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Ni fleurs ni couronnes

Publié le par Yv

Ni fleurs ni couronnes, Maylis de Kerangal, Verticales-Gallimard, 2006

Deux courts romans dans ce livre : d'abord, Ni fleurs ni couronnes : début du siècle dernier, un jeune homme irlandais qui a quitté son village, part repêcher les noyés avec une jeune inconnue, suite au naufrage d'un paquebot. Un cadavre une livre. Pour l'époque, le rapport est tentant.

Ensuite, Sous la cendre : à notre époque, deux jeunes hommes et une jeune femme se retrouvent dans un groupe qui escalade les pentes du Stromboli de nuit.

Je n'avais pas aimé Corniche Kennedy de Maylis de Kerangal, et comme elle est la présidente du Prix des lecteurs de l'Express, je voulais la relire pour élargir un peu ma connaissance de son écriture. Bien m'en a pris. Ces deux petits romans sont bien ficelés. Bien que très différents dans l'époque, dans les personnages, dans les lieux et dans le style de l'écriture, ils racontent tous les deux la rencontre entre des jeunes hommes et femmes. La première impression, pas toujours flatteuse, la cohabitation qui rapproche et le désir qui monte, particulièrement sensible dans Sous la cendre, puisqu'en plus il y a rivalité entre les deux jeunes garçons pour la conquête de la fille.

Commençons par Ni fleurs ni couronnes dans lequel Finbarr Peary, le jeune homme se supporte plus la vie dans son village perdu et souhaite partir comme l'ont fait avant lui tous les garçons de seize ans. L'auteure ne s'embarrasse pas de précautions et malgré de longues phrases, de nombreuses digressions, elle va droit au but :

"Finbarr Peary naît dixième enfant d'une fratrie qui n'en compte alors plus que deux, les sept autres ayant été tour à tour enveloppés de draps rêches puis déposés au fond d'un trou dans le cimetière de l'église catholique de Belgooly -trou profond, trou sans fond, trou du malheur, on dira même plus tard Trou des Enfants Peary." (p.11/12)

Elle raconte cette rencontre improbable, cette attirance de Finbarr vers cette fille, la rusticité de ce jeune homme face à une certaine distinction de la jeune femme.

Dans Sous la Cendre, les jeunes sont plus dégourdis, plus libérés, mais ils vivent dans le siècle suivant. On sent tout de suite que l'ambiance n'est pas la même. D'ailleurs cette ambiance est chaude, torride, ouateuse, la faute au Stromboli :

"Il est midi et tout est blanc. Une brume de chaleur est montée des eaux, a pastellisé les taches de couleurs sur les embarcations, caviardé les silhouettes égarées et les anecdotes les plus fragiles du paysage, est venue s'enrouler autour de la montagne -on pense à un foulard dont les bordures se déchirent et s'effilochent jusqu'à terre-, ne laissant dépasser que la tête noire du volcan, et l'île est prise sous une vapeur de tulle." (p.92)

Dans cette histoire, le style de l'auteur change, elle élude des articles, des mots sans bien sûr qu'on perde le sens et surtout sans rien ôter de la joliesse de sa phrase, au contraire. Voici un exemple parmi d'autres :"Dans la plantation qui les entoure, des grouillements se font entendre, des vagissements, comme si bêtes cachées dans la jungle, rats à la course ou chasse au tigre, alors voltige de particules en suspension, tourbillons ascensionnels, il semble que le vent se soit levé." (p.123)

Je ne sais pas vous, mais moi, je trouve que dans tous les extraits que je vous donne à lire, l'auteure met beaucoup de poésie. Elle enrobe le fait sans le nier, bien au contraire, détaille les à-côtés, décrit les paysages. Une écriture originale qui ne laisse pas indifférent, qui peut irriter, qui peut gêner, qui moi me ravit.

Les rencontres dans ces petits textes sont très courtes, comme si, finalement, il n'y avait que cela qui comptait ; la rencontre entre deux personnes comme le moment le plus fort qu'elles vivront ensemble.

De rencontre, il y en eut une autre, puisque j'ai moi-même renoué avec Maylis de Kerangal et à la lecture de ce livre, je comprends encore mieux ses choix de livres et son argumentation sur les belles phrases, le style -argumentation que je partage avec elle et que je reprends à mon compte- lors de la délibération du jury. Elle fait preuve d'une écriture qui me plaît bien et je vais donc très bientôt m'enquérir de son dernier roman La naissance d'un pont. Et puis, face à elle lors de la remise du Prix, je serai plus à l'aise que si j'étais resté sur mon idée première après Corniche Kennedy.

Ouf, sauvé !

D'autres avis : Florinette, Tatiana

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Prix des lecteurs de l'Express

Publié le par Yv

Et voilà la lauréate du Prix des lecteurs de l'Express 2011. Silvia Avallone pour son roman D'acier.

C'est donc lors de la soirée du 22 juin que nous avons assisté à la remise du Prix à la jeune romancière italienne -le dialogue n'est pas aisé puisqu'elle ne parle pas français. Mais elle est charmante, se prête très agréablement aux photos et au jeu des questions/réponses avec Christophe Barbier.

Auparavant, j'ai pris le train Nantes/Paris, voiture 5, place 34. J'étais seul jusqu'à Angers ou s'assoit à côté de moi, place 33, Flora (du blog Attrape-livres) elle aussi jurée. La coïncidence, c'est que chacun avait réservé son billet de son côté et qu'il y avait un chance infime de se retrouver côte à côte pour ce voyage, qui fut donc vous vous en doutez, agréable et littéraire.

Ensuite, j'ai retrouvé à Saint Michel, Hélène (du blog Lecturissime) qui m'accompagnait pour cette soirée à L'Hôtel, rue des beaux-arts, très bel immeuble à la décoration sans faute.

Une soirée de remise de prix très plaisante, pleine de champagne, de petits fours salés et sucrés (Ah les macarons, hein Hélène !). Ambiance décontractée, discussions livresques et plaisir de revoir mes co-jurés (enfin, ceux qui ont pu venir), les organisatrices du Prix (Merci Stéphanie et ses stagiaires).

Donc, un conseil, lorsque l'Express fera appel à candidature pour son prochain Prix; n'hésitez pas à postuler ! Rien que des avantages, pas d'inconvénients ! Un seul petit regret pour moi : mon "poulain" était L'homme qui aimait les chiens de Leonardo Padura, finaliste malchanceux à une voix près, mais je suis beau joueur, c'est la règle des Prix littéraires. Et puis, malgré mes réserves, D'acier est un roman qui laisse promettre un bel avenir littéraire à Silvia Avallone.

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Le chant des âmes

Publié le par Yv

Le chant des âmes, Frédérick  Rapilly, Ed. Critic, juin 2011 

Une jeune fille est retrouvée morte, torturée, attachée à un arbre, dans la forêt de Brocéliande. Toujours sur les coups vendeurs, les médias se jettent sur l'histoire qui fait frémir dans les chaumières. Pour gagner encore plus en véracité, le rédacteur en chef de Paris Flash demande à Marc Torkan, retiré depuis 5 ans dans sa maison de Bretagne, isolé totalement du monde de médias de reprendre du service et de contre-enquêter. Marc, toujours pas remis du décès brutal de sa femme, Caroline commence par refuser, puis accepte et fait équipe avec une jeune photographe américaine, Katie Jeckson. Leur enquête les mène vers la Thaïlande pour un meurtre ressemblant, puis les fait entrer dans le monde de la musique techno, des rave-parties qui semblent être un lien entre les deux assassinats.

Deux livres en un : la première partie est un roman policier régional, breton. Entre Trehorenteuc,  Quiberon, Baden, on visite le Morbihan, son golfe, ses plages. Pas mal, en plus c'est une région que j'aime beaucoup. Le récit est linéaire, les deux personnages principaux, très présents, questionnent, recherchent des indices mais n'avancent pas beaucoup. Jusqu'à ce que Katie découvre un meurtre semblable en Thaïlande. Le roman devient donc international. Mais c'est un peu plus loin que commence vraiment la second partie : un troisième personnage intervient, que l'on pense bien être l'assassin. Il intervient comme dans d'autres romans du genre, d'abord en tant que narrateur en alternance avec les autres protagonistes et puis ensuite, en voix off, des chapitres en italique racontant son enfance et son parcours pour en arriver à son comportement actuel. Un peu avant cela, Marc émet l'hypothèse du monde de la musique techno comme lien entre les meurtres et là, apparaît Jillian, jeune DJ'ette qui va les guider dans cet univers.

Voici donc un roman bien construit. L'auteur prend le temps de bâtir l'intrigue, de nous mener vers son coupable. Pas haletant au départ, on avance doucement, puis petit à petit le rythme accélère pour arriver à son apogée à la fin, un peu comme le rythme que les DJ's imposent lors de leurs sessions. Un polar musical qui nous plonge à la fois dans le pop rock qu'écoute Marc, dans une moindre mesure dans la musique classique de Katie, mais surtout dans le monde de la musique électro. Un univers très particulier, avec ses codes. Frédérick Rapilly décrit cette musique comme une drogue : elle éclate dans les cerveaux de ceux qui l'écoutent pour ensuite se répandre dans leurs corps et leur faire faire des mouvements et des gestes de véritables transes. Il faut bien avouer que la drogue n'est jamais bien loin non plus !

Mon regret -puisqu'il y en a un- est dans le personnage de Marc Torkan qui est une véritable caricature : il a perdu sa femme, a quitté le monde qu'il adorait, est venu s'enterrer en Bretagne pour oublier. Il est ténébreux -on le serait à moins- et plaît donc aux femmes, mais lui ne s'intéresse pas à elles puisqu'il aime encore la sienne, morte cinq ans auparavant.

"Boom.

C'est ce qu'a ressenti Marc pendant longtemps. Se laisser couler. Oublier. Se faire oublier. Mais les choses changent. Il se surprend à se sentir excité par la traque menée depuis quelques jours. Comme si la vie l'avait réinvesti alors qu'il piste des mortes. Comme si l'action pouvait finalement servir de baume à une souffrance indicible." (p.216)

Un peu "too much", le Marco. Mais bon, on fait avec et heureusement, les deux personnages de femmes sont plus intéressants, bien que plus en retrait. D'abord Katie, photographe qui se découvre une passion pour les fait divers et ensuite Jillian, la DJ'ette. Elles apportent un peu de fraîcheur de spontanéité et d'originalité aux enquêteurs.

Un premier roman de Frédérick Rapilly, par ailleurs, journaliste, ex-grand reporter et DJ et auteur du blog Thrillermaniac, très prometteur, qui installe une vraie ambiance qui dure : sa description des nuits électro, des sons, de sessions des DJ's est convaincante, assez pour créer un contexte original, très moderne et actuel et musical qui reste donc à l'oreille après avoir reposé le livre fini.

Merci à Vincent des Agents Littéraires et à l'éditeur.

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Eloge de la vulgarité

Publié le par Yv

Éloge de la vulgarité, Claude Cabannes, Ed. du Rocher, 2011

Qu'il n'est pas aisé de traiter de la vulgarité. On sait bien que la vulgarité court les rues, celles peuplées des autres. Pas les nôtres ! Claude Cabannes s'attelle donc à nous dire ce qui pour lui est la vulgarité ; et il commence fort, inévitable, mais néanmoins prévisible :

""Descends, si t'es un homme !" Il n'est pas descendu. Mais l'apostrophe du président de la République à un inconnu qui l'agressait verbalement au cours d'une sortie publique ponctuait et officialisait en quelque sorte une autre descente : la dégringolade générale vers les cloaques de la vulgarité. Le "Casse-toi, pauvre con !", dans la même bouche et dans une circonstance identique, consacrait la mauvaise pente."(p.13/14) Le reproche n'est pas dans les mots, usuels et couramment utilisés par tout un chacun, mais dans la rencontre entre ceux-ci et la bouche de celui qui les prononce, le plus haut représentant de l'Etat.

Et puis, Claude Cabannes explique son projet : "Je suis un dandy. Je vomis la vulgarité. C'est bien pour cela que mon bel éditeur, un peu pervers, m'a confié le soin de me pencher sur ce cloaque." (p.21) Il raconte son parcours, de "Maria, la grand-mère maternelle. [...] Repasseuse-amidonneuse. Insomniaque sévère" (p.25) à "Denise, la mère. [...] La petite "instit" des communales de village [qui] a toujours rêvé de la voie royale qui mène au temple de la pensée, sous ses espèces les plus hautes, l'École normale supérieure." (p.23), jusqu'à lui-même, "dandy stalinien" (p.22) ancien rédacteur en chef de l'Humanité dimanche et de l'Humanité.

Ensuite il déroule ses motifs de vulgarité : dans la culture, dans la mode, le luxe, le cinéma, ... Il dit que c'est Mme de Staël, "Germaine donc qui va introduire tardivement le substantif "vulgarité" dans l'usage" (p.89), en 1800.

Ce qui le gêne dans ces mondes du luxe, de la mode, ce ne sont ni les créateurs ni les collections, ni les objets que pour une grand partie, il aime, respecte et admire mais le monde qui gravite autour, celles et ceux qui les portent sans grâce, juste comme objet ostentatoire. Se montrer, à n'importe quel prix. Se faire voir. Le comble de la vulgarité.

Dans les divers chapitres de ce livre, on passe donc de la télévision, à la mode, de la littérature (décryptage de la Verdurin de Marcel Proust) au cinéma (l'incroyable élégance de Luchino Visconti). De la politique actuelle à Louis-Philippe et Marat -et vice et versa. Des listes totalement subjectives apparaissent à la fin du livre, décalées, drôles et... partagées pour partie.

Toujours très bien écrit, c'est un livre d'un homme en colère -perpétuellement ?- qui se lit vite et bien. Il y a bien ici et là, des parisianismes que moi, simple et ignorant Provincial, je ne saisis pas : une de mes vulgarités à moi, mais néanmoins ce livre à la jolie robe orange prendra avantageusement place dans ma bibliothèque pas loin, histoire de pouvoir y revenir de temps en temps.

Grand merci à ANAÏS de chez Gilles Paris.

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Eloge du contraire

Publié le par Yv

Éloge du contraire, François Bott, Ed. du Rocher, 2011

"Pourquoi cet éloge du « contraire » et dans le même mouvement, l'apologie du paradoxe ? Sans doute parce que toute vérité porte en elle son contraire... Le paradoxe est une façon particulière de ressentir les choses et de regarder le monde. Presque une philosophie de la vie, presque une manière de (mieux) respirer. Très éloignée du politiquement ou du moralement « correct », cette façon de penser, moqueuse et légère, presque frivole, déplaît à beaucoup de gens, notamment à la gardienne de mon immeuble, rue de Buci. Cela heurte et contrarie le bon sens de la brave dame, ses croyances et ses opinions." (présentation éditeur)

Voilà donc François Bott parti dans des discussions quasi philosophiques avec Sophie, la concierge de son immeuble et Alex, garçon de café au Flore, fils de garçon de café aux deux Magots qui a donc fréquenté Jean-Paul Sartre et consorts. L'éloge du contraire se bâtit sur une phrase de Madame de Sévigné : "Je ne suis pas toujours de mon avis" (p.22) et tourne autour des aphorismes des uns et des autres, plutôt drôles, cyniques ou ironiques comme par exemple celui de Tristan Bernard, interné à Drancy pendant l'Occupation : "Jusqu'à maintenant nous vivions dans l'angoisse. Eh bien ! nous allons vivre dans l'espoir" (p.19). L'auteur déroule son raisonnement mi-moqueur, mi-sérieux entrecoupé de citations très à propos : j'en ai souligné beaucoup dans ma lecture, mais  bien sûr, je ne peux pas toutes vous les citer. Si vous êtes sages, je verrais en fin d'article à en remettre une ou deux.

Des pages savoureuses consacrées à ceux "qui savent", à ceux qui pensent avoir LA Vérité, ceux-là, "Leur credo, c'est : "Je suis ce que je suis", " Je crois ce que je crois" [...] La seule ambition de ces gens, c'est de ressembler à eux-mêmes... Et à tout le monde, jusqu'à périr de grisaille et d'ennui." (p.29)

A soixante-quinze ans, François Bott cultive son anticonformisme et sa différence. Il les revendique et veut les avoir jusqu'à la fin.

En outre, il ne peut s'empêcher d'égratigner nos dirigeants, et parmi eux, celui qui est le plus haut (sauf dans les sondages) dans un portrait peu flatteur, mais tellement réaliste: "Mélange de sourire commercial, de cordialité électorale, de manières de parvenu, de bravades puériles et vulgaires, et de violences verbales de cour d'école, Sarko se prend pour Sarko, sans états d'âme. A ses yeux, c'est énorme. dans les miroirs du Palais, il est le garant, le héros, l'athlète, le champion, le Zorro de l'identité nationale." (p.47/48).

Un livre qui recense des paradoxes, qui fait réfléchir un peu mais d'une manière point trop intellectuelle. Le propos est aisé d'abord, l'écriture est un régal d'humour, de malice et de deuxième voire troisième degré. L'auteur s'autorise tous les paradoxes, revendiquant le droit de faire l'apologie du contraire de l'idée dominante et l'apologie de celle-ci dès lors qu'elle deviendra minoritaire.

Vous avez été sages ? Alors, je vous propose d'autres maximes, mais sous forme de quizz. Pas facile, sauf peut-être la dernière. Attention, pour la seconde, il y a deux papas. Qui a dit  :

1- "Dans chaque homme, il y a toujours deux hommes, et le plus vrai, c'est l'autre"

2- "La seule excuse de Dieu, c'est de ne pas exister"

3- "Les Américains et les Anglais ont beaucoup de choses en commun sauf la langue"

Et une petite dernière pour la route :

4- "Je ne crois pas à l'au-delà, mais j'emporterai toujours un caleçon de rechange"

Pour vraiment finir, je voudrais remercier Anaïs de chez Gilles Paris et vous préciser que la mise en page de ce livre est très aérée, très claire et la couverture d'un vert anis très seyant.

Réponses au quizz dans le premier commentaire que je me fais moi-même-tout-seul.

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Des éclairs

Publié le par Yv

Des éclairs, Jean Echenoz, Ed. de Minuit, 2010

Gregor est un scientifique génial qui invente aussi vite qu'il respire. Il arrive aux États-Unis à la fin du 19ème siècle pour travailler avec Thomas Edison. Pas en accord sur les nouvelles technologies de l'époque et notamment l'électricité, ils se séparent et Gregor continue sur sa lancée des inventions toutes plus folles les unes que les autres... pour l'époque. Mais peu scrupuleux, il ne veille pas vraiment sur ses créations et d'autres en profitent pour en tirer gloire et argent.  Ce livre est librement inspiré de la vie de Nikola Tesla (1856-1943) : une "fiction sans scrupules biographiques" (4ème de couverture)

Jean Echenoz a déjà écrit deux livres de ce type : Ravel, sur le musicien du même nom (excellent livre) et Courir, sur Emil Zatopek (que je n'ai pas lu) ; avec Des éclairs, il finit brillamment une trilogie sur des hommes connus. Écrit sur un mode tragi-comique, ce livre est une perle. Si j'étais vulgaire, je dirais : "Putain, quel pied !" Mais comme je suis un garçon bien élevé et que parfois ma maman lit mes billets, je vais plutôt dire : "Fichtre, quel plaisir !"

Je me suis régalé avec la langue de J. Echenoz. C'est un vrai bonheur de lecture. Des phrases somptueuses, drôles par leur construction plus que par le choix des mots :

"Cette fois, Gregor s'est levé, dirigé vers le portemanteau d'où il a décroché son chapeau melon, puis vers la porte qu'il a prise sans un mot ni la refermer derrière lui, puis vers la comptabilité pour y encaisser son solde, puis vers la rue en se demandant ce qu'il va faire après ce mauvais coup." (p.25)

Je pourrais vous citer également le chapitre 9 dans lequel Jean Echenoz raconte la naissance de la chaise électrique : je ne sais si l'anecdote -pour ceux qui ont le malheur d'y passer, c'est probablement plus qu'une simple anecdote- est véridique, mais l'intérêt réside dans la manière de nous narrer ce fait : irrésistible ! Sauf probablement pour William Kemmler, le premier condamné à être exécuté de la sorte.

Revenons un peu à Gregor avant que je n'utilise tout les superlatifs que je connais pour qualifier le travail de l'auteur. Gregor ne vit que pour et par ses inventions : totalement inadapté à la vie en société (exceptée la bonne société qui peut financer ses faramineux projets), bourré de tics et d'habitudes, ayant une très haute opinion de lui-même, tout à fait conscient de sa valeur, il ne remarque pas les regards énamourés des femmes. Parce qu'en plus il est grand et beau :

"Pas mal de femmes, justement, se trouvent là : nombre d'épouses mais aussi des indépendantes qui, jugeant Gregor à leur goût, roulent vers lui des regards veloutés, retenus mais candidats -les regards des épouses sonnant dans la même clef bien que sur un moindre vibrato. Hélas pour elles toutes, parmi les torsions de son caractère Gregor semble peu enclin au contact physique, l'évitant moins par hygiène que par crainte -rien n'égalant en épouvante celui des cheveux, aussi redoutables que, pour tout le monde sauf lui, celui des fils électriques dénudés." (p.89)

En 175 pages, Jean Echenoz réussit l'exploit de raconter la longue vie de Gregor -presque 90 ans- sans jamais nous ennuyer, bien au contraire, même lorsqu'il parle électricité. Et croyez-moi si vous voulez, je bricole un peu chez moi pour remettre la maison en état (isolation, peintures, tapisserie, pose de sols, ... -je prends pas cher, si vous avez besoin !), eh bien, s'il est un domaine auquel je ne touche pas d'abord et avant tout parce que je n'y comprends rien c'est bien l'électricité. On m'a expliqué dix fois. Dix fois j'ai compris. Dix fois j'ai tout oublié étant incapable de ré-expliquer le moindre branchement. Je ne dis pas cela pour étaler ma vie privée ni mes piètres exploits électriques, mais simplement pour vous dire que malgré ma réticence à ce domaine pour moi totalement abstrus -je fais mon fier avec ce mot, mais en fait, je ne le connaissais pas avant de lire la page 88, et comme je le trouve bien, je m'en sers moi aussi. Y'a pas de raison-, je n'ai jamais eu la tentation de passer une seule page de ce livre.

Je m'emballe, je m'emballe, je sais, mais là, croyez-moi, c'est pour la bonne cause, ou plutôt pour l'excellente Littérature !

Un bouquin extra -si vous ne l'aviez pas saisi- que vous ne pouvez donc pas éviter.

Dasola l'a lu aussi. Interlignes au interrogé l'auteur.

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Le Cramé

Publié le par Yv

Le Cramé, Jacques-Olivier Bosco, Ed. Jigal, 2011

Gosta est surnommé Le Cramé pour une mauvaise brûlure qui lui mange une partie du visage. C'est un cador dans sa catégorie. Un voyou. Un cambrioleur recherché par toutes les polices de France. Un jour, il est arrêté lors d'un casse. On l'a donné. Dès lors, il n'aura de cesse de retrouver la balance de son équipe. Pour cela, il n'hésite pas à infiltrer le commissariat de Saint-Denis. Mais bien évidemment, rien ne sera aussi simple qu'il le pensait surtout lorsqu'un gamin à qui il doit la vie est porté disparu.

Attention, ce livre commence très fort. Sur les chapeaux de roues pourrais-je dire, en utilisant une expression toute faite. Et puis, la suite est... du même acabit. Pas de temps mort. C'est un polar sur-vitaminé. Lecteurs qui n'aimez que les bons sentiments, la lenteur, la nature et les petits oiseaux passez votre chemin. Lecteurs -qui pouvez aimer tout ce que je viens d'écrire- mais qui aimez également parfois de l'action, du rythme, du suspense et des rebondissements, précipitez-vous ! Je ne suis pas spécialiste des romans policiers, mais je ne me souviens pas avoir lu de livre de ce genre aussi passionnant depuis très longtemps, surtout parmi les auteurs français. Rendez-vous compte, 284 pages en petits caractères et pas de temps mort.

Je ne dis pas qu'il n'y a pas ici et là quelques tout petits reproches : un peu de "name-dropping" (je suis super fier, j'ai appris ce mot il y a quelques jours et je peux le replacer presqu'aussitôt.), peut-être un peu de caricature, mais ils sont noyés dans la rapidité de l'action et l'efficacité de l'écriture.

L'écriture justement, elle est directe, franche et nerveuse, par exemple lorsque Le Cramé est confronté aus réseaux de pédophilie :

"Inutile de demander ce qu'il advenait lorsque le gosse était trop "abîmé". Le Cramé était à cran, il avait compris que les "réseaux" se débarrassaient des gamins dès qu'ils avaient passé la date limite, et renouvelaient leur stock avec des produits frais. Quelle bande d'enfoirés ! Quel monde de merde !" (p.117)

L'intrigue quant à elle rebondit de page en page pour le plus grand plaisir du lecteur. Je ne veux même pas en parler ici pour ne pas déflorer les nombreuses surprises. Les bandits ont du coeur, mais restent des bandits. Les flics ne sont pas tous pourris, loin de là. Même Le Cramé s'en rend compte :

"Il ne pouvait s'empêcher de sourire. Il y avait une chaleur humaine entre ces flics. Leur vie et leur boulot n'étaient pas faciles : les "objectifs", les tentations, les risques de bavure ou de s'en prendre une. Mais ils le surmontaient avec solidarité, jusqu'à l'amitié sans faille. [...] Un peu comme dans ma bande, pensa-t-il [Le Cramé] avec amertume. jusqu'à ce qu'un traître s'annonce sur le pas de la porte..." (p.98)

Vous l'avez compris, j'ai adoré ce bouquin. Je n'ai pas pu le lâcher avant de l'avoir fini, enfin si quand même, parce que mes yeux ont fini par avoir le dessus et se sont fermés tout seuls m'empêchant de finir ma lecture trop tard -ou trop tôt-, mais dès le lendemain matin, j'ai de nouveau sauté dessus. 

Alors pour finir, j'aimerais remercier très fort les éditions Jigal (chez qui j'ai lu aussi un autre très bon polar -ici-) et News book pour cette lecture en partenariat.

PS : attention tout de même à certaines scène fortes et violentes qui peuvent gêner voire choquer certains lecteurs.

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La compagnie des Tripolitaines

Publié le par Yv

La compagnie des Tripolitaines, Kamal Ben Hameda, Ed. Elyzad, 2011

Chronique de la jeunesse du narrateur dans le Tripoli des années 60. Le jeune garçon passe ses journées entouré de femmes. Sa mère, sa grand-mère, les voisines, les amies de sa mère qu'il appelle ses tantes. Il les visite, les rencontre lorsqu'elles rendent visite à sa mère. Ces femmes sont enfermées chez elles, ne peuvent avoir de vie sociale au grand jour. Seuls sortent et se promènent dans la rue les hommes, les enfants et les jeunes femmes à marier.

Tripoli, dans les années 60 tente de se remettre de la récente domination italienne et notamment de l'occupation de Mussolini. Indépendante depuis le début des années 50, la Lybie commence à se relever avant qu'en 1969 le colonel Khadafi ne fasse son coup d'état, mais cela se passe après le récit de Kamal Ben Hameda.

Donc dans les années 60, le jeune narrateur découvre la vie avec les femmes. Assez discret pour être accepté dans leur entourage lorsqu'elles parlent entre elles, il assiste à des discussions vives, des témoignages terribles de femmes qui n'ont pas choisi leurs maris et qui se font frapper ou véritablement violer par eux. Leurs propos sont parfois assez crus, violents :

"Je fais comme beaucoup d'entre nous, poursuivait la femme, j'ouvre mes jambes et je le laisse me niquer ; de toute façon ça ne dure pas très longtemps... trente secondes, une minute et voilà ! J'en suis quitte... Quelle plaie !... Vous vous rappelez celle qui a coupé le zob de son mari ? Eh bien, son mari la battait tellement, à lui faire voir les étoiles à midi ! Nous le savions, toutes, mais que pouvions-nous faire ? Dehors c'était un homme pieux et respecté, il allait à la mosquée tous les jours, mais comme tous les autres, les femmes, il les haïssait !" (p.79)

Visitant l'une et l'autre, le jeune garçon recueille les souvenirs, les récits de vie de ces femmes. Elles vivent toutes solidaires et ensemble, les Arabes, les juives, les musulmanes même les Italiennes catholiques et parfois même les femmes noires pourtant considérées comme des esclaves ! Ce qui les lie est plus fort que la religion ou l'origine. Elles parlent de leurs misères, les plus vieilles de la guerre et de ce qu'elles ont subi sous Mussolini, de la libération de Tripoli. Elles disent aussi l'absence des hommes de leur maison qui pourtant les briment. Le jeune garçon dit aussi la non-présence de ce père :

"Mon père, homme de solitude et de prière, se cloîtrait dans la petite chambre du fond de la maison lorsqu'il rentrait de sa boutique ou de la mosquée ; indifférent aux être qui l'entouraient, enfermé dans son monde en compagnie d'Allah." (p.64)

Mais les Tripolitaines rient aussi : elles rigolent des hommes qu'elles bernent sans qu'ils ne s'en aperçoivent. Se moquent d'eux et de leurs travers, l'alcool, la religion, leur haine (et/ou leur peur) des femmes... Elles passent de très longs moments entre elles à parler, jaser, "refaire le monde" dirait-on maintenant. Et le narrateur en profite : il se fait câliner, écoute les histoires. Il découvre aussi les corps féminins avec parfois beaucoup d'émotion : "Je ne sais pas comment Tibra la Berbère faisait, mais chaque fois qu'elle était là sur le tapis, pleine d'entrain, elle éveillait dans le bas de mon ventre une chaleur agréable." (p.87)

Très jolie chronique, très bien écrite dans une belle langue, parfois assez crue directe et franche et parfois plus enjolivée, plus ronde et plus poétique. Un petit roman (à peine 110 pages) qui a en outre la qualité de nous décrire la vie à Tripoli. On parle beaucoup de la Lybie depuis quelques temps, mais j'avoue que je ne connaissais pas grand chose sur ce pays, ni sur son histoire et encore moins sur sa littérature. Grâce à ce roman, j'ai recherché des informations sur l'histoire de ce pays dans lequel Kamal Ben Hameda est né dans les années 50 (il vit désormais aux Pays-Bas). Lecture bénéfique pour moi qui me donne l'occasion de rencontrer d'autres gens, de connaître d'autres us et qui me donne l'envie d'en connaître encore plus.

Merci Elisabeth, des éditions Elyzad.

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Rosa candida

Publié le par Yv

Rosa candida, Audur Ava Olafsdottir, Zulma, 2010

Arnljotur est un jeune homme de 22 ans. Père d'une petite Flora Sol née d'une demi-nuit passée avec Anna. Ne se sentant ni homme, ni père, ni conjoint, le jeune homme, amoureux des fleurs en général et des roses en particulier, amour qu'il tient de sa mère récemment décédée,  quitte son pays pour rejoindre un village dans lequel tente de survivre une roseraie jadis exceptionnelle. Plus ou moins entretenu par des moines, Arnljotur est engagé pour remettre ce jardin en état. Il en profitera pour y planter, un des rosiers de sa mère qui donne des fleurs pourpres à huit pétales.

Le voici chez moi ce livre tant décrit et tant aimé sur les blogs (merci Hélène pour ce prêt). J'ajoute donc ma petite note personnelle, qui pour une fois, va dans le sens de la majorité. C'est vraiment un très joli livre, d'une écriture simple, sans artifice qui décrit les gestes du quotidien, la moindre des pensées du jeune héros. Sans qu'il n'y paraisse, l'auteure scrute et dissèque les états d'âme du jeune homme : il se met totalement à nu. Rarement un personnage en aura autant dit sur ses pensées les plus intimes, ses peurs, ses doutes : "Si l'on fait abstraction de mon allure juvénile, je me sens comme un homme courbé sous le poids des ans à force d'avoir vécu, dans le corps d'un homme jeune. Ne s'agit-il pas désormais de passer le temps jusqu'à la tombe ? Y a-t-il encore quoi que ce soit qui puisse me surprendre ?" (p.52) Voilà l'état d'esprit d'Arnljotur avant son départ. Son voyage initiatique va lui faire goûter aux joies de la vie, lui faire prendre conscience de son corps, de son être et de son entourage. Candide moderne, il découvre la vie, aidé en cela par sa relation avec frère Thomas, véritable confesseur, qui lui répond parfois directement, notamment lorsque Arnljotur lui parle de sa mort : "Les hommes passent leur vie à la recherche d'eux-mêmes. On n'arrive jamais à une conclusion définitive en ce domaine. Je n'ai pas l'impression que tu aies un pied dans la tombe." (p.175), mais aussi parfois en lui demandant de visionner un film d'art et d'essai dont il est fervent. A chaque fois, frère Thomas et le jeune homme se retrouvent autour d'un verre de liqueur : poire, cassis, abricot, ... Comme quoi la nourriture n'est pas que spirituelle, elle est aussi plus prosaïquement pour le corps. D'ailleurs, le jeune homme sera contraint également d'apprendre à cuisiner.

Tout en redessinant la roseraie quasiment à l'identique de ce qu'elle était jadis, il avance sur les questions de la paternité, de la vie à deux, de la famille. Même si ses questionnements tournent beaucoup autour de la disparition, de la mort, mais aussi de l'amour spirituel et physique, le livre est plutôt drôle. Le ton n'est pas à la franche rigolade, mais au sourire. De fait, j'ai ouvert le bouquin et le sourire est venu qui ne m'a plus quitté jusqu'à la fin - si je vous dis que je l'ai lu dans un aller/retour Nantes/Paris, imaginez la tête des voyageurs à côté et en face de moi, ils ont dû me prendre pour le benêt de service !

Voilà donc pour moi une très belle lecture reposante, vivifiante, fraîche ; de beaux personnages : frère Thomas, Anna, Arnljotur, son père et la petite Flora Sol. Un charme qui opère tout le long, un peu comme dans Là-haut, tout est calme ;  on se demande qu'elle est la recette pour que ces livres simples  fonctionnent aussi bien. Il y en a sûrement plusieurs, mais je ne les connais pas. La seule chose que je sache, c'est qu'il ne faut pas passer à côté de ce roman, sous peine de perdre une belle occasion de se faire plaisir et de sourire.

Beaucoup de critique et d'avis chez babelio, mais sûrement ailleurs aussi.

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