devais avoir la tête ailleurs, puisque ma fille est née le 4 juillet 1994, mon premier enfant). Je ne regardais déjà pas beaucoup la télévision, pas les journaux télévisés, ne lisais pas la presse. C'était tellement loin de nous, de moi ; j'ai comme beaucoup eu l'information du génocide, mais c'était si loin..., et puis, il y eut le choléra qui a déboulé : "Les caméras se sont braquées dessus. Sur ce choléra qui effaçait tout. Un vrai drame, pas un génocide. Une catastrophe naturelle. Oui, naturelle. Africaine, si africaine." (p.77) 

La BD revient sur ce qu'a vu P. de Saint-Exupéry, Hippolyte le met en images ; tous deux rencontrent des rescapés, des témoins de l'époque qui racontent leur calvaire et la manière dont ils ont pu échapper à leurs bourreaux, quelques photos sont insérées pour rendre compte et donner de la réalité au propos et aux dessins. Très bien faite, cette BD est un reportage au cœur du pays. Hippolyte reproduit les paysages, les lieux aux couleurs chaudes, certaines planches sont totalement muettes et suffisent à la compréhension, d'autres expliquent par les mots des divers intervenants dans le conflit ou par une voix off, ceux qu'a récoltés P. de Saint-Exupéry. Des passages sont plus oniriques, permettant au lecteur de faire une pause, tout en lui rappelant l'immobilisme criant des politiques français (droite et gauche, c'est le temps de la cohabitation, sous Mitterrand), ou en résumant en quelques cases fortes ce qui aurait pu être trop explicatif.

La BD est un support parfait pour tout genre, humour, aventures, science-fiction, historique, ... et j'en passe plein, lorsqu'elle passe à des sujets très sérieux voire dramatiques, elle peut toucher peut-être encore plus qu'un roman ou qu'un -malheureusement- énième documentaire surtout lorsqu'elle est de très grande qualité, ce qui est le cas ici. Je ne rechigne jamais sur un bon vieil album drôle, mais j'avoue que lorsque la BD se fait reportage ou sociale (comme avec Efix, par exemple) ou aborde des thèmes actuels comme l'immigration avec Les ombres (déjà Hippolyte y dessinait), je trouve qu'elle prend une ampleur formidable et qu'elle peut parler à tous et ça me plaît terriblement.

Album instructif qui marquera sans aucun doute. A ne pas rater.

 

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F
Hippolyte avait déjà fait du reportage BD sur l'Afrique avec "l'Afrique de papa" donc je n'avais pas été étonné de savoir qu'il avait réédité l'expérience avec "La fantaisie des Dieux" qui est un<br /> album qui ne laisse vraiment pas indifférent.
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Y
<br /> <br /> Effectivement, un album qui tranche avec ce qu'on présente habituellement en BD.<br /> <br /> <br /> <br />
K
Hum au début du billet j'étais rétive à l'idée d'une BD sur un tel sujet, mais tu m'a convaincue.<br /> En 1994 j'étais en Afrique, et évidemment le sujet a été pas mal couvert...
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Y
<br /> <br /> Oui, j'imagine que tu devais être moins éloignée que nous, en France<br /> <br /> <br /> <br />
D
Bonjour Yv, moi aussi, je note cet album. En avril 1994, j'avais des soucis familiaux qui fait que j'ai relativement peu suivi cette triste actualité. Bonne fin d'après-midi.
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Y
<br /> <br /> Et oui, comme quoi, nos petits soucis, nos grandes joies (ou vice-versa) prennent une place importante, et nous empêchent de voir les catastrophes loin de chez nous<br /> <br /> <br /> <br />
A
J'ai de meilleurs souvenirs que toi, on savait qu'il se passait quelque chose de terrible. Et j'avais une collègue qui avait une amie au Burundi voisin, ils étaient très inquiets. Je note cet<br /> album.
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Y
<br /> <br /> J'avoue que j'ai un peu oublié, je me souviens en avoir entendu parler après, mais pendant, je ne sais plus, mais il est vrai que je ne connais personne en Afrique<br /> <br /> <br /> <br />