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Kiki de Montparnasse

Publié le par Yv

Kiki de Montparnasse, Catel et Boquet, Casterman écritures, 2007

La vie d'une véritable icône du Montparnasse des années 20, élue reine de ce quartier oh combien artistique à l'époque. Cette BD d'un peu plus de 300 pages revient donc sur le parcours d'Alice Prin, qui deviendra le modèle le plus côté pour sculpteurs et peintres sous le nom de Kiki. Née en 1901, Alice est élevée par sa grand mère, à la campagne. A douze ans, sa mère linotypiste à Paris la reprend chez elle pour lui apprendre un métier. C'est là qu'Alice fait la rencontre d'un sculpteur qui lui demande de poser pour lui. La suite n'est pas facile, car vivre de ce métier est difficile. Mais Alice est positive, elle est jolie, a bon caractère et tombe facilement amoureuse de ceux qui la peignent. Elle rencontrera et deviendra amie avec Soutine, Modigliani, Utrillo, et surtout Foujita et Man Ray avec lequel elle vivra pendant 7 ans et qui lui inspirera ses plus belles photos, les plus célèbres, dont celle archi-connue qui inspire la couverture du livre.

Conçue comme une biographie chronologique s'attardant évidemment sur les années 20, l'âge d'or de Kiki, cette bande dessinée est d'une lecture à la fois intéressante et instructive. Souvent les livres -enfin ceux que j'ai lus, notamment la trilogie de Dan Franck- parlent de cette époque globalement ne se posant sur aucune des personnalité, ou alors sur les plus marquantes, Picasso, Modigliani, ... Là, le propos est centré sur Kiki, personnage haut en couleur qui a  posé, chanté dans des clubs et des cabarets -des chansons osées : son tour de chant commençait quasi invariablement par Les filles de Camaret. Elle a peint également. Ses toiles ont d'ailleurs remporté un succès certain. Ce qui fait également la différence de ce livre, c'est que Kiki est une femme dans un monde essentiellement masculin; Kiki est la pionnière de la femme libérée, émancipée, choisissant son style de vie, s'affichant ouvertement amoureuse de nombreux hommes, parfois plusieurs en même temps. Une femme pour qui la nudité n'est pas un problème, fort heureusement puisqu'elle a inspiré aux artistes de l'époque leurs plus belles œuvres.

Elle rencontre tout ce que Montparnasse compte d'artistes plus largement que les peintres. Par exemple des écrivains, Desnos, Cocteau, Tzara, Breton et tous ceux qui composent le mouvement Dada et composeront celui des surréalistes. Elle a aussi joué dans des films, ceux très avant-gardistes de Man Ray notamment. Elle écrira aussi, ses mémoires, interdites aux États-Unis, pays qui ne lui réussit décidément pas puisqu'avant son livre, elle avait fait une tentative de cinéma avec Cecil Blount DeMille, avortée.

Très belle mise en page, dessins noirs et blanc à la fois simples et travaillés qui semblent au plus près du physique des personnages. Le scénario est linéaire, très aisé à suivre, les personnages sont tous attachants, particulièrement Kiki qui ne s'embarrasse d'aucun principe, aime, jouit de la vie comme bon lui semble. Elle est d'une nature positive, optimiste, malgré un début de vie pas très facile.

A noter à la fin de la bande dessinée, une biographie d'Alice Prin et des notices biographiques de tous les intervenants, bien faites, succinctes, juste pour se remémorer un peu le nom des illustres artistes que Kiki a côtoyés.

D'autres lecteurs : Alain, Papillon, Canel.

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Conchito

Publié le par Yv

Conchito, Pascal Juan, Ed. Presque lune, 2010

Patrick est un jeune homme qui ne trouve pas de travail. Pas d'ambition ni de volonté particulière, il crée sa propre activité : faire le ménage nu. Il devient, dans le travail, Conchito. Mais, Conchito phagocyte Patrick, et celui-ci file un mauvais coton. Plus son entreprise se développe, plus Patrick doit faire face à une "régression pénienne" (p.162). En d'autres mots, "son sexe rétrécit, aspiré de l'intérieur" (4ème de couverture).

Sur une idée de départ originale, un homme qui décide de se lancer dans le ménage nu, Pascal Juan écrit un livre non dénué de longueurs -si je puis m'exprimer ainsi eu égard aux malheureux déboires de Conchito-, mais doté de belles qualités -bon, c'est pareil, évitons toute allusion.

Les longueurs sont au milieu du bouquin où l'on sent que Patrick/Conchito tourne un peu en rond et que le livre n'avance plus. Mésaventures et malheurs s'amoncellent sans que l'on ait vraiment d'empathie pour lui. Mais la fin redonne un peu de couleurs au personnage et d'intérêt à la lecture.

Les belles qualités dont je parlais se révèlent dans la description de la descente de Patrick : sa dépression vient lentement mais sûrement et il touche le fond assez vite, toujours lucide, du moins le croit-il. C'est un homme qui a toujours tout raté et qui continue à rater admirablement ce qu'il tente et à ne pas tenter ce qu'il est sûr de rater.

Mais ce que je retiens surtout ce sont les qualités de l'écriture de Pascal Juan. Pas de fioriture, pas de tentative de "faire du style". Les phrases sont simples, directes, franches et pleines d'humour, d'ironie, de références à des maximes célèbres, à des slogans publicitaires (peut-être même en ai-je raté quelques unes).

"Le café du rendez-vous n'est pas de ceux que je fréquente habituellement. Je me suis rendu compte de ce décalage au bout d'un moment, en laissant traîner une oreille inoccupée sur la banquette d'à côté où un trio de types, vêtus comme une vieille tante à moi qui faisait du veuvage une occupation à plein temps, avait choisi le néo-existentialisme pour thema du jour. Pas inintéressant, même si j'ai eu un peu de mal avec les références citées, les miennes ne dépassant guère celles généralement demandées par les quizz télévisés." (p.83)

Au risque de rouvrir un débat -jamais clos d'ailleurs, conséquemment toujours ouvert, donc je fais une faute en disant "rouvrir", car peut-on rouvrir quelque chose qui n'est pas fermé ? Je vous laisse à vos réflexions, et hop, j'en profite pour revenir dans mon propos, ni vu ni connu, bien embrouillés que je vous ai laissés- ce livre est sans doute  destiné à un lectorat masculin. Tout tourne autour du sexe et particulièrement autour de celui qui rétrécit. Ça me rappelle l'histoire de José Artur entendue sur la radio cette semaine :

" Un petit garçon qui s'ausculte précautionneusement les bourses demande à sa maman :

- Dis maman, c'est là mon cerveau ?

- Pas encore, répond sa maman !"

Là, c'est un peu pareil, Patrick a placé dans son instrument tout son avenir, et lorsque celui-ci flanche, Patrick ne peut plus raisonner, penser, réfléchir : il sombre, diminue à ses propres yeux, comme son pénis.

Néanmoins malgré quelques plaisanteries ou tournures de phrases très ciblées, la lecture n'est point du tout à réserver à un public averti. Je ne sais pas si mesdames, vous vous retrouverez dans ce roman, mais je suis curieux de connaître vos réactions : achetez-le pour vos maris et lisez-le -comme ils font avec vos magazines féminins-, juste pour voir et pour combler ma curiosité.

Il m'a été permis de lire Conchito grâce aux Agents Littéraires qui sévissent sur la Toile depuis quelques mois, leur but étant de faire connaître des petits éditeurs, des auto-éditeurs, enfin des gens peu exposés, mais qui pourtant mériteraient de l'être ! Merci Vincent.

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Où on va, papa ?

Publié le par Yv

Où on va, papa ?, Jean-Louis Fournier, Stock, 2008

Jean-Louis Fournier est célèbre pour avoir longtemps collaboré avec Pierre Desproges. Il a aussi beaucoup écrit, des livres drôles et impertinents souvent. Il est aussi à l'origine du personnage de La Noiraude. Il a écrit un très joli livre sur son père, médecin de campagne, porté dur la bouteille : Il a jamais tué personne, mon papa dont je vous recommande la lecture. Dans Où on va, papa, il parle de ses deux garçons, handicapés mentaux avec qui la vie n'a pas été toujours très facile. Longtemps cachés, il a décidé d'en parler, mais à sa manière, en riant d'eux, grâce à eux et si possible avec eux.

Jean-Louis Fournier est toujours entre l'humour, la dérision et la larme qui coule :

"Matthieu n'arrive pas à se redresser. Il manque de tonus musculaire, il est mou comme une poupée de chiffon. Comment va-t-il évoluer ? Comment sera-t-il quand il sera grand ? On va devoir lui mettre un tuteur ?

J'ai pensé qu'il pourrait être garagiste. Mais garagiste allongé. Ceux qui réparent le dessous des voitures dans les garages où il n'y a pas de pont élévateur." (p.23)

Jean-Louis Fournier rigole de tout, mais pas avec n'importe qui comme le disait justement Pierre Desproges : pour rire avec lui, il faut accepter qu'il puisse dire des choses fortes et dérangeantes. Le nombre de fois où il a pensé à l'infanticide, à la disparition inopinée et peut-être pas si inespérée de ses deux fils, à un accident fortuit mais libérateur, au suicide. Qui pourrait lui reprocher d'écrire aujourd'hui ses pensées les plus viles, celles qui passent par la tête ne serait-ce que le temps d'une petite seconde -ou d'une grande d'ailleurs ? J-L Fournier revendique le droit de rire des ses garçons :

"Comme Cyrano de Bergerac qui choisissait de se moquer lui-même de son nez, je me moque moi-même de mes enfants. C'est mon privilège de père." (p.40)

Évidemment, la frontière entre le rire et la vulgarité est ténue, mais le père ne la franchit jamais. On ressent à le lire toute la tendresse qu'il a pour Thomas et Matthieu, malgré l'énervement et l'éloignement qui furent les siens parfois. Malgré la déception de ne pouvoir partager avec eux son amour de la musique, de la littérature, de la peinture, ... Malgré la déception de ne partager que les "Où on va, papa ?" de Thomas dès qu'il monte en voiture et qu'il répète inlassablement tout au long des trajets. Des déceptions qui l'ont probablement conduit à voir ses enfants pire qu'ils n'étaient en réalité, si j'en juge par les réactions de la maman de Thomas et Matthieu. Sur son site -le premier qui s'appelait Où on va, maman, fut interdit par l'auteur et l'éditeur-, elle explique son point de vue, montre des photos des enfants et explique que pour elle, le livre de son ex-mari est un roman qui prend pour base la caricature des deux garçons. Je ne reviendrai pas sur la querelle entre les deux parents, mais confronter les deux avis est intéressant. On sent dans les propos de la maman, un réel et fort attachement pour ses enfants différents, alors que le papa avoue avoir eu beaucoup de mal avec le lien filial. Pour plus de détails, c'est ici.

Souvent très drôles, les anecdotes sont entrecoupées de passages nettement plus tristes et de réflexions plus intimes:

"Il ne faut pas croire que la mort d'un enfant handicapé est moins triste.  C'est aussi triste que la mort d'un enfant normal.

Elle est terrible la mort de celui qui n'a jamais été heureux, celui qui est venu faire un petit tour sur terre seulement pour souffrir.

De celui-là, on a du mal à garder le souvenir d'un sourire" (p.90)

En fait, J-L Fournier parle de ses garçons anormaux -il n'aime pas le mot handicapé- de la même manière qu'il parlerait d'eux s'ils étaient normaux. C'est en cela que son livre est sain, profond et malgré une présentation de Thomas et de Matthieu, malgré une introspection personnelle, malgré un humour ravageur et totalement politiquement incorrect, absolument pudique.

Livre qui a reçu le prix Fémina 2008 et qui a été beaucoup lu et chroniqué sur les blogs : plusieurs critiques chez Babelio.

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Fruits et légumes

Publié le par Yv

Fruits et légumes, Anthony Palou, Albin Michel, 2010

Le grand-père du narrateur, réfugié espagnol du début du siècle dernier devient marchand de fruits et légumes à Quimper. Son fils, le père du narrateur prend la même voie, dans la même ville. Loin de vouloir suivre la lignée, le jeune homme retrace le parcours de ses ascendants, entrecoupé de souvenirs d'enfance. Une chronique des années 70 dans le monde des petits-bourgeois-commerçants bretons.

Pas mal du tout ce livre. Tour à tour drôle, émouvant, nostalgique. Le grand-père, pendant la seconde guerre mondiale a l'idée qui fera sa notoriété : cultiver et vendre ses légumes préparés en "sope mallorquine". Le fils, élevé dans ce monde prend la suite : "Pour tout dire, mon père n'eut jamais le virus ni du fruit ni du légume, encore moins celui du commerce. [...] Disons qu'il continua l'oeuvre de mon grand-père comme un fils de militaire perpétue la tradition sans y croire. C'est parce que les curés n'ont pas d'enfants qu'ils sont en perte de vitesse. Chaque profession se reproduit comme des animaux." (p.29)

Roman qui se lit assez vite : petit chapitres constitués de paragraphes courts qui permettent des pauses faciles et une reprise de lecture tout aussi aisée. L'écriture est très agréable ; elle fait la part belle à l'humour et à la nostalgie. Les personnages en prennent tous pour leur grade, Marie, la petite amie épisodique du narrateur, particulièrement :

"Marie se maria dès l'âge de dix-huit ans avec un clerc de notaire de cinq ans son aîné. Ils s'installèrent à Brest dans un petit pavillon charmant. Ils divorcèrent trois ans plus tard.

C'est alors que je réapparus, après quelques déboires sentimentaux. Son cerveau était un véritable courant d'air. C'est sans doute pour cela que je l'aimais puisque, par la suite, il s'avéra que je fus toujours attiré par le vide." (p.57/58)

L'écriture de l'auteur va au plus juste, et même en utilisant des images lorsqu'il fait le portrait d'un huissier par exemple, il va au plus direct, à l'immédiatement "visualisable" par le lecteur :

"Robert Quintin, cinquante-quatre ans, en pleine santé, avait l'air immortel, les épaules larges du déménageur, l'estomac plat du marathonien, la nuque bien raide du gradé, les cheveux gris comme plaqués au beurre sur un crâne massif. La mâchoire d'un australopithèque attardé. Entre sa lèvre supérieure et son nez, une petite moustache en filet lui donnait l'air du con, implacable et prétentieux." (p.118)

Anthony Palou ne s'attarde pas sur les sentiments, sur les états d'âme de ses personnages : ils avancent malgré leurs difficultés, malgré la réalité qui n'est pas représentative de leurs rêves. Son roman est un état des lieux d'une famille : "l'essor et le déclin d'une "dynastie fruitière"" (4ème de couverture). Une fois cela su, qu'on ne cherche pas ici la psychologie des protagonistes, ils n'ont pas le temps de s'épancher, le travail de primeurs leur prend tout leur temps. Seul le narrateur est capable -mais lui a du temps- d'avoir un regard -désabusé- sur ceux qui l'entourent : il les regarde comme ils sont et se voit lui-même sans complaisance. La fin du roman plus centrée sur le début de sa vie d'homme est d'ailleurs plus mélancolique, plus triste. Des regrets de n'avoir pas fait autre chose de sa vie, de n'avoir pas su le faire ou simplement de n'avoir pas pu, par peur du risque ou par simple connaissance de ses limites personnelles.

D'autres billets chez Lili, Pimprenelle, Stéphie

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Vie et mort de Ludovico Lauter

Publié le par Yv

Vie et mort de Ludovico Lauter, Alessandro de Roma, Gallimard, 2011

"Ettore Fossoli est un écrivain raté, qui n’a jamais écrit que des livres mineurs désormais introuvables. Pour racheter cette misérable carrière, il a un dernier projet, qui l’obsède depuis des années : rédiger la biographie de Ludovico Lauter, un des derniers géants de la littérature en activité, à qui ont été consacrés de nombreux ouvrages, sans qu'aucun ne soit complet et satisfaisant. Fossoli, lui, entend aller plus loin et, pour ce faire, il bénéficie d’un atout majeur : il sait où se trouve Lauter, qui s’est retiré de toute vie publique depuis des années. [...]  le biographe retrace le parcours de Lauter, sa naissance à Cagliari, d’une mère sarde et d’un père allemand, ancien soldat de la Wehrmacht surnommé l’Allemand triste, son enfance à Rome et à Wiesbaden, ses études à Bologne, le rôle de son oncle Siegfried et ses débuts littéraires décevants, puis le succès, l’exil américain, la consécration, la chute et la disparition. Mais qui est vraiment Ludovico Lauter, et pourquoi fascine-t-il autant un vulgaire scribouillard ?" (4ème de couverture)

Qu'il m'a été difficile d'entrer dans ce livre et de le continuer ! Je ne saurais pas vraiment dire pourquoi précisément. Peut-être le style de l'auteur, ou alors ses digressions très fréquentes, des réflexions en marge de l'histoire, sur la littérature, la liberté, sur la guerre, ... "La littérature, le langage, c'est la communauté, c'est la fraternité, c'est la noblesse même de l'âme humaine. Celui qui n'aime pas la littérature ne peut aimer aucun homme, parce que ce n'est pas du tout la vie en soi qu'il aime, mais seulement la sienne." (p.78/79)

Et pourtant, il y a un je-ne-sais-quoi qui attire et retient le lecteur : l'humour, les portraits des personnages, une certaine fascination pour les ascendants de Ludovico Lauter tous plus ou moins "barrés". Bien décrits, ayant droit quasiment chacun à leur chapitre, ils expliquent la personnalité du héros. Les hommes sont peu glorieux, traîtres et faibles. Les femmes sont folles, mystiques ou jalouses. Par exemple, Hermann "l'Allemand triste", le père de Ludovico :"Comme beaucoup de ses compatriotes -et comme beaucoup d'Italiens, d'ailleurs- Hermann s'était fait à l'uniforme de son armée par lâcheté et par peur. Il avait ensuite découvert avec dégoût que le pouvoir, le droit d'accomplir n'importe quelle mauvaise action, l'enivrait" (p39)

Ce roman dense retrace toute la vie des Italiens depuis le début du siècle dernier : une sorte de saga, le romantisme en moins, l'ironie en plus. Un roman linéaire, chronologique avec de brèves avancées dans le temps lorsque l'auteur revient à Ettore Fossoli, le narrateur, le biographe. Un roman qui fait naître un maître de la littérature italienne et mondiale, qui se plaît à en faire une vraie icône, qui malgré son aura se compromettra dans des livres moins bons, dans des émissions de télé annonçant le début de ce qu'on nomme désormais la télé-réalité. Alessandro de Roma prend un évident plaisir à faire et défaire ses personnages, à créer et détruire son intrigue à loisir. Il montre assez brillamment la force de la création artistique, romanesque, fictionnelle mais aussi ses faiblesses et notamment celles de dépendre de ses créateurs. Il prouve qu'un personnage de fiction, bien que de toutes pièces créé, peut influencer fortement et durablement la vie des lecteurs ou des spectateurs jusqu'à influer sur leurs comportements les plus intimes.

Pour résumer un peu mon propos, que je ne sens pas forcément clair : un roman foisonnant, bien écrit, avec des personnages hauts en couleur, des situations incroyables, qui malheureusement souffre de longueurs et de digressions pas indispensables. Un roman qui, cependant recèle un charme et une attirance tels qu'il est difficile de le refermer avant la fin, malgré des passages que l'on peut passer rapidement, lire en diagonale. La fin -les cent dernières pages- est formidable et contribue grandement  à ce que j'ai appelé plus haut une "certaine fascination". A découvrir. Ce que j'ai fait grâce à la librairie Dialogues.

 

dialogues croisés

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Ni fleurs ni couronnes

Publié le par Yv

Ni fleurs ni couronnes, Maylis de Kerangal, Verticales-Gallimard, 2006

Deux courts romans dans ce livre : d'abord, Ni fleurs ni couronnes : début du siècle dernier, un jeune homme irlandais qui a quitté son village, part repêcher les noyés avec une jeune inconnue, suite au naufrage d'un paquebot. Un cadavre une livre. Pour l'époque, le rapport est tentant.

Ensuite, Sous la cendre : à notre époque, deux jeunes hommes et une jeune femme se retrouvent dans un groupe qui escalade les pentes du Stromboli de nuit.

Je n'avais pas aimé Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, et comme elle est la présidente du Prix des lecteurs de l'Express, je voulais la relire pour élargir un peu ma connaissance de son écriture. Bien m'en a pris. Ces deux petits romans sont bien ficelés. Bien que très différents dans l'époque, dans les personnages, dans les lieux et dans le style de l'écriture, ils racontent tous les deux la rencontre entre des jeunes hommes et femmes. La première impression, pas toujours flatteuse, la cohabitation qui rapproche et le désir qui monte, particulièrement sensible dans Sous la cendre, puisqu'en plus il y a rivalité entre les deux jeunes garçons pour la conquête de la fille.

Commençons par Ni fleurs ni couronnes dans lequel Finbarr Peary, le jeune homme se supporte plus la vie dans son village perdu et souhaite partir comme l'ont fait avant lui tous les garçons de seize ans. L'auteure ne s'embarrasse pas de précautions et malgré de longues phrases, de nombreuses digressions, elle va droit au but :

"Finbarr Peary naît dixième enfant d'une fratrie qui n'en compte alors plus que deux, les sept autres ayant été tour à tour enveloppés de draps rêches puis déposés au fond d'un trou dans le cimetière de l'église catholique de Belgooly -trou profond, trou sans fond, trou du malheur, on dira même plus tard Trou des Enfants Peary." (p.11/12)

Elle raconte cette rencontre improbable, cette attirance de Finbarr vers cette fille, la rusticité de ce jeune homme face à une certaine distinction de la jeune femme.

Dans Sous la Cendre, les jeunes sont plus dégourdis, plus libérés, mais ils vivent dans le siècle suivant. On sent tout de suite que l'ambiance n'est pas la même. D'ailleurs cette ambiance est chaude, torride, ouateuse, la faute au Stromboli :

"Il est midi et tout est blanc. Une brume de chaleur est montée des eaux, a pastellisé les taches de couleurs sur les embarcations, caviardé les silhouettes égarées et les anecdotes les plus fragiles du paysage, est venue s'enrouler autour de la montagne -on pense à un foulard dont les bordures se déchirent et s'effilochent jusqu'à terre-, ne laissant dépasser que la tête noire du volcan, et l'île est prise sous une vapeur de tulle." (p.92)

Dans cette histoire, le style de l'auteur change, elle élude des articles, des mots sans bien sûr qu'on perde le sens et surtout sans rien ôter de la joliesse de sa phrase, au contraire. Voici un exemple parmi d'autres :"Dans la plantation qui les entoure, des grouillements se font entendre, des vagissements, comme si bêtes cachées dans la jungle, rats à la course ou chasse au tigre, alors voltige de particules en suspension, tourbillons ascensionnels, il semble que le vent se soit levé." (p.123)

Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve que dans tous les extraits que je vous donne à lire, l'auteure met beaucoup de poésie. Elle enrobe le fait sans le nier, bien au contraire, détaille les à-côtés, décrit les paysages. Une écriture originale qui ne laisse pas indifférent, qui peut irriter, qui peut gêner, qui moi me ravit.

Les rencontres dans ces petits textes sont très courtes, comme si, finalement, il n'y avait que cela qui comptait ; la rencontre entre deux personnes comme le moment le plus fort qu'elles vivront ensemble.

De rencontre, il y en eut une autre, puisque j'ai moi-même renoué avec Maylis de Kerangal et à la lecture de ce livre, je comprends encore mieux ses choix de livres et son argumentation sur les belles phrases, le style -argumentation que je partage avec elle et que je reprends à mon compte- lors de la délibération du jury. Elle fait preuve d'une écriture qui me plaît bien et je vais donc très bientôt m'enquérir de son dernier roman La naissance d'un pont. Et puis, face à elle lors de la remise du Prix, je serai plus à l'aise que si j'étais resté sur mon idée première après Corniche Kennedy.

Ouf, sauvé !

D'autres avis : Florinette, Tatiana

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Prix des lecteurs de l'Express

Publié le par Yv

Et voilà la lauréate du Prix des lecteurs de l'Express 2011. Silvia Avallone pour son roman D'acier.

C'est donc lors de la soirée du 22 juin que nous avons assisté à la remise du Prix à la jeune romancière italienne -le dialogue n'est pas aisé puisqu'elle ne parle pas français. Mais elle est charmante, se prête très agréablement aux photos et au jeu des questions/réponses avec Christophe Barbier.

Auparavant, j'ai pris le train Nantes/Paris, voiture 5, place 34. J'étais seul jusqu'à Angers ou s'assoit à côté de moi, place 33, Flora (du blog Attrape-livres) elle aussi jurée. La coïncidence, c'est que chacun avait réservé son billet de son côté et qu'il y avait un chance infime de se retrouver côte à côte pour ce voyage, qui fut donc vous vous en doutez, agréable et littéraire.

Ensuite, j'ai retrouvé à Saint Michel, Hélène (du blog Lecturissime) qui m'accompagnait pour cette soirée à L'Hôtel, rue des beaux-arts, très bel immeuble à la décoration sans faute.

Une soirée de remise de prix très plaisante, pleine de champagne, de petits fours salés et sucrés (Ah les macarons, hein Hélène !). Ambiance décontractée, discussions livresques et plaisir de revoir mes co-jurés (enfin, ceux qui ont pu venir), les organisatrices du Prix (Merci Stéphanie et ses stagiaires).

Donc, un conseil, lorsque l'Express fera appel à candidature pour son prochain Prix; n'hésitez pas à postuler ! Rien que des avantages, pas d'inconvénients ! Un seul petit regret pour moi : mon "poulain" était L'homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura, finaliste malchanceux à une voix près, mais je suis beau joueur, c'est la règle des Prix littéraires. Et puis, malgré mes réserves, D'acier est un roman qui laisse promettre un bel avenir littéraire à Silvia Avallone.

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Le chant des âmes

Publié le par Yv

Le chant des âmes, Frédérick  Rapilly, Ed. Critic, juin 2011 

Une jeune fille est retrouvée morte, torturée, attachée à un arbre, dans la forêt de Brocéliande. Toujours sur les coups vendeurs, les médias se jettent sur l'histoire qui fait frémir dans les chaumières. Pour gagner encore plus en véracité, le rédacteur en chef de Paris Flash demande à Marc Torkan, retiré depuis 5 ans dans sa maison de Bretagne, isolé totalement du monde de médias de reprendre du service et de contre-enquêter. Marc, toujours pas remis du décès brutal de sa femme, Caroline commence par refuser, puis accepte et fait équipe avec une jeune photographe américaine, Katie Jeckson. Leur enquête les mène vers la Thaïlande pour un meurtre ressemblant, puis les fait entrer dans le monde de la musique techno, des rave-parties qui semblent être un lien entre les deux assassinats.

Deux livres en un : la première partie est un roman policier régional, breton. Entre Trehorenteuc,  Quiberon, Baden, on visite le Morbihan, son golfe, ses plages. Pas mal, en plus c'est une région que j'aime beaucoup. Le récit est linéaire, les deux personnages principaux, très présents, questionnent, recherchent des indices mais n'avancent pas beaucoup. Jusqu'à ce que Katie découvre un meurtre semblable en Thaïlande. Le roman devient donc international. Mais c'est un peu plus loin que commence vraiment la second partie : un troisième personnage intervient, que l'on pense bien être l'assassin. Il intervient comme dans d'autres romans du genre, d'abord en tant que narrateur en alternance avec les autres protagonistes et puis ensuite, en voix off, des chapitres en italique racontant son enfance et son parcours pour en arriver à son comportement actuel. Un peu avant cela, Marc émet l'hypothèse du monde de la musique techno comme lien entre les meurtres et là, apparaît Jillian, jeune DJ'ette qui va les guider dans cet univers.

Voici donc un roman bien construit. L'auteur prend le temps de bâtir l'intrigue, de nous mener vers son coupable. Pas haletant au départ, on avance doucement, puis petit à petit le rythme accélère pour arriver à son apogée à la fin, un peu comme le rythme que les DJ's imposent lors de leurs sessions. Un polar musical qui nous plonge à la fois dans le pop rock qu'écoute Marc, dans une moindre mesure dans la musique classique de Katie, mais surtout dans le monde de la musique électro. Un univers très particulier, avec ses codes. Frédérick Rapilly décrit cette musique comme une drogue : elle éclate dans les cerveaux de ceux qui l'écoutent pour ensuite se répandre dans leurs corps et leur faire faire des mouvements et des gestes de véritables transes. Il faut bien avouer que la drogue n'est jamais bien loin non plus !

Mon regret -puisqu'il y en a un- est dans le personnage de Marc Torkan qui est une véritable caricature : il a perdu sa femme, a quitté le monde qu'il adorait, est venu s'enterrer en Bretagne pour oublier. Il est ténébreux -on le serait à moins- et plaît donc aux femmes, mais lui ne s'intéresse pas à elles puisqu'il aime encore la sienne, morte cinq ans auparavant.

"Boom.

C'est ce qu'a ressenti Marc pendant longtemps. Se laisser couler. Oublier. Se faire oublier. Mais les choses changent. Il se surprend à se sentir excité par la traque menée depuis quelques jours. Comme si la vie l'avait réinvesti alors qu'il piste des mortes. Comme si l'action pouvait finalement servir de baume à une souffrance indicible." (p.216)

Un peu "too much", le Marco. Mais bon, on fait avec et heureusement, les deux personnages de femmes sont plus intéressants, bien que plus en retrait. D'abord Katie, photographe qui se découvre une passion pour les fait divers et ensuite Jillian, la DJ'ette. Elles apportent un peu de fraîcheur de spontanéité et d'originalité aux enquêteurs.

Un premier roman de Frédérick Rapilly, par ailleurs, journaliste, ex-grand reporter et DJ et auteur du blog Thrillermaniac, très prometteur, qui installe une vraie ambiance qui dure : sa description des nuits électro, des sons, de sessions des DJ's est convaincante, assez pour créer un contexte original, très moderne et actuel et musical qui reste donc à l'oreille après avoir reposé le livre fini.

Merci à Vincent des Agents Littéraires et à l'éditeur.

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Eloge de la vulgarité

Publié le par Yv

Éloge de la vulgarité, Claude Cabannes, Ed. du Rocher, 2011

Qu'il n'est pas aisé de traiter de la vulgarité. On sait bien que la vulgarité court les rues, celles peuplées des autres. Pas les nôtres ! Claude Cabannes s'attelle donc à nous dire ce qui pour lui est la vulgarité ; et il commence fort, inévitable, mais néanmoins prévisible :

""Descends, si t'es un homme !" Il n'est pas descendu. Mais l'apostrophe du président de la République à un inconnu qui l'agressait verbalement au cours d'une sortie publique ponctuait et officialisait en quelque sorte une autre descente : la dégringolade générale vers les cloaques de la vulgarité. Le "Casse-toi, pauvre con !", dans la même bouche et dans une circonstance identique, consacrait la mauvaise pente."(p.13/14) Le reproche n'est pas dans les mots, usuels et couramment utilisés par tout un chacun, mais dans la rencontre entre ceux-ci et la bouche de celui qui les prononce, le plus haut représentant de l'Etat.

Et puis, Claude Cabannes explique son projet : "Je suis un dandy. Je vomis la vulgarité. C'est bien pour cela que mon bel éditeur, un peu pervers, m'a confié le soin de me pencher sur ce cloaque." (p.21) Il raconte son parcours, de "Maria, la grand-mère maternelle. [...] Repasseuse-amidonneuse. Insomniaque sévère" (p.25) à "Denise, la mère. [...] La petite "instit" des communales de village [qui] a toujours rêvé de la voie royale qui mène au temple de la pensée, sous ses espèces les plus hautes, l'École normale supérieure." (p.23), jusqu'à lui-même, "dandy stalinien" (p.22) ancien rédacteur en chef de l'Humanité dimanche et de l'Humanité.

Ensuite il déroule ses motifs de vulgarité : dans la culture, dans la mode, le luxe, le cinéma, ... Il dit que c'est Mme de Staël, "Germaine donc qui va introduire tardivement le substantif "vulgarité" dans l'usage" (p.89), en 1800.

Ce qui le gêne dans ces mondes du luxe, de la mode, ce ne sont ni les créateurs ni les collections, ni les objets que pour une grand partie, il aime, respecte et admire mais le monde qui gravite autour, celles et ceux qui les portent sans grâce, juste comme objet ostentatoire. Se montrer, à n'importe quel prix. Se faire voir. Le comble de la vulgarité.

Dans les divers chapitres de ce livre, on passe donc de la télévision, à la mode, de la littérature (décryptage de la Verdurin de Marcel Proust) au cinéma (l'incroyable élégance de Luchino Visconti). De la politique actuelle à Louis-Philippe et Marat -et vice et versa. Des listes totalement subjectives apparaissent à la fin du livre, décalées, drôles et... partagées pour partie.

Toujours très bien écrit, c'est un livre d'un homme en colère -perpétuellement ?- qui se lit vite et bien. Il y a bien ici et là, des parisianismes que moi, simple et ignorant Provincial, je ne saisis pas : une de mes vulgarités à moi, mais néanmoins ce livre à la jolie robe orange prendra avantageusement place dans ma bibliothèque pas loin, histoire de pouvoir y revenir de temps en temps.

Grand merci à ANAÏS de chez Gilles Paris.

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