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coup de coeur

Le goût de la viande

Publié le par Yv

Le goût de la viande, Gildas Guyot, In8, 2018.....

Hyacinthe Kergourlé survit aux tranchées de 14/18. Profondément marqué dans son corps, puisqu'il revient amputé d'un bras, et dans sa tête après divers faits profondément bouleversants. A l'armistice, à pieds d'est en ouest, il revient à la ferme familiale proche de Saint-Malo. L'accueil est breton : fort, sincère et taiseux, comme s'il n'était jamais parti. Hyacinthe va tenter de vivre le plus normalement possible avec ce passé douloureux et traumatique.

Comment dire que ce roman est d'une part formidable et d'autre part ultra original et troublant voire par moments dérangeant ? C'est cru, violent, ironique, dur, l'humour est -pléonastiquement, comme disait P. Desproges- noir, très noir, désespéré, désabusé. Néanmoins et aussi dérangeant et dans certains -rares- passages difficile à lire soit-il, il n'est pas de ces livres qui dépriment ou mettent le blues pour le reste de la journée. Gildas Guyot réussit le tour de force de parler d'un homme détruit qui tente de passer outre ses démons pour vivre, qui parfois n'y parvient pas, qui donc vit des choses violentes, sans jamais plomber son roman. C'est le ton adopté entre gravité et humour, toujours au détour d'une phrase un peu dure, un mot, une expression qui force le sourire et détend un peu l'ambiance. "Physiquement, et en dehors de mes désordres digestifs, je reprenais du poil de la bête. La mort m'évitait à un point tel que le doute n'était plus possible quant à ses intentions de me nuire." (p.49), ou encore cet extrait que j'aime beaucoup, s'agissant des débuts de la seconde guerre mondiale (mais qu'on peut sans doute élargir) : "Heureusement, il est une tradition dans ce pays qui consiste à remplacer un incompétent par un irresponsable et en juin 40, Reynaud démissionna pour que Pétain le supplante." (p.176)

Dans l'écriture de Gildas Guyot, tous les mots comptent et il est souvent utile de lire entre les lignes ou entre les mots pour saisir encore mieux les double-sens ou les appuis fins, des sortes d'images subliminales. C'est très bien vu et très maîtrisé, surtout pour un premier roman. 

Je me suis régalé dans ce roman très inventif, glauque et noir, avec cet homme franchement bizarre, intérieurement torturé, un personnage original et fort comme on en voit peu en littérature, de ceux qui marquent. Ajoutons une écriture particulièrement soignée, travaillée pour que chaque mot ait un sens -voire un double-sens- et alors vous aurez en mains -parce que ce sera inévitable- un véritable coup de coeur. 

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Le pèlerinage

Publié le par Yv

Le pèlerinage, Tiit Aleksejev, Intervalles, 2018 (traduit par Jean Pascal Ollivry).....

An de Grâce 1148, un vieux jardinier d'un couvent près de Montpellier raconte sa jeunesse et son départ pour Jérusalem, pour la première croisade voulue par le pape Urbain II. Tout jeune homme ignorant du maniement des armes, il se lie d'amitié avec un soldat aguerri, Dieter qui lui apprend les bases. 

Mais le jeune homme, malgré une bravoure récompensée, se pose des questions, ne se sent pas très fier de ses actions pourtant audacieuses. Dans ce monde viril, il tente de se rapprocher de Maria de Toulouse, la femme de feu son seigneur dont il est tombé amoureux, des mois auparavant lorsqu'il était chargé du service des vins à sa table.

Vous voulez du roman historique ? Ne cherchez plus, j'ai ce qu'il vous faut. Absolument génial, ce roman, écrit en 2010 par Tiit Aleksejev, écrivain estonien, est récompensé la même année par le prix de l'Union Européenne. Le travail est minutieux, documenté et extrêmement bien rendu, entre la réalité de la première croisade menée par Raymond de Saint-Gilles et son armée de Provençaux, et les personnages fictionnels dont le narrateur. Il y en a pour tous les goûts : de l'aventure, des actions d'éclat, des batailles, mais aussi de grands questionnements sur le bien-fondé d'une telle entreprise, sur la loyauté, sur l'amour, la mort, la liberté de penser, de croire et de pratiquer. Autant dire que bien que se déroulant au Moyen-Age, ce roman est d'une actualité brûlante. 

Tout au long de cette histoire, je n'ai pu m'empêcher de penser à l'intolérance des uns et des autres, à cette absurdité -à mes yeux- qu'est la religion qui pousse des hommes aux actes les plus insensés, les plus fous, et les plus meurtriers, toujours au nom de l'amour d'un dieu ; il y a là une contradiction terrible née d'on ne sait quel cerveau malade et qui perdure. 

Tiit Aleksejev raconte son histoire et l'Histoire sans diriger la pensée du lecteur, il l'aide à se poser des questions, à réfléchir. Son roman est passionnant parce que le contexte l'est bien sûr, mais aussi parce qu'il y introduit des personnages forts et en plein doute. Ils sont forts, car ils combattent dans des conditions effroyables des ennemis aussi violents qu'eux, et que le choix n'a pas lieu d'être : on tue ou on est tué. Ils doutent, notamment le jardinier-narrateur, parce qu'il est amoureux, parce que croyant il ne sait plus trop bien ou est la vérité et qui sont les infidèles, ses rencontres le font douter encore plus, même s'il continue de combattre loyalement aux côtés de son maître et seigneur. Il découvre également l'amitié virile, celle qui lie les hommes à mort dans des conditions de guerre et qui oblige à la confiance aveugle.

Un roman construit en courts paragraphes qui permettent des pauses fréquentes si besoin, car il est dense, se lit lentement pour s'en imprégner totalement. Admirablement traduite, la langue est belle et fluide, d'accès simple. J'adore ce genre de livres qui s'inscrivant dans une époque donnée, nous en apprennent beaucoup et dans un plaisir de lecture qui ne s'émousse pas du début à la fin. 

Admirable, inratable.

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Edmond

Publié le par Yv

Edmond, Léonard Chemineau, Rue de Sèvres, 2018 (d'après la pièce d'Alexis Michalik).....

Paris, 1897, Edmond Rostand est un auteur de théâtre qui n'a écrit que des fours, même s'ils sont joués par la grande Sarah Bernhardt. Un jour, elle débarque chez Rostand et lui annonce qu'il doit écrire une pièce pour l'acteur de l'époque Constant Coquelin. Sans la moindre idée en tête, Edmond Rostand qui parvient à peine à nourrir sa femme et ses deux enfants, va voir Coquelin et, en chemin, s'arrête dans un café tenu par Honoré, un homme noir épris de poésie. C'est là, en entendant une tirade d'Honoré, puis en s'inspirant de la vie de Cyrano de Bergerac, qu'il a l'idée de ce qui deviendra le plus grand succès du répertoire français.

J'avais adoré Edmond d'Alexis Michalik, et je n'avais pas vraiment d'appréhension à l'ouverture de l'adaptation en bande dessinée. D'abord parce que Léonard Chemineau, je l'ai déjà lu en collaboration avec Matz dans l'excellent Le travailleur de la nuit et ensuite, parce que les premières pages tournées, le charme agit et je n'ai pu m'empêcher d'aller au bout rapidement, quitte à relire en prenant plus mon temps pour bien voir les détails. 

J'aime beaucoup les dessins et les couleurs qui collent parfaitement à l'époque décrite. Léonard Chemineau joue avec les tailles des cases, parfois classiques, parfois une seule par page avec un encadré à l'intérieur, ou encore, très hautes -pour la scène du balcon et même totalement libres pour la dernière scène de la pièce. 

L'histoire est donc celle de la genèse de Cyrano de Bergerac. Alexis Michalik racontait comment Edmond Rostand s'était inspiré de ce qu'il voyait et entendait autour de lui pour créer ses personnages, son intrigue. La BD rend tout cela merveilleusement bien. Tous les ingrédients sont présents : l'amour, la jalousie, l'action, l'angoisse du créateur, le stress nécessaire pour monter un spectacle en peu de temps, ... C'est virevoltant, enthousiaste, rapide, drôle, frais.

Que demander de plus ? En fait, il ne me reste plus que la pièce à aller voir, tout le reste je l'ai fait et à chaque fois, c'est un coup de coeur.

 

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Le rêve armoricain

Publié le par Yv

Le rêve armoricain, Stéphane Pajot, D'Orbestier, 2018.....

Qu'est-ce qui peut lier une série de décès inexpliqués lors d'un concert de La Folle Journée de Nantes en 2016, le meurtre d'une jeune femme vingt ans plus tôt, la disparition d'un acrobate, Willy Wolf, qui, en 1925 sauta du pont transbordeur de Nantes et ne remonta pas à la surface et la naissance des premiers transports en commun au début du 19° siècle ?

Vous le saurez en lisant le dernier-né du journaliste de Presse Océan, Stéphane Pajot, par ailleurs collectionneur averti de cartes postales et de photos anciennes (par exemple celle qui illustre ce roman et qui représente le fameux Willy Wolf lui appartient) et spécialiste émérite de Nantes, de ses coins et recoins oubliés, des faits divers qui s'y sont déroulés, des personnages emblématiques, typiques, artistes de rue, clochards, ... et auteur de nombreux livres sur la ville et de polars divers (allez voir à la lettre P de mon index, vous verrez une toute petite partie de sa production).

Dans Le rêve armoricain, Stéphane Pajot nous promène dans Nantes, remonte le temps avec un fil rouge ou même plusieurs, au moins deux personnages réels, Willy Wolf et William Turner. On passe, en plusieurs étapes de 2016 à 1826, apprend plein de choses sur les personnalités nantaises, sur la ville et ses évolutions.

La part belle est faite au journaliste Mathieu Leduc, qui en 2016, vingt ans après avoir été innocenté dans l'affaire du meurtre d'une jeune femme, couvre les décès tragiques et inexpliqués au concert de musique classique. L'auteur s'amuse à nous perdre, à nous faire douter. Il joue aussi avec les mots, avec des citations cachées dans son texte, telles : "marcha tel un robot dans les couloirs du métro" (Trust) et "par hasard et pas rasé" (S. Gainsbourg) et sûrement d'autres que je n'ai pas notées par méconnaissance ou tout simplement parce qu'elles sont si bien intégrées dans le texte qui m'a absorbé que je ne les ai pas vues.

Tout cela concourt à faire de ce court polar un roman original et ce qui définitivement le classe comme tel, c'est sa construction, un peu comme le très bon Selon les premiers éléments de l'enquête, qui s'appuie sur le travail de la presse quotidienne régionale, qui remonte le temps, je le disais plus haut, par un ou des fils rouges qui peuvent un moment perturber le lecteur qui ne verra les liens qu'en avançant. On pourrait, si l'on s'arrêtait à la structure, parler de nouvelles, ce qui ne serait pas une injure, mais l'auteur assez subtilement glisse des liens de continuité dans tous ses chapitres.

Tout coule extrêmement bien, dans un texte qui emprunte à beaucoup de styles, tour à tour très dialogué et oralisé, puis descriptif, puis un poil poétique, décalé avec ces fameuses citations. Le genre de livre qui fait du bien -même si l'on ne connaît pas Nantes- dont on ressort en se disant qu'on a lu un truc différent loin des productions courantes. Tout ce que j'aime. En plus, D'Orbestier -l'éditeur- a la bonne idée de faire sa collection Bleu cobalt en format poche pas chère. Plus rien ne vous retient.

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Quichotte, autoportrait chevaleresque

Publié le par Yv

Quichotte, autoportrait chevaleresque, Eric Pessan, Fayard, 2018.....

"S'est-on jamais demandé ce que ferait Don Quichotte aujourd'hui ? 

Accablé par les nouvelles venues des quatre coins du monde, toutes plus terribles les unes que les autres, l'auteur de ce livre ne trouve de consolation que dans la littérature. Là se trouve l'ultime façon de résister au monde tel qu'il est. Là se trouvent les héros. Là se trouve le fabuleux chevalier à la triste figure, que l'auteur invite à revenir parmi nous. 

Notre triste époque ne fourmille-t-elle pas d'éplorés à protéger, de torts à redresser ?

Et si, mieux encore que la consolation, de la littérature venait le salut ?" (4ème de couverture)

Eric Pessan, écrivain prolifique et néanmoins auteur de romans excellents que je ne pourrais pas tous citer ici (allez voir  et encore ce ne sont que ceux que j'ai lus...) écrit, un jour où l'actualité le blesse encore plus que d'habitude, sur son écran d'ordi DON QUICHOTTE. Et de ce nom part cette idée de construire un roman qui entremêlerait une vie du héros de Cervantès toujours accompagné de Sancho Panza de nos jours et les réflexions de l'écrivain sur la vie, l'écriture, la littérature, l'économie, la géopolitique, le monde étrange dans lequel nous vivons qui marche sur la tête, qui ne reconnaît plus l'humanité, la fraternité, la liberté, sur les hommes qui  vivent aliénés par le travail, l'argent à gagner pour vivre, survivre ou amasser : "J'ai l'impression que ce livre doit être écrit ainsi, mêlant les aventures du Quichotte à mes questionnements d'écrivain. Et, surtout, j'en ai le désir. J'ai envie d'écrire, j'ai envie d'essayer, j'ai envie de tester cette structure, j'ai envie de me frotter au Quichotte, j'ai envie de faire vivre ma bibliothèque, j'ai envie de shooter dans ce qui m'étouffe, de prendre le réel entre deux mains et de le tordre jusqu'à en faire un nœud, comme les athlètes de cirque font d'une barre de fer. Et j'ai envie qu'il soit possible d'écrire juste parce que l'on en ressent le désir." (p.136)

Il est beaucoup question de littérature, des grands noms, de ceux qui ont écrit des livres importants, universels, qui ont donné le goût de la lecture à beaucoup et à Eric Pessan en particulier. Il est aussi question d'écriture, de ce travail dont beaucoup considèrent qu'il n'en est pas un, des efforts même corporels qu'il implique, des choix de vie sachant que peu d'écrivains vivent de leurs livres. Puis Eric Pessan parle aussi de ses indignations, de ses nausées lorsqu'il lit ou écoute ou regarde un journal d'actualité. Alors, il convoque Don Quichotte et Sancho Panza pour réparer les injustices, ce qui donne lieu à quelques passages épiques et drôles.

Certes, le livre n'est pas exempt de quelques longueurs et de répétitions dues à la manière dont l'auteur l'a écrit, sans relire la première partie avant d'aborder la seconde. Mais, malgré cela, je me suis régalé. D'abord parce que je partage beaucoup des points de vue, des indignations, des dégoûts et même des émotions et des sentiments de l'auteur. Ensuite, parce que ce livre n'a pas une forme qui permettrait de le ranger dans telle ou telle catégorie. Il est inclassable, perturbe donc un lecteur qui n'aimerait pas ne pas trouver de repères. J'adore ça quand un écrivain me trimbale loin des règles, des carcans et qu'il se joue des codes en abordant l'autobiographie, le roman d'aventures, la poésie, l'essai, le roman d'introspection, la farce, ... tout cela en un seul volume. Le texte coule aisément et l'on passe des aventures de Quichotte aux réflexions de l'auteur sans souci de compréhension ; les articulations se font naturellement comme si nous étions dans la tête d'Eric Pessan, ou dans la nôtre qui, parfois aussi saute d'une idée à une autre sans apparemment -mais il y en a- de lien. La seule difficulté éventuelle pourrait être dans le fait que ce-dit roman n'en est pas vraiment un tout en en étant un. Mais cette difficulté se transforme vite en découverte, puis en curiosité -ou vice-versa- et en réel plaisir de lecture.

Dire que je conseille ce livre serait un euphémisme, il faut le lire absolument, on cerne mieux après le travail d'un écrivain, un de ceux qui chaque jour se mettent à leur table de travail pour nous donner à nous lecteurs des moments inoubliables -ou pas-, du rire, de la joie, de l'émotion, ... Je pense avoir pris autant de joie à lire ce Quichotte, autoportrait chevaleresque qu'Eric Pessan à l'écrire.

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Prenez soin d'elle

Publié le par Yv

Prenez soin d'elle, Ella Balaert, Des femmes-Antoinette Fouque, 2018.....

Lorsque Jo, femme de quarante ans fait une tentative de suicide aux médicaments, elle est transportée, dans le coma, à l'hôpital. C'est Monique Loiselier, la concierge de son immeuble qui a prévenu les secours. Dans l’appartement, pas une explication sur le geste de Jo. Juste une photo de son chat, une femelle de 16 ans, au dos de laquelle sont notés ces quelques mots : "Prenez soin d'elle"

C'est Monique Loiselier qui contacte l'amie de Jo, Rachel ; son amant, Franck ; son frère, Alban ; son père, Georges, pour se relayer autour de la chatte, elle-même étant allergique aux poils des félins. 

Construit en trois parties, une par semaine qui suit la tentative de suicide, ce court roman m'a paru un peu long sur la toute dernière semaine, heureusement la plus restreinte. Néanmoins, je vais avoir du mal à cacher le bonheur que j'ai eu à lire de nouveau Ella Balaert (après Canaille blues -l'un des tous premiers articles du blog- et Placement libre).  J'ai adoré les deux premiers chapitres, subtilement construits et écrits ; ils m'ont surpris moi qui ne savais rien du thème de ce livre. La suite est tout aussi excellente. Le ton est direct, Ella Balaert va au  plus rapide dans des phrases épurées, élégantes, travaillées, parfois l'ordre des mots est chamboulé, oh, pas grand chose, juste de quoi mettre l'accent de la phrase sur un autre mot que celui attendu. J'aime beaucoup. L'écriture est fine et sensible, délicate et franche, elle touche profondément et va au plus près des émotions. Elle parle du quotidien lorsqu'on est confronté à la mort envisagée d'un proche, la difficulté de l'appréhender dans les mots même : "Le père qui se vante de toujours regarder la réalité en face, sans illusion, sans attendrissement inutile, le pharmacien qui est capable de réciter sans sourciller un manuel  de médecine devant le lit de sa fille, ne prononce jamais le mot mort. La mère d'Alban, un jour, est partie. Ses grands-parents les ont quittés. Ce sont des mots qu'on peut encore prononcer. Il y en a d'autres qui ne franchiront jamais ses lèvres comme si le silence pouvait faire barrage à la mort." (p.95) Et la page suivante, cette courte phrase, comme un adage : "Sans tuer parfois les mots empêchent de vivre." (p.96/97)

Les carcans de l'éducation sont aussi abordés, comment s'en défaire lorsque ce sont des principes dont les parents ont été abreuvés et qui les ont eux-même assénés à leurs enfants ? Georges, le père est engoncé dans ses vieux schémas : "Le père ne raconte pas qu'il n'a pas pris la main de Jo dans la sienne, et l'infirmière qui insistait, allez-y, monsieur, prenez-lui la main, caressez-la, quelle obscénité, prendre dans la sienne la main de sa fille quand il ne l'a jamais tenue, ou bien rarement et c'était il y a si longtemps, quand la femme était encore une enfant, jadis, hier, tout est allé si vite, les corps les vies les histoires se sont séparés et on ne refera pas le chemin, toutes les routes sont à sens unique." (p.90)

Puis arrivent les questionnements de chacun des proches de Jo, sur leur relation avec la gisante. Et l'on apprendra beaucoup sur leurs vies et sur celle de Jo. Les non-dits, les petites trahisons, les reproches individuels et parfois accusateurs de ceux qui n'ont pas vu que Jo allait mal. Chacun de jeter la pierre à l'autre avant de s'interroger lui-même ou de rester dans ses assurances de bien agir. 

Un roman, pas gai certes, mais comme je les aime, qui va au plus profond de nos questionnements les plus intimes, sans prendre de détour, sans circonvolutions inutiles et oiseuses. Ella Balaert nous pousse à la réflexion et à l'introspection. De temps en temps, ça ne peut pas faire de mal. En l’occurrence, ça fait avec Prenez soin d'elle, beaucoup de bien.

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Vies volées

Publié le par Yv

Vies volées. Buenos Aires. Place de Mai, Matz et Mayalen Goust, Rue de Sèvres, 2018.....

"De 1976 à 1983, la dictature militaire qui régit l'Argentine fait disparaître près de 30 000 opposants politiques, pour la plupart assassinés. Parmi eux, de jeunes femmes enceintes auxquelles leurs enfants seront arrachés à la naissance. Depuis, 1977, leurs grands-mères recherchent ces 500 bébés volés..." (4ème de couverture). Les desaparecidos, ces jeunes gens enlevés, probablement torturés et assassinés ne sont évidemment jamais revenus et leurs bébés ont été donnés à des familles proches du régime. Fin des années 1990, l'ADN permet de rechercher la trace des vrais parents. Mario sent qu'il est un enfant de desaparecidos, il veut faire le test. Son ami Santiago l'accompagne.

J'ai tout aimé dans cet ouvrage. D'abord, l'histoire est forte, basée sur des faits réels. L'Argentine n'est pas la seule à avoir pratiqué ce genre d'horreur, mais le mouvement des grands-mères fit grand bruit et je me souviens en avoir entendu parler il y a longtemps. Dire que cette BD vient à point pour compléter mes vagues connaissances du sujet est une réalité. J'ai bien aimé le scénario de Matz (dont j'avais bien aimé l'album, Le travailleur de la nuit) qui, à travers les jeunes gens qu'il décrit, permet de rendre compte de beaucoup de réactions possibles face à la découverte de leur filiation et de l'histoire de leurs familles, la biologique et l'adoptive. Cette histoire, certes romancée, avec une histoire d'amour en prime permet de tenter de comprendre l'histoire de cette période en Argentine et le combat des grands-mères et des petits-enfants parvenus à l'âge adulte.

Le dessin de Mayalen Goust est magnifique. J'ai aimé les couleurs pastel, la douceur des tons qui tranche avec la dureté de l'histoire. Ses ciels, ses fonds et ses arbres et leurs branchages sont superbes. Et comme les personnages et les paysages ne sont pas en reste, je peux dire sans exagérer que cet album est une vraie réussite.

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Tuez-les tous... mais pas ici

Publié le par Yv

Tuez-les tous... mais pas ici, Pierre Pouchairet, Sang neuf (Plon), 2018.....

Lorsque leur fille Julie disparaît, Louis et Martine Loubriac, divorcés, sont loin de penser qu'elle a pu partir en Syrie pour rejoindre son petit ami radicalisé. C'est Louis, ex-flic, ex-journaliste, guitariste et chanteur de blues dans le bar de sa compagne, qui va tenter de suivre la piste de Julie, aidé par un mystérieux commandant de la DGSI qui lui donne pas mal de renseignements tout en lui demandant de ne point trop en faire. Mais Louis et Martine sont prêts à tout pour revoir leur fille en vie.

Si jusqu'ici la collection Sang neuf de Plon ne m'avait pas totalement convaincu (sauf Justice soit-elle, de Marie Vindy), je dois dire que ce dernier polar m'a tenu en haleine voire éveillé jusqu'à ses ultimes lignes et que jamais je n'ai eu l'envie de le refermer, ce qu'il a pourtant bien fallu faire à contre-cœur, car je n'ai pas trouvé la possibilité de lire 460 pages d'une traite !

Entre Quimper et l'île Tudy où habitent les Loubriac  (et le lieu d'écriture du roman)  et la Turquie et la Syrie, Pierre Pouchairet nous fait voyager dans des conditions éprouvantes et angoissantes. Très documenté, ce polar est habilement construit, le lecteur en sait plus que les parents de Julie mais se pose beaucoup de questions sur les rôles de tous les protagonistes. Entre vengeance, manipulations des services de renseignements, pontes qui tirent des ficelles ensanglantées et qui ne craignent pas quelques morts en plus, secrets d'état et guerre contre le terrorisme, l'intrigue est touffue, dense à tel point que je me suis demandé comment le romancier allait pouvoir nous l'expliquer aisément. Pierre Pouchairet, ex-flic, qui a publié pas mal chez Jigal -dont La prophétie de Langley- s'en sort haut la main et tout est limpide malgré un nombre d'intervenants important, des connexions entre certains que je n'imaginais pas et des enjeux lourds et graves. 

Bluffé, je l'ai été tout au long du livre. Je me suis laissé embarquer dans la fiction construite par l'auteur et la partie "réelle", celle de l'extrémisme et des réseaux permettant à des jeunes radicalisés de partir en Syrie est passionnante. Tout est plus compliqué que les journaux papiers ou radio et télé veulent -et peuvent- nous l'expliquer -enfin, pour ceux qui les regardent ou les lisent-, même si évidemment, je mesure bien que Pierre Pouchairet construit une oeuvre de fiction et que toute ressemblance de ses personnages et situations avec des personnages ou situations existantes ne saurait être que fortuite. 

Ce roman noir sorti mi-janvier est excellent, passer à côté serait une erreur monumentale.

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Un océan d'amour

Publié le par Yv

Un océan d'amour, Lupano et Panaccione, Delcourt, 2014....

Un coin de Bretagne, un matin dès potron-minet, un petit homme se lève, prend son petit-déjeuner préparé par sa femme qui arbore la toilette traditionnelle du pays, se douche et rejoint son bateau de pêche, puis, avec son matelot part sur la mer. La suite est une ribambelle d'aventures pour lui et elle, incroyables et drôles.

Après tout le monde, je dégaine Un océan d'amour, qui fit grand bruit à sa sortie. Grand bruit, d'abord parce que cette bande dessinée est excellente et ensuite parce qu'elle est sans parole. Tout passe par le dessin de Grégory Panaccione absolument génial, n'ayons pas peur des mots. Ses personnages sont très expressifs et l'on comprend bien tous les sentiments et les sensations par lesquels ils passent. Le dessin est assez sobre, qui fait la part belle aux hommes et femmes. Le scénario de Wilfrid Lupano n'est pas en reste et si les situations tragi-comiques prêtent évidemment à rire, certaines cases parlent d'écologie, de pollution des océans, des pétroliers qui dégazent, ... C'est tendre, beau, profondément humain, aventureux, il y a plein de sardines en boîtes, une mouette gourmande, et des invités suprises.

Je ne vais pas en faire des caisses sur cet album, écrire trois pages sur un album muet, ce serait un comble, mais franchement, s'il y a encore, en France -et ailleurs- des gens qui ne l'ont pas lu, un bon conseil : qu'ils courent à la bibliothèque ou à la librairie et se jettent dessus. Coup de cœur assuré.

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