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coup de coeur

Le dernier rêve de la raison

Publié le par Yv

Le dernier rêve de la raison, Dmitri Lipskerov, Agullo, traduit par Raphaëlle Pache (première parution en français, éditions du Revif, 2008).....

Un vieux Tatare, Ilya Ilyassov, vendeur de poisson dans un magasin d'alimentation se transforme un jour en silure.

Un capitaine de police, Volodia Sinitchkine, est affublé de deux grosses cuisses qui se frottent et s'échauffent, puis de manière incompréhensible se mettent à enfler jusqu'à atteindre des circonférences inédites.

Tous deux habitent ou travaillent dans une zone d'habitation pauvre dans laquelle un grand trou rempli d'eau sert de zone de pêche à deux amis, Mitrokhine dont la fille adolescente est très délurée et un peu droguée et Mykine, qui aiment boire, pêcher et se taper dessus. Au dessus de ce lac, des nuées de corbeaux attaquent tout ce qui ressemble à de la viande, animaux et hommes et fientent sur leurs agresseurs en guise de représailles. 

Voilà un résumé qui peut paraître foutraque, barré et encore, je reste volontairement sobre. Sobre, je ne sais pas si Dmitri Lipskerov l'est mais quelle imagination, quel délire. Lorsque l'on croit qu'il a atteint des sommets dans l'art de raconter des folies pures, il en rajoute encore une couche. Ce roman est surréaliste, surnaturel, onirique, grotesque, magique, je n'en ai pas vu passer les presque cinq cents pages !

C'est une pure folie qui se déguste et se dévore. J'ai pu y trouver un discours sur la tolérance, la différence, sur la mort, l'amour, la croyance en un au-delà ou pas et une certaine philosophie zen enseignée par un homme-arbre... Ce roman se lit a plusieurs niveaux, soit comme une simple farce -on passerait quand même à côté d'une grande partie-, soit comme un roman à messages -et on perd également l'autre grande partie- soit comme je l'ai fait, comme un mélange habile des deux. 

Dmitri Lipskerov, je le disais plus haut, est habile, il construit son roman avec différents narrateurs qui s'expriment par chapitres, un coup le capitaine de police, un coup le poissonnier devenu poisson, puis d'autres intervenants au fur et à mesure que l'histoire avance. Evidemment, tout se recoupe, et même si les liens sont faciles à faire, à chaque fois, le romancier surprend ses lecteurs par des inventions, des folies inimaginables pour tout esprit sain, pas celui de l'auteur... 

C'est un roman fou comme rarement j'en ai lu, d'une folie douce et parfois plus violente qui exacerbe les passions humaines, les pulsions mais aussi les bons sentiments. J'ai peur que mon article soit pâlot, je l'écris juste après ma lecture, et qu'il ne transmette que peu la joie et l'enthousiasme avec lequel j'ai dévoré ce livre. Laissez vous tenter par ce coup de cœur, laissez-vous embarquer dans ces histoires fantasques, magiques, cocasses, tragiques, comiques, grotesques, totalement barrées -j'accumule les adjectifs, parce qu'un seul est trop réducteur et j'ai même l'impression que ma liste est trop légère, en-dessous de la réalité, c'est dire le pied que j'ai pris et que vous allez prendre...

Diable, c'est une tuerie ce bouquin !

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Les choses

Publié le par Yv

Les choses, Georges Perec, 10/18, 2016 (Julliard, 1965).....

"Dans ce classique de la littérature contemporaine, Georges Perec dresse avec une redoutable justesse le portrait d'une génération prise dans le balbutiement des années 1960. Sylvie et Jérôme, jeunes psychosociologues de classe moyenne, cultivent une idée matérialiste du bonheur, à laquelle ils s'asservissent... au risque de se laisser happer par le vertige des choses." (4ème de couverture)

Mon Perec de l'année, mais comme 2018 débute tout juste, je ne suis pas sûr de m'arrêter à un seul... 

Il me semblait l'avoir lu il y a longtemps mais cette lecture m'a semblé, au fil des pages, une découverte, de toutes façons, relire un Perec ce n'est jamais une erreur ni même une corvée.

Ecrit d'une manière étrangement distanciée, comme un constat, jamais Perec ne donne vraiment l'impression d'entrer dans les questions existentielles ; il fait de ses personnages des jouisseurs, des rêveurs de lendemains meilleurs mais sans efforts à fournir : un fort héritage, un trésor découvert, une reconnaissance financière pour des créations ne demandant pas beaucoup d'implication, ... Et pourtant, très vite cette impression est démentie à travers les rêves matérialistes qui ne se réalisent pas et qui donc posent question et poussent Sylvie et Jérôme à une réflexion.

Si l'époque change, puisque ce texte a un peu plus de cinquante ans, les descriptions des objets et des intérieurs peuvent sembler datées, celles des personnages est diablement moderne. Ce qui tendrait à prouver que malgré le progrès, les avancées technologiques, l'homme rêve toujours de plus et pense que le bonheur s'atteint avec des désirs illimités qui, par définition ne seront jamais assouvis. "Trop souvent, ils n'aimaient, dans ce qu'ils appelaient le luxe, que l'argent qu'il y avait derrière. Ils succombaient aux signes de la richesse ; ils aimaient la richesse avant d'aimer la vie." (p.27). Constat cruel et tellement réel, puisque désormais tout est accessible du moindre clic de souris à condition d'avoir la monnaie, et j'imagine que les dernières fêtes ont été un prétexte à une ruée sur les objets technologiques, les jouets chers, l'acmé d'une consommation à outrance. 

Georges Perec évoque aussi la publicité, puisque ce n'est pas un hasard, Sylvie et Jérôme bossent dans ce domaine, et encore une fois, il fait mouche : "Lorsque, le lendemain, la vie, de nouveau, les broyait, lorsque se remettait en marche la grande machine publicitaire dont ils étaient les pions minuscules, il leur semblait qu'ils n'avaient pas tout à fait oublié les merveilles estompées, les secrets dévoilés de leur fervente quête nocturne. Ils s'asseyaient en face de ces gens qui croient aux marques, aux slogans, aux images qui leur sont proposées, et qui mangent de la graisse de bœuf équarri en trouvant délicieux le parfum végétal et l'odeur de noisette (mais eux-mêmes, sans trop savoir pourquoi, avec le sentiment curieux, presque inquiétant, que quelque chose leur échappait, ne trouvaient-ils pas belles certaines affiches, formidables certains slogans, géniaux certains films-annonces ?)." (p.87/88)

L'écriture est superbe, les phrases longues, comme vous pouvez le constater sur l'extrait précédent -et il y en a de plus longues encore-, à lire en respectant bien les temps de respiration et de pause qu'impose la ponctuation, virgule en tête et en fête. Un texte intemporel, plutôt pessimiste sur la capacité des hommes à être heureux puisque le bonheur semble-t-il n'est pas dans la propriété ni dans la richesse matérielle et que c'est pourtant l'objectif d'une large majorité, qui résonne en tout lecteur actuel, passé et futur. Comme toujours avec Georges Perec, ce court roman est forcément indispensable. 

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Bilan 2017

Publié le par Yv

C'est l'heure du bilan de mes lectures, uniquement mes coups de cœur.  Pour faire simple et pratique, ce bilan sera fait sous forme de liste par ordre d'apparition sur le blog. Attachez-vous bien, c'est parti :

- 11 ans, Jean-Baptiste Aubert, Christophe Lucquin

- Arrêt non demandé, Arnaud Modat, Alma

- La malédiction de Gustave Babel, Gess, Delcourt

- Proies faciles, Miguelanxo Prado, Rue de Sèvres

- Brutale, Jacques-Olivier Bosco, Robert Laffont

- La nuit du second tour, Eric Pessan, Albin Michel

- Le vertige des falaises, Gilles Paris, Plon

- Choucroute maudite, Rita Falk, Mirobole

- Indian psycho, Arun Krishnan, Asphalte

- Turner et ses ombres, Marie Devois, Cohen&Cohen

- L'homme de miel, Olivier Martinelli, Christophe Lucquin

- Héros secondaires, S. G. Browne, Agullo

- La reine noire, Pascal Martin, Jigal polar

- Les petites victoires, Yvon Roy, Rue de Sèvres

- L'authentique Pearline Portious, Kei Miller, Zulma

- La disparue de Saint-Maur, Jean-Christophe Portes, City éditions

- D'exil et de chair, Anne-Catherine Blanc, Mutine éditions

L'an passé je me laissai aller et j'eus beaucoup de coups de cœur, cette année, je fus plus strict  ou plus exigeant, je ne sais pas trop. J'arrive à 17 élus dont 3 BD (La malédiction de Gustave Babel, Proies faciles et Les petites victoires), 6 polars et donc 8 romans . Équilibré mon bilan. Pour les romanciers, je suis loin de la parité, puisque je n'ai que 3 femmes (Marie Devois, Rita Falk et Anne-Catherine Blanc. La majorité est française et 15 éditeurs sont représentés. 

Et le coup de cœur de tous ces coups de cœur, s'il fallait en choisir un parmi tous ceux-là, ce serait certes difficile, je ne vois même pas pourquoi je m'impose cette cruauté, ce serait -palalala (roulement de tambour): D'exil et de chair

Noël est encore en vue, s'il reste des cadeaux de dernière minute, piochez dans cette liste.

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La disparue de Saint-Maur

Publié le par Yv

La disparue de Saint-Maur, Jean-Christophe Portes, City éditions, 2017.....

Fin novembre 1791, Victor Dauterive, jeune lieutenant de la toute nouvelle gendarmerie est mandaté par l'un de ses supérieurs pour rechercher une jeune femme disparue. Les parents d'icelle, aristocrates pauvres ne veulent pas que l'on se mêle de cette histoire, le scandale et la honte -pire que la ruine- les effrayant sans doute. Victor cherche néanmoins. Mais bientôt, son mentor, le marquis de La Fayette le décharge de cette enquête pour lui demander de faire des recherches sur Jérôme Pétion, candidat à la mairie de Paris contre lequel il veut se présenter. Les investigations de Victor l'emmèneront jusqu'en Angleterre, les Anglais étant très attentifs au déroulement et aux conséquences de la Révolution française.

Après le bon L'affaire des corps sans tête, puis l'aussi bon L'affaire de l'homme à l'escarpin, voici cette troisième aventure de Victor Dauterive, jeune noble en rupture familiale, versé dans la gendarmerie par son protecteur La Fayette à qui il croit devoir fidélité et reconnaissance, dans des temps particulièrement troublés et violents ; il faut dire que le marquis le tient : "Vous êtes mineur, Victor. Pendant deux ans, votre père a encore tous les droits sur vous. Y compris celui de vous placer en maison de correction, tête de mule que vous êtes. Et il le ferait, croyez-moi, si vous n'étiez pas officier de gendarmerie. Que croyez-vous qu'il se passerait si ce n'était plus le cas ?" (p. 165).

La bataille est rude entre les divers groupes de députés et les nombreuses formations politiques en présence. Les aristocrates en exil montent une armée pour rétablir le roi, d'autres en France rêvent d'une monarchie constitutionnelle, d'autres de se défaire de celui qu'ils considèrent comme un despote. Les coups sont bas et pleuvent. Tout est permis pour incriminer son adversaire et profiter de ses faiblesses pour le discréditer. La guerre est en attente, aux portes de Paris, le sujet de discussion du moment. C'est donc dans ce monde-là que Victor évolue et cette fois-ci, il sera plus espion qu'enquêteur. Néanmoins, ça ne l'empêche pas de tomber dans des pièges, des traquenards, sa jeunesse et sa relative naïveté au moins sa confiance en les lois et les règles ne lui servant pas pour les déjouer. Il est frais et c'est cela qui est bien, loin des flics habituels blasés et qui réussissent tout du premier coup. Il s'endurcira sans doute, mais comme JC Portes a la bonne idée de resserrer ses intrigues sur quelques mois (puisque la première se déroule début 1791), Victor reste un poil candide. Sa volonté, son opiniâtreté, sa force de caractère et son intelligence lui permettent de s'en sortir. Je l'aime bien Victor, il est vivant, humain, certes, un peu coincé, mais bon il vit en 1791, les mœurs ne sont pas tout à fait les mêmes que de nos jours. 

Plus haut, je parlais des bons tomes 1 et 2, là, vous me permettrez d'écrire l'excellent tome 3. Les quelques réserves émises pour les deux premiers ont -presque- disparu (il reste quelques coquilles, gênantes mais pas rédhibitoires). La longueur, eh bien, je ne l'ai pas ressentie dans ce volume, sans doute parce que, bien que plus gros de 100 pages (530 pages avec les notes et les remerciements de l'auteur), JC Portes maîtrise de mieux en mieux son sujet. Le contexte est passionnant, je ne suis pas spécialiste de l'époque, j'apprends beaucoup. Ses personnages s'épaississent, Victor bien sûr, mais aussi son ami Olympe de Gouges très présente, ses amis et ses ennemis du moment (j'aime bien le clin d’œil à Alexandre Dumas avec le nom de la belle anglaise, Miss Winter, amie ou ennemie (?), je n'en dirai pas plus). On pourrait croire que Victor et son créateur s'éparpillent puisque deux affaires sont en cours de ce volume, mais que nenni, un gendarme peut enquêter sur deux histoires simultanément, "sacrediou", comme dirait Olympe qui aide son ami sans son accord.

Tout cela est drôlement bien ficelé et se lit avec un grand plaisir, une impatience à connaître le dénouement et une volonté de prolonger un peu les moments passés en cette compagnie et cette époque, bien au chaud dans mon canapé. Troisième tome très convaincant, à consommer et partager sans modération, un coup de cœur !

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L'authentique Pearline Portious

Publié le par Yv

L'authentique Pearline Portious, Kei Miller, Zulma, 2016 (poche, 2017, traduit par Nathalie Carré).....

Adamine Bustamante est née dans une léproserie en Jamaïque. Sa mère morte en lui donnant la vie, c'est la vieille Mman Lazare qui élèvera Adamine jusqu'à ses quinze ans repoussant sa propre mort jusqu'à cent cinq ans. La mère d'Adamine est-elle la véritable Pearline Portious ? Et pourquoi tricotait-elle des bandages multicolores dans cette léproserie ? 

Deux voix racontent cette histoire, celle d'un écrivain venu d'Angleterre et celle d'Adamine qui le contredit parfois, livrant sa version différente de celle de l'écrivain pourtant documenté.

On le sait, toute bonne histoire commence par il était une fois. Celle-ci ne déroge pas à cette règle, mais là où la suite de la phrase habituelle fait naître l'espoir de princesses et de princes, Kei Miller lui, écrit : "Il était une fois une léproserie en Jamaïque". Le décor est alors planté, loin des contes de notre enfance. Et la suite ? Eh bien, excellente, ce n'est pas sans raison que je fais de ce roman l'un de mes coups de cœur. L'authentique Pearline Portious a été écrit avant By the rivers on Babylon, que j'ai chroniqué et aimé -ou vice-versa. J'y retrouve tout ce que j'ai décrit et qui m'avait emballé, cette langue magique et puissante, sorte de créole jamaïcain qui ravit mes sens. Lorsqu' Adamine s'exprime, c'est un festival et les images affluent, les mots ou expressions sont orthographiés bizarrement et c'est tant mieux :

"Mman Lazare et moi, on a aussi la même peau, noire comme le plus profond de la nuit. A l'école, les ti-gars disaient toujours : Adamine, tu peux pas la voir dans l'noir, sauf quand elle sourit. Mais bon, j'avoue : la chose vraie de Monsieur Gratte-Papyè qu'écrit mon histoire, c'est ce qu'il dit de Mman Lazare, ça, c'est vrai. Mman Lazare, c'était un très vieux ti-bout femme avec cheveux anpil qui portait toujours deux chemises l'une sur l'autre." (p.52)

Certains néologismes peuvent surprendre voire questionner, mais très vite on s'y fait et on en redemande. Lorsque c'est l'écrivain qui s'exprime, la langue est différente, plus classique. Un bel exercice de style, très convaincant.

L'histoire est folle, la vie d'Adamine peu commune et en plus de cela, Kei Miller y ajoute des personnages secondaires très particuliers eux-mêmes, un contexte religieux lui-même particulier : les Revivalistes, mouvement jamaïcain qui tente de relancer une foi chrétienne mâtinée de vaudou et des croyances locales, si j'ai bien compris (mais je ne parierai pas un kopeck là-dessus, d'autant plus que je n'ai rien trouvé comme info sur cette église). Adamine en devient une prophétesse, une "crieuse de vérité". L'ouvrage est foisonnant et il n'est pas une page qui n'apporte pas sa surprise, son moment d'engouement au lecteur. En outre, lorsque l'on sent la fin proche, le romancier nous prend à revers et la bâtit différemment de tout son texte précédent. On entre alors dans un roman à tiroirs, divers intervenants expliquant leurs rôles dans les vies de Pearline Portious et d'Adamine Bustamante. On n'est pas dans un polar, mais néanmoins, une interrogation tend ces dernières pages.

Vous l'aurez compris, j'ai adoré ce roman surprenant, fou, magnifique, d'une beauté incomparable. Il existe dans sa version grand format parue en 2016 et dans sa version poche de 2017, les deux chez Zulma.

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Les petites victoires

Publié le par Yv

Les petites victoires, Yvon Roy, Rue de Sèvres, 2017.....

Marc et Chloé s'aiment et bientôt font un bébé. Quelques mois plus tard, ils s'aperçoivent qu'Olivier, leur fils ne réagit pas comme les autres bébés de leur entourage. Le verdict tombe : autiste. Le couple ne tient pas. Marc, dessinateur et l'esprit un peu fantasque décide de tester des méthodes personnelles qu'il invente chaque jour pour communiquer avec son fils et le faire progresser. Les petites réussites l'encouragent et Olivier avance. C'est tout ce chemin que dessine et scénarise Yvon Roy, c'est son histoire qu'il raconte grâce à son art, la BD.

Excellente. Yvon Roy est Canadien et sans doute ce pays est-il plus ouvert aux méthodes particulières pour élever les enfants différents. Je ne connais pas très bien l'autisme mais j'ai entendu dire plusieurs fois qu'il y avait autant de formes de cette particularité que d'autistes, d'où des méthodes qui peuvent s'appliquer à certains et pas à d'autres, des demandes individuelles auxquelles il peut être parfois difficile de répondre. Dès lors, les parents sont désemparés. Yvon Roy montre dans son album comment lui a tenté des choses et comment il fut soutenu par les différents intervenants : jardin d'enfants, école spécialisée, assistante sociale, ... jamais on ne lui a dit qu'il faisait mal, au contraire, les petits progrès constatés encourageaient tout le monde. 

Avec un dessin volontairement centré sur les être, car il n'est question que d'humain, mais aussi avec des rêves, des histoires folles et délirantes que le papa raconte à son fils, cette BD se lit très bien. Noir et blanc impeccable, classique dans la forme, on progresse avec l'envie qu'Olivier devienne un enfant curieux et éveillé, qu'il puisse sortir de son isolement et profiter de ce et ceux qui l'entourent. Envie exaucée, ce n'est pas dévoiler une intrigue que de le dire en conclusion. Un très bel album à mettre entre toutes les mains, pour montrer la différence, mais aussi que la persévérance et les efforts paient. Un espoir pour tous les parents et enfants autistes qui, pour diverses raisons, ne s'en sortent pas aussi bien. 

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La reine noire

Publié le par Yv

La reine noire, Pascal Martin, Jigal polar, 2017.....

Lorsque Wotjeck, vêtu de noir des pieds à la tête, obligé de porter une paire de lunettes noires pour protéger ses fragiles yeux, roulant très vite dans une BMW noire, revient à Chanterelle le village de son enfance qu'il a quitté  il y a très longtemps, plus rien n'est comme avant. La reine noire, la grande cheminée de la raffinerie de sucre est toujours debout mais ne sert plus à rien, Spätz, l’actuel maire du village a fermé l'usine autrefois. L'accoutrement de Wotjeck et son argent font jaser, mais ce qu'ignorent les habitants c'est que Wotjeck est un tueur à gage, l'un des tous meilleurs. 

Michel Durand, le fils de l'ex-directeur de l'usine, revient lui aussi à Chanterelle, au même moment. Il se fait passer pour un psychiatre, il est flic à Interpol. Depuis leur arrivée, d'étranges événements se déroulent au village provoquant l'exaspération des habitants.

Excellent. Coup de cœur. Voilà, tout est dit. Courez acheter ce roman et ouvrez-le dans un endroit où vous êtes confortablement installés, car vous ne le lâcherez que fini, soit 250 pages plus loin. Vous en voulez plus ? OK, je me fends d'un billet.

Je commence par l'ambiance générale, le contexte. Un village désertifié, appauvri par la fermeture de l'usine qui employait tout le monde. Un paysage désolé, qui pourrait être beau mais qui n'est que désespoir. Et puis, le déclencheur, l'arrivée de Wotjeck et de Durand, deux hommes qui se connaissent de leur enfance, n'ont pas eu la même vie, et continuent à vivre très différemment. Dès qu'ils franchissent les frontières du village, les vieilles rancœurs, les peurs, les veuleries, les jalousies, les trahisons remontent et chacun rejoue son rôle, celui du pleutre, du soumis ou au contraire celui du rebelle -ils sont peu à jouer ce rôle, Marjolaine, la jeune serveuse l'endosse le plus facilement. Les hommes passent leur temps à jouer aux cartes dans le café, à refaire le monde, les femmes étrangement peu présentes ou alors avec des caractères bien trempés, telle la fameuse Marjolaine ou bien la mère Lacroix et sa fille Marie-Madeleine simple d'esprit maltraitée par sa mère qui peut à chaque seconde exploser dans un festival de mots colorés et fleuris (à la fois drôle et violent). 

Les personnages maintenant. On est loin, très loin des stéréotypes du genre policier. Outre les femmes dont j'ai parlé plus haut, Wotjeck et Durand ne sont pas forcément là où on les attend, et leur enfance, leurs relations d'enfance s'immiscent dans cette nouvelle rencontre. Tous ceux qu'on rencontre ont un grain, une fêlure qui ne demande qu'à s'aggraver et Wojteck et Durand feront péter des câbles à certains, parfois involontairement, d'autres fois moins. 

Roman noir plus que polar, il n'est néanmoins pas dépourvu d'étincelle de vie, de lumière et d'espoir. Pas du tout plombant au contraire, le rythme est assez vif et fluide. Pascal Martin mène et maîtrise son sujet de bout en bout, il nous balade, nous emmène exactement là où il veut et nous, eh bien on se laisse faire avec un plaisir non dissimulé et même revendiqué. J'ai passé un très grand moment,  je découvre cet auteur qui n'en est pourtant pas à son premier essai. Très belle pioche des éditions Jigal ! Le début ? Allez, voici les premières lignes :

"La BMW noire filait sur la route à grande vitesse. L'homme au volant portait des lunettes noires, rondes. Des manchons, des sortes de ventouses en cuir, s'échappaient des montants et venaient se plaquer sur ses tempes. On ne voyait pas ses yeux. Il était entièrement vêtu de noir, chemise, imper et pantalon." (p.5)

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Héros secondaires

Publié le par Yv

Héros secondaires, S. G. Browne, Agullo, 2017 (traduit par Morgane Saysana).....

Lloyd est cobaye pour des essais médicamenteux depuis cinq ans. Il voit régulièrement ses collègues devenus des amis, Vic, Charlie, Franck, Randy, Isaac et Blaine. Tous ont l'air d'aller bien, gagnent leur vie au gré des essais auxquels ils sont conviés. Jusqu'au jour ou d'étranges phénomènes apparaissent dans les rues de New-York : des personnes perdent la mémoire et sont victimes de vols et d'autres d'hallucinations. C'est à ce moment que Lloyd s'aperçoit qu'il soufre de quelques effets secondaires et qu'il parvient à endormir les gens à distance. Très vite ses amis remarquent eux-aussi leurs nouveaux pouvoirs, pas forcément sexy, mais liés aux médicaments.

Après Les cobayes, je file le thème des essais pharmaceutiques, cette fois-ci aux Etats-Unis, c'est une coïncidence absolue, un effet secondaire des lectures, mais celui-ci n'est pas indésirable, bien au contraire. Si vous ne connaissez pas S. G. Browne, sachez que c'est le deuxième livre de lui que je lis, après l'excellent coup de cœur La Destiné, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort et qu'encore une fois, il me ravit. Ce roman débute assez lentement avec un trentenaire un peu désabusé, un peu velléitaire voire un peu fainéant, pas vraiment investi dans sa vie, qui la subit plus qu'il ne la vit ; Lloyd vit avec Sophie depuis cinq ans qui lui demande d'arrêter son job de cobaye pour trouver un boulot plus sérieux et moins risqué, mais sans jamais vraiment s'opposer à elle il persiste à tester des médicaments et à faire la manche pour les à-côtés. Puis, lorsque les garçons s'aperçoivent qu'ils changent, le roman change également et d'un roman assez réaliste et classique, on passe à de la science fiction, un roman de super héros. Oui, mais comme c'est SG Browne qui écrit, évidemment, vous n'aurez pas droit à Superman ou Batman voire Spiderman, mais plutôt à des super héros aux talents assez étonnants que je vous laisse découvrir. C'est à la fois drôle, cynique, ironique et satirique. A travers ce délire romanesque, l'auteur dénonce notre société de consommation et particulièrement celle des laboratoires pharmaceutiques, des médecins qui prescrivent à tour de bras et notre rôle à nous patients qui acceptons tout et n'importe quoi pour aller mieux. Si la France est championne du monde de la consommation d’anxiolytique, les Etats-Unis doivent suivre de près et sans doute beaucoup d'autres pays riches, malheureux et envieux que nous sommes malgré toutes nos possessions.

Je ne suis pas très connaisseur de la littérature étasunienne, ni même amateur d'icelle, mais lorsqu'elle se présente sous cet angle, je prends et en redemande. SG Browne est direct, il ne ménage pas ses propos, la critique est rude et tellement bien amenée que je ne peux qu'applaudir. Son thème favori étant celui qu'il a longuement déployé dans l'autre roman chroniqué sur le blog, à savoir, le sort, la destinée, le but de toute existence, la raison d'être, enfin toute la réflexion sur l'utilité de notre passage sur terre, le sens de la vie quoi, il en remet une couche cette fois-ci et Lloyd n'échappera pas à ces questionnements existentiels. SG Browne pousse parfois le bouchon, mais c'est bien, ça incite à la réflexion et il le fait tellement bien qu'on lui pardonne. En outre, lorsqu'au détour d'une phrase d'apparence sibylline, il place une banderille utile et réaliste telle que la suivante, que voulez-vous lui reprocher -la situation : une agression a lieu dans la rue, en pleine foule- : "Un des clients compose le numéro de la police tandis qu'un autre remplit son devoir de citoyen en filmant la scène avec son téléphone portable." (p.173) ? Tout est comme cela dans ce roman, pas un mot n'est ratable au risque de passer à côté d'un bon mot ou d'une pirouette à la fois drôle et profonde. Excellent, excellent, excellent.

Roman traduit, comme le précédent, par Morgane Saysana, et cette couverture d'un rose bonbon qu'on dirait un médicament, au dessin sobre et explicite, avec le bandeau maintenant célèbre des éditions Agullo, qui, contrairement aux autres, sert la couverture, en est une partie importante, pas juste une accroche marketing. Un très beau travail.

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L'homme de miel

Publié le par Yv

L'homme de miel, Olivier Martinelli, Christophe Lucquin éditeur, 2017.....

Olivier est prof de mathématiques et vit à Sète. Pour un gros coup de fatigue, il consulte et d'examens en examens, le verdict tombe : cancer. Un myélome, l'un des plus rares et des plus graves. Ce livre réunit quarante-neuf chroniques écrites par Olivier, décrivant la maladie, les médecins qu'il rencontre, les soins, les réactions des amis et de la famille, les siennes aussi.

Loin d'être morbide ce livre est au contraire positif, même si l'on sent bien par moments le découragement de l'auteur, l'envie de baisser les bras, les angoisses, les cauchemars souvent liés à l'idée de la mort bien sûr mais surtout à la peur de ne pas voir grandir ses enfants et pour iceux de ne pas grandir avec un père. Ne pas sentir ces interrogations, ces peurs serait faire l'impasse sur une grande partie de la vie d'Olivier Martinelli depuis l'annonce de sa maladie. Mais, ce qui ressort le plus de ses courts textes, c'est l'espoir et la volonté de vivre. Pas forcément pour réaliser de grandes choses, des exploits, mais vivre pour les siens, en profiter au maximum et s'appuyer sur eux pour reprendre des forces, même si face à la maladie et quand bien même on est très écouté, accompagné, on reste seul. Cette solitude, il ne l'élude pas, voulant en plus, sans rien cacher protéger ses proches et notamment ses enfants encore petits.

Les textes sont beaux et tristes mais aussi beaux et joyeux, parfois poétiques, jamais plombants. Olivier Martinelli écrit des pages bouleversantes, touchantes, pleines de vie. L'humour est là aussi qui fait passer bien des choses, même dans les moments durs, voire très durs : "Lorsqu'un médecin vous assure que ce qui vous attend est sans danger, ne soyez pas surpris si ça se termine par une flaque de sang dessinant une forme étrange dans un plateau en inox." (p.17) En étroite collaboration avec l'humour, il y a de la légèreté bienvenue dans un texte d'une telle force et de la poésie qui fait passer les moments difficiles : "Je n'y voyais pas à vingt mètres. J'ai enclenché les essuie-glaces. Je n'y voyais toujours rien. Il ne pleuvait que de mes yeux. Je les ai libérés de leur humidité d'un revers de la main. L'humidité est revenue aussitôt. Je les ai nettoyés une fois encore. Puis j'ai capitulé." (p.27). Olivier prend de la force  partout, dans la main de sa fille, dans la compagnie de ses proches, dans ses projets d'écriture qu'il se presse de mener à bien, dans le sourire d'une infirmière, dans la douceur du regard ou de la voix des médecins et j'espère modestement dans ma chronique, sincère.

Christophe Lucquin dont vous savez sûrement mon attachement à sa maison d'édition, publie ici un texte inratable en cette rentrée littéraire et aussi plus tard, l'un de ceux qui remuent le lecteur, qui lui donnent de la force et une envie de profiter encore plus de chaque instant.

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