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coup de coeur

11 ans

Publié le par Yv

11 ans, Jean-Baptiste Aubert, Christophe Lucquin, 2016.....

Kevin, 11 ans pense au suicide. Mal dans sa peau. Père violent et souvent alcoolisé. Mère froide et distante. Seule sa petite sœur, Inès retient le garçon. Kevin n'aime pas son prénom ni l'école dans laquelle il ne trouve pas sa place. Alors, pour combler ses manques, il écrit dans des cahiers. Ses questions, ses doutes, ses peurs, ses envies... 

Très beau texte, qui malgré son thème pas gai ne sombre jamais dans le larmoyant et le noir. Kevin est un enfant fin, intelligent qui se pose beaucoup de questions et qui énonce simplement, sans tergiversations, ses expériences, les événements qu'il vit. Pas de violence directe, elle est présente, mais pas décrite de manière malsaine, juste pour faire du trash. Non, Kevin est malheureux et l'on n'a pas besoin de scènes de violence pour le comprendre. Il ne veut de mal à personne, d'ailleurs il l'écrit : "Si je m'en vais, ce n'est pas pour vous faire du mal, c'est pour moi-même ne plus avoir mal." (p.74)

L'écriture de Jean-Baptiste Aubert est fine, sensible et délicate, de celles qu'on aime à lire, qui disent beaucoup simplement, sans artifice. Elle va au plus profond des êtres et de leurs questionnements. Kevin existe, il est réel, on l'a déjà rencontré, craint parfois parce que sa situation n'est pas de celles que l'on rencontre tous les jours, plaint souvent voire même aidé. Mais Kevin est aussi un enfant, insouciant, qui fait preuve d'humour et de détachement, heureusement pour lui serait-on tenté de dire. 

Le texte est tout simplement beau et touchant. Kevin est un jeune garçon attachant, un peu comme le Courgette de Gilles Paris. Tous deux auraient pu se rencontrer au foyer -puisque Kevin y fera un séjour- et auraient sûrement sympathisé. Il me touche particulièrement de par ma profession auprès d'enfants en difficulté mais aussi tout simplement parce qu'il touchera n'importe quel lecteur sensible qui aime les beaux personnages. Et le fait que l'histoire soit racontée par son point de vue, soit celui d'un enfant de 11 ans n'est absolument pas un point négatif -et pourtant, je ne suis pas fan du genre-, au contraire, j'ai vraiment ressenti que Kevin me parlait à moi, comme s'il était en face de moi.

Un roman fort que je vous conseille. Un coup de cœur pour moi, lu en quelques heures, sans le lâcher.

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Bilan 2016 : coups de cœur

Publié le par Yv

Bilan 2016 (photo piquée chez lesmeconnus.net, merci).

Et voici l'heure pour moi de vous dévoiler ici mon bilan bloguesque de l'année 2016.

Pas mal de livres lus, beaucoup diront certains, trop renchériront d'autres (167 articles concernant des livres)... De très jolies découvertes, quelques déceptions et une très belle rentrée littéraire de septembre. Un blog qui tourne toujours tranquillement, même s'il y eut quelques pics ça et là, mais comme je l'écrivais il y a quelques semaines sur le très bon article de Sandrine intitulé De la diversité des blogs littéraires, je trouve qu'il "me ressemble plutôt pas mal, un peu à la marge mais point trop, juste ce qu'il faut de décalage pour rester fréquentable." Dans ce bilan, il sera uniquement question des mes coups de cœur -un autre bilan pour les livres qui ont raté d'un cheveu ce titre suivra-, ces livres qui m'ont touché, marqué et que vous devez absolument lire, c'est une évidence. Remontons les mois de l'année et commençons par le meilleur -qui est celui de ma naissance-, janvier, puis après février et mars et...

- Un devin m'a dit, de Tiziano Terzani, chez Intervalles

- Promesse, de Jussi Adler-Olsen, chez Albin Michel

- L'ombre animale, de Makenzy Orcel, chez Zulma

- Akhânguetnö et sa bande, de Samuel Sutra, chez Flamant noir

- Les âmes et les enfants d'abord, d'Isabelle Desesquelles, chez Belfond

- Popa singer, de René Depestre, chez Zulma

- Jazz Band. Eros héros sept, de Grégoire Lacroix, chez Flamant noir

- L'aimant, de Richard Gaitet, chez Intervalles

- L'odeur du café, de Dany Laferrière, chez Zulma

- Envoyée spéciale, de Jean Echenoz, chez Minuit

- Notre-Dame de Paris (manuscrit), de Victor Hugo, chez les Saints pères

- Le charme des après-midis sans fin, de Dany Laferrière, chez Zulma

- Les deux coups de minuit, de Samuel Sutra, chez Flamant noir

- Le garçon, de Marcus Malte, chez Zulma

- Quand nous étions des ombres, de Mikaël Hirsch, chez Intervalles

- La Destinée, la Mort et moi, comment j'ai conjuré le sort, de S.G Browne, chez Agullo

- Les contes défaits, de Oscar Lalo, chez Belfond

- Edmond, d'Alexis Michalik, chez Albin Michel

- L'insolite évasion de Sebastian Wimer, de Stéphane Héaume, chez Serge Safran

- Monet, money, de Henri Bonetti, chez Cohen&Cohen

- Pas trop saignant, de Guillaume Siaudeau, chez Alma

- La mort nomade, de Ian Manook, chez Albin Michel

- Rien que des soupçons, de Michel Dresch, chez Cohen&Cohen

- Du vent, de Xavier Hanotte, chez Belfond

Vingt-quatre coups de cœur, soit deux par mois, je peux dire que c'est une belle année de lectures. Onze éditeurs représentés avec la palme pour Zulma (5) les quatre suivants ayant 3 livres nommés : Intervalles, Albin Michel, Flamant noir et Belfond, puis Cohen&Cohen (2) et enfin Minuit, les Saints-pères, Agullo, Safran et Alma à un représentant. Pas forcément hyper éclectique -d'autres ouvrages d'autres éditeurs sont chroniqués sur le blog-, mais quels beaux éditeurs et quel beau travail ils font (une mention toute particulière pour les éditions Agullo nées cette année)

Deux auteurs ont chacun deux livres, mais ils trichent, il y a de la réédition dans l'air : Dany Laferrière et Samuel Sutra.

Les cadeaux de Noël, c'est passé, mais offrir des livres, ça se fait toute l'année, alors profitez de cette liste et allez voir votre libraire préféré(e)

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Du vent

Publié le par Yv

Du vent, Xavier Hanotte, Belfond, 2016 …..

Jérôme, correcteur dans une maison d’édition juridique grise et terne est aussi écrivain. Un écrivain exigeant et reconnu par sa belle maîtrise de la langue et de l’écriture, ses sujets pas faciles, son amour des détails et sa minutie. De fait il ne publie pas beaucoup.

Jérémie est son ami, lui aussi écrivain. Tout le contraire : une sorte d’Alexandre Dumas, toujours à fuir les créanciers, à écrire deux ou trois romans en même temps pour tenter de rembourser ses dettes. Lorsqu’il demande à son ami de le couvrir auprès d’un éditeur, Jérôme se sent alors obligé de se lancer dans l’écriture d’un roman commandé sur les mésaventures d’une jeune lieutenant de l’armée, mais dans le même temps, il n’abandonne pas son idée d’un roman sur Lépide, l’un du triumvirat formé avec Octave et Antoine, du temps de l’empire romain.

Xavier Hanotte est généreux, il écrit, non pas un, ni même deux, mais trois romans en un. Le premier, celui qui ouvre Du vent, est celui du lieutenant Bénédicte Gardier qui arrive dans sa nouvelle affectation et qui, avant de prendre ses fonctions descend dans un hôtel dans lequel elle est immobilisée et ficelée pendant que son agresseur, Sophie Opalka prend sa place.

Le deuxième est celui de Lépide qui contre la volonté d’Octave entre en Sicile et avance en gagnant ses batailles. Il sait qu’Octave lui en voudra, d’autant plus que Lépide a la fâcheuse tendance à ne pas exécuter ses adversaires.

Enfin, le troisième roman est celui de Jérôme et Jérémie.

Ces trois histoires forment un roman profond et léger, d’un humour à la Devos, absurde et érudit, intelligent quoi. A l’instar de son personnage Xavier Hanotte est minutieux et si le diable n’est pas forcément dans ses détails, l’humour lui, y est,  d’abord parce qu’il s’amuse à nous raconter comment il a récolté tel ou tel particularité de telle ou telle corde, son immersion au sein d’un magasin de bricolage est une scène joyeuse, et ensuite parce qu’une fois qu’il a les informations, on les attend dans le récit, et lorsqu’on les lit, c’est la récompense ultime. Ce qui, pour certains, pourrait paraître comme des digressions oiseuses, des divagations ou des danseuses d’auteur intellectuel est ce qui m’a fait le plus d’effet, j’ai ri, souri (un peu moins sur le roman sur Lépide, moins drôle et un peu plus long). Mais franchement, avez-vous lu des lignes plus belles et plus drôle bien qu’inutiles au déroulement de l’histoire que celles-ci :

"Le soir tombait avec nonchalance. Dans les coulisses du firmament, le soleil invisible pliait bagage à l’anglaise, trop honteux de sa prestation du jour pour conférer à son coucher une quelconque solennité. Profitant de sa dérobade, le ciel et la terre essayaient des cocktails variés de gris qui, avec la lenteur propre aux crépuscules, teintaient indifféremment les campagnes rases, les bois dévêtus et les bourgs engourdis."(p.325) ?

Xavier Hanotte aborde pas mal de thèmes dans son roman, mais l’essentiel est celui de l’écriture, du travail de l’écrivain et surtout la littérature. Comment naît-elle ? Commente et qui décide de ce qui est littérature ou pas ? L’éternelle question sur la bonne ou la mauvaise littérature : les livres de Jérémie sont-ils moins nobles que ceux de Jérôme ? Il est un fait que certains sont plus exigeants à lire et à écrire car écrits dans un langage plus soutenu et demandant une documentation importante. Du vent est un pur plaisir à lire, on croise les histoires sans se perdre, mais au contraire avec l'envie de retrouver chaque héros. Malgré un fond sérieux et cartésien, au départ au moins, le livre part et se déconnecte de la réalité, l’auteur n’hésite pas à recourir à des explications ou des personnages étonnants et barrés. 

Décidément, j'aime celle collection chez Belfond grâce à laquelle je découvre un auteur belge qui écrit depuis une vingtaine d'années. Franchement -si je suis les conseils de l'éditeur, je devrais arrêter adverbes et adjectifs... j'essaie- n'hésitez pas à lire Du vent, je me suis régalé de bout en bout. Lu et approuvé.

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Rien que des soupçons

Publié le par Yv

Rien que des soupçons, Michel Dresch, Cohen&Cohen, 2016…..

André Triton, agent de la DGSE, fasciné par l’Amérique et surnommé soit l’Américain soit Trighton -Triton à l'américaine- trouve un jour sur son bureau, en provenance de son responsable, un carton contenant des enregistrements audio et vidéos concernant Gunther Perrin, un historien et sa filleule Aurélie Perrin, elle-même historienne soupçonnés de mettre en place un réseau dormant de terroristes. Mais Aurélie est aussi en pleine écriture de sa thèse sur Mitterrand et ses relations avec les Etats-Unis. Difficile de trouver des documents dans ce sens. Trighton décide de s’intéresser de près aux travaux d’Aurélie.

Roman d’espionnage et d’histoire contemporaine absolument réjouissant. Extrêmement documenté même si je ne saurais pas dire ce qui est de la vérité ou de la fiction, il se lit sans s’arrêter, avec avidité. Michel Dresch pose des questions qui mettent le doute en nous : certes, Mitterrand a fait entrer des communistes au gouvernement au grand dam des Etats-Unis de Reagan et de l’Angleterre de Thatcher, mais il est troublant de se remettre en mémoire qu’il n’a jamais contesté une décision étasunienne, engageant même la France dans la guerre du Golfe. La thèse défendue par Aurélie est osée mais elle se tient. Elle nous replonge dans la France des années 80/90, de l’histoire contemporaine donc, ce qui, pour les lecteurs de ma génération est un vrai plaisir, né au mitan des années 60, sous de Gaulle, mon premier vote à une élection présidentielle fut pour Mitterrand, ça marque. Mais évidemment, ce roman n’est pas fait uniquement pour nous les - très récents- quinquagénaires, les plus jeunes et les plus anciens peuvent aussi s’y sentir très bien.

Michel Dresch est habile, il nous balade dans Paris et alentours et dans les services de police et d’espionnage, une dose d’espionnage ici, une de meurtre là et le tour est joué, le lecteur est ferré définitivement. Son récit est vif, construit en chapitres assez courts qui alternent les points de vue, accessible, la langue est fluide non exempte d’un certain humour :

"Emma, qui estimait que son mari était un des meilleurs experts de la place en matière de politique étrangère, l’avait interrogé sur les révolutions arabes. Trighton lui avait confié un scepticisme de bon aloi puis il était allé grignoter et siroter un verre de lait dans la cuisine. Manger du pop-corn et boire du lait avant de se mettre au lit, c’était une habitude américaine, une habitude de l’Amérique profonde." (p.29)

Le romancier sait aussi accélérer son histoire pour lui redonner de l’énergie, ménager ses effets et ne pas hésiter sur les rebondissements ; tout pour plaire et passer un excellent moment.

Cohen& Cohen ne fait pas que la série Art Noir –dans laquelle l’auteur à publié Le plasticien- Rien que des soupçons, cet excellent roman à ne pas rater fait partie de la collection Bande à part.

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La mort nomade

Publié le par Yv

La mort nomade, Ian Manook, Albin Michel, 2016.....

Yeruldelgger n'est plus flic. Viré parce que trop dérangeant et violent. Il s'est isolé dans la steppe, dans sa yourte pour tenter de retrouver les valeurs traditionnelles, canaliser sa violence et participer à un naadam en tant qu'archer. Bientôt, Tsetseg, une femme de son âge s'approche de sa yourte et lui demande de retrouver sa fille disparue. Puis c'est au tour d'Odval, une jeune femme dont l'amant français est mort et sa yourte brûlée, de venir chez Yeruldelgger pour demander de l'aide. Le lendemain, c'est Ganbold, un gamin des steppes qui se présente chez l'ex-flic pour lui montrer un charnier. Et Yeruldelgger qui voulait de la tranquillité pour méditer se retrouve à la tête d'une troupe étonnante.

Du changement dans la continuité pour Yeruldelgger. De la continuité, parce qu'il est toujours question dans cet excellent polar de la société mongole écartelée entre la tradition représentée par les nomades et la plus grande modernité sous les traits des hommes et femmes qui ont "réussi". Les nomades résistent, difficilement certes, puisque les steppes diminuent, fouillées, creusées, remblayées, défigurées par les exploitants miniers étrangers. Certains urbains reviennent même au mode de vie de leurs ancêtres, ceux que Ian Manook appelle les bonos (bourgeois nomades), Yeruldegger en tête et Tsetseg. Mais les nomades ont quasiment disparu, étouffés par l'ancien régime qui ne voulait plus des traditions ancestrales. Du changement parce que Yeruldelgger n'enquête pas, les affaires arrivent à lui et il se contente de les attirer et de faire le lien entre elles, involontairement : c'est lui qui permettra de relier entre eux tous les morts de la steppe et les disparitions de jeunes femmes. Il n'est plus flic, n'en a plus envie même s'il a gardé d'anciens automatismes, mais il lutte durement avec lui-même pour ne plus céder à la violence. 

Ce sont donc d'autres flics qui vont se charger d'enquêter un peu partout dans le monde tant les intérêts financiers sont désormais internationaux ; en Australie, aux États-Unis, au Canada et en France où l'on retrouvera avec plaisir Zarzavadjian dit Zarza, le flic-barbouze ami de Yeruldelgger. Le roman est toujours dur comme l'est la société mongole décrite par Ian Manook, la violence y est omniprésente, la corruption, toutes les magouilles possibles et imaginiables -voire même des inimaginables-, l'extrême pauvreté côtoie la plus indigne richesse ; mais cette fois-ci, ce n'est pas Yeruldelgger qui est à l'origine du déferlement de fureur. Ian Manook apporte beaucoup d'humour grâce aux enquêteurs extérieurs -parce que Yeruldelgger il faut bien l'avouer n'est pas franchement un comique. Le duo le plus drôle est le new-yorkais, Pfiffelman et Donelli qui s'affrontent à coup d'informations diverses et variées sur l'origine de la ciboulette, la vraie recette du cheesecake, ... Les autres ne sont pas mal non plus, l'humour est parfois direct, d'autres fois à lire entre les lignes, l'ironie est bien là, présente dans le name-dropping (le "lâcher de noms") de marques, importantes pour ceux qui veulent paraître. 

J'ai eu peur de ne pas aimer ce dernier opus puisque son héros récurrent -qui m'a fait grand effet depuis le début- est en second plan, or, j'ai adoré, je vais même tenter de rester sobre pour ne pas sombrer dans un dithyrambe qui ne le servirait pas, mais sachez quand même qu'une fois ouvert, ce roman est impossible à lâcher, vous l'emporterez partout avec vous. Sans rien vouloir dévoiler, je peux dire que c'est sans doute mon tome préféré des trois déjà parus (mais, je dis cela sous toute réserve, car si je relisais les deux premiers, peut-être je réviserais mon jugement). Je le trouve beaucoup plus fort, il va encore plus loin dans le constat de la société mongole qui part à vau-l'eau sans que personne ne réagisse sauf pour piller ses richesses. Je ne sais pas ce qui est de la réalité et de la fiction, mais traduit en mongol, je ne suis pas sûr que ce livre plaise aux dirigeants du pays... Je ne sais pas si Yeruldelgger reviendra pour une autre aventure -ou alors totalement changé, soit une sorte d'enquêteur-nomade, soit encore plus énervé qu'avant-, je ne parierais pas sur son retour ; j'en serais désolé, mais dans le même temps, il se dégage de ce troisième tome une telle atmosphère, un tel sentiment de boucle bouclée, une telle force, que finir dessus me paraîtrait presque naturel.

Cette troisième aventure de Yeruldelgger pourra dérouter pas mal de lecteurs, tant je la trouve différente des autres, et c'est exactement cela qui me plaît : ne pas réécrire sans cesse le même roman, changer tout en gardant l'essentiel. 

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Pas trop saignant

Publié le par Yv

Pas trop saignant, Guillaume Siaudeau, Alma, 2016.....

Joe travaille aux abattoirs. Il doit aussi régulièrement se rendre à l'hôpital pour une perfusion qui lui permet de reculer les effets de sa maladie. Un matin, il décide de ne pas aller travailler. Il fauche une bétaillère avec six vaches, bien décidé à les sauver de la mort et à les emmener à la montagne. En chemin, il s'arrête prendre son seul ami, Sam, un jeune garçon placé chez un couple plus habile aux coups qu'aux câlins. Très vite l'alerte est donnée et les flics du coin se mettent à la recherche du camion et de ses occupants.

Court et beau roman. Beau autant dans l'histoire que dans la manière de la raconter. Guillaume Siaudeau use souvent d'images, fait appel à notre imagination :

"La perfusion est composée de plusieurs couches distinctes de liquide, chacune de couleur différente. Elle ressemble à un arc-en-ciel qu'on aurait mis à plat, et c'est au tour du liquide jaune de faire son job. Chaque couleur est censée soigner un symptôme spécifique, et le jaune a pour vertu de redonner un peu de moral aux troupes. Il faudra attendre la verte pour que le nœud dans l'estomac soit complètement défait, et la rose pour que les pulsions suicidaires s'éteignent complètement. Il restera enfin aux couleurs orange, bleue et mauve à s'occuper des dernières instabilités physiques et psychiques, jusqu'à la dernière goutte." (p.20)

Ces images, nombreuses, donnent une poésie certaine à ce roman, de la mélancolie et un soupçon d'irréalité dans une situation pourtant bien réelle. Tout au long du livre, on y croit, mais reste en nous la sensation que Joe peut vivre un rêve...

Construit en petits chapitres, plein de belles phrases que je ne peux citer ici, il serait fort dommage de les sortir du contexte du chapitre entier, on en perdrait le sel et la poésie, cet ouvrage est un délice, une douceur à déguster ; ça ne prendra pas trop de temps, puisqu'il ne fait que 133 pages, mais restera en vous un sentiment d'avoir lu un roman qui bouscule et émeut. Pourtant, rien de larmoyant, il est mélancolique et joyeux, triste et plein d'espoir, sans oublier un zeste d'humour, notamment lorsque Guillaume Siaudeau parle des forces de l'ordre : "Dix tasses de café vides attendent d'être remplies près d'un panier de croissants. Qui s'est déjà risqué à travailler le ventre vide sait que c'est une belle connerie. Un homme bien nourri en vaut deux. Certains même parviendront peut-être à décupler l'effet d'un croissant, jusqu'à valoir trois hommes. Tout ça n'est qu'histoire complexe de morphologie et d'absorption des sucres." (p.98)

Une très belle plume que celle de Guillaume Siaudeau, j'aime beaucoup son roman, le ton de son écriture qui use de poésie et de considérations on ne peut plus naturelles dans une même phrase, voire même met de la poésie dans ces considérations naturelles. Il a écrit deux autres romans chez le même éditeur, Alma, aux titres qui me laissent en penser le meilleur, mais que je n'ai pas lus : Tartes aux pommes et fin du monde (2013) et La dictature des ronces (2015).

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Monet, money

Publié le par Yv

Monet, money, Henri Bonetti, Cohen&Cohen, 2016.....

Depuis qu'il a été viré de son poste de cadre à la banque, Benoît Thérin rêve de se venger de son ancien ami qui fut aussi son directeur et donc l'artisan de sa mise à la porte, Ludovic Taillefer. Ce même Ludovic Taillefer, lui-même viré quelque temps plus tard, un type imbuvable, est l'heureux possesseur d'un tableau de Claude Monet, exposé dans sa luxueuse villa méditerranéenne. Ce tableau est volé. Entrent alors en scène, Karim Kacem, enquêteur pour la compagnie d'assurances, Nathalie fonctionnaire des impôts qui veut se payer Taillefer, exilé fiscal, Ange, un truand qui veut faire son come-back avec un vol de Monet, plus quelques seconds couteaux...

Tout cela a l'air confus... et rien ne l'est. Le talent d'Henri Bonetti est de ne jamais nous perdre entre les divers protagonistes qui se croisent sans se connaître, puis finissent par se connaître. Ils ont tous en commun cette toile de maître, inconnue et pourtant tant convoitée. Le romancier procède par petits chapitres, eux-mêmes calibrés en courts paragraphes, ce qui fait qu'on a le temps de se repérer dans ses nombreux personnages, et je vous le dis ici, si je ne me suis pas perdu, aucun risque que vous ne le fassiez, tant je me perds aisément lorsque les entrées d'un roman sont multiples.

Je me suis régalé de bout en bout. L'auteur harponne le lecteur dès les premiers mots et ne le lâche plus avant la toute fin, bouquet final de cette aventure formidable. Le rythme est enlevé, alerte, les personnages sont parfois pitoyables, mesquins, désagréables, sympathiques... Certains restent tout du long ce qu'ils sont réellement tandis que d'autres changent parfois radicalement et se retrouvent dans des situations dans lesquelles on ne les attendait pas. Les seconds rôles ne sont pas en reste, bien présents et décrits, comme des seconds rôles de cinéma, du temps des grands polars français : on pourrait presque voir les gueules de ceux qui jouèrent ces rôles et qu'on a tous en tête sans connaître leurs noms.

C'est plein de rebondissements, des choses joyeuses, car ce roman est avant tout joyeux, c'est une aventure qui si elle ne décroche pas de gros rires laisse le sourire aux lèvres parce qu'il faut bien le dire, tous ces gangsters et apprentis gangsters forment quand même une belle bande de loosers.

Hyper agréable à lire, le temps passe à un rythme fou, en fait c'est en arrivant à la fin qu'on remarque qu'on vient de lire 300 pages. Le genre de polars que l'on emporte partout pour profiter de cinq ou dix minutes d'attente ou de temps libre pour avancer dans l'histoire. Un coup de coeur polar.

Et comme toujours dans cette collection Art noir de chez Cohen&Cohen, le livre est très beau, tranches et couverture noires à peine colorées d'une petite représentation d'une toile de Monet et du texte en blanc. Je suis devenu accroc à cette collection...

PS : et ce titre qui sans cesse me met en tête Abba, Money, money, money... Y'a pas de raison que je sois seul à souffrir avec cet air toute la journée.

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L'insolite évasion de Sebastian Wimer

Publié le par Yv

L'insolite évasion de Sebastian Wimer, Stéphane Héaume, Éd. Serge Safran, 2016.....

Karlotta-Pietra est une ville-état fortifiée, bientôt fermée par les nationalistes qui y ont pris le pouvoir. La répression y est terrible, aussi beaucoup veulent la quitter. Sebastian Wimer, styliste de mode le projette également avec la complicité de son associé et ami Dimitri Waltz. Un soir, Sebastian vient au secours d'une femme qui se fait violenter, la ramène chez lui et croit reconnaître en elle Agathe, sa femme morte depuis trois ans. Mais les papiers de la jeune femme inconsciente révèlent une autre identité. Aidé de Léos, un étudiant en histoire, Sebastian envisage alors d'attendre le réveil de l'inconnue et de s'enfuir avec elle, mettant en scène un plan lié aux Mémoires de l'empereur qui gouverna la ville des années auparavant.

Quel roman, les amis, quel roman ! Un grand merci à Zazy qui me le prêta, car franchement, j'ai pris un pied monstre et me suis régalé du début à la fin. L'histoire est folle folle folle -comme dirait Bertand Belin, aucun rapport mais ça me faisait plaisir d'en parler- et l'écrin somptueux. Ce que j'aime par dessus-tout, outre cette histoire, c'est l'écriture de Stéphane Héaume et l'ambiance qu'il crée. Bien que son roman se déroule de nos jours, et qu'il soit donc parfaitement contemporain -ce qui, vous l'avez remarqué est une répétition-, par la grâce de l'écriture, les descriptions des personnages, leurs vêtements, leur élégance, leur langage, leur port, leur distinction, les descriptions des lieux, cette ville close à l'histoire dense, ... il a un air d'intemporalité très forte. On pourrait invoquer ici quelques grands noms de la littérature qui ont ce talent, sans vouloir comparer mais juste pour l'inspiration, des écrivains de diverses époques que je ne citerai pas ici, chacun pourra ainsi mettre les noms qui lui viennent à l'esprit.

L'écriture donc est magnifique, travaillée, belle, châtiée ; lisez cela : "Le canal exhalait un parfum doucereux, cette odeur si troublante que l'on ne percevait qu'en hiver et qui ce soir prenait un sens étrange car souvent l'on disait qu'il sentait le sang frais." (p.37), ou bien ceci : "Soucieux de circonscrire cette régression -ou, au contraire, planifiant son maintien (qu'en savions-nous ?)-, le gouvernement avait décidé, au nom du passé, de redonner à Karlotta-Pietra son statut de ville close. Rappelant les conflits dont elle était toujours sortie victorieuse, le président avait annoncé aux habitants cette mise en quarantaine sous prétexte de veiller au bien général. Fallacieuse promesse." (p.25) J'adore ça, quel plaisir de lire de belles phrases, bien construites, sans faute de quoi que ce soit, des phrases avec du sens, qui même lorsqu'elles décrivent des lieux ou des personnages ne sont jamais ennuyeuses, au contraire, elles enjolivent l'action qui suit.

L'histoire maintenant : elle est réjouissante, originale, forte en tensions et rebondissements. Les rapports entre les protagonistes sont admirablement décrits, si bien qu'à part Sebastian dont on ne doute jamais vraiment de l'honnêteté, tous les autres à un moment ou un autre nous incitent à la prudence, à tort souvent... Critique des nationalismes, des intégrismes de tout genre, l'ouvrage pousse à l'extrême les idées et comportements de certains chantres de l'isolationnisme et du repli sur soi.

Mon premier roman de l'auteur et de l'éditeur aux couvertures safran que je brûle d'envie de connaître un peu plus tant l'un que l'autre. Merci Zazy.

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Edmond

Publié le par Yv

Edmond, Alexis Michalik, Albin Michel, 2016.....

Paris 1895, Edmond Rostand est au plus bas après l'échec cuisant de sa pièce en vers La Princesse lointaine, pourtant jouée par la grande Sarah Bernhardt et Lucien Guitry. Raillé par ceux qui font les grands succès de cette fin de siècle, Courteline et Feydeau, il déprime. Deux ans plus tard, Sarah Bernhardt lui présente le grand acteur de l'époque Constant Coquelin à qui il promet un grand rôle dans sa prochaine pièce dont il n'a que le titre Cyrano de Bergerac, une vague idée happée dans une salle de café tenue par Monsieur Honoré. Alors tout s'emballe et Edmond sent l'inspiration lui venir.

Je n'ai pas l'habitude de lire du théâtre et encore moins du contemporain, mais le thème et le nom de l'auteur -que j'ai eu l'occasion d'entendre dans une entrevue et dont j'avais aimé les réponses et sa passion pour le théâtre- m'ont convaincu de franchir le pas. Eh bien, je me suis régalé, de bout en bout. Renseignements pris, l'écriture de la pièce de Rostand n'est pas exactement ce qu'en écrit Alexis Michalik, il fait un condensé en quelques semaines d'un processus bien plus long, mais tant mieux pour nous parce que grâce à ce stratagème, la pièce est vive, dynamique, sans aucun temps mort. Elle est très drôle, parle du théâtre dans le théâtre, des affres de la création littéraire ou théâtrale et des difficultés à monter des spectacles innovants, de bousculer les habitudes. Edmond se sert de sa vie et de tout ce qu'il entend autour de lui pour construire ses personnages et écrire sa pièce. Son ami Léo est amoureux de Jeanne, ils seront dans son esprit Christian et Roxane. Monsieur Honoré fait des tirades, elles serviront celles de Cyrano... Edmond observe, écoute et désire : "Seul compte le désir. Le désir pousse les hommes à conquérir des empires, à écrire des romans ou des symphonies. Mais lorsqu'il est assouvi, les hommes cessent leurs exploits." (p.196)

En plus d'être une pièce enjouée, elle permet de réécouter les vers d'Edmond Rostand, ceux de cette pièce difficile à monter en 1897 et qui devint la plus jouée du répertoire théâtral français, la plus connue au monde. Qui de nos jours ne connaît pas tout ou partie de la célèbre tirade du nez, ou du moins qui en l'entendant ne frémit pas d'un plaisir de la belle phrase, bien placée ? Et ce personnage de Cyrano, si grand, si imposant, l'un des plus grands rôles d'homme au théâtre me suis-je laissé dire...

Cette pièce est jouée à partir de ce soir au théâtre du Palais-Royal à Paris, dans une mise en scène de l'auteur, avec Anna Mihalcea, Christian Mulot, Christine Bonnard, Guillaume Sentou, Jean-Michel Martial, Kevin Garnichat, Nicolas Lumbreras, Pierre Bénézit, Pierre Forest, Régis Vallée, Stéphanie Caillol et Valérie Vogt. Très bon moment en perspective...

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