Psycho-investigateur, L'héritage de l'homme-siècle, Erwan Courbier, Benoît Dahan, Petit à petit, 2017
A peine remis de son aventure précédente, et sous la menace d'un procès retentissant, Simon Radius est contraint d'entrer dans les souvenirs d'un presque centenaire à la mémoire défaillante qui ne cesse de parler à son fils d'un trésor. Assisté par Maud, Simon entreprend le voyage au pays des souvenirs de l'homme-siècle, mais ce qu'il va découvrir le troublera durablement.
Le redoutable duo Erwan Courbier au scenario et Benoît Dahan au dessin récidive pour ce tome 4 de cette excellente série tortueuse, dans les arcanes du cerveau et de la mémoire. Très documentée, je ne saurais pas dire ce qui est inventé de ce qui se passe réellement dans nos cerveaux. Sans doute les auteurs ont-ils inséré de la réalité dans leur imaginaire ou vice-versa. Simon Radius voyage physiquement dans les souvenirs du vieil homme et ce n'est pas de tout repos pour lui. Il y a des pages somptueuses, comme l'intérieur du château du Perthuis, que l'on visite en même temps que Maud et le psychanalyste. Le jeu avec les cases de tailles différentes, les plus grandes recelant une foultitude de détails parfois anodins, mais parfois importants. C'est une bande dessinée originale, très inventive, entre fantastique et policier. Une BD bizarre qui ne plaira pas à tous, il faut avoir envie de découvrir, d'être curieux et ouvert. Si vous avez cela, aucun doute, elle vous siéra.
Simon Darius est psychanalyste, psycho-investigateur auto-proclamé. La capitaine Sandra Brody fait souvent appel à lui, au grand dam de son collègue, le lieutenant Padovani et de ses supérieurs qui considèrent Simon comme un charlatan. Il faut dire que sa méthode n'est pas banale : il entre dans les souvenirs conscients ou inconscients des gens pour cibler la vérité et les confondre ou les innocenter et les soigner. Mais ce que réussit Simon sur les autres, il ne parvient pas à le faire sur lui-même, accablé depuis deux ans par la disparition de Dora, sa femme.
Trois tomes dans cet album : Les fantômes de la culpabilité, Les voies étouffées, Les portes dérobées. Et bonne idée de les réunir, car il y a un fil rouge, celui de la disparition de Dora. Si les enquêtes ne sont pas originales dans le fond, la forme, qui prime l'est totalement. D'abord, la manière qu'a Simon d'entrer dans les cerveaux des gens est étonnante : il voyage physiquement dans leurs souvenirs. Puis, il lui faut assembler les pièces du puzzle ainsi récoltées. Les scénarios sont subtilement tortueux et les personnages finement décrits. C'est drôlement bien raconté. J'imagine la recherche documentaire sur la psychanalyse, les rêves, les troubles mentaux, ... fort bien restituée.
Et le plus de cet ouvrage, c'est indéniablement le dessin. Comment dire autrement que somptueux ? Benoît Dahan joue avec les couleurs, les cases, plus ou moins grandes et nombreuses par page pour différencier la réalité des souvenirs des patients et suspects. J'en suis encore tout retourné tant j'ai adoré. J'ai découvert Benoît Dahan avec Dans la tête de Sherlock Holmes, dont je parlerai ici plus tard, car il fait partie d'une sélection pour un Prix reporté pour cause de virus et qui m'avait bluffé lui aussi. Ce dessinateur invente, innove, il a une patte personnelle remarquable et identifiable.
Dernière précision : ce volume est en rupture de stock chez Physalis, il devrait être réédité chez Petit à petit à l'automne, excellente maison qui a fait paraître le tome 4 de Psycho-investigateur dont je parle très très bientôt. Et bonne nouvelle, sur le site de l'éditeur, on peut se tenir informé de la prochaine parution. Elle est pas belle la vie ?
Washington Black, Esi Edugyan, Folio 2020 (Liana Lévi, 2019, traduit par Michelle Herpe-Voslinsky)
George Washington Black naît esclave à La Barbade en 1818. Baptisé ainsi par son maître de l'époque habitué des facéties patronymiques. Le maître meurt et c'est un neveu cruel qui prend la suite. Le frère de celui-ci, Christopher Wilde dit Titch, scientifique, qui rêve de faire voler un ballon, prend Wash sous son aile pour l'assister dans ce projet. Wash révèle bientôt un talent de dessinateur hors paire que Titch veut mettre à profit. Un jour, Wash est accusé d'un meurtre qu'il n'a pas commis et Titch et lui s'évadent en ballon. C'est le début d'un incroyable périple.
Quel roman ! Imaginez un mix de Harriet Beecher-Stowe (La case de l'oncle Tom) et de Jules Verne. Presque 500 pages dans sa version poche que j'ai dévorées, tant l’aventure est au coin de toutes les pages. Un moment de repos pour Titch et Wash ? Un événement les fait repartir, plus loin, jusqu'au Pôle Nord. Ces péripéties rythment le roman et lui donnent un attrait évident. Il y a aussi les balbutiements de la science et les découvertes incroyables des héros.
Il y a surtout l'esclavage et les conditions de survie des esclaves qui sont terribles, cruelles : "Nous avons pris Broad Street et en levant les yeux je vis une rangée de cages en bois dur qui luisaient, argentées, au soleil. A l'intérieur, des esclaves, assis, debout, certains pressant leurs visages fatigués contre les barreaux. Le sol à leurs pieds était jonché de vieux habits et de leurs propres déjections, et en passant lentement la puanteur choquante parvenait jusqu'à nous. Monsieur Philip ne posa pas de question sur eux. Mais je savais qu'il s'agissait de fugitifs." (p. 96/97)
Esi Edugyan décrit l'horrible et même plus-qu'horrible, l'inhumaine condition des esclaves, violés, agressés sans cesse, chaque jour, chaque heure, sans droit, à peine celui de vivre à condition de travailler, moins bien traités que les objets par leurs maîtres. Ce qui fait la grande force et la réussite de son roman, ce sont ses personnages, parfois caricaturaux parce que engoncés dans des principes dont ils ne peuvent se défaire : un riche blanc ne peut pas avoir de sympathie pour un esclave noir sous peine de se mettre sa famille à dos et de renoncer à l'argent et tout ce qui va avec ; un noir ne peut accéder à la liberté et s'il entre dans une relation privilégiée avec un blanc n'est plus considéré par les autres esclaves comme des leurs... Chacun d'eux blanc comme noir est à la recherche d'un idéal, d'une identité, de ses origines. C'est, pour Wash, un exceptionnel roman initiatique et pour moi, un roman formidable qui m'a fait revenir des années en arrière lorsque je lisais avidement les romans cités plus haut comme "référence" pour celui-ci.
Publié chez Liana Lévi en 2019, il paraît chez Folio et je ne saurai que vous le conseiller, mais préparez-vous à ne pas pouvoir arrêter de tourner les pages...
L'histoire d'Ana, Cathy Borie, Librinova, 2020.....
Fin des années 90, Clotilde est étudiante en psycho. Timide et discrète, au contraire de sa copine Sophie, elle accepte néanmoins la proposition de sortie de Louis, séduisant et convaincant. La seconde sortie du couple se finit mal, Louis force Clotilde, la viole. Prostrée chez elle, incapable de réagir, Clotilde, enceinte, laisse passer le délai pour avorter. Elle accouche sous X d'une petite fille qu'elle prénomme Ana.
Ana, dès sa naissance se lie difficilement. Elle vit bien dans les foyers, mais ne parvient pas à nouer de relations dans une famille. Elle grandit de lieux d'accueil en lieux d'accueil, puis fuit et se retrouve à la rue.
Très beau texte qui dresse les portraits de deux femmes aux parcours difficiles. Clotilde d'abord qui se questionne sur ses responsabilités éventuelles dans son viol, puisqu'elle avait accepté la sortie avec Louis et qu'elle avait même éprouvé du désir pour lui avant de lui demander de ne pas aller plus loin. Clotilde qui voit sa vie chamboulée, en grande partie détruite et qui remontera la pente difficilement et jamais totalement s'empêchant des rencontres amoureuses. Puis Ana, jeune femme qui a du mal à nouer des relations sans en connaître les raisons. Ces deux femmes sont touchantes, émouvantes et beaucoup plus fortes qu'elles ne le pensent. Et je reste volontairement succinct pour ne point trop dévoiler du contenu du roman.
Cathy Borie les décrit superbement et sobrement. Tout est dit sans emphase, dans une écriture fine et délicate qui sait aller en profondeur. Les doutes et questionnements de Clotilde et Ana, on les ressent et on comprend mieux combien et comment un viol peut détruire psychiquement -certes, ce n'est pas une découverte, mais Cathy Borie a le talent de mettre tout cela en mots, de manière claire.
En outre, là où beaucoup de romanciers aiment mettre en accusation les services sociaux et les foyers ou familles d'accueil, Cathy Borie ne juge pas, ne catalogue pas. Elle fait le constat que malgré l'implication, le travail sérieux des uns et des autres, certains enfants ne s'y retrouvent pas et recherchent autre chose. Ça me touche puisque c'est mon quotidien et que sans nier les difficultés et les dysfonctionnements parfois terribles des institutions, j'aime bien qu'on montre aussi ce qui fonctionne bien. Clotilde et Ana rencontreront des gens biens et des jean-foutre comme il en existe dans tous les domaines.
L'histoire d'Ana est un roman dense qui remue. Son histoire n'est pas nouvelle, mais l'auteure y apporte de l'humanité, de la compassion, de l'émotion et du réel. On peut croire qu'on a rencontré Clotilde et Ana, tant on est proche d'elles et tant on voudrait les aider. Publié chez Librinova et disponible en numérique, je suis assez surpris qu'un éditeur ne soit pas intéressé.
Vie de Gérard Fulmard, Jean Echenoz, Minuit, 2020.....
La chute d'un "gros fragment de satellite soviétique obsolète" sur un centre commercial d'Auteuil va chambouler la vie de Gérard Fulmard "né le 13 mai 1974 à Gisors (Eure)", et donc, par le fait, sans doute le plus jeune Gérard de France. "Taille : 1,68m. Poids : 89kg. Couleur des yeux : marron".
Cette chute tombe mal si je puis m'exprimer ainsi car elle supplante en partie l'enlèvement de Nicole Tourneur, la femme du président du FPI (Fédération Populaire Indépendante), petit parti politique qui vivote entre la droite, la gauche et le centre, c'est dire s'il ne sait où se placer.
C'est à la liseuse que j'ai savouré ce roman de Jean Echenoz, un moyen que je n'aime pas beaucoup, rien ne vaut le papier, mais il faut avouer que c'est pratique et moins cher. Je disais donc que j'ai savouré. De bout en bout. J'aime tout chez cet écrivain. Ses histoires et ses personnages et son style, son ton. Son histoire part un peu dans tous les sens et l'on se demande comment Gérard Fulmard pourra être mêlé à la disparition de Nicole Tourneur, mais tout fonctionne. Il faut dire qu'avec pas mal de fantaisie, d'espièglerie, Jean Echenoz nous fait croire à tout ce qu'il écrit. Et ses personnages, Gérard Fulmard en tête ; qui peut résister à ce portrait : "... je ressemble à n'importe qui en moins bien. Taille au-dessous de la moyenne et poids au-dessus, physionomie sans grâce, études bornées à un brevet, vie sociale et revenus proches de rien, famille réduite à plus personne, je dispose de fort peu d'atouts, peu d'avantages ni de moyens." (p. 17)
Mais ce qui me plaît le plus c'est l'écriture de Jean Echenoz. Ça se joue à rien, un mot inversé dans la phrase, une figure de style qui change tout, un mot rare, juste comme ça, sans affèterie, juste pour le style, qui peut être suivi d'un terme familier voire argotique, un ton entre l'ironie, la drôlerie, le décalé. Ses nombreuses parenthèses, "c'est toujours le même problème avec les parenthèses : quand on les ferme, qu'on le veuille ou non, on se retrouve dans la phrase...", n'alourdissent pas le texte, elles l'enjolivent. Quand je dis que le style Echenoz est simple, évidemment n'entendez point que n'importe qui le pourrait imiter, la simplicité demande souvent beaucoup de travail et du talent.
Excellent, je me demande même si je ne vais pas aller me procurer la version papier.
La Fabrique de la terreur, Frédéric Paulin, Agullo, 2020.....
2010, Tunisie, un jeune homme, Mohamed Bouazizi, s'immole devant le bâtiment du gouvernorat. C'est le début d'une révolte qui fera tomber Ben Ali et qui se répand dans le monde arabe. C'est aussi l'année où des jeunes hommes vivant en France se radicalisent.
Tedj Benlazar, lui, l'ancien agent de la DGSE, aujourd'hui à la retraite vit avec Laureline Fell, commandante à la DCRI qui lutte contre le terrorisme. Vanessa, la fille de Tedj est journaliste et elle enquête sur ces jeunes qui partent en Syrie ou en Lybie rejoindre l’État Islamique, au risque de sa vie.
Dernier tome de la trilogie consacrée aux Benlazar, après La guerre est une ruse et Prémices de la chute. Cette fois-ci, ce sont les années proches de nous, de 2010 à 2015 qui sont au cœur du roman, et la naissance de Daesch. Comme dans les premiers livres, Frédéric Paulin est ultra documenté, précis, minutieux et pointilleux. Il explique comment les pays occidentaux et notamment la France n'ont pas su agir contre un nouvel ennemi qui sait profiter des situations difficiles voire les faire naître. Les divers changements dans les services de renseignements effectués par NIcolas Sarkozy n'ont pas aidé non plus à la continuité du travail et arrive alors l'affaire Merah et le cafouillage -pour ne pas dire l'impuissance- des services sus-nommés.
Comme dans les deux romans précédents, Frédéric Paulin plonge judicieusement ses personnages fictifs -mais oh combien réalistes- dans la réalité et ce procédé rajoute de la tension puisqu'on s'est attaché à Tedj, Vanessa, Laureline et les autres et l'on ne veut pas les voir aller mal. Et pourtant...
C'est un roman dont on ne parvient pas à passer ne serait-ce qu'un mot tant il est précis, instructif et haletant. Il fait peur également, détaillant la montée de l'islamisme radical et le manque de réactivité par méconnaissance des services de renseignements et de police et les divers attentats ou actions des illuminés partout dans le monde. Il détaille aussi l'embrigadement, le lavage de cerveaux, l'aveuglement des jeunes recrutés. Leur peur parfois notamment lorsqu'ils sont confrontés aux pires exactions, aux meurtres, aux lapidations et à ce qu'il faut bien nommer la guerre. Frédéric Paulin est direct, jamais trash -on lui en sait gré- d'ailleurs cela ne servirait à rien, sûrement pas à durcir son propos cela n'est pas nécessaire. Sans doute la proximité avec les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan nous fait vivre ce roman d'une manière plus forte. Je me sens proche de Réif, le compagnon de Vanessa, en ce début 2015, après l'attentat à Charlie Hebdo : "Réif n'ira pas défiler. Il ne croit pas que "l'union nationale" durera. C'est loin d'être comparable, mais il se souvient de ce qu'est devenue la France black-blanc-beur d'après la Coupe du Monde 1998. Il y a eu Le Pen au deuxième tour de la présidentielle de 2002, il y a eu la révolte des banlieues en 2005, il y a eu les scores du Front National, Sarkozy et son ministère de l'Identité nationale, il y a eu Mohamed Merah, et ce relent de xénophobie assumé par les électeurs, il y a eu aussi les Akim et Mickaël dans son lycée, il y a eu enfin les attentats du 7 janvier." (p. 257)
Et il y a eu Marine Le Pen en 2017 et encore maintenant et ses électeurs convaincus de leur vote et ce gouvernement qui s'ingénie à monter les Français les uns contre les autres, qui nous prépare un pire pour les prochaines élections, entre autres...
Un livre que je classe dans mes coups de cœur, en fait c'est la trilogie qui y est. Marquante, magistrale, indispensable et couronnée de prix.
RIP. Maurice. Les mouches suivent toujours les charognes, Gaet's, Monier, Petit à petit, 2019.....
Deuxième tome de la série qui s'intéresse cette fois-ci à Maurice, le vieux de la bande des nettoyeurs des maisons des morts. Maurice ne s'est pas toujours appelé Maurice. Avant, c'était Marcello Camperetti, et il était craint. Pas comme maintenant où personne ne le respecte où on le surnomme le Vieux et où, ouvertement, on se fout de sa gueule.
Toujours aussi bonne cette bande dessinée. Tout ce que j'ai dit pour le premier tome Derrick est vrai là encore. Le scénario est adroitement construit qui imbrique les histoires individuelle de chaque homme avec leur histoire commune, celle des nettoyeurs des maisons des morts. Bien qu'on en connaisse des bouts lorsqu'on a lu le tome précédent, le suspense et la tension sont bien présents et l'envie de savoir comme Marcello s'est retrouvé en Maurice.
Le dessin et les couleurs sont toujours formidables, cela pourrait faire penser parfois à des comics, le format s'y prête aussi. Mais là, point de super héros, ni d'humour, ces hommes sont blasés, détruits et continuent à vivre quotidiennement des horreurs, pas toutes dessinées, je rassure les plus sensibles. On plonge dans la noirceur des hommes, dans ce qu'ils ont de plus profondément enfoui et qu'il n'est pas toujours bon de remonter.
Franchement, c'est une BD qui m'a scotché, dont je sais déjà que j'irai au bout des 6 épisodes -pour l'instant- prévus. Une dernière idée cadeau...
RIP. Derrick, je ne survivrai pas à la mort (tome 1), Gaet's, Monier, Petit à petit, 2018.....
Derrick fait partie d'une équipe chargée de nettoyer les logements des personnes mortes sans héritiers. Ils ne s'occupent pas des cadavres, juste des biens matériels qui seront ensuite vendus aux enchères. Parfois, la tentation de se servir est grande, mais chacun est fouillé après le travail. Derrick est un solitaire, marié pourtant, mais on se demande pourquoi tant ces deux-là ne s'aiment pas. Dans son job, Derrick enchaîne les journées morbides, ce qui joue sur son moral déjà bas, très bas. Il en est un peu de même pour tous ses collègues.
Quelle bande dessinée originale et passionnante. Originale dans le scénario de Gaet's : le job de Derrick et ses collègues, la façon de le raconter et, en plus, RIP est une série qui s'intéressera à chaque tome à un des collègues de Derrick. On connaît une partie de leur vie dans ce premier tome, les auteurs la complèteront sûrement dans les suivants en la reprenant d'un autre angle. Ça me plaît déjà, rien qu'à le raconter.
Originale aussi dans les dessins de Julien Monier. Dans un format assez classique, il dessine des gueules, des types au bout de rouleau dont on se demande comment ils en sont arrivés à faire ce travail. Tout est vraiment très bon, les couleurs, les dialogues, le découpage des pages et les citations entre chaque chapitre. Une série qui démarre fort et qu'il faudra préserver des mains innocentes, car certaines situations sont dures.
La tension est palpable, les hommes sont prêts à se battre pour peu de raisons. C'est du noir, très très noir.
La suite, le tome 2, consacré à Maurice, j'en parle très bientôt.
Nuits grises, Patrick S. Vast, Le chat moiré, 2019.....
Suzy, depuis qu'elle a été licenciée, enchaîne les petits boulots. Elle cumule plusieurs employeurs et fait des ménages, mais elle peine à payer son loyer. Le jeune couple qui loge au-dessus d'elle est dans la même situation : Pauline est au chômage et Kevin en intérim, cinq mois de loyer en retard. Le fils de la propriétaire, cinquantenaire oisif qui vit des rentes familiales, ne se lasse pas de faire des propositions libidineuses aux deux jeunes femmes en échange d'un effacement promis de leurs dettes. Suzy ne cède pas. Pauline ne résiste pas au harcèlement, mais Kevin la surprend avec le propriétaire. Lorsque celui-ci disparaît, la police est amenée à enquêter.
Excellente, j'allais dire surprise, mais ce n'est n'en est pas une puisque Le chat moiré a déjà publié trois autres titres de Patrick S. Vast, tous très bons (Potions amères, Passé double, Duo fatal) et qu'avant cela j'avais aussi lu Boulogne stress. Donc dire d'un livre de Patrick S. Vast qu'il est une surprise c'est n'importe quoi, puisqu'on sait qu'ils sont très bien. Cette -à peine- digression passée, la surprise vient peut-être du fait que ce Nuits grises est peut-être un poil au-dessus des autres cités. Tout m'y a plu au point de ne point parvenir à le lâcher. Il débute doucement, sauf pour Suzy et le jeune couple qui se débattent dans des situations très difficiles. Suzy cumule les emplois pour tenter de subvenir à ses besoins, se fait exploiter. Ses boulots sont harassants et ne payent qu'a peine ses frais. Elle parvient tout juste à écarter le harcèlement de son propriétaire et on sent bien que le pire est à venir. Et il arrive.
L'auteur décrit très bien la crise qui pousse au désespoir et le désespoir qui génère des idées noires, très noires, rarement les plus sensées, mais comment pourraient-elles l'être ? La spirale de la descente aux enfers est tellement forte, que rien ni personne ne semble pouvoir y résister ni même la stopper. C'est avec ceux que l'on nomme désormais les travailleurs pauvres que le romancier bâtit son histoire. Rarement héros, il sait les mettre en avant, ce qui donne un roman policier humain, dans lequel comptent avant tout et malgré la misère, les rapports humains, l'entraide, la débrouille et l'humanité -j'insiste- de certains qui ne jugent pas selon le porte-monnaie ou le statut social.
Pour la partie polar, on connaît le coupable en temps réel, on suit donc l'enquête policière avec d'une part un flic un peu borné, Chombert, et d'autre part un flic qui sait aller au-delà des apparences et des évidences, le capitaine Lourdieu. Le suspense est bien là, on a tant envie de savoir qui va s'en sortir et qui va plonger.
Je vous avais prévenu, un roman policier de Patrick S. Vast, c'est forcément très bien. En plus, la couverture jaune orangée sur mon blog noir, ça claque, n'est-il pas ?