Journal d'un tueur sentimental, Luis Sepulveda, Métailié, 1998 Une semaine dans la vie d'un tueur à gages expérimenté et apprécié par ses employeurs qui commet bévue sur bévue parce que la jolie petite française avec laquelle il vit depuis trois ans le quitte. Résumé très court pour un livre très court lui aussi, à peine 100 pages. Luis Sepulveda nous dresse le portrait d'un homme, qui, à l'aube de la cinquantaine voit partir sa jeune femme et probablement sa jeunesse. C'est le journal -sur 6 jours- d'un homme en plein doutes, en pleine interrogation avec son reflet sur le sens de sa vie, sur l'amour, la mort, enfin que des sujets légers et sibyllins. Sa profession atypique permet de mettre en scène la quête de cet homme, de parler de la mort qu'il donne et de celle qui l'attend. Elle ajoute un petit côté roman policier/thriller pas déplaisant, mais qui est loin d'être le thème central du livre. Pour le décor, la forme, mais pas pour le fond. J'ai découvert Luis Sepulveda très récemment et depuis, je n'ai rien lu de lui qui soit mauvais. La seule chose que je pourrais lui reprocher pour ce roman c'est de l'avoir fait trop court. On aimerait bien rester encore un peu avec ce tueur gaffeur. D'autres lecteurs : Kathel, Gangoueus
L'anneau de Moebius, Franck Thilliez, Ed. Le Passage, 2008 Stéphane Kismet rêve ou plutôt cauchemarde. Mais, nouveauté, il se souvient de ses cauchemars, très réalistes le mettant en scène dans des situations horribles. Dans le même temps, Vic Marchal, jeune lieutenant tout juste arrivé d'Avignon intègre la première division et se retrouve à enquêter sur un meurtre particulièrement abominable. Tous deux se croiseront, bien sûr, c'est la loi du genre, mais dans quelles circonstances ? Passée la première impression de sang, d'hémoglobine et de détails excessifs et à la limite du supportable concernant les cadavres, le récit vous pénètre et ne vous quitte plus. C'est le seul hic du livre : une fois commencé on ne peut plus s'arrêter, sinon à la dernière page. L'imagination de Franck Thilliez est débordante. La structure de son thriller tient en haleine du début à la fin. Il est redoutable cet auteur qui nous embrouille avec la boucle temporelle pour mieux nous perdre et en même temps nous intéresser à son intrigue. Les deux héros se démènent dans ce qui parait être une course contre la montre sans issue - sans issue heureuse au moins. On les sent et on les sait mal partis, mais demeure néanmoins un mince espoir de les voir se tirer de cette situation "abracadabrantesque" comme dirait l'autre. Diablement efficace ce thriller. Et même s'il lorgne vers des repères d'outre-Atlantique, a priori pas ce qui m'attire forcément, je dois reconnaître que je me suis laissé prendre par le rythme et l'embrouillamini des détails et des fausses pistes. Malgré ces références étasuniennes, Thilliez a réussi selon moi à bien ancrer son histoire en France, à créer des situations et des personnages pas trop exotiques pour nous. Stressant, distrayant et très très très fréquentable. Livre tellement décrit sur les blogs que je mets le lien vers B.O.B qui en recense beaucoup.
Le poisson mouillé, Volker Kutscher, Ed. Seuil, 2010(traduit par Magali Girault)
Berlin, mai 1929, Gereon Rath, jeune commissaire de police vient d'arriver de Cologne : une mi-mutation/mi-sanction. Il est nommé à la brigade des moeurs, considérée à l'époque comme le parent pauvre de la police. A cette époque, Berlin est sens-dessus-dessous : les communistes manifestent partout en ville, réprimés sévèrement par la police.
Et puis, un cadavre est repêché dans le canal. Personne ne le connait, sauf Gereon qui a déjà croisé cet homme de son vivant. Il s'agit d'un exilé russe. Rath décide, dans l'espoir d'être muté à la criminelle, d'enquêter pour son propre compte, avant que cette histoire ne rejoigne les dossiers non élucidés, surnommés ici, "les poissons mouillés".
Lorsque Suzanne, de chez les filles, et l'éditeur (qu'ils en soient remerciés) me proposent ce livre je dis triplement oui : d'abord le pays m'intéresse, ensuite, les années 20, avant la montée du nazisme, me semblent une période propice à de nombreuses machinations et un excellent contexte pour des histoires, et enfin, la naissance d'un flic appelé a être récurrent m'attire toujours. Passons sur le titre que je trouve mauvais voire très mauvais. Heureusement pour moi, c'est la seule chose du livre qui le soit. L'auteur plante rapidement le décor : les manifestations des "rouges" dans le Berlin de mai 1929, la terrible répression, les émeutes, la police débordée. Les gangs mafieux (ici appelés "Ringverein") qui pullulent et règnent sur les commerces de drogue et de sexe ; la pornographie, photos et films qui se développe mais qui est activement réprimée par la brigade des moeurs. On sent et l'on voit au gré de l'avancement de l'histoire la montée du national-socialisme, l'apparition des croix gammées au grand jour. Le contexte historique est très présent, qui alourdit l'atmosphère du livre, l'opacifie et la densifie.
Surviennent alors des cadavres qui pourraient être oubliés, mais pas pour Gereon Rath. Il est jeune, ambitieux, quasiment prêt à tout pour revenir en odeur de sainteté et retourner à la brigade criminelle que tous considèrent comme l'élite de la police. Le personnage n'est pas blanc-blanc. Volker Kutscher n'en a pas fait un flic pourvu de toutes les qualités. Tant mieux ! C'est plus intéressant de voir un flic se planter, tenter de corriger ses bourdes, tant professionnelles que personnelles que de le voir toujours tout réussir ce qu'il entreprend. En cela, il est plus proche de nous. Malgré ses défauts, on s'attache à lui et on aimerait bien quand même qu'il réussisse à boucler son enquête, mais ça, vous ne le saurez que si vous lisez ce livre jusqu'au bout (566 pages, tout de même, moi qui n'aime pas les pavés, je suis servi !).
L'intrigue est un peu embrouillée (à causes surtout du grand nombre de personnages qui intervient) , mais toujours compréhensible grâce à quelques rappels fort judicieux, lorsque le commissaire s'interroge sur le déroulement des événements. Une petite histoire d'amour par là-dessus et tous les ingrédients sont réunis pour nous faire passer un long et très agréable moment. La seconde aventure de Gereon Rath (c'est bon signe alors, au moins, il ne meurt pas !) est en cours de traduction, titre provisoire : La mort muette (c'est mieux !). Je suis partant pour celle-ci aussi.
La déposition du tireur caché, Jean-Hugues Oppel, Ed. La Branche, 2006 Un tueur à gages, légèrement irrité d'avoir été doublé par ses derniers commanditaires, envoie anonymement, à un commissaire, une déposition écrite et enregistrée pour qu'il puisse se faire une idée des gens très haut placés impliqués. Très court roman se basant uniquement sur le témoignage du tueur. C'est assez tortueux, on avance dans le monde politico-financier. De forts intérêts sont en jeu. Des ventes d'armes aux pays d'Afrique : en cela j'ai fait le lien avec Le journal intime d'un marchand de canons, de Philippe Vasset. Il n'est pas toujours évident de se repérer dans ce panier de crabes, mais l'auteur ne nous perd jamais complètement : une explication fort à propos nous maintient en contact avec la réalité de ce qu'il décrit. Ce n'est pas mal du tout, peut-être un peu court, on aurait aimé un développement plus important de l'idée. Mais sans doute que la volonté de l'auteur n'était pas d'entrer dans une enquête policière classique. Il évite ainsi quelques clichés. Son point de vue est atypique et intéressant.
Le cahier bleu, James A. Levine, Ed. Buchet-Chastel, 2010
Batuk est petite fille indienne qui vit au calme, entourée de ses frères, sœurs, mère et père qu'elle adore et qui le lui rend bien. Mais la faillite gagne la famille, et le père de Batuk la vend lorsqu'elle a neuf ans à un réseau de prostitution enfantine. Elle est alors enfermée et va "travailler" dans un bordel de Common Street, à Bombay. Batuk, qui a appris à écrire lors d'un séjour dans un hôpital raconte ses journées, ses rêves et ses envies dans un cahier bleu qu'elle cache dans "son nid".
Sujet douloureux et délicat s'il en est, la prostitution des enfants est donc le thème principal du livre de James A. Levine. Cet auteur fut mandaté pour faire une enquête, pour les Nations Unies, sur le travail des enfants. "Il voit un jour une petite fille en sari rose qui écrit dans un cahier bleu", (4ème de couverture) dans une sordide rue de Bombay. De là, naît son idée d'écrire ce roman pour dénoncer la prostitution enfantine.
Malgré le thème abordé, le livre n'est jamais scabreux ; il est dur, révoltant et très très fort. Batuk, la narratrice est adorable, admirable. Elle écrit ce qui lui arrive : on craint pour elle, on compatit, mais on reste impuissant à lui apporter notre aide dont elle aurait tellement besoin. Elle, elle reste positive, préfère parler de ce qu'elle vit de beau : l'amitié et l'écriture d'histoires, de contes.
Ce livre est une petite merveille à la fois d'émotions, de tendresse pour son héroïne, et de poésie, lorsqu'elle invente ses histoires, lorsqu'elle parle à des êtres imaginaires ou au Tigre naturalisé de l'Hôtel -et qui lui répond !
Un très bel exercice de l'auteur : "ce premier roman, dérangeant, puissant et engagé contre la prostitution des enfants dans le monde" (4ème de couverture). Preuve s'il en est besoin que par le biais d'un roman, on peut faire passer un message très fort. A lire absolument. Mille fois plus fort que n'importe quel témoignage.
Robe de marié, Pierre Lemaître, Calmann-Lévy, 2009 Sophie est au bout du rouleau : depuis des mois, elle sent qu'elle devient folle. Elle oublie tout, mélange tout. Elle est la nurse d'un petit garçon de 6 ans. Mais lorsque celui-ci est assassiné, alors qu'elle est seule dans la maison avec lui, elle est évidemment sûre d'être la coupable. Elle s'enfuit, erre dans les rues de Paris. Coupable ? Non coupable ? Thriller construit en quatre parties assez inégales. Si la première est décevante, la seconde est un peu plus intéressante quoique peu crédible. Les deux dernières expliquent et relancent un peu l'intrigue pour finalement, heureusement, révéler le fin mot de l'histoire. J'ai failli abandonner dès la première partie tellement l'écriture me déplaisait : aucune grâce, et peu d'intérêt. Seule mon envie de connaître la fin de l'histoire m'a fait entamer la deuxième, qui se révèle nettement mieux. Néanmoins, je reste sur ma faim. Si je trouve que l'auteur déroule le schéma de son livre habilement, je n'ai pas réussi à accrocher à sa manière d'écrire, ni vraiment à son histoire. Sophie est larmoyante, transparente. Les autres personnages sont inexistants, prévisibles. Ils n'ont pas l'épaisseur pour tenir un lecteur en haleine durant les presque 300 pages. Histoire peu plausible, retournements un peu prévisibles et fin téléphonée et banale. Je suis peut-être exigeant, mais il en faut un peu plus pour me convaincre. Des avis différents chez Sylire, Mot-à-mots,Ys
Piqué chez Sylire, mais venant de chez Gwénaëlle, plusieurs bloggeurs(euses) ont cédé à ce petit jeu d'écriture. Il suffit de prendre les titres des derniers livres chroniqués et de faire une histoire les incluant. Un peu de "triche" pour ma part, puisque certains titres ne sont pas dans les 10 derniers, mais dans les 12 ou 15, et j'avoue même un titre d'un livre lu, mais billet à venir. Mais, bon, j'ai une excuse, j'ai mis douze titres (titres en italique et en gras). Voici mon oeuvre :
Repris de justice, libéré de La cellule de Zarkane, je me faisais une joie de revoir ma douce Lila, Lila… Mais, la drôlesse, Une femme allemande, avait profité de mon incarcération pour vivre L’amour à Versailles avec Un ami parfait, célèbre origamiste dont la dernière œuvre, Le papillon de papier, était exposée dans le plus grand musée de Berlin, La ville insoumise.
Je louais alors une voiture pour rejoindre les deux amants dans les jardins du château de Louis XIV ; sur l’autoroute, La remorque vint à se détacher. La maréchaussée, contrairement à sa réputation, arriva rapidement sur les lieux. L’agent me demanda mes papiers, que j’avais fort malencontreusement oubliés. Il me demanda alors mon identité. Je lui répondis :
« - Je suis l’ami du neveu de la fille de l’ami intime du fils du voisin de Paul Cézanne.
- De qui ? »
Comprenant avoir affaire avec un amoureux des arts, je lui rétorquai, histoire de l’embrouiller un peu plus :
- Paul Cézanne. Mon frère et son frère sont cousins. »
Ne voulant pas me retarder, sûrement, il me laissa partir, mais sans la remorque passée en pertes et profits. Arrivé dans les jardins, je ne vis que deux personnes promenant leurs chiens. Canidés qui se livrèrent subitement à des actes que ma pudeur et la morale m’empêchent de révéler ici. Leurs maîtres respectifs les séparèrent en leur criant dessus :
- « Ici, spinoza !
-Aux pieds, Hegel ! »
Tiens me dis-je benoîtement : "Spinoza encule Hegel" (ça y est je l’ai quand même dit !).
Toujours est-il que je ne trouvai point les deux tourtereaux. Désappointé, déçu, je décidai de rentrer à Paris tirer une croix sur ma douloureuse histoire d'amour.
Rentré chez moi, consultant les mails énamourés que m’avait laissé mon ex-fiancée, je cliquai dans la rubrique «Voulez-vous effacer/archiver ces messages ? », puis dans l’onglet «archiver». On ne sait jamais…
Les orpailleurs, Thierry Jonquet, Gallimard, 1993 Un cadavre en décomposition est retrouvé dans une soupente destinée à la démolition. Un cadavre de femme avec la main droite tranchée. Très peu d'indices : seul un pendentif en main de fatma. Les inspecteurs Dimeglio et Rovère sont chargés de l'enquête ; le dossier est confié à la juge d'instruction, toute fraîche arrivée de Province, Nadia Lintz. Première chose qui m'a surpris dans ce polar, ce sont les noms des protagonistes que l'on retrouve dans une série télévisée de France 2 : Boulevard du palais. Normal, puisque, renseignements pris, les personnages de la série sont bien directement dérivés de ce roman. Série que j'aime bien d'ailleurs ! Ce qu'il y a de bien dans ce polar c'est que Thierry Jonquet ne se contente pas de nous décrire des meurtres et des cadavres. Chaque personnage est soigné, décrit assez minutieusement, aussi bien physiquement -mais malgré cela je n'ai vu que les têtes des acteurs incarnant les personnages- que psychiquement. Chacun traîne un passé plus ou moins lourd. Rovère est accro à l'alcool depuis que son fils a eu un accident, Nadia Lintz vient de se séparer de son mari et l'on sent une histoire de famille pas très glorieuse, ... Ils ont tous une vraie épaisseur : on pourrait presque s'attendre à ce qu'ils reviennent dans d'autres romans de Jonquet, ce qui n'a pas l'air d'être le cas. Renseignements pris, merci Dasola, ils sont aussi dans Moloch. Le roman n'est pas écrit à un rythme haletant : il se lit au même tempo. Les cadavres s'accumulent, l'enquête piétine. Tous les enquêteurs avancent selon leurs intuitions, selon les indices, les révélations, affrontant plus ou moins heureusement les embûches que la vie leur tend. Dans Les orpailleurs, les meurtres emmènent les policiers et la juge sur des chemins insoupçonnés voire improbables à la lecture des premières pages. Dans certains polars, les personnages sont là pour servir d'alibi à des meurtres sordides, plus ou moins bien décrits : dans celui-ci, les crimes sont le très fort contexte permettant à Thierry Jonquet de décrire une très belle galerie de personnages. D'autres avis : aproposdelivres, lilibook
Le dernier crâne de M. de Sade, Jacques Chessex, Grasset, 2009 Dans la première partie du livre, Jacques Chessex raconte les six derniers mois de la vie du marquis de Sade, emprisonné à Charenton, mais continuant de se livrer à des jeux sexuels assez dégradants pour lui, en compagnie d'une jeune fille de 15/16 ans. Dans la seconde partie, l'auteur nous parle du crâne du marquis qui, après avoir été exhumé fait des voyages et des séjours étonnants, continuant de provoquer brûlures et désirs. J'ai beaucoup apprécié les deux précédents livres de Jacques Chessex (Le vampire de Ropraz et Un juif pour l'exemple), malgré des fins ratées -avis très personnel- et un aspect "coincé et rigide" de sa vision des événements. Je m'attendais donc à tomber dans une espèce de morale concernant le sulfureux marquis, ainsi d'ailleurs que peuvent le laisser présager les 3 pages du premier chapitre. Et puis, j'ai été fort surpris, car outre les descriptions fortes et crues des pratiques sexuelles et de la déchéance du marquis, on sent que l'auteur a pour lui une certaine admiration. Je me demande même dans quelle mesure Jacques Chessex n'a pas pris un malin plaisir (sadique ?) à ses descriptions scabreuses. Il a un détachement par rapport aux pratiques de son héros, mais est lui aussi attiré par l'aura de ce personnage, comme tous ceux qui l'entourent d'ailleurs. J'ai donc lu ce livre à la lumière de mes précédentes lectures de l'auteur et le crâne de M. de Sade qui voyage dans la seconde partie du livre, m'est apparu comme une image du démon, de Satan. Il émet une lumière rouge-orangée, provoque des brûlures et le désir chez ceux qui l'approchent. Cette fois pourtant, Jacques Chessex ne le repousse pas, ne le juge pas, il semble même beaucoup s'amuser des aventures post-mortem de ce crâne. Ce que j'ai lu de Jacques Chessex ne peut laisser indifférent. Ce livre ne déroge pas à cette règle. D'autres avis chez Ys, Mango, Dasola.