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Mort d'un clone

Publié le par Yv

Mort d'un clone, Pierre Bordage, Au diable vauvert, 2012

Martial Bonneteau, 48 ans,  est un clone humain, clone employé type et modèle, clone époux étouffé par une maîtresse femme, clone père absent et peu intéressé par sa progéniture. Un jour, un peu par bravade, un peu par fatigue, il décide de flâner plutôt que d'aller au travail, de passer à la salle de bains avant Madame, ce qui est un affront à lui faire, de ne pas céder son siège dans le RER. Il décide donc de commencer à vivre pour lui.

J'ai déjà lu deux ou trois romans de Pierre Bordage, plutôt bien écrits, rythmés décrivant un monde très personnel, mais ne se démarquant pas par un style littéraire fort. Pour Mort d'un clone (écrit il y a 15 ans) l'auteur se lâche et s'amuse avec les mots, les expressions. Il détourne celles-ci, déforme ceux-là. Ce roman totalement barré est d'abord, dans sa première partie, un exercice d'écriture. Les portraits sont particulièrement soignés, tous les personnages sont moches, vulgaires trop ceci ou pas assez cela  : "Elle avait fait des folies de son corps aujourd'hui, Germaine-la-comptable. Tailleur jaune moutarde, chemiser à pois rouges et verts, nouvelle coiffure chou-fleur rehaussant une laideur qui s'affirmait avec le temps. Crayon de papier en main, elle leva sur lui des yeux interrogateurs, doublement grossis par le double foyer des lorgnons cerclés de fer noir. Redoutable perspective, elle ouvrit la bouche pour parler, libérant à la fois une haleine méphitique et un flot de postillons délétères." (p.52)

Parfois Pierre Bordage en fait trop, il abuse notamment des interruptions de scènes pour donner des définitions personnelles de mots ou expressions, certes très drôles, mais le procédé fatigue ou agace un peu. "Coquelets : jeunes cadres rudement dynamiques, parés de costume prince-de-galles impeccablement coupés, porteurs de reliques noires et rectangulaires, communément appelées attaché-cases. Particularité physiologique rarissime : leurs becs de coquelet sont munis de longues dents de loup." (p.43)

P. Bordage néologise à fond, bricole les mots comme par exemple et entre beaucoup d'autres ce "obligalante" (p.47) qui résume la galanterie obligée en certains moments à laquelle Martial ne veut plus se soumettre ou encore le "Pachydé-cétaterme : croisement d'une élépheine et d'un balant." (p.94). Il use également de périphrases, joue sur les sons, les répétitions : il s'en donne à cœur joie pour le plus grand plaisir d'un lecteur comme moi qui se laisse facilement charmer par une langue particulière, travaillée, recherchée et en plus très drôle. Par contre, je peux reconnaître aisément que l'auteur peut énerver parce qu'il en fait des tonnes, parce qu'il est beaucoup question de sexe (mais que voulez-vous Martial est éjaculateur précoce et donc cette question le turlupine, si je puis m'exprimer ainsi). D'ailleurs à ce propos Pierre Desproges disait : "on dit toujours que ce sont les meilleurs qui partent en premier. Dès lors, que penser des éjaculateurs précoces ?"

Et l'histoire dans tout cela ? Et bien, Martial va faire de belles et de troublantes rencontres, et quelques découvertes parfois irrésistibles -notamment avec un ancien colonel, mais je laisse le suspens-, parfois tragiques, et chacune le fera avancer dans la recherche de sa personnalité, de ses envies les plus profondes.

La seconde partie m'a laissé un peu plus perplexe tant sur le fond que sur la forme -et sur la double faute de conjugaison du verbe courir, écrit au passé avec deux "r" centraux, p.277 et 279- totalement différents de la première et moins percutants. Pour ne pas déflorer le suspense, je ne raconterai que le minimum, mais si j'ai dit barré pour le début du bouquin, la fin ne l'est pas moins, mais dans un style dissemblable. La ville s'estompe, la nature prend toute sa dimension dans le corps de Martial, le chamanisme arrive en force

Résultat : un bouquin inclassable, qui, comme les autres livres de P. Bordage reste à l'esprit et ne laisse pas de marbre. Une vraie bonne découverte d'un auteur plutôt connu pour ses romans d'anticipation que pour ses débordements linguistiques.

Merci à Caroline et à la Librairie Dialogues

 

 

dialogues croisés

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Zéro heure à Phnom Penh

Publié le par Yv

Zéro heure à Phnom Penh, Christopher G. Moore, MA éditions, 2012

Vincent Calvino, Italo-Américain est détective privé, après avoir été avocat. Il vit à Bangkok au début des années 1990. Il est chargé par un farang (un étranger) de retrouver un autre farang qui a donc disparu (sinon, ça ne servirait à rien de le rechercher), pour lui remettre une jolie somme d'argent. Son enquête le mène très vite au Cambodge, à Phnom Penh, en compagnie de son ami le colonel Pratt, un policier thaï. 

En bon détective désabusé, un rien ironique et cynique, et quelque peu misanthrope (mais pas mysogine, la réputation des détectives privés est en jeu) Vincent Calvino se moque des conventions des usages et fonce tête baissée dans son enquête, quitte parfois à prendre des risques inconsidérés et à prier pour que son ami Pratt le sorte d'une mauvaise passe. Toutes les clefs du genre sont réunies pour faire de cette enquête un bon roman policier : des vrais personnages avec des vies cabossées, une multi-intrigue qui tient jusqu'aux dernières pages et des lieux absolument -et malheureusement pour ceux qui ont vécu ces années- idéaux pour placer une histoire forte. Mais, parce que "mais" il y a, ce roman est encore mieux que cela : il a un p'tit plus.

Ce p'tit plus, c'est le contexte géographique et historique. Géographique, parce que je ne pense pas qu'il existe une multitude de polars qui se déroule au Cambodge et en Thaïlande. Historique, parce qu'il se passe en 1993, dans l'après Pol Pot, lorsque le pays est sillonné par les forces de l'ONU censées protéger les populations et préparer la mise en place d'un régime démocratique. La société cambodgienne de l'époque est particulièrement violente et fait peu cas de quelques morts par-ci par-là. Les jeunes femmes sont prostituées pour gagner quelques malheureux dollars et prennent physiquement et psychiquement 10 ans de vie en 1 seule année civile : elles meurent jeunes, de maladie, de fatigue ou d'une balle perdue. Phnom Penh est une ville en décrépitude, en déroute dans un pays en qui ne se relève pas. On peut même se demander, à l'instar de l'auteur dans sa préface ce que V. Calvino vient faire ici : "Vincent Calvino cherche la solution à un crime individuel commis dans une société ayant subi l'outrage d'un crime collectif majeur. Il finit inévitablement par se dire que le problème qu'il doit régler est bien insignifiant en comparaison du million de personnes mortes sous le règne des Khmers rouges." (p.8)

Christopher G. Moore a été journaliste et vit en Asie du sud-est depuis presque 25 ans, c'est dire s'il maîtrise son sujet. (Ce roman a été écrit en 1999 mais n'est traduit que cette année en français et l'auteur en a écrit d'autres avec le détective Vincent Calvino). Il ne nous épargne rien, ni les visites des bordels de Phnom Penh, ni les exactions des truands du coin ni les actes répréhensibles parfois violents et souvent impunis de certains soldats de l'ONU, ni ses interrogations sur le métier de journaliste et le bien-fondé des images ou reportages qu'ils peuvent rapporter. La visite de la prison T-3 est un chapitre assez éprouvant mais nécessaire pour tenter d'expliquer l'arbitraire du régime et les violences qu'il fait subir aux habitants parfois sans raison justifiable : "La centaine de prisonniers de cette salle offrait une vision éloquente de l'enfer. Leur regard indiquait qu'ils étaient répartis en trois groupes. Ceux du premier groupe avaient le regard d'un homme à qui le bourreau passe la corde au cou. Les hommes du deuxième groupe avaient le regard fiévreux de ceux qui sont atteints de dysenterie, de fièvre et de diarrhée. Le troisième groupe, lui, avait le regard des morts-vivants, de ceux qui ont déjà franchi le pont." (p.292)

Vous l'aurez compris, ce polar m'a convaincu. Mieux qu'un reportage simple au pays des Khmers, pour le même prix, vous avez le reportage et l'enquête de Vic Calvino. Que demander de plus ?

Merci Davina de chez Gilles Paris (cette fois-ci, ça colle !)

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Borderland

Publié le par Yv

Borderland, Vamba Sherif, Métailié, 2012

Wologizi, ville frontière d'un pays africain dirigé par le même homme depuis cinquante ans, Le Vieil Homme. Y descend d'un bus, un homme habillé très élégamment, William Soko Mawolo. Il vient, envoyé par Le Vieil Homme, enquêter sur la disparition mystérieuse de Tetese, l'ancien chef coutumier. Très vite, il se heurte au silence, aux fausses pistes et semble être le seul à entendre des bruits bizarres et effrayants.

Dans un style clair et sans fioriture, Vamba Sherif décrit la vie d'une petite ville loin de tout. Les coutumes y sont tenaces : les hommes et les femmes tiennent chacun leurs rôles respectifs et nul n'y déroge. L'étranger y est mal vu comme un porteur de mauvaises nouvelles ou de malheurs ou plus probablement des deux simultanément ou consécutivement. C'est dans cette ambiance lourde que William doit enquêter. L'atmosphère est pesante et poisseuse ; la chaleur, le moindre effort est fatigant.

Ce court roman n'est étonnamment pas vendu comme un polar, c'est vrai qu'il y a plus que cette enquête : l'histoire de cette petite ville reculée qui vit à un rythme qui lui est particulier, la société patriarcale, la découverte de ce qu'on peut obtenir avec un petit peu de pouvoir, une petite histoire d'amour, "les interactions entre le visible et l'invisible dans une société rythmée par les mystères de l'initiation" (4ème de couverture). Je cite ce passage de dos de jaquette, parce qu'il est assez hermétique et vague mais dans le même temps, il résume très bien une grande partie du livre. Une société africaine avec ce qu'elle véhicule d'irrationnel, de croyances ou de rites très anciens, mystérieux, inexplicables et parfois effrayants. 

L'enquête de William est présentée comme un puzzle : chacun des protagonistes lui donne sa version des faits, qu'il doit ensuite confirmer ou infirmer avec d'autres personnes, qui elles mêmes peuvent mentir ou par volonté pure ou par peur ou encore par omission. On ne sait trop qui sait quoi, qui dit la vérité, c'est d'ailleurs assez déroutant, mais passionnant. C'est une construction convaincante qui tient le lecteur jusqu'aux ultimes lignes.

Pour vous allécher, n'ayant pas pu choisir un passage plus qu'un autre, je vous livre ici, sous vos yeux ébahis, les premières lignes de ce roman à découvrir absolument :

"Par un jour oppressant de la saison sèche, un homme descendit du bus et traversa la rue principale de la ville frontière de Wologizi. Il s'approcha d'un jeune homme penché au-dessus d'une citerne remplie d'eau. Le jeune homme regardait son reflet depuis un certain moment déjà, et le visage qui le salua dans l'eau claire portait un sourire béat. l'étranger boitait, mais avec le temps il avait appris à dissimuler intelligemment son handicap en se pavanant, si bien que le jeune homme qui avait entendu le bruit de ses pas et s'était maintenant retourné vers lui supposa qu'il était arrogant." (p.9)

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Les pétroleuses se mettent au vert

Publié le par Yv

Les pétroleuses se mettent au vert, Céline Vautard, Ed. One plus one, février 2012

Ce livre est un guide pour les filles -et les garçons aussi, bien entendu, sinon, je ne serais pas là à vous en parler- qui veulent passer "au bio, au green, à l'écologie, au développement durable..." (4ème de couverture) sans avoir l'air idiot les premiers temps.

Ceux qui viennent me voir régulièrement connaissent désormais mes pratiques bio, locales et écologiques. Les autres, ceux qui ne font que passer ici de temps en temps -d'ailleurs, j'aimerais vous voir plus souvent- ou ceux qui viennent mais qui ne lisent pas attentivement -j'ai les noms, comme on dit couramment- vont donc découvrir cette partie de moi qui fait que je consomme bio autant  que faire se peut tant dans les achats alimentaires que dans les produits de soin et nettoyage, que dans les matériaux pour rénover la maison, etc etc.

Ce guide tombe donc à point pour en faire un (point) sur le bien fondé de notre démarche à nous la famille Yv. Il est bien fichu et complet, puisqu'il balaye les aliments bien sûr, mais aussi l'habillement, les ustensiles pour bébé, les produits d'entretien de la maison, les gestes à adopter pour économiser, les cosmétiques et les vacances responsables.

Le tour est donc fait, plein de conseils, d'idées futées, d'adresses, de liens vers des sites Internet. Enfin de quoi passer en mode écolo en un tour de main.

Evidemment, chacun dans ce genre de guide a des chapitres qui lui sont moins utiles, parce qu'il connaît ou pratique déjà ou parce qu'il n'est pas intéressé par le domaine traité, mais grosso modo, ce guide pourra servir à tous pour trouver la bonne idée, le bon site pour réserver ou acheter tel ou tel produit ou pour adopter tel ou tel bon geste.

Le genre de guide qui se glisse dans le sac à main d'une femme pour le lire dans les transports en commun ou qui se garde dans un coin de la maison pour y revenir y piocher une idée ici ou une autre là.

On en parle aussi sur La librairie.com

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Ça coince ! (3)

Publié le par Yv

Lucien, Bernard Saint-Paul, Ed. Panthéon, janvier 2011 

"Grégoire Sauvagnac a bientôt 40 ans.

Il est compositeur de musique de pub et vit avec sa fille en banlieue parisienne.

La crise économique a tronqué les budgets, sa carrière musicale est en phase finale, son moral est en berne et sa vie compliquée. Un psychiatre improbable va l’aider à survivre. Une femme exceptionnelle va croiser son chemin, dont le parfum subtil sera son obsession. Saura-t-elle apaiser son ego maladif ? A quel prix pourra-t-elle lui redonner envie ?" (4ème de couverture)

Pourquoi ai-je arrêté ma lecture ? Eh bien, parce que au bout d'un moment, le mépris de Grégoire pour les autres est insupportable, très répétitif et vraiment chiant à lire et ceci d'autant plus que l'auteur veut donner un côté très actuel à son livre par une écriture rajeunie de mauvaise qualité :"Peu de gens trouvaient grâce à son humour acide, mais il s'en tapait grave." (p.14) "Y avait un black qui jouait du saxo dans un trio de jazz qui swinguait de la mort" (p.28) "Comment ce médecin qui devait prendre grave, pouvait-il se suffire d'un meuble aussi vilain." (p.41)

Moi, j'ai envie de dire : "comment un livre aussi grave mal écrit peut-il avoir été publié en l'état ? Et pourquoi, je m'appliquerais un tel grave supplice de la mort à lire ces inepties qu'elles sont pas cool et qu'elles déchirent pas leur race ?" 

 

Le refuge, Niki Valentine, MA Éditions, 2012

"A peine arrivés dans les Highlands écossaises pour célébrer leur anniversaire de mariage, Susie et Martin fuient leur luxueux hôtel. Pour se retrouver et partager une aventure, le couple a décidé de passer une nuit à la dure dans un refuge en pleine nature. Un violent orage se déchaîne et ils se retrouvent bloqués pendant plusieurs jours, à des kilomètres de tout, complètement isolés." (4ème de couverture)

Ouais, bof, bof, comme je disais lorsque j'étais adolescent, il y a à peine deux ans donc !

Que c'est long à démarrer cette histoire et que c'est mal raconté ! C'est poussif et absolument pas intéressant. Je passe mon tour.

 

A l'encre de Chine, Christian Lejallé, Ed. Imagine & Co, 2012

"1912. Le Céleste Empire est mort. La Chine vacille. Emportée dans le chaos de la révolution, Yuna ne peut plus compter que sur Zhao, l'homme qu'elle aime depuis son enfance.Tous les deux vont connaître l'amour fou, l'exil, la violence, la peur, le dépassement, mais ils vont aussi participer à la plus grande des épopées qui soient : fonder une nation. Pour y parvenir, ils vont cheminer avec Mao, puis s'opposer à lui en un combat mortel" (4ème de couverture)

J'avais bien aimé le premier tome de ce roman en deux parties et puis là, je n'y arrive pas. J'ai l'impression que l'écriture de Christian Lejallé a perdu un peu de la poésie qui faisait le charme du livre précédent. Ou alors, c'est moi qui n'ai pas retrouvé les mêmes sensations. Enfin, toujours est-il que sur ce roman, on ne se retrouve pas C. Lejallé et moi. Tant pis, mais ceci n'enlève rien aux qualités de ses livres (je serais tenté d'écrire "contrairement aux deux autres chroniqués dans le même article", mais ce serait du mauvais esprit voire de la provocation, donc je n'ai rien formulé et vous n'avez rien lu : je tiens à mon intégrité et suis un couard par nature).

Je veux bien faire voyager ces deux volumes, si quelqu'un est intéressé qu'il le dise ou qu'il se taise à jamais, selon la formule célèbre. 

 

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Le dernier contrat

Publié le par Yv

Le dernier contrat, Olivier Maulin, Ed. La Branche, février 2012

Paris est en pleine insurrection. La crise économique, le manque de confiance dans les dirigeants entraînent les gens à descendre dans la rue. Dans le même temps, Joseph Victor, tueur à gages est contacté par un homme pour honorer un contrat. Arrivé au rendez-vous, il découvre son contact mort, assassiné et doit lui-même descendre les deux hommes coupables de cet acte. Il décide alors de remonter la filière vers le vrai commanditaire de son "dernier contrat" et se retrouve en face de Frère-la-Colère, le fédérateur des rebelles, l'icône de la Révolution.

Cinquième tome de l'excellente collection Vendredi 13. Pas un polar, mais plutôt un roman d'aventures (Patrick Raynal, celui qui a lancé l'idée de la série le définissait comme tel dans la très bonne émission télévisuelle sur France 5 : Entrée Libre). Olivier Maulin part de son héros, s'attarde un peu sur lui, puis nous plonge dans la seconde partie du bouquin dans la révolte en plein cœur de la fine équipe autour de Frère-la-Colère.

J'étais un peu rafraîchi par la relative lenteur du départ et par la mise en place un peu longue de l'intrigue, mais a posteriori je m'aperçois que j'ai pris un aussi grand plaisir à lire ce livre que les autres de la série. Bien fichu, l'auteur prend le temps de bien nous montrer pourquoi et comment la révolte s'est installée : le monde qu'il décrit est d'ailleurs à peine différent de ce que nous pouvons entendre en ce moment, entre la perte du triple A, la hausse des prix, les taxes qui augmentent, le chômage itou, le pouvoir d'achat qui fait l'inverse et la défiance des électeurs envers leurs dirigeants, ... Il suffirait de presque rien, comme dirait l'autre... Peut-être des élections toutes proches ?

Bon, revenons à notre livre, Olivier Maulin fait de son tueur à gages un homme désabusé, blasé :

"- Tout glisse sur vous. Vous ne vous étonnez de rien, vous ne vous attristez de rien, vous ne vous réjouissez de rien. [...] Bon Dieu, vous ressemblez à une machine. Rien ne vous touche ? Rien ne vous émeut ? Rien ne vous amuse ?

- Écoutez, je déteste la psychologie...

- Oui, je sais, vous détestez la psychologie, vous détestez la discussion, vous détestez le nudisme, vous détestez vous arrêter sur les aires d'autoroute, vous détestez mon vocabulaire, vous détestez mon survêtement...

- Pourquoi vous vous énervez comme ça ?

- Parce qu'il est impossible d'avoir un rapport humain avec vous.

J'ai levé les yeux au ciel.

- A mon avis, vous attendez trop des rapports humains. C'est un travers typique de la jeunesse." (p.155)

L'aventure est vue par les yeux de Joseph Victor le tueur à gages, c'est le narrateur à la première personne. C'est donc au travers de son regard désabusé, revenu de tout que nous voyons la révolution dans la rue et ceux qui la fomentent et l'attisent. Contrairement à lui, eux croient pouvoir changer le monde. Ils croient à la mobilisation du peuple autrement que par les urnes pour virer les gouvernants qui s'accrochent à leurs privilèges. (Tiens, tiens, ça me rappelle quelque chose : une -et plusieurs- révolutions arabes qui ont réussi à renverser leurs dirigeants corrompus, transposée en France.)

Un roman qui sait se faire apprécier au long de l'avancée du lecteur, qui mérite qu'on s'y arrête. Très visuel, le même Patrick Raynal que plus haut dans la même émission que plus haut disait que chaque livre de la collection devait être construit pour pouvoir être filmé : contrat largement rempli par Olivier Maulin, je me laisserai tenter par le film également s'il se tourne.

PS : ne lisez pas la 4ème de couverture ! Et par pitié, messieurs et mesdames qui écrivez ces fameuses 4èmes de couvertures, n'en dites point trop ! Vous déflorez beaucoup trop de l'histoire. Laissez un maximum de suspense et de surprise aux lecteurs !

Claude Le Nocher, Clara, Livrogne en parlent aussi

Merci Davina de chez Gilles Paris.

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L'été des serpents

Publié le par Yv

L'été des serpents, Henri Cueco, Ed. Hugo et Cie, 2012

Henri Cueco raconte ses années de guerre. Il grandit, passe de l'enfance (9 ans) à l'adolescence (15 ans) dans une période difficile et néanmoins pleine de découvertes. Celles bien sûr qui concernent les nazis occupants mais aussi et surtout celles se rapportant au changement de son corps et par dessus tout à celui des filles.

Pour moi, le postulat de départ était une chronique des années de guerre comme je viens de l'écrire plus haut. Or, là, je me trouve essentiellement dans une chronique d'un vieil homme se souvenant avec une grande nostalgie de la découverte de son corps et de celui des filles changeants à l'adolescence. Rien de particulièrement choquant, certes, mais un peu répétitif et une espèce de libidinerie permanente, compréhensible à cet âge-là mais un tantinet agaçante pour le lecteur quarantenaire que je suis. Peut-être suis-je traumatisé par ma propre adolescence, Freud pourrait sans doute nous en dire plus, mais j'ai perdu son numéro pour la consultation ? Peut-être suis-je devenu cul-pincé avec l'âge (je ne  vous cache pas que cette option n'a pas ma faveur) ? Ou peut-être ne suis-je pas adepte de ceux qui ne parlent que de "ça" (ouh la Yv, ce diminutif entre guillemets est bien la preuve de ton cul-pincé !), tout simplement ? C'est effectivement le propos principal du bouquin, mais le souci c'est que moi je n'ai pas accepté ce partenariat éditeur/Les Agents Littéraires pour lire un tel livre.

C'est d'ailleurs dommage, parce que lorsque que Henri Cueco sort des pelotages, des baisers et des histoires de vestiaires ou de toilettes de cour d'école, il écrit des choses formidables :

"J'ai quinze ans à la fin de la guerre. L'aventure de la mort héroïque est terminée. Il va falloir apprendre à mourir de maladie et de vieillesse. C'est jeune pour mourir vieux."(p.11)

Même lorsqu'il parle des filles il écrit bien (je lui reproche surtout son radotage) : "En ce temps-là, les jambes, les cuisses, les bottes, les lacets d'espadrilles, les reins, les hanches, la pâleur, tout était dans l'ombre. Les filles demeuraient à l'ombre des couloirs, dans le noir. [...] Nous, on avait des sortes de courts-jus dans les veines, du sang courant, des poussées vers on ne savait quoi, des surtensions à péter les lampes, les envies de sauter jusqu'au ciel, d'annuler le poids du corps." (p.87)

Et puis, et puis, il y a la formidable idée qu'a eue l'auteur d'écrire en en-tête de ses chapitres, des textes, plus ou moins longs sur sa vie actuelle, sur ses amis, ses petits-enfants, ses voisins, la vie de son village et parfois des souvenirs de cette guerre. Alors là, je dis bravo. Je dis même mieux, je dis qu'il eût mieux valu mettre ces textes en valeur pour l'accroche du bouquin, parce qu'ils sont excellents, comme de toutes petites nouvelles à suivre ou pas. Une écriture simple, directe, poétique parfois. En fait, pour moi, ils sauvent le bouquin d'un ennui menaçant. Pour être moins négatif (que voulez-vous, je suis un éternel optimiste, on ne se refait pas), je dirais même que ce sont ces passages et l'écriture générale de Henri Cueco qui sauvent ce roman. Ses phrases sont triturées, très ponctuées, elles alternent du vocabulaire simple, parfois un peu plus élaboré, voire inventé, des néologismes quoi (voyez-là mon admirable mansuétude -le mot de la langue française préféré de Claude Hagège ; eh, c'est pas la classe de citer un linguiste dans un billet qui ne se rapporte pas à lui ?- qui utilise un mots savant en en donnant la définition tout de suite accolée) avec des mots grossiers, des "gros mots" comme on disait, petits.

Il m'est d'ailleurs difficile de citer des extraits, d'en sortir un seul alors que tous sont très bons,  ou un seul un peu long, mais vous me pardonnerez certainement :

"Ils ont souillé, humilié des enfants... Pourquoi ai-je si mal ? Petit enfant juif je suis ? Abandonné. Plus jamais torché, souillé, petit humilié, moi aussi, humilié petit. Tu ne comprends pas, petit ? Ta merde et ta faim t'ont fait bête. Ma cigarette tremble un peu. Milicien je suis. Juste le temps de souffrir, petit, ta casquette est trop grande, tes yeux s'agrandissent encore. La morve te coule sous le nez, tu dégoûtes, la pitié s'enfuit à ton odeur. Tes yeux grandiront encore à la découverte de ce qui t'attend. La faim, la douleur, l'abandon, la peur, la solitude, la mort d'étouffement dans les bras de la première mère qui se trouvera près de toi. Je suis si enfant. Tiens-moi, madame. Un parfum de tétée flotte alentour de tes seins nus, je te serre comme une amante-mère. Maman, j'étouffe." (p.153)

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Le lanceur de couteaux

Publié le par Yv

Le lanceur de couteaux, Steven Millhauser, Albin Michel, 2012

Recueil de douze nouvelles, sortes de mini-romans, sans chutes. Elles sont contemplatives, descriptives, oniriques. Pas toutes passionnantes, elles ont cependant un petit je-ne-sais-quoi qui retient le lecteur : une originalité ou un brin de folie ou de rêverie qui leur sied bien. Les cinq premières sont celles qui m'ont le plus touché :

- Le lanceur de couteaux : "Lorsque nous apprîmes que Hensch, le lanceur de couteaux, s'arrêterait dans notre ville pour une unique représentation le samedi soir à huit heures, nous fûmes pris d'hésitation, incertains de nos sentiments." (p.9) Une nouvelle assez étonnante sur un numéro de lanceur de couteaux qui repousse les limites de son art pour le plus grand plaisir et en même temps la plus grande gêne de ses spectateurs.

- Visite : "Ce n'est que lorsque je m'approchais, dans la pénombre de cette après-midi, que je vis qu'y était installée une très grosse grenouille, haute d'environ deux pieds, assise la gorge posée sur le rebord de la table. "Ma femme", dit Albert, en me lançant un regard farouche, comme s'il était prêt à me sauter au visage." (p.37) Un homme rend visite à un ami qu'il n'a pas vue depuis 9 ans. Celui-ci lui présente Alice, sa femme, une énorme grenouille.

- Les sœurs de la nuit : La nuit, une société secrète composée de jeunes filles se forme dans la forêt. Des rumeurs courent alors sur ces filles, les peurs, les ressentiments, les désirs de vengeance remontent. Très bien vu parce que les narrateurs sont différents et que chacun donne son point de vue ; comment peut se former une rumeur et monter les intolérances.

- L'issue : un homme est surpris dans la chambre de sa maîtresse par le mari d'icelle au moment où il se rhabille venant de mettre fin à leur relation adultère. Le lendemain, il reçoit la visite de deux amis du mari bafoué qui lui proposent une rencontre avec lui.

- Tapis volants : un jeune garçon devient un adepte du tapis volant, un vrai bon pilote. Il se sent grisé par ces sorties interdites.

Je m'attarde un peu sur ces cinq nouvelles parce ce sont pour moi les plus marquantes, mais les autres ne sont pas mal non plus. Plus longues et un peu plus bavardes pour une ou deux d'entre elles (donc pour vous mesdames ! Macho, hein, mais il faut bien que je fasse du buzz !), mais sur les douze, c'est assez peu et les autres vous feront passer un moment particulier, assez rare dans des nouvelles.

Toutes ont en commun d'être très bien écrites : du vocabulaire, de longues phrases bien travaillées (merci le traducteur Marc Chénetier) qui les rendent ou intemporelles ou difficilement datables (ça c'est peut-être un néologisme : eh, moi aussi, j'en connais des mots !). Certaines m'ont paru se passer dans un temps ancien (19ème ou début 20ème) alors qu'elles sont contemporaines : ce hiatus (je peux mettre ce mot-là ?) me plaît bien, on a à la fois le plaisir de lire une nouveauté et l'étrange sensation de lire un ouvrage de ces dates-là.

A découvrir pour ceux qui, comme moi, ne connaissent pas encore Steven Millhauser

Merci Aliénor.

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Sur les nerfs

Publié le par Yv

Sur les nerfs, Larry Fondation, Fayard noir, 2012

Ce livre est un recueil de nouvelles très courtes pour certaines, qui ont toutes en commun de se dérouler aux États-Unis, dans des ghettos, des quartiers laissés à l'abandon, squattés ou habités par des gens pauvres, des truands, des dealers, des junkies. C'est noir, terriblement noir. Parfois une petite lumière qui pourrait illuminer ce noir, mais assez rarement. Appelons cela le destin, le "pas-de-bol", la malchance d'être né de ce côté de la barrière : pauvre dans un pays riche, le petit coup de pouce qui fait sombrer dans la drogue et les ennuis, ou tout autre terme, mais le fait est que les situations que décrit Larry Fondation sont malheureusement crédibles, et c'est ce qui les rend encore plus tragiques, plus terrifiantes. 

Larry Fondation emploie un mode elliptique, rapide, haché. Certaines nouvelles déconcertent, on ne suit plus vraiment, mais la chute est là, souvent qui remet tout en place.

"II. Dormir par terre au Lavomatique. Pas d'employé pour te foutre dehors.

III. Aide sociale et centre de grossesse

Une assistante sociale : "pourquoi est-ce que tu t'es laissée mettre en cloque si jeune ?" (Emphase : "laissée".) [...]

V. Biens personnels à protéger

boîte de Coca             biberon            papier toilette parfumé

station-service           lessive             désodorisant

ouvre-boîte électrique cigarettes         déodorant

cran d'arrêt               pistolet            cyanure" (p.41/42)

D'autres sont plus linéaires. Il y en a pour tous les goûts, à condition quand même d'aimer le noir.

"Il reste là, sur les escaliers, alors quelle lui a dit de se cacher.

- Ils te cherchent.

- Qu'ils viennent.

- C'est de ma faute.

- Qu'ils viennent, il répète.

Il fait nuit, mais encore chaud, et les rues sont pleines d'enfants qui jouent, de mecs au coin de la rue qui boivent de la bière, et de femmes qui se baladent en short et en sandales." (p.29)

Larry Fondation est médiateur de quartier à Los Angeles et doit donc savoir de quoi il parle lorsqu'il évoque la vie à l'intérieur de ces quartiers : il ne fait pas de concessions et ne se censure pas, certains passages sont assez durs, violents. On ressort de ce livre un peu étourdi, étonné et effrayé de ce qui peut se passer dans les cités, dans les squats, dans les rues mal famées, même si ce sont des choses qu'on voit parfois à la télé. Mais la littérature est plus forte en imaginaire et chacun se fait ses propres images de ce qu'il lit alors que la télévision nous impose les codes qu'elle veut bien : c'est particulièrement visible lorsqu'on regarde comment deux chaînes peuvent traiter différemment une même information. 

Je n'ai pas tout aimé dans ce recueil, certaines nouvelles m'ont laissé dubitatif, parce que parfois trop déstructurées, trop elliptiques mais dans l'ensemble je suis plutôt positif et curieux de ce que pourrait faire Larry Fondation en musclant un peu ses personnages, en les développant et en les mettant dans un roman... Noir évidemment.

Merci Lilas

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