Fake, Giulio Minghini, Ed. Allia, 2009 Au début du livre, le narrateur, un Italien exilé à Paris, à la suite d'une rupture amoureuse, s'inscrit sur un site de rencontres. La suite est une accumulation de rendez-vous ou d'échecs avec des femmes, une sorte d'inventaire de son année amoureuse -ou plutôt sexuelle. Giulio Minghini évoque -ou dénonce- le pseudo-intellectualisme des bobos parisiens, le milieu artistique de la capitale, et bien sûr les sites de rencontres. Je ne lui reproche pas ses propos, mais d'utiliser, pour les tenir, les ficelles qu'il dénonce : un savoir sûrement étendu, mais méprisant vis-à-vis des moins cultivés que lui. Tout au long du livre, on a le droit à des citations obscures, absconses et des commentaires pédants. Livre qui vous l'avez compris ne m'a pas plu, que j'ai même trouvé assez détestable.
Lune captive dans un œil mort, Pascal Garnier, Zulma, 2009 Les Conviviales, résidence où la protection et la sécurité sont garanties, accueillent Martial et Odette, Maxime et Marlène, deux couples, et Léa, femme seule, tous seniors. Le gardien est M. Flesh et l'animatrice du club-house, Nadine. Dans cette sorte de huis-clos, la vie s'organise tant bien que mal. Ces seniors ne sont pas exempts de petites lâchetés. Ils croient tout ce qui est dit à la télé : insécurité, violences, jeunesse en perdition, ... Certains sont racistes, homophobes. Ni moins, ni plus que les autres. Ce sont des gens normaux tels qu'aime les écrire Pascal Garnier, avec leurs faiblesses, leurs blessures et leurs limites. Comme à son habitude, Pascal Garnier met en place personnages et lieux, gentiment, jusqu'au moment du clash, ici jusqu'à cette fameuse lune captive dans un œil mort -quel titre formidable !. J'aime bien les romans de P. Garnier. J'ai bien aimé celui-ci encore, mais j'y ai trouvé quelques longueurs. On se demande parfois dans quelle direction l'auteur veut nous emmener et où lui-même veut aller. Mais je pense aussi que ces questionnements amènent une surprise plus grande quant au dénouement. Pas le meilleur Garnier selon moi, mais tout à fait honorable. Et puis, un auteur qui met en exergue une phrase d'Alain Bashung et Jean Fauque ("Une poussière dans l’œil et le monde entier soudain se trouble") mérite forcément qu'on s'arrête un moment sur son livre. Parole d'amateur de Bashung !
Zen City, Grégoire Hervier, Ed. Au diable vauvert, 2009 "Dominique Dubois, cadre trentenaire remarquablement moyen, s'installe plein d'espoir à Zen City, paradis high-tech où, grâce à la puce dont chacun est doté, on peut avoir un réfrigérateur toujours plein sans jamais aller au supermarché et être protégé 24 heures sur 24 sans même s'en rendre compte." Voilà pour le résumé, directement copié de la 4ème de couverture.
Ce récit d'anticipation est construit à partir des pages du blog et du journal de Dominique Dubois. Cette forme, originale et bien trouvée, ne permet pas à l'auteur de faire montre d'un style très personnel. C'est donc plutôt classique. Ceci étant, je ne suis pas spécialiste de ce genre de littérature, mais j'ai bien apprécié cette histoire prenante. Le suspense monte en puissance. On sent quelques mystères ou manipulation et on n'est pas déçu. Ajoutez à ce récit une pointe d'humour et le tour est joué. L'annexe, en fin de recueil, dans laquelle Grégoire Hervier fait le point sur les recherches réellement menées dans le domaine qu'il aborde dans son roman est intéressante. Elle apporte une part de vérité dans ce récit et peut même faire un peu froid dans le dos, d'autant plus qu'une majorité des techniques décrites dans le livre existent déjà.
Pour mon plaisir et ma délectation charnelle, Pierre Conmbescot, Grasset, 2009
"Dans le tumulte de la guerre de Cent Ans, princes et ducs trahissent et s’assassinent pour la couronne de Charles VI, frappé de démence. Gilles de Rais, l’un des plus sombres criminels de l’Histoire, vient au monde. Compagnon d’armes de Jeanne d’Arc qu’il révère, guerrier furieux, adepte de la magie noire mais fervent chrétien, mélomane, immensément riche, prodigue jusqu’à la démesure, l’homme qui inspirera Barbe bleue est aussi parmi les plus puissants du royaume."
(4ème de couverture)
Ma première réflexion fut de me dire : "quel beau titre !" Ensuite, dans ce livre consacré à Gilles de Rais, de son enfance à sa mort, j'ai appris qu'il avait prononcé cette phrase pendant son procès, en réponse à ses juges qui lui demandaient les raisons de sa folie sanguinaire (viols, meurtres d'enfants). Après cette révélation, le titre résonne différemment.
Pierre Combescot écrit formidablement bien, n'élude rien du parcours de Gilles de Rais (même si son livre aurait pu être un pavé, tellement il y a à dire sur cet homme). La première partie du livre est assez confuse pour moi qui ne suis pas spécialiste de la période en question (fin 14° et début 15° siècles). Toutes les alliances et les mésalliances, les ententes et les divisions des Seigneurs. Beaucoup de noms propres dont certains se ressemblent. Il y a de quoi s'y perdre. La seconde partie, beaucoup plus centrée sur Gilles de Rais est plus intéressante. Plus horrible aussi. Ecriture nerveuse qui sied au personnage et à ses perversions. Ceci étant, je ne suis pas complètement convaincu par ce livre. La sensation d'être un peu perdu dès le début ne m'a pas permis de l'apprécier à sa juste valeur, me semble-t-il.
Presque rouge, Sébastien Amiel, Ed. de l'Olivier, 2009 Recueil de nouvelles mettant en scène des gens ordinaires confrontés à des situations ordinaires, mais qui, pour des raisons diverses ne réagissent pas comme des gens ordinaires. Style classique, plutôt descriptif, s'attardant sur les personnages. Les histoires sont des moments dans la vie de ces gens. Pas de chute obligatoire à la fin de chaque nouvelle. Pas de fin proprement dite. C'est intéressant, ça change des nouvelles avec une chute intervenant dans les dernières lignes. Cependant, c'est parfois frustrant de ne pas savoir ce qui se passe après ces dernières lignes, mais j'aime assez. Pas un coup de cœur, mais un livre très agréable.
Conseils à des jeunes qui veulent entrer dans le Show Bizness, Alexandre Pesle Samedi soir, dans une petite salle que je découvrais, la compagnie du café-théâtre, à Nantes, j'ai assisté au spectacle d'Alexandre Pesle, que je ne vous résumerai pas, tout est dans le titre. Son nom ne vous dira peut-être rien, mais son visage vous est connu : c'est Sylvain, le comptable naïf et timide de Caméra café. Première impression : cela fait drôle de voir a quelques mètres de nous (la salle est toute petite) cet acteur "vu à la télé". Ensuite, eh bien, Il commence très fort, joue avec le public, rebondit sur des réponses de celui-ci à ses questions. Il a la pêche et joue à fond pendant au moins 1h30 (je n'ai jamais de montre !). Il se lâche pour notre plus grand plaisir et sans temps mort. Un vrai régal ce spectacle ! Il y a longtemps que je n'avais pas vu de spectacle comique et celui d'A. Pesle m'a donné très envie d'en voir d'autres. S'il passe par chez vous n'hésitez pas. En plus, nous avons eu la chance de pouvoir parler un peu avec lui, dans la salle après sa prestation : il est aussi très drôle et ne se prend vraiment pas au sérieux. Pour finir, je dirais "Très sympa comme spectacle". Je sais, ça ne veut rien dire, mais ceux qui l'ont vu où vont aller le voir comprendront la "private joke".
D'autres vies que la mienne, Emmanuel Carrère, P.O.L, 2009 En vacances au Sri Lanka, et témoin chanceux du tsunami, Emmanuel Carrère écrit sur un jeune couple qui y a perdu sa fille. Il enchaîne en racontant sa belle-sœur qui décède d'un cancer, et l'amitié qu'elle entretenait avec un collègue, juge à Vienne, Etienne, et réchappé lui-même de la même maladie. Il finit ainsi la 4ème de couverture :"Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d'extrême pauvreté, de justice et surtout d'amour. Tout y est vrai." Je ne peux pas nier le fait qu'Emmanuel Carrère écrive de belle manière ni qu'il semble concerné par les vies des gens qu'il raconte. Seulement, moi, je ne l'ai été que partiellement. J'ai d'abord eu du mal à faire le lien entre le jeune couple qui a perdu sa fille dans le tsunami et la belle famille de l'écrivain. Ensuite, malgré de très belles pages, je n'ai jamais vraiment réussi à être intéressé. Trop de longueurs, de répétitions. A ceux qui trouvent ce livre profond, je dirai que je le trouve plutôt moyen, trop fouillis survolant plusieurs thèmes et finalement n'en approfondissant aucun. Je suis franchement déçu.
Le discours sur la tombe de l'idiot, Julie Mazzieri, Ed. José Corti, 2008 Le maire et l'adjoint du village de Chester jettent Midas, l'idiot du village dans un puits, gênés et scandalisés qu'ils sont par son comportement. Après ce meurtre, les éléments se déchaînent : pluie, vent, tempête. Le maire fait tout pour éloigner d'eux les enquêteurs. L'adjoint, lui, est effondré par le remords et en tombe malade. Aux yeux de la population, tout désigne Paul Barabé, ouvrier agricole, arrivé au village un mois plus tôt. Roman à "l'essence policière" mais qui s'attache à nous décrire les remords des uns, la veulerie des autres et la vie d'un village comme si on y était, Paul Barabé étant le témoin principal. L'atmosphère est lourde, pesante et parfois inquiétante. Mon a priori de lecture fastidieuse à la vue du livre a été vite oublié. On se retrouve plongé dans ce village. J'avais envie de connaître l'issue de cette histoire, mais pas trop vite pour profiter de faire un tour dans chaque maison et voir comment les habitants vivaient ces événements. Ce que nous raconte très bien Julie Mazzieri.
Cheval, Richard Morgiève, Denoël, 2009 1960, les Cheval, c'est leur nom, le père et le fils. Ils sont forains depuis 1897. Leur manège s'appelle Les soucoupes volantes. Mais la plus grande partie du livre se déroule chez eux, dans leur domaine, dans leur maison délabrée, juste derrière la décharge à ciel ouvert. Ils n'ont pas le sou. Personne ne veut les fréquenter. Le fils, entre 12 et 18 ans selon les besoins et les circonstances, est le narrateur.
Roman à l'écriture oralisée -encore un, c'est un peu la mode- qui met en scène ces deux hommes pauvres, provocateurs et bagarreurs, considérés par les autres comme la lie du village. L'histoire, les personnages et l'écriture me plaisent bien. Mis à part une misogynie évidente : les rares personnages de femmes ne sont pas à leur avantage (la pute, la femme qui laisse son mari avec un enfant en bas âge, les femmes objets des fantasmes de jeune Cheval), quelques longueurs et des propos dévoilant justement ces fantasmes, les inquiétudes du jeune Cheval quant à sa virilité et autres considérations sexuelles, parfois un peu trop fréquentes, j'ai bien aimé ce roman. Tout au long du livre, je n'ai pu m'empêcher d'avoir en tête les images du film Les démons de Jésus, de Bernie Bonvoisin. L'atmosphère décrite par Richard Morgiève, son écriture parfois légère, parfois lourde, toujours à la limite de la vulgarité -d'aucuns jugeront même qu'il a passé cette limite- et sa manière de mener ses héros, eux-mêmes tout à la fois légers, lourds et vulgaires, mais finalement malgré leurs défauts, assez attachants et touchants, valent qu'on s'arrête un moment pour un tour de manège.