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Madoff, l'homme qui valait cinquante milliards

Publié le par Yv

Madoff, l'homme qui valait cinquante milliards, Mark Seal, Ed. Allia, 2010 (traduction : Hélène Frappat)

"Sous le titre : Madoff, l'homme qui valait cinquante milliards, le présent ouvrage regroupe trois articles de Mark Seal, publiés initialement dans Vanity Fair en 2009 : "Madoff's world" en avril, "Hello Madoff" en juin, avec la collaboration d'Eleanor Squillari, et "Ruth's world" en septembre." (Avant-propos, p.6)

Le premier article explique les prémices de l'escroquerie, comment Bernard Madoff en est venu à bluffer tous ses clients, tous issus de son cercle d'amis, de ses relations, de sa famille et de celle de sa femme Ruth. Comment ce fils d'une famille plutôt modeste du Queens a réussi à fréquenter tous les gens de la "bonne société états-unième" qui se battaient pour rentrer dans son fonds de placement.

Le second article est écrit en collaboration avec Eleanor Squillari, la secrétaire personnelle de Madoff pendant 25 ans. Elle raconte les derniers jours avant l'arrestation de son patron, ses relations avec lui, avec ses fils, son frère, sa femme, tous travaillant chez Madoff, entreprise familiale.

Le dernier article est une "enquête sur la nature de leur mariage [celui de Bernie et Ruth Madoff] qui durait depuis 49 ans, depuis l'engagement profond de Ruth dans les affaires de son mari jusqu'aux démons dissimulés sous sa façade d'épouse parfaite, et à la vie bizarre qu'elle a mené depuis l'arrestation de Bernie." (p.127)

Très intéressant petit livre. Malgré certains passages un peu techniques, il se lit facilement. Comme un roman a-t-on l'habitude de dire. Mais il paraît être plus romanesque qu'un vrai roman, tellement les personnages semblent fictionnels. Quel romancier un peu attaché à la crédibilité de ses personnages aurait pu en créer d'aussi incroyables ? Madoff a escroqué des gens riches, très riches, extrêmement riches. Ils voulaient tous investir chez lui. A lire Mark Seal, on peut s'apercevoir que la richesse ne rend pas raisonnable, même et surtout lorsqu'il est question de faire fructifier son argent. Jalousies, envies, besoin d'avoir toujours plus ; si l'un d'entre eux place son argent à haut taux de rendement -chez Madoff par exemple- les autres veulent "en être" aussi, pour accumuler encore plus.

Mark Seal doute tout au long de ses enquêtes que Madoff fût le seul au courant de sa chaîne de Ponzi. Lorsqu'il s'est livré au FBI, il a endossé l'entière responsabilité d'une des plus énormes escroqueries jamais imaginées. Ruth, sa femme, était-elle au courant ? Certaines questions resteront sans réponses, car seul le couple Madoff détient les clefs.

J'ai parfois eu l'impression de lire : "Les malheurs de nos amis les gens riches". Toute compassion de ma part est exclue, puisque pour investir chez Madoff, il fallait déjà avoir plusieurs millions de dollars et que ce n'est que cette envie "d'en faire partie " qui a poussé les arnaqués à se livrer eux-mêmes à leur bourreau. Par moments, j'ai même eu envie de sourire devant tant de naïveté et de cupidité, mais ce n'est bien sûr, vous l'aurez compris, que de la jalousie de cette jet-set new-yorkaise qui ne sait quoi faire de son argent, mais qui en veut tout de même davantage, je devrais d'ailleurs dire qui ne savait quoi faire de son argent, puisque Madoff leur en a pris énormément.

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Le sang et la mer

Publié le par Yv

Le sang et la mer, Gary Victor, Ed. Vents d'ailleurs, 2010

Hérodiane, très belle jeune femme noire haïtienne quitte son village natal, avec son frère Estevèl. La mort de leurs parents les contraint à s'installer dans un bidonville de Port-au-Prince, appelé Paradi, parce sis au flanc d'une montagne et "[qu'il faut] cheminer vers le ciel pour y accéder" (p.47). Spoliés de leur héritage par un sénateur, "ce sénateur, responsable de la mort de mon père, était un voyou, présenté partout, par ces aberrations mentales dont nous étions coutumiers, comme un modèle de citoyen". (p.42) Les deux jeunes gens espèrent sortir de la misère, Estevèl en trouvant des petits boulots et en protégeant sa sœur, tel qu'il l'a promis à leur mère, et Hérodiane en étudiant.

Souvent, dans nos billets, nous parlons de livre fort, à raison, mais là, j'aimerais trouver un qualificatif autre, plus... fort. Quel livre ! Quels personnages ! Hérodiane et Estevèl forment une fratrie soudée. L'une est jolie, convoitée par les hommes, jalousée par les femmes, mais elle sait ce qu'elle veut, et surtout ce qu'elle ne veut pas. Mais quand elle rencontre son Prince Charmant aux yeux clairs, les barrières tombent. L'autre, le frère, est protecteur, attentif, fait preuve d'abnégation pour que sa soeur puisse vivre une vie de jeune fille.

Le contexte est terrible : la vie à Paradi, bidonville de Port-au-Prince où une jolie jeune fille est soit mariée, soit plus probablement, vit de ses charmes, certaines sont prostituées par leur propre famille dans le but de trouver un mari ou de rapporter l'argent qui fait vivre tout le monde.

Gary Victor, dans un style simple, direct et franc décrit sans détour le passage à la vie adulte des deux jeunes gens, la découverte de leur pays, de la pauvreté, de l'extrême dénuement des habitants des bidonvilles et de la vie facile des riches, qui s'enrichissent encore sur le dos des plus pauvres : Yvan, le Prince Charmant d'Hérodiane, héritier d'une des plus riches familles du pays lui raconte : "Paradi, c'est le nom qu'ont donné au bidonville ses premiers habitants. Mais le terrain sur la montagne nous appartient. Essaie de comprendre. Plus de mille habitations de fortune louées à l'année en moyenne à quinze mille gourdes, cela fait quinze millions de gourdes, soit trois cent soixante-quinze mille dollars américains environ chaque année sans redevance fiscale. Nous nous arrangeons pour faire croire que nos terres sont occupées illégalement et ainsi, nous gardons la possibilité de nous faire dédommager par le gouvernement. Nous plantons de la misère, nous cultivons de la misère et nous récoltons de l'or." (p.130)

Dès lors, comment croire à la possibilité des Haïtiens de se sortir de leur misère ? Ajoutez à ce constat, des catastrophes climatiques récurrentes, et la situation devient inextricable. Rodney Saint-Eloi, dans Haïti kenbe la ! dit que son peuple est fort, courageux et qu'il saura reconstruire son pays. C'est tout le mal qu'on lui souhaite, mais quel travail à faire !

Gangoueus, sur son blog écrit : "Le surnaturel n'est jamais absent des textes de Gary Victor. Ici, il prend une forme poétique rare incarnée par Estevèl." Je découvre pour ma part Gary Victor et cette dose de surnaturel rajoute du dépaysement venu tout droit des croyances haïtiennes.

Pour finir, je préfère vous prévenir que ce livre est formidable -il faudrait que je trouve mieux comme adjectif, plus fort, plus accrocheur- et que dès que vous l'aurez ouvert, il vous tardera de le finir. La plus belle preuve -en toute modestie bien sûr- serait que vous puissiez voir ma tête ce matin, après un coucher tardif pour absolument terminer Le sang et la mer (mais bon, là, je vais éviter, je ne suis pas forcément à mon avantage.)

Oh, j'allais oublier, ce livre a fait l'objet d'un partenariat B.O.B/Vents d'ailleurs. Merci, merci.

 

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Geluck se lâche

Publié le par Yv

Geluck se lâche, Philippe Geluck, Casterman, 2009

Sous-titré : "Textes et dessins impolis", ce livre porte bien son nom. Contrairement aux livres concernant le héros fétiche de l'auteur, Le Chat, cet ouvrage est plein de textes. Quelques dessins, pas toujours bien pensants voire franchement politiquement incorrects et tellement drôles. J'avoue un penchant -très honorable- très fort vers Geluck et son chat : j'ai tous les exemplaires dans ma bibliothèque et j'adore les rouvrir de temps en temps.

En lisant ce dernier livre, je ne suis pas vraiment surpris du ton général, parce que Le Chat est parfois méchant, parfois dérangeant et met le doigt là où ce n'est pas toujours bon de le mettre.

Dans Geluck se lâche, ce qui peut surprendre, c'est la succession des vacheries et autres méchancetés, mais que "c'est bon de rire parfois",comme disaient Les Nuls. Enchaînant anachronismes, détournements, réécritures de grands textes, métaphores, néologismes, horreurs, loufoqueries, "absurderies", extravagances, inventions, bizarreries, Geluck écrit des textes drôles, absurdes juste comme j'aime : "Mettons-nous quelques instants à la place d'un glaçon dans le congélateur (en n'oubliant pas d'enfiler un bon pull pour ne pas attraper froid, ah ! ah ! ah !). C'est quoi, la vie d'un glaçon ? Durant toute la gestation, c'est-à-dire depuis la conception (l'instant où le papa-robinet féconde la maman-moule-à-glaçons en la remplissant d'eau) jusqu'à la naissance (le moment où le volume d'eau froide devient glace), le glaçon aura sans doute vécu la plus belle partie de son existence."(p.51) Je vous conseille d'ailleurs la lecture de cette histoire absurdo-comique du glaçon jusqu'à sa fin : "Il [le glaçon] s'endort et se dilue, un peu pété, en voyant défiler toute sa vie, c'est-à-dire surtout de l'obscurité avant d'y plonger définitivement."

Dans d'autres textes, il aborde des thèmes plus actuels, tragiques et réels, mais toujours par l'angle de l'humour, par exemple lorsqu'il parle du traitement médiatique des morts plus ou moins important selon qu'ils sont riches ou pauvres, jeunes ou vieux, connus ou inconnus : "Mais tous les vieux qui sont morts depuis [la canicule], ça n'intéresse plus vraiment. Sauf s'ils étaient connus. Aaaaah, là, je ne dis pas ! Du vieux qui décède à Monaco ou à Rome, ça c'est intéressant ! Ça madame, ça se trouve tout en haut du classement. C'est de l'occidental, du très connu et du très vieux et ça mérite qu'on s'en gave. Mais de l'enfant esclave en Amérique du Sud ou en Asie de Sud-Est, ça vit et ça meurt sans que ça nous concerne vraiment. Le jeune bougnoule de là-bas ne fait pas le poids face au people bien gras d'ici. Que voulez-vous, c'est la loi des médias." (p.111)

Et puis, au milieu de toutes ses bétises, Geluck glisse un petit texte, une parabole racontée par un vieux Chinois, racontant qu'une année est comme un mur que l'on monte, même si l'on y met des fenêtres, on ne pourra plus le franchir pour revenir en arrière : on pourra éventuellement  regarder son passé, mais le plus important est de penser au prochain mur, celui que l'on commence le 1er janvier à 00h01 et qui nous permettra d'avancer.

Qu'on se le dise, Geluck a des talents multiples et n'est pas un gentil, un béni-oui-oui, un dessinateur mièvre !

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Des hommes et des dieux

Publié le par Yv

Des hommes et des dieux, Xavier Beauvois, 2010

Adaptation libre de l'histoire des moines de Tibéhirine, en Algérie, enlevés et tués, probablement par le Groupe Islamiste Armé, qui dans les années 1990 (pour eux, ce fut en 1996) semait la terreur dans la population algérienne, égorgeant, apeurant Algériens et étrangers.

Film coup de cœur pour certains. Chef d'oeuvre pour d'autres. Une quasi unanimité pour ce film de Xavier Beauvois. Sauf pour moi ! Et oui, au risque de déplaire, j'ose dire que je n'ai pas aimé ce film. Très lent. Trop lent. J'ai failli sortir de la salle avant la fin de la première partie. (Bon, je dois dire aussi que la salle de mon petit cinéma de quartier était pleine et que ma voisine s'était aspergée d'un parfum lourd, capiteux et très gênant pour mon odorat fin !) Et puis, la seconde partie est un peu mieux. Mais malgré ce qu'en j'avais lu et ce qu'on m'en avait dit, c'est un film trop centré sur la religion et pas assez sur les rapports entre les moines et les habitants du village. Beaucoup de questions sont abordées : l'engagement dans la religion, jusqu'où peut aller un moine sans se renier ? Le martyr est-il nécessaire et important ? Si oui, dans quel but : pour les moines eux-mêmes, pour un "coup de pub" pour la religion ou pour défendre les plus malheureux ?

J'eusse préféré qu'au premier plan ces moines se préoccupassent beaucoup plus du sort des Algériens du village et qu'ensuite arrivassent  leurs questionnements certes légitimes, mais qui à mon sens prennent une trop grande importance dans le film.

Mention très bien quand même aux acteurs, tous très bons -même si Lambert Wilson en fait un peu trop-, Michael Lonsdale, parfait en médecin, profond et malicieux et Olivier Rabourdin, excellent en moine qui doute.

En résumé, pour moi, pas assez d'humanité et de fraternité entre les moines et les villageois et trop d'émotion facile ; pas assez de vivre ensemble et trop d'interrogations nombrilistes.

La scène de trop : pour moi, il y en a beaucoup, notamment les prières, les messes fort abondantes, mais le summum du ridicule est atteint lorsque Xavier Beauvois filme les 9 moines en gros plan, puis très gros plan, lors de ce qu'ils savent être leur dernier repas ; le vin qu'ils ne boivent pas d'habitude est apporté par Frère Luc et, sur Le lac des Cygnes de Tchaïkovsky, ils dînent en riant et pleurant : la Cène. Gros et inutile.

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Le tueur en pantoufles

Publié le par Yv

Le tueur en pantoufles, Frédéric Dard, Ed. S.E.P.O, 1951, (Fayard, 2003, et Points, 2008)

Jango est un tueur qui mène une petite vie tranquille entre sa mère, bonne-maman, et son jeune fils, Zizi. Il a sa méthode : une piqûre dans la nuque, et hop le corps est plongé dans une cuve d'acide. Sa "rabatteuse" est Barbara, prostituée et de temps en temps petite amie. Il vit bien de son commerce, ne demande pas trop cher, pour s'adapter aux moins riches. Jusqu'au moment ou Maurice, un jeune homme, lui demande de supprimer son oncle, un colonel à la retraite.

Polar qui fleure bon les années cinquante,  le Paris des truands sympathiques avec un code d'honneur. Contrairement aux San-Antonio, la langue est classique, sans effet argotique ou mots triturés. Frédéric Dard rend son récit drôle plus par les situations que par des bons mots. On ne peut s'empêcher, en lisant ce livre de penser aux films de truands des mêmes années cinquante, ou même d'en voir des images défiler : les rues de Paris, les flics faisant copains-copains avec les bandits d'honneur et méprisant les tueurs gratuits, les terrasses des cafés, ...

Barbara est une prostituée au grand coeur, aux clients sélectionnés qui s'attachent à elle et auxquels elle s'attache. Jango est un tueur menant une vie de banlieusard tranquille, sa bonne-maman lui mitonnant de bons petits plats, dont la blanquette, comme la Félicie de San-A. Il ne se sent pas du tout un assassin, et, lorsque Barbara lui propose d'éliminer un gêneur qui pourrait lui causer du tort, il refuse catégoriquement, un brin offusqué, puisque personne ne le paie pour cela. C'est un artisan du crime.

Un petit plus de l'intrigue est d'y inclure une mini dose de para-normal, en la présence du fantôme ou de l'esprit du colonel : assez en avance lorsque l'on sait que c'est désormais chose courante chez des romanciers gros vendeurs que je ne citerai pas parce que je ne voudrais pas en oublier si je ne nomme que Didier Van Cauwelaert ou Marc Lévy !

Voilà, voilà, voilà ! En ai-je dit assez ? Ah non, si Daniel Fattore, m'y autorise, je mets son "label" : http://storage.canalblog.com/48/04/583285/48240345.jpg et j'offre donc là mon second roman de Frédéric Dard à son défi San-A 2010 !

Je vous souhaite une bonne lecture de ce petit roman qui s'intercalera très bien entre deux lectures plus conséquentes, ce qui fut mon cas et qui m'a permis de m'alléger un peu l'esprit.

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Incident de personne

Publié le par Yv

Incident de personne, Eric Pessan, Albin Michel, 2010

Un homme, animateur d'atelier d'écriture, prend place à bord d'un train Paris-Nantes. Il veut se reposer, bien qu'il s'en sente incapable, épuisé qu'il est par son travail, sa vie. Sa voisine de voyage, une femme, très attirée par son portable et ses textos à envoyer ne risque pas de le déranger. Et puis, entre Le Mans et Angers, brutalement, le train s'arrête, sans raison apparente. Au bout d'un long moment, le contrôleur du train parle d'un "incident de personne", un suicide sur la voie, qui oblige le train à s’immobiliser un moment. A ce moment, un contact, timide au départ, s'amorce entre l'homme et la femme, celui-ci se lançant dans un récit, alternant des moments de sa vie et des histoires reçues dans ses ateliers d'écriture.

Sombre, bien sombre ce nouveau roman d'Eric Pessan. Son personnage est fatigué, nerveusement, physiquement. C'est un "passager bavard, dépressif, vaguement inquiétant, celui [...] qui vous racontera sa vie, ses malheurs, ses problèmes, vous montrera ses varices et vous détaillera ses flatulences. Et -comble du malheur- votre train est coincé pour des heures." (p.155) Il se raconte à cette femme inconnue, lui qui ne dit jamais rien. Cet "incident de personne" déclenche en lui quelque stimulus le faisant se confier. Il rentre de Nicosie, en Chypre, où il a animé un atelier d'écriture. Là-bas, l'homme qui l'a accueilli, qu'il ne connaissait pas à procédé d'une façon similaire, lui racontant un épisode douloureux de sa vie et se suicidant ensuite. Alors, si le narrateur n'en est pas au suicide à proprement parler, peut-être peut-on parler de "suicide social", lui qui s'isole totalement des siens, de ses amis, des autres en général, au point de perdre également logement et travail.

Eric Pessan construit son roman comme des allers-retours entre le wagon, où les gens s'impatientent, s'énervent, et les histoires glanées lors des ateliers d'écriture que l'homme raconte à sa voisine. Le lien entre toutes ces anecdotes étant lui, l'animateur, le confident, l'avaleur, l'éponge qui les absorbe toutes et ne peut les ressortir, sauf dans ce train. Là où certains pourraient voir une suite illogique et sans but de récits plus ou moins intéressants, je vois un homme qui ne vit que par les autres, qui n'a aucune existence propre que celle de permettre aux gens qu'il accompagne de sortir leurs malheurs. "Pour ma part, je suis sans histoire, je n'ai rien à dire de moi, je n'existerai plus à la descente de ce train [...], vous vous souviendrez vaguement qu'un type bizarre voyageait à vos côtés, un type sans histoire, cousu de récits de vies qui ne sont pas les siennes. Un type qui a accepté de ne pas avoir d'histoire pour se rendre disponible à celle des autres." (p.182)

Ce n'est pas un texte facile, qui ne fait pas dans la gaudriole, mais Eric Pessan sait nous accrocher avec sa langue simple et directe. Le portrait d'un homme en plein questionnement à l'aube de la quarantaine, en questionnement sur lui-même, sur les autres et sur la vie en général. La vie, la mort, les souffrances, les malheurs, l'amour.

Un livre intelligent, par un auteur que j'aime beaucoup, qui nous pousse à la réflexion et qui ne peut laisser indifférent !

D'autres lecteurs : le globe-lecteur, Sylvie, Pimprenelle.

Merci à Joëlle Faure des éditions Albin Michel.

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Les coqs et les vautours

Publié le par Yv

Les coqs et les vautours, Albert-Paul Granier, Ed. des Equateurs, 2008

Livre prêté par un ami me sachant un petit peu réticent à la poésie et accompagné de ces mots : "Laisse-toi faire...". Vous l'avez donc compris c'est un recueil de poésies, écrites entre 1914 et 1916. Albert-Paul Granier est sous-lieutenant d'artillerie pendant la Grande Guerre. Pendant ses moments inoccupés, il écrit ces poèmes, chargés, lourds, pour beaucoup. Il les publiera à compte d'auteur, et c'est au hasard d'un cadeau amusé d'un copain que Claude Duneton, romancier, comédien,...,  découvrira le poète et cherchera à le publier.

Certains textes sont difficiles, lorsque Granier met en phrases les canons, les obus, car même l'élégance des vers n'édulcore pas la dureté des jours de guerre.

La Rafale (1914)

 

En rafale d'acier, les longs obus gloutons

fracassant le ciel clair d'un formidable orage,

se sont rués férocement sur le village,

comme un vol d'aigles sur un troupeau de mouton.

 

Et, lorsque la fumée en pesants tourbillons,

s'est effacée au long des calmes pâturages,

le doux village, au bord de la rivière sage,

n'était plus que ruine et désolation.

 

Mais, au milieu des morts des ans passés, l'église,

debout comme un cheval moribond, agonise,

et son âme saignant aux blessures des pierres,

 

pleure aux abat-sons morts du clocher chancelant

de ne pouvoir sonner ce soir, pieusement,

le glas du doux village au bord de la rivière.

 

Par contre, d'autres poèmes sont plus "abordables", moins chargés de douleurs, de cris et de guerre.

 

Le Feu (1916)

 

Le feu, dans la cheminée,

fait le bruit souple et flou

des oriflammes

et des pennons bleus des processions,

sur les quais des ports de pêche quand on va bénir la mer.

 

Le feu, très doux,

fait craquer les branches sèches,

et les fait s'affaisser avec un bruit soyeux

de jupe que l'on froisse ou de pas dans la neige.

 

Les flammes,

attachées aux sarments,

se tendent vers la lumière

-comme des âmes-

vers la lumière si lointaine

en haut de la cheminée,

et s'effilent vers la clarté

comme des algues dans le courant...

Albert-Paul Granier est né au Croisic, le 3 septembre 1888. Il est mort le 17 août 1917, "en plein ciel, en plein vol, au nord du Bois Bourru, près de Verdun" (p.17 de la préface), puisqu'il avait décidé de monter en tant qu'observateur dans les avions de l'époque, coucous de toile et de bois. Le sien n'a pas échappé aux obus ennemis.

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Le septième fils

Publié le par Yv

Le septième fils, Arni Thorarinsson, Métailié, 23 septembre 2010

Einar, journaliste au très controversé "Journal du soir" est envoyé par son rédacteur dans les fjords de l'ouest de l'Islande, dans la petite ville d'Isafjordur. Il doit faire un bilan économique, politique, enfin un bilan global de cette région que les Islandais quittent pour rejoindre Reykjavik, la capitale. Dès son arrivée, une ex-star du foot en visite dans le coin disparaît avec son ami d'enfance, une vieille maison du centre ville brûle, ainsi qu'un camping car volé quelques heures auparavant à un couple de touristes lituaniens. Dans celui-ci, deux corps calcinés sont retrouvés. Plus loin, à Reykjavik, c'est un député, très estimé et très en vue qui est retrouvé assassiné : il avait vécu plusieurs années à Isafjordur. Einar mène sa propre enquête au grand dam des flics des fjords et particulièrement de la commissaire Alda Sif Arngrimsdottir (Ah, le charme des noms propres islandais !).

Troisième aventure du journaliste Einar (je ne connais pas les deux précédentes) qui nous emmène dans l'Islande profonde. L'enquête est assez complexe et retorse pour nous tenir jusqu'au bout, même si le dénouement n'est pas si étonnant que cela.

Le plus intéressant, c'est la description de ce petit pays, juste avant la fameuse crise de 2009/2010 qui a vu son économie exploser et s'effondrer totalement (livre écrit en 2008). Les Islandais sont surendettés et Arni Thorarinsson cerne plutôt bien le sujet. Il expose les faits qui amèneront inévitablement à la crise : le besoin, l'envie de confort, de biens de consommation, de bien-être ; la vie à crédit pour ne jamais rien se refuser. Il explique comment les Islandais vivent la mondialisation au travers de ses personnages : la jeune fille-future-star de la chanson -du moins, le croit-elle-, le vieux flic bougon et réactionnaire et le journaliste qui observe et juge son pays et sa société.

Lors de son enquête, Einar s'oppose à la commissaire d'Isafjordur, aux habitants de cette ville qui ne voient en lui qu'un journaliste fouineur, curieux. Classique. Très crédible.

Ce n'est sans doute pas le roman policier du siècle, mais c'est un roman noir aux personnages et aux lieux très attachants. Une belle description, pas forcément pessimiste ou du genre "c'était mieux avant" d'une société et d'un pays en plein changement.

Et comme souvent dans les romans nordiques, le relief et le climat, bien décrits ici, donnent une atmosphère sombre, ouatée ; le pays, la région des fjords particulièrement devient un vrai décor très présent.

Encore un bon roman noir nordique, à lire au chaud pour contrer les effets du froid polaire.

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La fleur de Guernica

Publié le par Yv

La fleur de Guernica, James Noël (texte) et Pascale Monnin (dessins), Vents d'ailleurs, 2010

Sismo vit en Haïti. Ce jour du 12 janvier 2010 commence comme tous les autres : l'école, les copains. Et puis, "Rosemonde, la plus jolie fille de l'univers" s'assoit à côté de lui, en classe. Ils s'ennuient dans ce cour de catéchisme, et Rosemonde montre à Sismo ses dessins. Elle lui donne "une photo joliment bizarre. "Guernica, précise-t-elle, c'est du peintre espagnol Pablo Picasso" (p.5)

J'ai accepté ce partenariat jeunesse B.O.B/Vents d'ailleurs, parce que comme, vous l'avez pu lire dans le billet précédent -si ce n'est pas encore fait, je vous laisse quelques minutes pour y aller ! A tout de suite- Haïti m'intrigue et j'ai envie d'en connaître plus sur ce pays. En outre, aborder en même temps ce pays, le récent tremblement de terre et Guernica, tout cela dans un livre jeunesse me parait être un pari audacieux et tentant.

J'ai donc lu d'abord pour moi, ensuite je l'ai lu au jeune homme de 6 ans qui ne maîtrise pas encore la lecture ; son frère de 8 ans a lu tout seul.

Leurs impressions se ressemblent : "Z'ai bien aimé -l'un des deux zozotte !- les dessins parce qu'ils ont pleins de couleurs. Ils sont beaux. Le livre aussi est beau. L'histoire m'a permis d'apprendre qu'il y avait eu un tremblement de terre en Haïti, et puis, je ne connaissais pas ce pays. Je ne savais pas non plus qui était Picasso."

Quel manque d'éducation me direz-vous ! Bon d'accord, je fais profil bas. Mais justement, j'en profite pour dire merci aux auteurs et merci à l'éditeur parce que par l'intermédiaire de ce très joli livre, j'ai pu parler de ce pays, du récent séisme et du peintre espagnol et cerise sur le gâteau, j'ai montré aux garçons le fameux tableau, Guernica, pas dans le livre -il n'y est pas représenté- mais sur l'ordinateur.

Pour ma part, avec mes a priori d'adulte, une première lecture de ce livre me laissait à penser que les enfants auraient du mal à comprendre l'écriture poétique et un peu elliptique (et très belle) de James Noël. Cette fois-ci, ma supériorité d'adulte-éducateur en a pris un coup, parce qu'ils ont parfaitement saisi l'histoire. Le texte est beau et les dessins sont effectivement très colorés, réalistes : une vraie réussite d'album jeunesse.

Un excellent tremplin pour aborder des question d'actualité et des notions culturelles avec des enfants que l'on tente parfois de protéger des malheurs de la terre et qui, pour peu que ce soit dit dans une langue qu'ils comprennent et bien illustrée sont capables de comprendre beaucoup de choses.

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