Maîtres et serviteurs, Pierre Michon, Ed. Verdier, 1990 (131p) Pierre Michon écrit, à sa manière, une partie de la vie de trois peintres connus ou moins connus : Goya, Watteau et Lorentino d'Angelo, disciple de Piero della Fransesca. J'écris "à sa manière", car il prend des libertés, indique même dans ses récits que plusieurs interprétations sont possibles et que, notamment sur la vie de Lorentino d'Angelo, il imagine ce qui aurait pu arriver, puisque personne n'a relaté la vie de ce peintre. Ce qui est intéressant dans ce livre, c'est que si vous n'êtes calés ni en peinture ni sur les peintres en question, on a envie d'en connaître un peu plus à l'issue de cette lecture. Et puis, surtout, Pierre Michon a une écriture unique : les phrases sont longues, riches en vocabulaire et en figures de style. Une vraie belle écriture assez classique, dans laquelle, je vous préviens, on se plonge avec risque de ne pas s'en sortir. Une fois entré dans les histoires -un peu moins dans la seconde, celle qui concerne Watteau- on se sent "hypnotisé" par le style, les mots, le déroulement et le français parfait de Michon. Je ne connaissais pas du tout cet écrivain dont j'avais entendu dire énormément de bien. Résultat : je viens de réserver à la bibliothèque municipale son dernier ouvrage, Les onze, dont je vous parlerai dès qu'il sera d'abord en ma possession et ensuite, bien sûr, lu. Très franchement une des plus belles écritures que j'ai lues récemment, et même moins récemment d'ailleurs !
Mon voisin, Milena Agus, Ed. Liana Levi, 2009 (52p) Sous le soleil accablant italien, une femme suicidaire retrouve un semblant d'espoir en rencontrant son voisin. Résumé volontairement très court, car le livre l'est aussi, très court : 52 pages d'un livre petit format à la mise en page très aérée, c'est vous dire s'il est léger ! Une lecture d'une demi-heure, certes agréable mais qui ne restera pas dans les annales de la littérature ni dans les circonvolutions de mon cerveau. Et puis, 3€ pour 30 minutes de lecture, même plaisantes mais sans plus, je trouve cela un peu gonflé. Alors, faites comme moi, empruntez-le, ne l'achetez pas !
Poison vert, Patric Nottret, Ed. Robert Laffont, 2002 (367p) Une unité spécialisée dans les enquêtes liées à l'environnement, la FREDE, travaille sur le meurtre d'un homme retrouvé dans un bois avec sur lui cinq feuilles vertes inconnues. Pierre Sénéchal, inspecteur dans cette unité, est mis sur l'affaire. Si l'idée de départ est bonne, le rendu l'est beaucoup moins. D'abord, l'intrigue est confuse, ça part dans tous les sens ; je m'y suis perdu ! Ensuite, j'ai trouvé le livre bavard, plat, maladroit et plein de répétitions, l'auteur se plaisant à décrire deux ou trois fois la même situation (de quoi faire un gros livre ?). Et puis cette manière de répéter et répéter encore que l'inspecteur Sénéchal est drôle, sarcastique, insolent ; certes, ça pourrait, dans ces conditions, en faire un personnage intéressant, mais l'habileté de l'écriture, me semble-t-il, consiste à ne pas le dire sans cesse mais à le faire comprendre au lecteur à travers la description et les dialogues du livre. Patric Nottret se croit obligé de nous asséner les traits de caractère de ses personnages : à nous d'y croire après. Pas bon pour moi, si je dois croire à un personnage, c'est en me l'imaginant par ma lecture. Bref, livre très moyen et maladroit (je l'ai déjà dit, mais je pense que c'est l'adjectif qui le décrit le mieux !). Énorme déception !
La cascade aux miroirs, André Bucher, Denoël, 2009 Lors d'un incendie, un pompier volontaire, Sam Démon, qui vit seul avec sa mère dans la vallée du Jabron, décide d'usurper l'identité d'un homme mort brûlé. Étonnamment, Sam ressemble à Pascal Delattre, l'homme dans la vie duquel il se coule. Parallèlement, Elise, la mère de Sam se rapproche du gouffre de la folie au bord duquel elle se promène depuis très longtemps. J'ai lu mon premier livre d'André Bucher, il y a un peu plus d'un an : Déneiger le ciel. J'avais alors décrit son écriture comme belle et poétique. Je peux renouveler les qualificatifs pour celui-ci. Et quels titres ! Bucher est un auteur à part, puisqu'il est agriculteur biologique depuis de nombreuses années ; il écrit là son cinquième roman. Je reconnais sans peine dans La cascade aux miroirs l'atmosphère de son roman précédent : ouatée, intimiste, très proche d'une nature qu'il décrit admirablement bien. Par moments, on peut se perdre dans les méandres des cerveaux des personnages en proie au doute et au questionnement. C'est aussi la manière d'écrire de l'auteur qui peut nous éloigner du récit, mais il y a toujours une phrase ou un mot auxquels se raccrocher, et l'on a eu plaisir à lire des beaux paragraphes. Je ne résiste pas, pour conclure, au plaisir de citer André Bucher qui dit à Sam, non lecteur, comment aborder un texte : je trouve que ce petit extrait sied parfaitement aux textes de Bucher : "Ne t'arrête pas pour penser à des mots quand tu t'arrêtes. Arrête seulement pour mieux voir l'image que ces mots dessinent et laisse tomber ton esprit pendant que tu accomplis ce travail en toi. "(p.72).
Orages meurtriers, Frank Muir, Payot Suspense, 2009 (299p) St Andrews, en Ecosse, petite ville où tout le monde se connait, un tueur en série sévit. Il tue exclusivement des hommes au comportement violent envers leurs femmes, par une baguette de bambou enfoncée dans l’œil gauche. Lorsque la sixième victime est découverte, l'inspecteur Andy Gilchrist est débarqué de l'affaire par son supérieur Mark Patterson qui l'exècre au plus haut point. Andy continue son enquête seul. L'intrigue n'est pas particulièrement originale, ni les raisons qui poussent le tueur en série à agir, ni même la manière dont se déroule l'enquête, à savoir un flic écarté qui continue à fouiner pour son propre compte. Comme beaucoup de flics en ce moment, Gilchrist est un peu désabusé, a raté sa vie personnelle -il a divorcé et ne voit plus ses grands enfants que très rarement-, et s'essaie à d'autres relations qui capotent toutes. Il est englué dans sa propre histoire qui rejaillit sur son enquête et bien sûr sur sa personnalité. On peut aussi regretter que l'Ecosse et St Andrews soient trop peu présentes : l'atmosphère aurait pu être plus lourde avec le climat écossais en toile de fond. Malgré ces quelques poncifs, j'ai suivi les investigations d'Andy avec intérêt. Il dénouera bien sûr le sac de nœuds -bien serrés- sans que forcément nous-même l'on soupçonne le véritable coupable. Je crois que c'est la première enquête d'Andy Gilchrist : les personnages se forgent, l'équipe se construit et j'ai eu l'agréable impression d'assister à cette construction. Je retrouverais bien volontiers Andy et son équipe dans d'autres affaires, histoire de savoir s'ils ont pris de l'épaisseur.
Les veilleurs, Vincent Message, Seuil, 2009 (631p) Oscar Nexus a tué trois personnes dans la rue. Interné dans une clinique suite à son procès pendant lequel il n'a pas décroché un mot, il est pris en charge par le docteur Traumfreund. Paulus Rilviéro, officier de police doit comprendre et expliquer les raisons de l'acte de Nexus. Je n'y comprends rien ; je lis des phrases avec des mots qui s'enchaînent mais qui souvent n'ont aucun sens pour moi. Je ne réussis pas à "entrer" dans l'histoire. Rien ne m'y accroche ! A 229 pages -sur 631 quand même !- j'abandonne lâchement. Félicitations à Ys qui a réussi à aller au bout ! J'ai quand même lu quelques beaux passages, mais assez peu au regard de l'épaisseur du livre. Je ne sais pas où l'auteur veut nous emmener. On le sent très érudit, capable d'écrire avec un style bien à lui, mais il tombe parfois dans certaines facilités. Certains passages sont longs, mais loooooooooooongs, à en passer les pages d'ennui -notamment les rêves de Nexus dans le désert. Et puis, quelques tentatives d'humour -enfin, je pense que c'est ce qu'a tenté l'auteur (?)- apparaissent sans crier gare dans un roman loin d'être drôle, et de fait, tombent à plat, par exemple : " L'autre a les mains mal rasées et les joues moites" (p 122). Pour citer l'auteur tout en le paraphrasant , voici ma conclusion : "[L'auteur] tient à marcher en tête, vers l'horizon de son choix et au rythme qu'il veut, quitte à larguer son [lecteur] en cours de route ..." Livre envoyé par l'éditeur et Chez les filles. Merci à eux.
Toxic blues, Ken Bruen, Gallimard, 2005 (298p) Jack Taylor, détective privé, est de retour dans son Irlande natale, plus précisément à Galway. Toujours alcoolique, avec un petit truc en plus pour cette seconde aventure : la coke ! A peine débarqué, Sweeper, le chef des "tinkers" (nomades d'origine irlandaise. Merci les notes de bas de page !) haïs par tous les Irlandais, lui demande d'enquêter sur la mort de quatre d'entre eux. J'ai retrouvé Jack Taylor tel que je l'avais laissé : alcoolique, désabusé, usé et cocaïnomane (ça, c'est une nouveauté). Comme dans sa première enquête (Delirium tremens) les références littéraires et musicales sont légion et rythment le livre : poésie, rock et blues. L'enquête est encore une fois le fil rouge, mais peut-être pas le ressort essentiel du livre, qui serait plutôt les rapports que Jack entretient avec ses amis et ses ennemis et sa ville de Galway. Galway, ses beaux quartiers et ses lieux mal famés que Jack Taylor arpente toute la journée à la recherche d'indices pour son enquête (il faut quand même un minimum !) et d'une bonne raison d'espérer et de continuer à vivre (même si dans ce second épisode, on le sent un peu moins suicidaire). Ce détective est atypique, parce que je ne le trouve pas très perspicace, mais il sait s'entourer et s'il trouve la solution à l'énigme posée, c'est dans un ultime réflexe et grâce à ses amis qui lui ont tout servi sur un plateau ; à lui de tout remettre en ordre ! Autant dire que je ne me suis pas ennuyé à suivre Jack Taylor dans son long morceau de blues de presque 300 pages. Fan de cette musique, j'ai envie d'un rappel.
Vers l'aube, Dominic Cooper, Métailié, 2009 (traduit par Céline Schwaller) Murdo Munro travaille dans les forêts de son île natale sur la côte ouest de l'Ecosse. Il s'est depuis longtemps résigné à sa solitude et à l'hostilité froide de sa femme, lorsque, le jour du mariage de sa fille, devant la perspective du face-à-face conjugal qui l'attend, il décide de brûler sa maison et de disparaître. (4ème de couverture). Commence alors un voyage pédestre à travers forêts et lacs, dans la crainte d'être rattrapé. Le texte est lent, tout comme l'avancée de Murdo dans la nature écossaise. L'écriture est vraiment belle : elle décrit la nature, la flore et la faune. On a l'impression d'y être ! La description du personnage et de ses tourments intérieurs n'est pas en reste et l'on progresse dans la pensée de Murdo en même temps que lui. C'est le roman du désespoir d'un homme qui a été "contraint" de vivre une vie qu'il n'avait pas choisie et qui à l'aube de la soixantaine se pose la question de continuer ou d'arrêter de vivre, tout simplement. Murdo est attachant, on a tendance à le prendre un peu en pitié et à compatir à ses malheurs. Mon bémol viendrait d'une trop grande présence de descriptions des paysages qui n'ajoute rien à la qualité réelle du texte et qui, au contraire embrouille un peu : au bout d'un moment, on ne visualise plus. Les représentations des décors sont importantes dans ce livre, d'abord parce qu'elles le rythment et ensuite parce que la nature ouest écossaise est un vrai personnage, presque le plus important du roman. Mais il y a peut-être une légère surabondance. Ceci étant dit, que cela ne vous arrête pas car le texte (écrit en 1976) est poétique, profond et très beau
Delirium tremens, Ken Bruen, Gallimard, 2004 Jack Taylor est un ancien flic, viré pour cause d'alcoolisme chronique et patenté. Comme il n'existe pas de détectives privés en Irlande, il a installé son "bureau" dans un pub de Galway et il y attend le client. Très officieusement, il a déjà débrouillé quelques petites affaires et vétilles, entre deux beuveries. Un jour, Ann Henderson, persuadée que sa fille Sarah ne s'est pas suicidée fait appel à ses services. Roman policier ? Il y est assez peu question de l'enquête. Dans ce premier livre sur Jack Taylor (il y aura d'autres enquêtes), le personnage se met en place (habitudes, traits de caractère principaux, lieux de prédilection, ami(e)s, ...). Je l'ai plutôt lu comme un roman sur un homme en plein questionnement : doit-il arrêter de boire et le peut-il et pourquoi ou pour qui ? Le texte est émaillé de phrases tirées d'autres livres et d'autres auteurs, certaines mises en exergue des chapitres, d'autres en milieu de paragraphe. Cela donne un côté un peu atypique à ce "détective" qui aime la poésie et la cite. Beaucoup de références musicales également. Le roman est drôle, d'un humour noir et désespéré ; les personnages peu glorieux, le rythme lent et les paysages de l'Irlande souvent humides. C'est Kathel qui ayant lu Le dramaturge (l'avant-dernière enquête de Jack Taylor) m'a donné envie de rencontrer cet homme et comme j'ai trouvé le premier tome de ses aventures, j'ai préféré commencer par celui-ci. Je m'en vais maintenant emprunter le second tome.