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polar-noir

Dans l'ombre d'Anshoë

Publié le par Yv

Dans l'ombre d'Anshoë, Brigitte Joseph-Jeanneney, Cohen&Cohen, 2019.....

Paris 1977, Ronald vient d'hériter de son père qu'il n'a pas connu, un journal du temps où il fut forestier au Gabon au milieu des années 30 et deux statuettes d'art de ce pays. Ronald les expose chez lui, mais bientôt se fait cambrioler. Sentant que son amie Marlène n'est pas totalement étrangère à l'intrusion à son domicile qui a précédé le vol, il décide de mener son enquête et de retrouver les deux sculptures. Dans le même temps, il lit le journal de son père et apprend à le connaître.

Plongée dans le Paris des années 70, dans le Gabon des années 30 et surtout dans le monde de l'art africain. Ce roman est passionnant parce qu'il fait la part belle aux origines des sculptures de Ronald et plus globalement à l'art dit premier, à la manière dont il les colons s'en emparèrent et l'introduisirent en Europe à leurs retours. Brigitte Joseph-Jeanneney aborde aussi la délicate question de la restitution des œuvres d'art, du pillage des colons qui a néanmoins permis à cet art de devenir rapidement international avec des cotes, des magouilles, des imitations. Picasso, Braque, Léger s'en inspirèrent. Dès lors, à qui appartiennent les œuvres ? Toutes ces questions sont dans le roman. L'auteure y ajoute ses personnages qui s'interrogent sur les mêmes thèmes, mais aussi sur l'amour, la mort, la vie, ces questions personnelles et universelles. 

C'est remarquablement mené, Brigitte Joseph-Jeanneney -qui a signé l'également très très bon Nocturne au Louvre- alterne les passages du Paris des années 70 et du Gabon quarante ans plus tôt. Elle écrit dans une belle langue, classique, accessible sans céder à la facilité. Ses descriptions des sculptures sont précises et sensibles, on les voit quasiment devant soi. Son texte est très beau parce qu'elle ne juge ni n'accuse personne, ni les colons et notamment le père de Ronald qui a profondément aimé le Gabon au point d'en rapporter des souvenirs, ni ceux qui veulent que les œuvres soient restituées parce qu'elles ont en leur pays d'origine des significations fortes, des rôles qu'elle explique bien. Encore une fois la sensation de s'instruire en se divertissant est permanente et fait mon bonheur.

Un polar dans le monde de l'art qui fera votre délice sur la plage ou ailleurs cet été -ou à toute autre saison.

Encore une fois, les éditions Cohen&Cohen font un très bon choix pour le texte et pour la couverture : Masque de danse. Peuple Tsogho (Gabon) exposé au musée du quai Branly.

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Prémices de la chute

Publié le par Yv

Prémices de la chute, Frédéric Paulin, Agullo, 2019.....

1996, le nord de la France est la proie de violents cambriolages et vols à main armée. Toutes ces actions sont l'oeuvre du Gang de Roubaix qui, selon, Tedj Benlazar, agent de la DGSE, chercherait à financer le djihad en France. Les flics sur le terrain ont d'autres occupations que de chercher les raisons, ils cherchent à arrêter les coupables. Tedj parle à son amie Laureline, commandant à la DST, de ses convictions. Puis intervient également Réif Arno, journaliste, pas vraiment sérieux ni considéré dans le milieu qui va, en grande partie grâce à Tedj, mettre le doigt sur l'histoire la plus incroyable de sa carrière. 

Retour de Tedj Benlazar et de Frédéric Paulin son créateur, après l'excellent La guerre est une ruse qui se déroulait en Algérie au début des années 90, juste après les élections qui avaient fait gagné les islamistes. Frédéric Paulin continue de tirer le fil de l'importation du terrorisme en Occident. C'est toujours remarquablement fait, car il sait mêler la réalité à la fiction. Ses personnages inventés se joignent et se mêlent aux personnes ayant réellement existé, le tout donnant un récit crédible et réaliste. Il explique toute l'époque, tous les actes qui amèneront vers les attentats du 11 septembre 2001, leur préparation, les cafouillages des divers services de renseignements et de police pour, souvent de simples guerres entre eux. Il n'oublie pas d'évoquer certaines théories complotistes en les traitant comme telles. C'est passionnant et instructif même pour quelqu'un de ma génération ayant vécu tout cela, sans doute d'assez loin. Ce qui fait la force de son roman et lui donne une puissance indéniable c'est aussi l'ajout de ses personnages fictifs, de leurs vies professionnelles et personnelles difficiles. Il leur donne corps et n'en fait pas de simples faire-valoir du contexte. Ils vivent pleinement l'époque et leur travail, ce qui donne même beaucoup de relief aux événements décrits.

J'étais étourdi de la lecture du premier livre de la série, je le suis tout autant avec le deuxième et je crois savoir qu'un troisième est prévu. Des romans comme cela qui donnent à expliquer et à s'instruire sur une époque ou un thème donnés, qui ne sont pas rébarbatifs mais au contraire passionnants, qui en plus donnent vie à des personnages qu'on a envie de retrouver, il faudrait être fou pour passer à côté. Je prends une option sur le troisième opus. 

Merci à la librairie Dialogues et ses dialogues croisés pour cet envoi.

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La caverne vide

Publié le par Yv

La caverne vide, Dimana Trankova, Intervalles, 2019 (traduit par Marie Vrinat-Nikolv)....

"Après la dislocation de l'Union Européenne, dans un pays des Balkans renommé Patrie populaire, le parti nationaliste au pouvoir a instauré un contrôle sectaire : les indésirables sont envoyés dans des camps de rééducation ou bien disparaissent sans laisser de traces, tandis qu'on dépose leurs enfants dans des "Maisons du bonheur". C'est dans cette société à peine futuriste que revient John, un journaliste américain, que son ex-femme a appelé à l'aide après la disparition de son frère. Mais John découvre aussi que Maya, une ancienne confrère et amante, a été punie pour ne pas avoir respecté la censure : on lui a enlevé sa fille. Maya vit, depuis, dans la soumission, avec un seul désir : récupérer sa fille en devenant une citoyenne exemplaire." (4ème de couverture)

Roman dense et troublant. Dense parce que l'auteure va au plus profond de ses personnages, et comme chacun peut être en totale opposition à l'autre, elle construit des situations  nombreuses, des discussions, des débats sans fin, John notamment venant mettre à mal tout ce qui fait le quotidien des habitants de la Patrie populaire : soumission, censure, ... Difficile de n'y pas voir, le titre du roman est pour cela transparent, une référence à l'allégorie de la caverne de Platon, qui comme de bien entendu est un auteur subversif et interdit dans le pays. Pour l'avoir lu et s'en être inspiré, un philosophe est dans un camp de travail. La densité vient aussi évidemment du contexte ainsi que l'aspect troublant que j'évoquais plus haut. Là aussi, une référence est revendiquée et claire : 1984 de George Orwell. Tout y fait penser. Ce qui rend le récit de Dimana Trankova troublant c'est la proximité géographique et géopolitique. La montée de ce que l'on nomme couramment les populismes en Europe et plus généralement dans le monde fait craindre ce genre de dérives. Le monde que décrit l'auteure n'est peut-être pas si loin que cela. Sa dystopie nous parle directement de ce qui pourrait bien advenir si nous continuons à mettre au pouvoir des gens qui ne rêvent que de grandeur de leur patrie, de patriotisme, de nationalisme, de protectionnisme. Le flicage intensif en Chine qui se développe et fait craindre le pire est tout à fait dans l'ambiance de ce roman. Ambiance angoissante que l'on peut aussi retrouver dans l'excellente série Black mirror (au moins les deux premières saisons).

Si Dimana Trankova n'invente pas totalement le monde qu'elle décrit puisqu'elle s'inspire des meilleurs dans ce domaine, elle le raconte d'une manière très personnelle, il faut bien rester concentré, ce n'est pas un roman que l'on lit en écoutant de la musique par exemple. Ce serait long d'aborder tous les points dont traite l'auteure et sans doute pas suffisant pour dire tout le bien que je pense de ce livre, encore une fois dense, pour lequel il faut s'accrocher au début, mais la récompense est au bout, avec la sensation d'avoir lu une oeuvre forte et puissante. Un livre, des situations et des personnages qui resteront en mémoire longtemps.

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Qaraqosh

Publié le par Yv

Qaraqosh, Maurice Gouiran, Jigal polar, 2019.....

Clovis Narigou, journaliste, est chargé d'aller enquêter à Prague. Son sujet : la bibliothèque ésotérique et de sorcellerie de Himmler. Juste avant de partir, il reçoit la visite de Mikki, un ex-engagé dans la milice chrétienne Qaraqosh qui combat Daech et Irak. Depuis, qu'il est revenu, il se sent menacé et a échappé à une tentative d'assassinat, sans doute due à des intégristes établis à Marseille. 

Emma, la flicque, l'amie de Clovis, enquête sur deux meurtres qui ont comme point commun la ville de Prague. Une bonne raison de demander l'aide de Clovis, puisqu'il est sur place.

Retour de Clovis Narigou, le héros fétiche et récurrent de Maurice Gouiran, et retour en pleine forme, même si cette fois-ci sa présence est un peu éclipsée par celle d'Emma, mais ce n'est pas lui qui en sera chafouin tant il l'aime sa flicque. Comme à son habitude et en romancier particulièrement rompu à son art, Maurice Gouiran place son histoire et ses héros dans une partie de l'histoire du monde. Cette fois-ci, les deux plus importants contextes sont la bibliothèque très particulière de Himmler -dont j'ignorais l'existence et qui a été retrouvée récemment à Prague- et la guerre en Irak contre les islamistes. Forcément bien documenté, il instruit ses lecteurs de manière fort plaisante. En plus, j'ai eu la chance de passer quelques jours à Prague cette année, et j'ai pu suivre les pérégrinations de Clovis -bon, j'ai fait moins de bas que lui- dans les rues de la capitale tchèque, ce qui a, je dois bien le dire, rajouter un petit plaisir supplémentaire. 

L'autre partie se déroule en Irak et en France après le retour de Mikki. Si ce roman n'est pas le plus dense ni même celui qui a le contexte le plus fort de tous ceux de l'auteur que j'ai lus, il se hisse très haut dans cette série, par son intrigue, le rôle plus important donné à Emma et le calme de la Varune, la bergerie de Clovis. Tout coule parfaitement, tant que je ne me suis jamais douté de l'explication finale. 

Maurice Gouiran peut s’enorgueillir d'une œuvre riche, cette dernière aventure de Clovis y entre naturellement, par la grande porte.

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Gourous... coucou

Publié le par Yv

Gourous... coucou, Gérard Chevalier, Palémon, 2019....

Catia, chatte angora européenne est invitée à passer quelques jours chez son ami Hector, chien du comte et de la comtesse Guerrouane de Pennec. Mais très vite, la comtesse tombe sous la coupe d'un gourou et bientôt le comte la suit à La Mission. Catia et Hector infiltrent le lieu avec le commissaire Legal et Erwan, le bipède de la chatte. 

C'est une cinquième enquête pour Catia que, pour ma part, je découvre. En plus d'être originale, cette histoire est drôle. On est bien d'accord qu'une enquête menée par un chat ce n'est pas banal, surtout lorsqu'elle est accompagnée de son chevalier servant, un chien. Et je vous passe les discours avec d'autres animaux, et surtout, son moyen de communication avec les humains -enfin, les seuls qui sachent l'intelligence de Catia et le fait qu'elle communique- qui est une tablette. 

Tous ces personnages aussi barrés les uns que les autres se retrouvent dans une histoire rocambolesque et drôlement écrite, parce que Gérard Chevalier y va de ses blagues, de ses détournements d’œuvres célèbres, par exemple :

"Ce siècle avait douze ans ! 

Nantes lorgnait Dame Lande

Déjà Macron perçait sous Hollande,

Et du ministre aux Finances par maints endroits

Le front du Président brisait le masque étroit." (p.19)

Des digressions, des remarques et réflexions pas toujours en lien direct avec l'intrigue qui si elle n'est pas nouvelle se tient bien et a le mérite d'être réaliste sous ses dehors humoristiques. Il paraît que moult écrivains sont des amoureux des chats. Il y en a qui franchissent la ligne en en faisant des héros -ou héroïne dans le cas qui nous occupe. Ce n'est sans doute pas toujours réussi mais lorsqu'on a la gouaille, le décalage et l'humour de Gérard Chevalier, tout passe. Alors une chatte enquêtrice, on y croit, évidemment. D'ailleurs, depuis, je regarde mon chat différemment.

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Mardi-gris

Publié le par Yv

Mardi-gris, Hervé Prudon, La table ronde, 2019 (Gallimard, 1978)....

Le brigadier Gourdon, flic raciste, prompt de la gâchette dès lors que le mec de l'autre côté de son arme est basané ou un peu foncé est abattu dans le parking de sa cité. Tout accuse Emile Rochette, jeune marginal bien connu des services de police et notamment du commissaire Loiseau chargé de retrouver le tueur de Gourdon. Rochette fuit avec René son pote. Il part se mettre au vert dans une communauté dans le Cantal.

Remarques liminaires : ce roman noir a été écrit en 1978, c'est le premier de l'auteur Hervé Prudon, journaliste, né en 1950 et décédé en 2017.

Ce qui surprend, agréablement il va sans dire, c'est d'abord le style. Familier, oralisé, qui vaut quelques phrases exquises : "Elle savait que Rochette avait une tête fragile. Il pouvait rester des heures entières sans rien dire. Elle le regardait et pouvait entendre grincer tous les ressorts dans sa tête. Un ressort avait pu lâcher." (p.171) Les idées et trouvailles d'Hervé Prudon sont au service de son histoire noire et désespérée. 1978, la fin des années de reconstruction, de plein emploi. Les chocs pétroliers sont passés par là, la crise pointe le bout de son nez, l'exode des ruraux vers les villes pour s'entasser dans des HLM construites à la va-vite, les hippies sont fatigués et le "No future" des punks débarque. Rochette est le symbole de cette société qui croit de moins en moins en l'avenir. Il a, à quelques chose près, l'âge de l'auteur. 

C'est donc du noir, de l'espoir broyé dans la réalité ; tout cela, parfois un peu long, mais mis en mots dans un style qui claque, qui n'a absolument pas vieilli. Ce bouquin aurait pu être écrit et installé dans notre époque, à quelques détails près. Je ne connaissais pas Hervé Prudon, c'est une très belle idée que de rééditer ses ouvrages (dans la même collection, deux autres titres : Banquise et La langue chienne) surtout s'ils sont aussi bons qu'icelui.

Titre reçu gracieusement grâce à la Librairie Dialogues et ses Dialogues croisés.

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Ça coince ! (49)

Publié le par Yv

Sombre avec moi, Chris Brookmyre, Métailié, 2019 (traduit par Céline Schwaller)..

Diana Jager et chirurgienne, pas vraiment appréciée par ses collègues. Il faut dire qu'en tant que blogueuse féroce qui parle de ses conditions de travail et de la vie d'un hôpital, elle s'est fait quelques ennemis. Célibataire presque endurcie, elle rencontre Peter, informaticien, se marie avec lui. Peter meurt six mois plus tard. Très vite elle est soupçonnée.

Que c'est long et bavard. De réflexions oiseuses en descriptions inutiles, ce polar traîne en longueur en devient lassant alors que pourtant tout est là pour qu'il soit passionnant. Le personnage de Diana est bien vu, sa misanthropie à peine cachée, sa froideur. Je sens bien aussi que la construction du roman est intéressante, entre les divers narrateurs, des retours en arrière, des surprises et un intérêt particulier parce qu'on ne sait pas où le romancier veut en venir et nous emmener, difficile de deviner ses intentions et donc l'avenir de ses personnages. Mais pourquoi noyer tout cela dans un flot de dialogues, de descriptions qui n'apportent rien au texte si ce n'est de l'ennui. Comme si, encore une fois, un nombre de signes était imposé à l'auteur ou l'éditeur, pour sortir un gros polar, un livre qu'on remarque sur les étals des librairies.

Le sang des Highlands, Gilles Bornais, City, 2019..

"Écosse, 1892. Sur une rive isolée du Loch Ness, les corps d'une paléontologue et de son mari sont retrouvés mutilés et démembrés. Est-ce l'œuvre d'un meurtrier barbare ? Celle d'une bête sauvage ? Et où leur jeune fils et son ami ont-ils disparu ?

L'élucidation de tels crimes ne pouvait être confiée qu'à l'enquêteur Gareth Thaur, un ancien colonel de l'armée qui en a vu bien d'autres. L'affaire est tellement sensible que Scotland Yard envoie en renfort son meilleur détective, Joe Hackney, un ancien malfrat aux méthodes peu orthodoxes, cynique mais génial." (4ème de couverture)

Bon, bon, une fois cela lu, on se dit que ça devrait dépoter. Eh bien non, le début est long et si l'on excepte quelques descriptions de tortures et d'autopsies presque insupportables et à mon avis largement évitables, eh bien le récit ne commence pas vraiment. Il faut passer des passages pour trouver de quoi se raccrocher. Et lorsque comme moi, vous ne trouvez pas, eh bien, vous abandonnez. Il y a un je -ne-sais quoi qui m’empêche d'adhérer à cette histoire, soit dans les personnages, soit dans l'écriture, je ne saurais pas être plus précis, mais je me suis ennuyé. Je laisse donc à d'autres qui sauront apprécier plus que moi.

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Broyé

Publié le par Yv

Broyé, Cédric Cham, Jigal polar, 2019.....

Christo travaille dans une casse dans un village loin de tout. Christo est un solitaire dont on devine que la vie a été particulièrement difficile et violente. Il lutte chaque jour pour contenir cette violence. Un jour, il croise Salomé, serveuse au bar du village, Salomé qui cherche à s'éloigner de son beau-père aux mains baladeuses, qui cherche également à faire de nouvelles rencontres. Christo l'intrigue.

Dans un autre espace, il y a Mathias, jeune homme en fuite qui se retrouve dans une cage, élevé comme un chien de combat, dressé. Pourquoi lui ? Pour quoi faire ?

Cédric Cham, je l'ai déjà rencontré dans son précédent roman, Le fruit de mes entrailles, un roman noir, très noir. Je pensais qu'il avait atteint les limites de cette couleur, mais je me trompais tant Broyé est encore plus noir. Pour Le fruit de mes entrailles, je parlais de l'outrenoir de Soulages, pour celui-ci, je parlerais plus volontiers du Vantablack utilisé exclusivement par Kapoor en peinture. 

Cédric Cham parle de l'enfermement physique mais aussi de l'enfermement psychique lorsqu'une personne est contrainte par une autre. La violence des mots est parfois plus forte que cette des actes. Christo a subi les deux et s'efforce de ne pas reproduire. Mais comment vivre "normalement" lorsque toutes les années précédentes ne furent que violences subies, puis infligées et toujours subies. La résilience, ce n'est pas aisé lorsque les coups et les insultes pleuvaient 24h/24. "Quant au passé, même si des fragments perçaient parfois la surface, à quoi bon s'étendre dessus ? Se souvenir, en parler, revenait à triturer le couteau dans la plaie. A se remémorer ce qu'ils avaient été et donc ce qu'ils étaient devenus. Voire ce qu'ils ne seraient plus. Jamais. Et puis, reconnaître le passé conduisait à prendre conscience du présent. Et donc à devoir affronter le futur. Ou plutôt l'absence de futur. Comment vivre sans but, sans possibilité de lendemain ?" (p.196)

Comment lier connaissance, nouer des relations dans ces conditions ? Comment garder sa part d'humanité ? Tout cela est abordé par l'auteur, parfois directement, parfois entre les lignes dans une écriture qui claque comme des coups. Le style est âpre. Sec. Violent. A l'os comme m'a dit quelqu'un un jour. Pas de fioriture, Cédric Cham va au plus profond sans détour. Un roman noir et dur qui ne laisse pas indemne. On frissonne encore une fois refermé en repensant à tout ce qu'on y a lu.

Je ne lirai pas tous les jours de livres de la sorte, pour mon confort et ma santé mentale -enfin, ce qu'il en reste- mais là, j'en suis encore tout chose, à tel point que, même pas sous la contrainte, j'en fais l'un de mes coups de coeur.

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En quête d'Elena

Publié le par Yv

En quête d'Elena, Lise Pradère, Flamant noir, 2019...,

Elena Vassiliev, géologue chez Haliotis entreprise internationale dont la matière première est le pétrole, promise à un bel avenir professionnel est retrouvée morte dans son appartement de Puteaux. Le commissaire Antoine Gignac, la cinquantaine bourrue, divorcé, un ado, un solitaire mais qui aime travailler avec son équipe est désigné pour mener l'enquête. Celle-ci le mènera très vite loin d'un simple meurtre. Entre les vallées de l'Isère, la Norvège et le Turkménistan, un sacré sac de nœuds à démêler.

Première apparition de Gignac et de son équipe, et pour cause, c'est le premier roman de Lise Pradère. 

C'est un polar documenté, qui, comme je l'aime, met en scène des flics creusant toutes les pistes, ne s'acharnant pas sur un seul potentiel coupable. Ce qui fait que l'enquête part dans pas mal de directions : crime passionnel, affaire politico-financière, vengeance, ... Tout est à chaque fois fouillé, minutieusement décrit. La seule faiblesse, assez minime de ce roman est dans la personnalité de Gignac, ses colères parfois surprenantes et pas forcément crédibles (pour l'une d'entre elles au moins, mais je ne dirai pas laquelle, pour ne rien divulguer de l'intrigue). On sent le surjoué, mais peu importe, parce que tout le reste tient la route et que la naissance d'un héros que j'imagine bien récurrent ne va pas sans quelque faiblesse rattrapée dans les titres suivants. Si la série continue, ce qui ferait le bonheur de tout lecteur amateur de polar, les personnages déjà bien esquissés prendront de l'ampleur.

Roman fort bien mené, le rythme est celui des flics qui bossent avec parfois des sprints, on prend le temps de faire le point sur chaque piste bien travaillée et menée. Lise Pradère construit un roman contemporain dans un contexte qu'on connaît, notamment la partie politico-financière fort bien décrite et documentée. Le tout est assez bluffant et tient en 270 pages là où il en faut le double à certains pour en écrire beaucoup moins. Le talent d'écrire une histoire complète en condensé n'est pas donné à tous les romanciers, Lise Pradère l'a pour ma plus grande joie, moi qui ne cours pas après les pavés. Belle découverte.

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