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Les enragés de la jeune littérature russe

Publié le par Yv

Les enragés de la jeune littérature russe, Monique Slodzian, Ed. La Différence, 2014

Depuis 1989 date de la chute du Mur et encore plus depuis 1991 date du démantèlement de l'ex-URSS, les choses ont bien changé dans ce pays. Une nouvelle génération d'écrivains est née peu avant ces années-là, a vécu le changement radical, le passage du communisme au capitalisme. Ils revendiquent de penser différemment le passé soviétique de leur pays, de ne pas tout jeter sous prétexte d'aller dans le sens de l'occidentalisation de la Russie. Ils s'appellent Zakhar Prilepine, Guerman Sadoulaev, Roman Sentchine, Sergueï Chargounov, se disent de gauche et se réclament du national-bolchevisme d'Edouard Limonov.

On a tous une image assez classique et sans doute dépassée de la Russie et de ses écrivains. A travers ce livre qui nous promène dans la politique et la littérature russe, Monique Slodzian, professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales, spécialiste de la Russie et de la littérature russe contemporaine, tente de nous faite toucher du doigt la réalité oh combien complexe de ce grand pays.

Le 30 juillet 2012, Zakhar Prilepine met le feu aux poudres en écrivant une Lettre à Staline (reproduite p.24 à 29) dans laquelle il "ne cherche pas à dissimuler l'existence des crimes de Staline et encore moins à les justifier." (p.10), mais il demande à ce qu'on n'oublie pas que pendant la guerre c'est lui qui a regroupé autour de lui des millions de Russes qui ont repoussé les nazis "C'est à Stalingrad que le projet de Hitler a connu sa défaite. Manifestement, l'Ouest et la Russie ne partagent pas la même mémoire de la guerre." (P. 34), qu'il avait aussi fait avancer la science, ... Il conclut son courrier par cette formule lapidaire : "Nous te sommes tous redevables. Sois maudit." (p.29)

Puis, Monique Slodzian explique comment nous voyons la Russie par nos yeux d'Occidentaux formatés par les médias, comment c'est un pays complexe qu'on ne peut comprendre en un simple reportage de deux minutes au journal télévisé. La situation en Ukraine en est un bon exemple que les dirigeants occidentaux voient en Europe, alors que "les derniers épisodes du conflit ukrainien disent combien l'entrée de l'Ukraine dans l'Union douanière pilotée par la Russie revêt une importance à la fois stratégique et symbolique, en raison même des fondements historiques de l'empire slave." (p.73)*

Elle égratigne au passage le livre d'Emmanuel Carrère, Limonov, qu'elle juge bien écrit mais vu encore une fois par les yeux d'un Occidental qui ne s'est pas mis dans la peau d'un Russe et qui en a donc une vision faussée. Les Russes ont subi le changement des années 90, comme un coup de massue sur la tête, le temps que certains mafieux et autres malfrats prennent le pouvoir par l'argent et ils se sont réveillés plus pauvres qu'ils n'étaient avant.

Elle en vient ensuite à ces écrivains qui se retrouvent au sein d'un même mouvement politique, le Parti National-Bolchévique (PNB) qui a longtemps été dirigé par Edouard Limonov, et qui est résolument contre le régime en place, s'allie avec les libéraux et autres opposants pour le faire tomber aux élections, jusqu'ici vainement. Elle ne fait pas l'impasse sur les propos parfois très tendancieux de Limonov qui ont pu, à tort, faire penser à certains que le PNB dérivait vers l'extrême droite.

Cet essai est "une rencontre moins convenue avec la Russie" comme me l'écrit Monique Slodzian dans sa dédicace, une lecture qui permet de ne pas toujours regarder l'histoire des peuples par le petit bout de sa lorgnette, mais de se déplacer et de tenter de se mettre à la place d'autrui pour le voir et pour se voir. M. Slodzian finit son livre par des courtes biographies et bibliographies des principaux auteurs nommés intéressantes qui donnent envie de les lire, ce que je vais faire très bientôt avec Zakhar Prilepine et son Je viens de Russie.

* texte écrit avant les tout derniers événements ukrainiens

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