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Jacques à la guerre

Publié le par Yv

Jacques à la guerre, Philippe Torreton, Plon, 2018.....

Jacques, né au tout début des années trente subit la guerre à Rouen, ville qui sera quasiment entièrement détruite par les bombardements. Son père, ex-représentant de commerce, meurt à la toute fin de celle-ci. Entre l'absence du père, pesante, une mère qu'il n'a jamais connue tendre et affectueuse, des études difficiles et une ville en pleine reconstruction, Jacques ne se sent pas bien. S'offre à lui la perspective de s'engager dans l'armée. Il y va, ni enthousiaste ni à reculons. Bientôt, ce sera l'Indochine. Jacques y sera aussi, dans un corps qui ravitaille en fioul et carburants. 

J'aime bien Philippe Torreton. Je l'ai découvert dans L.627 de Bertrand Tavernier, un film qui m'a fait forte impression. Je l'ai vu plusieurs fois ensuite dans divers films. J'aime bien aussi ses prises de position, ses coups de gueule, je trouve sain qu'aujourd'hui on puisse s'indigner et s'exprimer sans filtre. On est de la même génération, je n'ai pas eu la chance d'avoir mon papa aussi longtemps que lui et j'aurais aimé avoir son talent pour écrire un aussi bon bouquin -non pas que j'aie des envies d'écrire, c'est juste une réflexion, une façon de dire que j'ai beaucoup aimé ce roman qui est d'une humanité et d'une tendresse folles et bourré d'émotion. Un peu long peut-être sur la partie indochinoise, mais c'est un détail largement surmontable. Philippe Torreton est un exalté dans ses rôles, qui cache sans doute une grande timidité héritée du père et ces deux facettes transparaissent dans toutes les pages. 

Revenons au début du livre et à la ville de Rouen détruite par les bombes et admirablement décrite. Un tout petit chapitre, sobre, m'a beaucoup plu, lorsqu'après avoir enterré son père dans un cimetière, sur une colline, Jacques se retourne vers la ville : "De temps en temps, je regardais la ville depuis ma triste colline. Et j'avais pensé que c'était cela qu'il lui fallait à cet amoncellement de ruines et de chantiers : un beau manteau de neige. Pas la peine de reconstruire, la neige suffisait, une neige pour toujours." (p.25) Comme s'il fallait recouvrir toute la laideur de la guerre par des neiges éternelles. Comme si lui devait recouvrir sa vie, combler l'absence du père, le vide de sa ville ; pour cela, l'armée lui conviendra : se plier aux ordres, ne pas réfléchir, ne pas prendre d’initiatives, tout ce qu'il faut pour garder un voile sur sa vie.

C'est beau, fort, émouvant, tendre. L'amour, le respect et l'admiration du fils pour son père sont dans toutes les pages. Jamais jugeant, Philippe Torreton est d'une grande sensibilité, il avance en finesse dans une écriture enflammée. Profondément humain, l'homme donc, ses réflexions, ses doutes, ses peurs, ses angoisses mais aussi ses joies sont formidablement mis en avant. Sans vouloir trop en dire -mais on n'est pas dans un thriller, il n'y a rien à dévoiler- j'ai été particulièrement touché par les lignes en italique, celle d'un homme sur sa fin de vie. Sobre et juste, encore une fois.

Je ne voudrais pas faire l'éloge d'un homme que je ne connais que par ses rôles au cinéma et quelques interventions publiques ni être hors sujet, même si sur ce blog je parle en tant que lecteur de mes ressentis et pas en tant que critique littéraire -je laisse aux professionnels les critiques argumentées, construites et garde pour moi ma suite de sensations, de réflexions, parfois brouillonnes-, mais ce très bon livre me conforte dans l'image que j'avais de son auteur, celle d'un homme timide et exalté, simple et cultivé, un type bien, bref celle d'un bon copain avec lequel on aime partager de bons moments. Voilà, il m'évoque tout cela ce roman, cette histoire de Jacques à moi racontée, par son fils, autour d'un verre et/ou d'un plat. Simple et fort. Humain.

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A
J'avais lu une critique assassine de ce second roman.
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Y
sans doute ne plaît-il pas à tout le monde
V
j'aime bien le type aussi mais j'ai cru comprendre que ce livre était légèrement moins bon que le précédent...
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Y
moins bon, je ne sais pas, peut-être moins touchant d'après ce que j'ai pu entendre, mais ce n'est sans doute pas tout à fait le même thème
Z
J'apprécie beaucoup ton billet
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Y
merci, le livre qui en est le support est très bien
K
Quel chouette billet ! J'hésitais à lire un livre de cet homme connu surtout pour ses prises de position, je me demandais si c'était vraiment un écrivain, il y en a tant qui se servent de leur notoriété pour écrire... des choses insignifiantes. Après t'avoir lu, j'ai très envie de le lire.
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Y
Très franchement, il a un réel talent d'écriture, on l'entend parfois nous dire ce qu'il écrit. Je me posais la même question, et j'ai osé, sans regretter, bien au contraire, je ne suis pas loin du coup de coeur.